1. Entretien avec John Bastardi Daumont par Rachid Guedjal

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Rachid Guedjal (RG), John Bastardi Daumont (JBD)

R.G: Bonjour JBD, c’est un grand plaisir pour moi ainsi que pour l’équipe d’Algerienetwork de pouvoir t’interviewer aujourd’hui. Certes, ça fait un moment que je suis ton activité par le biais de Facebook ou de Twitter (merci au passage pour l’ajout en ami depuis le temps). Mais que dirais tu de nous résumer en présentation ton parcours, tes interventions dans beaucoup d’affaires judiciaires délicates, entre autres, ainsi que ton activité actuelle notamment pour nos lecteurs qui ne te connaissent pas encore.

Je me permets rapidement de résumer: ancien illusionniste devenu avocat, puis auteur,  à 32 ans, tu es déjà intervenu dans des affaires extrêmement sensibles comme l’affaire d’Etat de la mort du juge Borrel (magistrat français décédé à Djibouti en 1996), ou encore, la défense de Robert Faurisson, dont tu as obtenu pour la première fois en 30 ans la relaxe. Idem en ce qui concerne le cassage de la censure concernant l’ouvrage de Paul Eric Blanrue, « Sarkozy, Israël et les Juifs ».

Actuel avocat d’Alain Soral, tu fis aussi partie des avocats défendant Dieudonné. Tout en attaquant également l’Etat français pour complicité dans la déportation lors de la seconde guerre Mondiale, ou en défendant la liberté d’expression de l’anciein rédacteur en chef adjoint de Paris Match, le grand reporter Chris Lafaille. Tu interviens aussi à la défense d’intérêts de dissidents tunisiens.
Au regard de ce palmarès, première question:  alors, avocat « engagé », ou pas ?

JBD: Bonjour Rachid, c’est un plaisir de m’entretenir avec toi pour l’équipe d’Algerienetwork, et j’accepte avec joie.
Avocat « engagé »: par réellement. Je n’aime pas la notion d’engagement car elle emprisonne. Or la liberté reste mon credo. D’où ces défenses variées qui peuvent paraître assez paradoxales pour des individus qui aimeraient bien  voir de l’engagement partout. A ceux qui me demandent « comment avez vous pu défendre Faurisson et attaquer l’État français et la SNCF pour complicité dans la  déportation », je réponds: relisez la définition du mot « Avocat ».

En outre, les avocats « engagés » perdent, la plupart du temps, car beaucoup en oublient le droit au profit de leur cause devenue exclusive. Les deux seules exceptions que je connais sont Jacques Vergés et Robert Badinter, et encore, sur deux cas très précis dans l’ensemble de leur carrière pourtant brillante. Mais une nuance de taille doit être précisée. Ils ont gagné ces combats en dehors des prétoires: Badinter passe par la politique pour abolir la peine de mort, Vergés instrumentalise les médias pour sauver la vie de Djamila Bouhired. Serge Karlsfeld doit également être signalé.  Pour sa part, il a mené un combat personnel admirable. Mais ici encore, en participant lui même à la traque des bourreaux de jadis. En agissant aussi en dehors du prétoire. J’aime bien cet homme. Le fils peine à aligner trois mots, mais le père a un grand talent. Surtout de stratège.

En ce qui me concerne, par le passé, j’ai eu à instrumentaliser internet pour créer des centaines de milliers de liens permettant de mobiliser l’opinion sur la censure par le vide pesant sur l’ouvrage de Paul-Éric Blanrue. Créant à son profit une machine virale de propagande. C’était en dehors de mes fonctions traditionnelles, clairement. Mais il fallait le faire. En plus, ça m’a amusé. Une cause me touche, plus que nulle autre, c’est celle de la liberté d’expression des opinions. Totale.

Glaive clair et tête nue, bien sur. Je ne parle pas des individus agissant sous couvert de pseudonymes sur internet afin d’insulter tel ou tel que j’exclus d’office du genre humain. Car une opinion doit émaner d’un homme. Or, il se trouve que l’enragé anonyme se rapproche plus de la loutre que de l’homme.

A ce niveau le Premier Amendement américain est admirable. Il n’y a qu’à constater l’une de ses conséquences directe:  comparer la liberté de la presse aux États Unis et en France. Aux États Unis, Nixon fait poser 7 micros et cela donne le Watergate. En France, Mitterrand écoute 7,000 personnes et reste un Roi. L’affaire de DSK en est un autre exemple. Remise en question par une presse anglo saxonne à juste titre railleuse, la presse française se décide très récemment (ça date de quelques heures au moment où j’écris ces lignes) à évoquer certaines affaires de harcèlement sexuel concernant, bien sûr, des hommes politiques…..morts.

Etant donné que nous avons approximativement 20 ans de retard sur les Américains, dans énormément de domaines, nous y viendrons. L’information est un bien incorporel de plus en plus consomptible or le consommateur apprécie peu le protectionnisme pour de telles denrées. La loi sur la presse de 1881 ne peut qu’évoluer en ce sens. La protection de la vie privée ne peut que se restreindre car les  vies privées s’exhibent d’elles mêmes par millions via les réseaux sociaux. Quant à la législation de l’Histoire, avec ce que l’on appelle les Lois Mémorielles (Gayssot, Taubira, loi sur la colonisation, et j’en passe….) elles sont déjà mortes de fait, ici encore, grâce à la Toile. En outre, il ne fait pas partie des prérogatives de la loi de proclamer l’histoire.
J’interpellais récemment l’Avocat général Philippe Bilger sur ce point, lors d’une conférence organisée par une association de pénalistes dont je m’occupe de la communication, l’ADAIPE. Il partageait ce point de vue. Le pouvoir législatif n’a pas à sanctionner la recherche historique.

Quoiqu’il en soit, c’est presque un débat d’arrière garde, car ce que le journaliste ne peut imprimer en France, l’internaute le poste d’un pays tiers. Si la censure ou la justice s’abattent malgré tout, une kyrielle de redirections via des serveurs géolocalisés dans une vingtaines d’endroits différents permet de brouiller les pistes, et la justice françaises devient dépassée. Financièrement incapable de lutter. Toutes sortes d’informations circulent, donc. Mais par des biais détournés. J’aimerais que tout cela se fasse régulièrement.

At last but not the least, un avocat engagé, pour reprendre ton expression, n’est pas à mon sens un avocat au sens noble du terme. L’avocat tel que Cicéron le concevait se doit de défendre n’importe quelle cause qui se présente devant lui. Passer de l’une à l’autre, même si celles ci peuvent paraître moralement ou idéologiquement diamétralement opposées. Même s’il va donner beaucoup de lui même pour une affaire en défendant une victime de pédophile, (je prends l’exemple que le justiciable nous ressort toujours), l’art réside pour moi dans le fait de pouvoir se retourner en permanence pour jouer avec les arguments. En défendant, pourquoi pas, immédiatement après, un pédophile avéré. Dans les deux cas cela m’est arrivé. Quelle différence entre ce cas banal que tous les avocats pénalistes de France connaissent et des affaires sensibles mettant en jeu des données politiques ou historiques radicalement opposées…..aucune.
Pour résumer, dans ma vie professionnelle, ma parole est à celui qui me la demande.

R.G: Tu aurais donc pu défendre sans problème de conscience une personne comme Ehud Olmert , ou Saddam Hussein par exemple?

JBD: Je préfère Saddam, plus « punk », à mon goût. Mais pour les deux, sans la moindre difficulté morale. Parce que c’est mon job. Or, dans ce job, on laisse sa morale au vestiaire lorsque l’on enfile sa Robe, et on la retrouve ensuite. L’Ensuite, bien sûr, c’est une affaire privée. On se retrouve avec sa conscience. Ce n’est pas pour rien qu’une récente étude londonienne a indiqué que les avocats faisaient partie des professionnels les plus drogués du pays. Objectif de rentabilité d’un côté, de plus en plus dur dans les cabinets d’affaires jadis très prospères, schizophrénie argumentative et paupérisation du côté judiciaire, je connais beaucoup de confrères qui, en France, sombrent dans la drogue ou l’alcool.
Grâce à Dieu je n’ai plus ce problème, pour des raisons personnelles et religieuses.

R.G : Ton livre sorti récemment : « Les secrets d’un mentaliste »(sous titré « Comment décrypter les techniques du mensonge et de la manipulation »)  est devenu numéro un dans le domaine du Mentalisme en France, en quatre semaines, malgré le nombre d’ouvrages sur le sujets. Un style d’écriture accrocheur, des informations utiles tout le long, des témoignages captivants qui permettent l’ouverture d’une autre grille de lecture de notre environnement. Ce qui m’a plu personnellement dans ton livre, c’est le côté mode d’emploi-décryptage des techniques de manipulations mentales. Comment as tu eu l’idée de cet ouvrage ?

JBD: Merci pour tes appréciations au sujet de mon livre. J’ai tenu effectivement à le rendre le plus vivant possible tout en en faisant un outil utile et pratique pour le lecteur. L’idée est venue d’un parcours personnel confronté en permanence à la manipulation mentale. L’envie de le  narrer, de l’expliquer, de décortiquer cet apprentissage a été très forte. J’ai pratiqué l’illusionnisme pendant plus de 10 ans, participé à une revue de mentalisme pendant 4 ans, puis entamé une carrière d’avocat pénaliste après avoir travaillé avec Éric de Montgolfier à la section économique et financière (escroqueries, abus de biens sociaux, etc…), tout en passant par deux Masters: l’un de Sécurité Intérieure (espionnage économique, renseignement), l’autre de Sciences Criminelles (criminologie, profilage). Aujourd’hui je continue à travers des conférences interactives lors desquelles j’effectue des démonstrations de mentalisme et de conditionnement de masse.

RG: Oui, j’ai pu assister à une de tes conférences, celle d’ Epinay sur Seine, le mois dernier, c’était très impressionnant. Démonstrations de lecture de pensée, décryptage du mensonge, sur plusieurs centaines de personnes….allier l’expérience directe à un décodage en nous expliquant comment ces mêmes techniques sont utilisées dans le monde de la pub, ou de la politique, je l’avoue: tu nous a bluffés.  Après les démonstrations, le message vidéo que tu as diffusé sur écran géant a ému beaucoup de participants. Pourrais tu nous dire quelques mots sur le message que tu y transmettais ?

JBD: Merci. Il y a effectivement de nombreuses vidéos et interactions directes avec le public dans mes conférences. Ce clip composé d’images marquantes des XX et XXI siècles est un constat. Mon message est simple: nous vivons dans un monde interprété pour nous. Par les médias de masse, et, dans une moindre mesure (puisque heureusement nous pouvons en être acteurs) par internet, par les stimuli publicitaires permanents qui assaillent notre cerveau à longueur de journée, par la culture généralisée de tromperie et de dissimulation où même les photos des journalistes se transforment en illusions d’optique, etc….etc….

Aussi, peu à peu, nous perdons une grande part de notre libre arbitre. Morceau par morceau. Sans même nous en rendre compte, d’ailleurs. Exactement comme dans une situation d’hypnose indirecte (hypnose différente de celle de spectacle, lors de laquelle la perte de vigilance est réalisée à l’insu de la cible choisie).
Mais le clip lui même est conçu pour générer un état de conscience modifiée sur le spectateur. Il dénonce, mais manipule également.

La conférence à laquelle tu as assistée est la deuxième. La première eu lieu à Nice. J’adore ce type d’expériences. Je suis systématiquement sollicité ensuite pour faire de la formation en entreprise.

RG: Alors ?

JBD: Alors, chaque chose en son temps. Nous constituons actuellement une équipe performante qui interviendra dans ce domaine d’activité dans moins d’un an. Avant cela, je veux tester personnellement l’impact de mon modus operandi sur des milliers de personnes, afin de pouvoir créer des modules de formation inédits en France. La PNL (programmation neuro linguistique), usitée jusqu’à la moelle par les boîtes de formation françaises, ou la littérature sur l’empowerment vont être remplacées par des procédés beaucoup plus modernes. Ce n’est pas un hasard si les plus grands groupes français ont recours à des entreprises de formation anglo-saxonnes. Ces dernières ont des années d’avance. J’étudie donc leurs méthodes et les réadapte en incluant des  données ludiques et participatives de l’illusionnisme et du mentalisme, ainsi que des nouveaux concepts d’interactivité vidéo. L’incrustation directe du participant dans le média est aussi une piste accessible désormais, avec ce qui se pratique dans le monde du jeux vidéo. Donc, pour les formations en entreprise, rdv en 2012. Beaucoup de surprises inside.

RG: Comme ton livre, en fait, car souvent, on a l’impression d’être manipulé en le lisant, tout en apprenant des techniques de manipulation.

JBD: Exactement. Il y a un jeu entre le lecteur et moi. Permanent. Ce qui aide la prise de conscience. Voilà pourquoi beaucoup de lecteurs m’indiquent dans leurs courriels l’avoir relu plusieurs fois, pour comprendre ce processus dont ils finissent par avoir conscience. For exemple, l’avis d’Onirik, qui a tout compris.

Finalement, ce que l’on appelait il y a encore 10 ans le développement personnel n’existe plus. Il est remplacé par un autre concept: la ré-appropriation de ses facultés. A l’époque il s’agissait de devenir un homme plus fort, meilleur, etc….aujourd’hui il s’agit de savoir prendre de la distance, de reconnaître une manipulation mentale pour pouvoir mieux s’en affranchir, et le cas échéant, l’utiliser à son profit. De retrouver son instinct primordial, en somme.

RG: Retrouver son instinct primordial ? J’ai l’impression d’entendre le personnage de la série Dexter, Jordan Chase.

JBD: L’allégorie Jordan Chase est une source d’inspiration. Ce personnage animant des séminaires de manipulation de masse me plait beaucoup. Mais il n’est qu’une allégorie. En ce moment, je m’intéresse de très près à Ron Hubbard. Non pas à son Eglise Scientologique et à sa structure,  mais à sa genèse. À la capacité phénoménale qu’Hubbard avait de réussir à assimiler des masses énormes de connaissances émanant de plusieurs mondes différents pour les restituer ensuite dans un langage différent, simple, percutant. Des personnages comme Jordan Chase ou Tyler Durden ne sont que des répliques cinématographiques du puissant mental de Ron Hubbard à ses débuts.

Analyser comment Hubbard a construit son ouvrage « La Dianétique » me passionne. Beaucoup d’hypnose indirecte dedans. J’ai eu la chance de me procurer des documents écrits de sa main, de conceptualisation.
Un régal.

RG: Tu t’intéresses donc aux gourous ?

JBD: D’évidence. Pour comprendre la manipulation mentale et l’expliquer, il faut rentrer également dans la tête de ceux qui en sont les artistes. Je le répète, le plus performant d’entre eux reste Ron Hubbard, pour une raison très simple: à la différence de tous les autres farfelus, sa théorie originelle de 1950 est dépourvue de toute donnée métaphysique. Il s’agit du point fort de la manipulation d’Hubbard. Récemment, Le Secret de Rhonda Byrne connait un joli succès aux USA. Après étude, je considère qu’il faut aller plus loin, que c’est beaucoup trop simpliste.

RG: qu’il faut aller plus loin ? Que veux tu dire ?

JBD: surprise……

 

Alors attendons la surprise dans la partie 2 pour bientôt

Rachid Guedjal

Algerie Network

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