LE  SAC  DU PALAIS  D’ÉTÉ  DE  PÉKIN. (6 octobre 1860).

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 1. Présentation. (Par Mohamed Senni).

Depuis quelques années, nos politiciens s’échinent, gesticulent et s’entêtent démesurément à vouloir obtenir une reconnaissance des crimes commis par la colonisation française dans notre pays. Je n’ai pas à juger de l’opportunité d’une telle reconnaissance pour trois raisons:

La première est que nous détenons la bonne mesure de ce que peut peser une parole française à travers les leçons que nous avons tirées de ses successifs parjures.

La deuxième est que je n’arrive franchement pas à saisir ce que cette reconnaissance nous rapportera puisque l’Histoire a enregistré ces pages noires faisant qu’elles resteront éternellement franco-françaises.

La troisième est que cette reconnaissance, si jamais elle devait être prononcée, elle le sera de manière hypocrite ou moyennant une contrepartie intéressée, car la France vivant quotidiennement des licenciements massifs qui se succèdent de manière exponentielle, a très peu de marge de manœuvre et cette reconnaissance ne fera pas moins ou pas plus que l’Algérie soit irréversiblement indépendante même si ses dirigeants font peser sur nos têtes de graves menaces d’orages où la main de l’Etranger ne manquera pas de jouer le plus  gros rôle.

En compulsant l’Histoire, on se rend compte avec effarement que la France n’a pas des passifs avec la seule Algérie. Aujourd’hui je voudrais proposer le sac du Palais d’Eté de Pékin par une coalition franco britannique et avec la plume de Victor Hugo qui n’a pas mis de gants pour dire ce qu’il pensait de ce sac. Au préalable, un bref  historique ne serait pas de trop.

II.LE PALAIS D’ÉTÉ.

Au début du 17 ème siècle vivaient, en Mandchourie au Nord-est de la Chine, des peuplades éparses qui, une fois unifiées par la Dynastie des Ts’ing, bravèrent la Grande Muraille pour s’installer en Chine. C’était en 1644 et cette Dynastie durera jusqu’en 1912.

Au XVIII ème siècle, elle décida de bâtir le Yuanming Yuan ou le Jardin de la Clarté Parfaite qui sera connu, en Occident, sous le nom de « Palais d’été ». Cette construction était en réalité une de plus puisque le palais semble avoir déjà connu une existence dès le XII ème siècle.

D’une surface de quelque 300 hectares dont Le Palais d’été de Pékin, 75% sont couverts par un lac. Ce Palais était un chef d’œuvre inégalé de l’art dans son expression la plus pure. Durant presque deux siècles, on y entassa des pièces inestimables. Le décrire n’est ni à notre portée tant certains aspects, hissés à un niveau sublime, nous échappent et sortent du cadre de l’objet de notre article.

                                                                                             

Pavillon                                                                                                                                    Une des vues du Palais.

Dans leur frénétique folie d’hégémonie, les Anglais, s’intéressèrent, dès le premier quart du XIXème siècle au commerce de l’opium, non seulement en Chine mais également en Europe. La Chine s’y oppose et ce sera la première Guerre de l’opium qui, débutant en 1939 connaîtra son issue en 1842 où les Anglais obtiennent, à la faveur du traité de Nankin, aidés par la faiblesse militaire de la Chine, le monopole du commerce dans l’Empire du Milieu et la cession de Hongkong pour eux.

Celle-ci ne redeviendra définitivement chinoise que le 1er juillet 1977.

Il y eut une deuxième Guerre de l’opium qui durera de 1856 à 1862 et qui opposera la Chine à une coalition anglo-française. Le 6 octobre 1860, les « Civilisateurs occidentaux » accaparent tous les trésors du Palais, le saccagent et le brûlent : une plaie qui ne se refermera plus dans l’Histoire.

Sollicité par le Capitaine Butler qui voulait avoir l’avis de Victor Hugo sur ce « haut fait d’armes » l’auteur de la Légende des Siècles » et des « Misérables » lui envoya la réponse qui suit :

Victor Hugo.

Au capitaine Butler

« Hauteville House, 25 novembre 1861

Vous me demandez mon avis, Monsieur, sur l’expédition de Chine. Vous trouvez cette expédition honorable et belle, et vous êtes assez bon pour attacher quelque prix à mon sentiment ; selon vous, l’expédition de Chine, faite sous le double pavillon de la reine Victoria (1) et de l’empereur Napoléon,  (2) est une gloire à partager entre la France et l’Angleterre, et vous désirez savoir quelle est la quantité d’approbation que je crois pouvoir donner à cette victoire anglaise et française.
Puisque vous voulez connaître mon avis, le voici :
Il y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde ; cette merveille s’appelait le Palais d’été. L’art a deux principes, l’Idée, qui produit l’art européen, et la Chimère, qui produit l’art oriental.

Le Palais d’été était à l’art chimérique ce que le Parthénon est à l’art idéal. Tout ce que peut enfanter l’imagination d’un peuple presque extra-humain était là. Ce n’était pas, comme le Parthénon, une œuvre une et unique ; c’était une sorte d’énorme modèle de la chimère, si la chimère peut avoir un modèle.

Imaginez on ne sait quelle construction inexprimable, quelque chose comme un édifice lunaire, et vous aurez le Palais d’été. Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze et de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes des mille et un rêves des mille et une nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d’eau et d’écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d’éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c’était là ce monument. Il avait fallu, pour le créer, le lent travail des générations. Cet édifice, qui avait l’énormité d’une ville, avait été bâti par les siècles, pour qui ? Pour les peuples. Car ce que fait le temps appartient à l’homme.

Les artistes, les poètes, les philosophes, connaissaient le Palais d’été ; Voltaire en parle. On disait : le Parthénon en Grèce, les pyramides en Egypte, le Colisée à Rome, le Palais d’été en Orient. Si on ne le voyait pas, on le rêvait. C’était une sorte d’effrayant chef-d’œuvre inconnu entrevu au loin dans on ne sait quel crépuscule, comme une silhouette de la civilisation d’Asie sur l’horizon de la civilisation d’Europe.

Cette merveille a disparu.

Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d’été. L’un a pillé, l’autre a incendié. La victoire peut être une voleuse, à ce qu’il paraît. Une dévastation en grand du Palais d’été s’est faite de compte à demi entre les deux vainqueurs. On voit mêlé à tout cela le nom d’Elgin (3), qui a la propriété fatale de rappeler le Parthénon (4). Ce qu’on avait fait au Parthénon, on l’a fait au Palais d’été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser.

Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n’égaleraient pas ce formidable et splendide musée de l’Orient.

Il n’y avait pas seulement là des chefs-d’œuvre  d’art, il y avait des entassements d’orfèvreries. Grand exploit, bonne aubaine. L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l’autre a empli ses coffres ; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l’histoire des deux bandits.
Nous européens, nous sommes les civilisés, et pour nous les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie.
Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre. Mais je proteste, et je vous remercie de m’en donner l’occasion !

Les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais.

L’empire français a empoché la moitié de cette victoire, et il étale aujourd’hui, avec une sorte de naïveté de propriétaire le splendide bric-à-brac du Palais d’été. J’espère qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée.
En attendant, il y a un vol et deux voleurs.
Je le constate.
Telle est, Monsieur, la quantité d’approbation que je donne à l’expédition de Chine.

REMARQUES.

  1. Il s’agit de la Reine Victoria I ère (1919-1901), Reine de Grande – Bretagne et d’Irlande (1837-1901) et Impératrice des Indes (1876- 1901).
  2. Il s’agit de Napoléon III (20/4/1808-9/1/1873) celui-là même qui « rendit la liberté » à l’Émir Abd-El-Kader.
  3. Il  s’agit du Lord James Bruce, 8 ème comte d’Elgin (1811-1863), premier Vice-roi des Indes. C’est son grand-père qui vola les bas-reliefs du Parthénon, temple d’Athéna Parthénos qui se trouve sur l’Acropole d’Athènes, bas-reliefs dont la majeure partie se trouve, jusqu’à nos jours, au British Muséum sans doute à côté de pièces uniques prises au Musée de Baghdâd lors de l’invasion de ce pays qui est dans toutes les mémoires.

Enfin, signalons que Victor Hugo s’est basé sur les récits de témoins oculaires et d’écrits divers pour faire sa réponse au capitaine Butler. La puissance de son verbe, la pertinence des images et l’implacable arrêt qu’il rend contre son propre pays et l’Angleterre nous donnent une impression saisissante de ce que fut ce Palais.

Et là reconnaissons la suprématie des mots pour restituer ce que les plus belles images ne peuvent rendre. Quel sera ce nouvel Hugo qui nous narrera  tout ce qu’ont pris les nations civilisatrices-que Victor n’hésite pas à qualifier  de barbares- des pays qu’elles ont colonisés? Un Ministre de de Gaule, grand écrivain de surcroît, n’a-t-il pas été pris la main dans le sac volant des reliques du temple d’Angkor au Cambodge celui-là même que l’écrivain Roger Peyrefitte ne désignera plus que par « le voleur d’Angkor? Et si l’on ajoute que là, nous n’avons affaire qu’à la partie visible de l’iceberg…

Il y a quelques années, lors d’une vente aux enchères qui eut lieu à Paris, deux pièces provenant de ce vol ont été reconnues par des Chinois venus avec des avocats tout désignés pour engager une procédure d’annulation de la vente. A la même période, se vendait, à la salle Drouot de Paris, des manuscrits volés par le général de Berthezène, au cours de l’été 1830, de la Mosquée de Blida!

Pour conclure nous informons nos aimables lecteurs que quelques centaines de millions de Chinois connaissent la lettre de Victor Hugo alors qu’elle est quasiment inconnue en France si ce n’est par une poignée de militants intellectuels incorruptibles comme l’Hexagone en a toujours eus.

Alors, à quoi va servir la reconnaissance de la France au regard des dix millions d’algériens tués dans la longue nuit coloniale, des spoliations, de la dette qu’elle nous doit pour nos livraisons de céréales qui ont été à l’origine de l’expédition d’Alger, et du fructus engrangé pendant 132 ans? Qu’elle nous paie d’abord les dettes que nous détenons sur elle et qu’elle garde sa reconnaissance pour elle. Je fais plus confiance, sur cet aspect, à l’Histoire qui commence à bien se dessiner, qu’à une reconnaissance qui ne sera nullement dénuée de calculs mesquins.

Mon intime conviction est que le même schéma soit appliqué à la Turquie pour les 313 années d’occupation et, seulement après ça, Ech-Chami, Chami et le Baghdadi, Baghdadi.

Sources:

  1. Dictionnaire Encyclopédique Larousse, 16 volumes. Edition 1980. Paris.
  2. Le Monde Diplomatique. Journal mensuel. Octobre 2004.
  3. Manière de voir.  Bimestriel édité par Le Monde Diplomatique. N° 123. Juin-Juillet 2012

Mohamed Senni 

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