La premiere véritable soliste féminine Mostaganémoise : Nadia OULD MOUSSA

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Extraits des « Mémoires » par Hadj Moulay Ahmed BENKRIZI

ANNEE 1980
Du 26 Juin au 2 Juillet, ce fut le tour du 6ème Festival de Tlemcen qui vit bien entendu notre participation habituelle dans une nouba du mode Rasd-Dil. Mais à la différence de l’année précédente, j’ai jugé opportun d’assurer personnellement la direction de l’orchestre où l’on remarquait pour la première fois la présence d’une gamine de douze ans, pas plus haute que trois pommes, qui n’allait pas tarder à faire parler d’elle en des termes des plus élogieux.
Il s’agit de la petite Nadia Ould-Moussa dont les qualités vocales sont tout simplement de nature à émouvoir les âmes les plus endurcies, comme ce fut naguère le cas avec d’autres élèves tels que Sid-Ali Benguendouz par exemple ou le regretté Omar Berber entre autres.
Cependant, ayant malheureusement rejoint tardivement l’Association, il n’était pas raisonnable de lui confier un solo comme j’avais osé le faire dans des conditions similaires pourtant, avec Omar Berber lors du Festival de 1974, et cela en raison de l’âge fortement précoce de la fillette d’une part, et d’autre part de son inexpérience totale dans un forum de cette importance.
Néanmoins Mostaganem venait de découvrir l’oiseau rare : Sa première soliste qui lui faisait cruellement défaut depuis sa création en 1967. Quant à moi, je tenais enfin « mon » joker que je ne manquerais pas d’exhiber dès que la nouvelle recrue aura acquis une maturité suffisante dans ce dur métier exaltant.

C’est ainsi qu’une mandoline à la main, Nadia allait devoir se contenter pour cette fois, de joindre sa voix chaude et mélodieuse à celles de la chorale dans une prestation dûment couverte de bout en bout par la Télévision Algérienne.

Aussi, n’est-il pas surprenant que le Quotidien national « El-Moudjahid » crut devoir saisir cette occasion pour publier sous la plume du regretté Rabah Saâdallah une monographie très instructive et assez détaillée sur le Nadi El-Hilel et sur les chouyoukhs de Mostaganem en essayant de remonter dans le temps aussi loin que possible pour atteindre autant que faire se peut les racines les plus profondes de cet art ancestral au niveau de la région.
……… Constantine 1980
C’est donc en plein ciel que nous avons dû rompre le jeûne une bonne heure avant l’atterrissage de l’appareil, avec une délicieuse « zlabia » tlemcénienne offerte gracieusement par nos amis et compagnons de voyage de la S.L.A.M. précisément conduite par leur Maître, le regretté Cheikh Si Mohamed Bouali.
La nouba Zidane était parfaitement au point et les quarante trois éléments de l’orchestre placés sous ma direction comme d’habitude, « s’éclatèrent » littéralement sous les projecteurs et les caméras de la Télévisions Algérienne mobilisés pour la circonstance.
On remarquera que c’était la première fois que la formation mostaganémoise se présentait avec un nombre de musiciens aussi élevé, et ce n’était pas pour nous déplaire, bien au contraire.
Ainsi, avec la jeune Nadia Ould-Moussa, je pouvais compter désormais sur les services d’une deuxième soliste, sans compter le pauvre Omar Berber bien sûr ; soit trois chanteurs de valeur capables de rivaliser avec les meilleurs talents amateurs du moment.
Enfin s’agissant de l’ensemble, force est de constater que tous les musiciens se sont surpassés au sein de ce grand orchestre dominé notamment, par la présence très remarquée :
  • D’un R’beb joué par le petit Fayçal âgé de onze ans à peine.
  • De deux violoncelles tenus par Mohamed Koroghlou et Djilali Benatia.
  • Et d’un piano avec Abdelkader Ghlamallah.
D’autre part, moins d’un mois plus tard, une nouvelle manifestation culturelle était organisée au T.N.A. Mahieddine Bachetarzi d’Alger dans le courant du mois d’Août 1983. Cette fois ce n’est pas d’un festival qu’il s’agissait mais de la « Semaine Culturelle de la Ville de Mostaganem » à Alger et à ce titre, la musique andalouse devait occuper une place de choix avec le Nadi El-Hilel Ettaqafi évidemment. Cependant, visiblement échaudés par l’incident regrettable de la « gargote » du mois d’Avril écoulé, les organisateurs avaient décidé de se racheter de leur bévue en renouant avec les bonnes habitudes et un vrai petit restaurant nommé « Le Cirta » qui avait si bien su nous séduire par son standing, son service et son menu au cours du mois de Décembre 1982.
Quant au programme de la soirée, je me souviens avoir opté pour une très jolie nouba dans le mode « Rasd » agrémenté d’un magnifique « M’cedder » totalement inédit intitulé « Ya Badr El-Boudour » — (Oh, lune des lunes !)– admirablement bien interprété par la voix chaude et prenante de la petite Nadia Ould-Moussa dont l’âge ne dépassait pas quinze ans.
Qui dit mieux ?
Dès que nous eûmes terminé notre prestation, nous fûmes agréablement surpris d’être rejoints dans les coulisses par le Maître Sid Ahmed Serri entre autres, venu gentiment féliciter et encourager les jeunes prodiges pour leurs progrès et le sérieux de leur travail ; des compliments qui nous allèrent droit au cœur.
Instantanément, je revis par la pensée l’image qui s’était déroulée sur la scène du cinéma « Le Colisée » de Mostaganem, un jour de 1972 à la veille du 3ème Festival d’Alger.

Onze années déjà s’étaient écoulées et l’histoire avec un grand « H » était en train de se répéter, bien que dans un contexte totalement différent. Ne dit-on pas en effet, que l’histoire n’est qu’un éternel recommencement ?

Aussi, fidèle à ses principes de courtoisie et à sa bonne éducation, le Maître eut dans les vastes coulisses du T.N.A. un mot gentil à l’adresse de chaque élève avant de conclure à la ronde : « C’est le plus beau travail que vous puissiez faire. Avec toute cette jeunesse, vous êtes en train de réaliser un investissement à long terme, sur cinquante ans ! »
Puis abordant un aspect plus technique, il me félicita personnellement pour le choix judicieux du m’cedder chanté par la petite Nadia, non sans me demander de quelle source je pouvais bien tenir une pièce aussi rare. Evidemment, je me fis un devoir et un plaisir de lui révéler que la grande majorité de mon répertoire était due à la générosité débordante du Maître Khaznadji, et le m’cedder en question ne fait pas exception.
Toutefois, il faut signaler que ce geste sympathique allait être légèrement altéré par un petit incident sans conséquence dû, me semble-t-il, à un malentendu fort heureusement sans répercussions sur la qualité de nos relations amicales futures. Qu’est-ce à dire ?
S’adressant à la petite Nadia après son interprétation sans faute du fameux m’cedder en question, le « Patron » de la prestigieuse ‘’El-Djazaïria El-Mossilia’’ d’Alger la félicita chaudement, ajoutant en fin connaisseur, qu’elle représentait pour le moment, l’une des plus belles voix d’Algérie. En somme une appréciation tout à fait personnelle, – (que je partage entièrement du reste) – mais, disons le tout de suite, sans impact majeur sur un plan pratique.

PORTRAIT N° 21 : NADIA OULD MOUSSA

« Solistes Féminines – La difficulté d’être »
(Par Cherif Ouazani)
« De Mâalma Yamna à Nadia Ould Moussa, beaucoup d’eau a sillonné les oueds. Mais les mentalités ont-elles évolué ?
Sid Ahmed Serri a bien des vertus. C’est un musicien remarquable, très bon interprète, un muezzin de talent, et il est en passe de devenir le meilleur des déceleurs de jeunes talents. D’ailleurs El-Mossilia lui doit quelque chose, si elle est à la place qu’elle occupe.
Vous allez vous demander pourquoi on en parle alors qu’on est censé parler des femmes solistes. Pour la simple raison que, selon un témoignage mostaganémois, à la suite d’un solo de Nadia Ould Moussa chantant à l’époque avec Nadi El-Hilel de Mostaganem, Sid Ahmed l’a chaudement félicitée en disant qu’elle avait la meilleure voix d’Algérie. L’éloge peut être considéré comme exagéré, mais il est digne de foi au vu de la dimension de son auteur.
Nadia est une jeune mostaganémoise de vingt ans ; elle poursuit des études bio-médicales à l’université d’Oran et ne chante plus depuis quelques années.

Durant la rencontre culturelle de Mostaganem, il y eut une soirée de musique andalouse où l’association El-Gharnatia commit une nouba H’sine qui fit perler les paupières de Nadia par des larmes non feintes.

« Ca me manque », dit-elle. Alors pourquoi ne reprend-elle pas ? Le père se défend avec véhémence d’être la cause et elle explique très mal cette situation.
Elle fit ses premières armes au Nadi, où elle apprit pratiquement six noubas sur douze. Devant ses aptitudes vocales, certains la conseillèrent pour une carrière en solo.
Elle quitte le Nadi et fait quelques apparitions avec El-Fen Wa Nachat. La station régionale de télévision d’Oran lui fait faire un enregistrement, et c’est au moment où sa voix commence à se faire connaître que, paradoxalement, elle cesse de chanter. « Il était hors de question que je devienne une professionnelle, dit-elle, avec l’approbation de son père, directeur d’école, et si je devais rechanter, cela se ferait au Nadi ». A ce même Nadi, il semblerait qu’on ait mal perçu la fugue. Mais nous sommes sûrs que la sagesse de Moulay Benkrizi l’emportera, ne serait-ce que pour qu’un talent ne soit pas gâché et une vocation ratée.
Au-delà du cas de Nadia, c’est le problème de la phobie du professionnalisme qui se pose. Durant les années trente jusqu’aux années cinquante, l’artiste était considérée comme un paria. La chanteuse était forcément une dévoyée. Yamna fut chassée par son père El-Mahdi. M’rah nous a montré une Tetma, seule femme dans des soirées masculines. H’nifa n’avait plus d’attaches avec ses parents. Fadéla garda grâce, aux yeux de sa famille, car elle en avait été le soutien matériel. Qu’en est-il à la fin des années quatre-vingts ?

Une discussion avec Docteur Benkrizi fils nous édifia. Il était question d’élèves qui présentaient des aptitudes vocales intéressantes et leur exploitation durant les concerts.

Pour lui, il n’était pas question de monopoliser différentes interventions vocales sur un seul interprète, même s’il a les meilleures prédispositions vocales.
D’une part, pour ménager les susceptibilités et d’autre part, pour ne pas gonfler la tête de l’élève et en faire une victime potentielle du professionnalisme. C’est en ces termes qu’un musicien accompli, un mélomane averti parle d’une pratique musicale professionnelle.
Cependant, il serait hâtif de blâmer un tel raisonnement, au vu du champ dans lequel se meuvent les jeunes chanteurs et chanteuses. Des producteurs qui n’ont rien à voir avec l’art, des éditeurs qui comptent beaucoup plus qu’ils n’apprécient.
Dommage pour Fayçal qui a grandi une sucette dans une main et un R’beb dans l’autre. Dommage pour Nadia. Dommage pour la musique.
Signé : Cherif Ouazani
(Fin de citation).
Au-delà du cas particulier de la petite Nadia – (aujourd’hui médecin, mère de famille et Présidente d’une association de musique andalouse à Bordj Bou Arréridj, dénommée [Ahbabe Chikch Moulay Benkrizi]) – l’analyse du présent article de mon ami Cherif Ouazani, nous renvoie à cette fameuse « mise au point » de Sid-Ahmed Serri qui jugea opportun de revenir sur des déclarations tenues en 1983, en rédigeant dans la même publication le démenti ci-après :
« En lisant l’article de M. Cherif Ouazani sur les solistes féminins, parudans le N° 1127 du 21 Mai 1987, j’ai été surpris que l’un de mes interlocuteurs m’ait attribué des propos que je n’ai jamais prononcés et concernant une jeune élève d’une association de Mostaganem, lui disant qu’elle avait la plus belle voix d’Algérie. Je ne crois pas qu’il m’était possible, au vu d’une seule audition, d’émettre un tel jugement de valeur.
Autant que je m’en souvienne, l’intéressée m’a été présentée à l’issue d’un concert donné par l’association Nadi El-Hilel Ettaqafi et au cours duquel elle avait chanté un morceau parmi ceux figurant au programme. Sa voix étant agréable mais manquant encore d’assurance, je l’ai simplement félicitée et lui ai prodigué des encouragements, comme il sied en pareille circonstance sans émettre d’autre appréciation.
Croyez, Monsieur Ouazani, à mes meilleurs sentiments ».
Signé : Sid-Ahmed Serri
(Fin de citation).
Pour ma part, j’admets volontiers le caractère excessif d’un tel jugement, tant il est vrai que les goûts et les couleurs de chacun ne se discutent pas et peuvent même varier d’une personne à une autre en fonction d’un grand nombre de paramètres en usage dans tous les milieux artistiques notamment.
Cependant, ceci n’influe en rien sur les qualités objectives intrinsèques présentées à l’époque par cette jeune élève qui se distinguait vraiment par une passion débordante pour tout ce qui touche à la musique andalouse sans parler de dons naturels indiscutables en la matière.
Par ailleurs, il convient de préciser que le transfert de cette élève, à un moment donné, du Nadi vers le Nachat ne constituait nullement un évènement en soi dans la mesure où des mouvements de cette nature étaient monnaie courante, obéissant en fait, à une pulsion cyclique et conjoncturelle constatée généralement dans toutes les associations du genre.
De ce fait, il peut paraître surprenant de vouloir assimiler ce départ à une « fugue » et encore moins à une catastrophe, puisque l’objectif, la vocation et la raison d’être du Nadi à l’époque qui me concerne personnellement tout au moins, reposaient essentiellement sur la devise suivante :
 La Formation.
 Encore la Formation.
 Et toujours la Formation !
Ceci dit, il va sans dire que la « double appartenance » simultanée à deux associations distinctes, et de nature identique, pose bien évidemment problème, dans les mêmes conditions que pour un élève qui serait inscrit dans deux établissements scolaires différents, ou encore un athlète engagé auprès de deux associations sportives pratiquant une seule et même discipline.
C’est ainsi qu’une solution satisfaisante, conforme au vœu de l’intéressée, a pu être trouvée sans difficulté, dans le sens d’une réintégration au bercail, dès sa démission effective de la seconde association concurrente.
Quant à la pratique musicale dans un cadre professionnel proprement dit, je ne crois pas que la doctrine des responsables du Nadi fût à l’époque en contradiction avec la philosophie et la vocation de l’association, et par voie de conséquence, avec les statuts qui régissaient encore ses activités légales.
En effet, comme il a été souligné ci-dessus, celles-ci s’articulaient sur une politique de formation tous azimuts, axée sur le principe intangible d’un strict amateurisme au sens le plus noble du terme.
Toutefois, cette vision restrictive à dessein, n’excluait nullement la faculté pour ses éléments d’embrasser à « titre individuel », une carrière professionnelle ou semi-professionnelle en dehors du Nadi, fût-elle lucrative, tout en continuant d’activer parallèlement en son sein.
La meilleure illustration en est fournie par toute une pléiade de chanteurs et de musiciens qui, tout en fréquentant assidûment les cours dispensés par mes soins au niveau de cette structure, assuraient sans problèmes l’animation de fêtes, mariages et concerts publiques ou télévisés.
Dès lors, il n’est pas exact d’évoquer une prétendue « phobie du professionnalisme », alors qu’il s’agit plutôt d’une question d’éthique qui consiste à conférer au Nadi un cachet strict d’école d’enseignement et d’apprentissage, loin de toute tentation de profit ou de lucre susceptible de déboucher sur une confrontation avec les idées hautement humanistes et les théories de base qui ont inspiré ses vénérables fondateurs de 1967.

C’est d’ailleurs dans cet esprit que doivent s’incrire les déclarations très pertinentes du Docteur Benkrizi selon lesquelles il importe d’éviter une concentration des solistes sur un seul et même interprète, quelles que soient ses aptitudes dans ce domaine.

Or sur ce point, il est réconfortant de constater que l’avenir se chargera fort à propos, de nous conforter dans notre conviction profonde au-delà de toute espérance.

C’est, à n’en point douter, notre plus grande satisfaction, et un motif de fierté incommensurable.
Publié il y a 17th January 2010 par