Rétrospective ; Démocratie algérienne à l’ouverture: problématique

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30 Septembre 2009

Il n’y a pas encore assez d’éléments pour comprendre ce qui est réellement advenu dans le bloc social dominant quand il a présenté ses premières fissures après la mort de Boumediene, sur les flottements politico-économiques des années 1980, sur fond de crise et sur la recomposition spectaculaire du régime au pouvoir à la fin de cette décennie.

Ceci ne veut pas dire que la connaissance de ces éléments est indispensable, mais cela aurait juste aidé à illustrer, par la mise au jour de ses acteurs et des jeux de coulisses, l’approche de l’évolution du pays vers ce qu’il est commode d’appeler ouverture démocratique.

Dès l’entame des premières libertés politiques, la naïveté était de considérer la démocratie, tel qu’il est d’usage de le faire, comme un système sui generis achevé, valable en tout temps et tout lieu, qu’il suffit d’instituer pour le voir fonctionner. Ce qui fut. Un vent d’euphorie gagne les élites intellectuelles et politiques, renforcé par le vacarme de la chute des bureaucraties de l’Est européen et alimenté par les pressions du néolibéralisme triomphant.

Rappelons que ce dernier n’a jamais connu une hégémonie aussi étendue sur le monde. Exit l’URSS et ses satellites, exit les nationalismes arrogants des Arabes et des autres, plus que son pouvoir sans partage sur des pays exsangues. Derrière les «démocratisations» en chaîne, on oublie très souvent de voir que ce sont les dogmes et les intérêts du capital financier international qui s’installent dans des pays «portes ouvertes». Le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale, l’Organisation Internationale du Commerce sont les nouveaux sièges de la décision planétarisée.

Ainsi, dans la foulée des mesures de libéralisation politique, c’est le «programme d’ajustement structurel» qui dévaste le secteur économique public, met à mal le privé national productif et balaie l’essentiel du système de protection sociale.

En Algérie, en même temps que l’Etat, personnalisé par le FLN, ouvre les portes du jeu politique à tous, il débride le marché national et fait du remboursement de la dette extérieure la priorité dans le budget du pays. Le véritable enjeu était là. La scène peut s’animer sans déranger l’essentiel. Si nous faisons un retour sur son Histoire, l’Algérie, colonie de peuplement jusqu’en 1954, est régie par un système où les autochtones sont des résidents de second rang – sur environ un peu plus de dix millions d’habitants, un million d’Européens, (Français de souche et assimilés) détiennent tous les pouvoirs et tous les postes de commandement dans l’administration et les différents secteurs de l’économie.

Les neuf millions d’Algériens en sont exclus et sont confinés aux postes subalternes ou aux tâches d’exécution, à l’exception des professions libérales où l’on peut trouver un très petit nombre d’indigènes. Le paysage politique est configuré en deux collèges électoraux avec prime au premier collège représentant des européens et une part du deuxième collège revenant aux alliés de l’administration coloniale. Alors, les débats et les luttes qui animent le champ politique se concentrent exclusivement sur les conditions de vie et le statut des algériens – du parti qui prône l’indépendance (Etoile Nord-Africaine / PPA / MTLD) aux réformistes musulmans qui revendiquent la défense de l’arabe et de l’islam en passant par les assimilationnistes qui revendiquent la citoyenneté française pour les indigènes.

Avec les premières cristallisations autour du PPA, les contradictions internes à la population algérienne sont ignorées sous le couvert de la fraternité et de l’unité face à l’ennemi. Même les divergences politiques finissent par être réprimées pour construire le Front de Libération Nationale. Des sécrétions politiques des sociétés européennes, seul le mouvement communiste réussit une implantation et le maintien d’un courant que n’altère pas, de 1956 à 1962, l’intégration dans les rangs du parti unique.

A la libération, le départ des français provoque une véritable hémorragie sociale. En quelques mois, la totalité des institutions et toute l’administration sont vidées de leur encadrement, ce qui est qualifié de sabotage économique par les autorités algériennes.

Plus grave, le taux d’illettrisme avoisine les 80%, et malgré les concessions tardives, seuls 19% des algériens suivent le cycle primaire en 1954 ; ils sont 30% en 1962. A l’université, on compte un algérien pour 15 000 habitants contre un français pour 300 habitants.

La société algérienne confinée dans les bidonvilles, les casbah des grandes villes ou dans les campagnes pauvres était, de plus, exclue de l’urbanité, sauf à côtoyer la société coloniale au titre du travail sous- qualifié, de la collaboration ou du faire- valoir, n’arrive pas à produire, l’intelligentsia, les élites intellectuelles qui nourrissent traditionnellement l’identité des peuples expriment leur culture et gèrent les affaires du pays. Elle se réfugie alors dans les mythes d’un passé magnifié, dans la religion et dans le folklore. La révolution algérienne est alors qualifiée d’ «éléphant à la tête d’épingle». La «tête d’épingle» malgré la noblesse et la grandeur de son rôle historique, a la revendication la plus simple à résoudre en politique : la liberté.

De facto, le mouvement de décolonisation en Algérie s’est accompagné de la soumission de toutes les expressions et sensibilités politiques à l’objectif principal de l’indépendance du pays. La direction de l’Algérie indépendante, qui n’a eu aucune difficulté sérieuse, exclut tout type de divergences et instaure un monolithisme politique bâti sur l’unanimité qui a guidé la guerre de libération. Toutes les contradictions (et leurs causes essentielles) sont censées être résolues par la destruction de l’ordre colonial. Cependant, les contradictions sociales mûrissent assez pour exploser dans des émeutes populaires dans plusieurs villes dont la plus significative est le «printemps berbère», qui donne le coup d’envoi à la revendication démocratique, suivi des émeutes de Constantine et de la Casbah d’Alger.

L’insurrection d’octobre 1988, qui ébranle notamment la capitale et ses banlieues, parachève la rupture de la société avec le pouvoir en créant de larges brèches dans l’édifice répressif et en accélérant la division du bloc dirigeant, entre «réformateurs» et «conservateurs». La souveraineté du peuple est proclamée en 1989 dans une constitution qui autorise la liberté d’expression et d’association. Les urnes deviennent, en théorie, la seule source du pouvoir.

Mais, les trente années qui mènent au multipartisme se sont déroulées sans que la population soit traversée de débats réels ou qu’elle connaisse un minimum de vie associative, en dehors des mosquées ou des clubs sportifs. Le syndicat unique engagé depuis 1956 à orienter le monde du travail vers le soutien du FLN n’a pas offert de cadre de revendications, ni de formation d’un courant critique, ni préparé la possibilité de se transformer en force politique. Les associations de toute nature et les syndicats «autonomes» nés après 1988 porteront le syndrome de l’unicité des rangs et de l’hostilité aux voix discordantes.

L’ouverture politique octroyée découvre alors un désert politique et culturel où seuls le drapeau de l’islam réfractaire millénariste, toléré et instrumenté, durant des années, par le régime, et la revendication identitaire berbère ont déjà une base sociale et représentent une opposition significative. Cet état de fait découpe le corps électoral, convoqué dans la précipitation, en trois grandes tendances : le pôle du pouvoir arrimé à la légitimité historique, les islamistes porteurs de l’âge d’or expurgé de ses sanglantes péripéties (dont le rappel va être quasi immédiat), comme de ses lumières (jamais invoquées), et les partis à ancrage berbériste (quoi qu’il s’en défende, le FFS n’aurait pas eu son poids sans cette donnée, encore moins le RCD qui s’est constitué dans des «Assises du Mouvement Amazigh»).

De plus, la structure de l’électorat algérien est dominée par les catégories peu insérées, voire exclues de l’espace social et économique, telles que les femmes au foyer et les inactifs, ainsi que par les illettrés. Le poids des femmes au foyer a d’autant plus d’impact que leur statut doit être pris dans l’acception archaïque du terme. Ce statut religieux et coutumier, renforcé par le droit officiel, fait d’elles un citoyen par procuration, soumis à la volonté des mâles de la famille, y compris les femmes travailleuses ou celle qui sortent pour étudier. Les femmes au foyer représentent plus de 40% des électeurs et les inactifs 14%, ce qui signifie que près de 55% de ceux qui sont en âge de voter ne sont pas insérés dans la vie active et sont de ce fait exclus de l’espace économique et social ou n’ont pas, avec lui, théoriquement de lien direct.

Un leader très démocrate et très moderne a même décrété que «les élections ne sont pas un défilé de mode.» Les 18-34 ans représentent plus de 50% des électeurs, c’est une catégorie qui est née et a vécu durant la période post-coloniale, elle se trouve de ce fait en rupture avec le passé sur lequel repose la «légitimité historique» et aura tendance à plus se situer par rapport au présent dans ses choix. Elle va soit rejeter une modernité inaccessible, parce que celle-ci a un contenu matériel hors de prix, et répondre à l’appel des islamistes, soit braquer son regard sur l’outre-mer et son étalage de richesses, soit se murer dans l’indifférence, soit s’exprimer directement, à la mesure de ses urgences, par l’émeute.

C’est dans ce contexte que l’Algérien a fait connaissance avec la liberté de parole. Il n’en a pas fini.

Par Ahmed Halfaoui

30 Septembre 2009

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