2.John B. Daumont: »Ils ont rendu les prisonniers de guerre communistes en leur offrant des bananes. »

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RG: Revenons à ton livre. Que nous expliques tu dedans ? Qu’est ce qui le différencie des autres qui pourrait expliquer son succès ?

JBD: Point un: simple. L’explication précise des techniques qui permettent ce type d’abrutissement, et qui émanent de plusieurs sources, de plusieurs mondes (illusionnisme, psychologie, marketing..). J’analyse 5 grands types de manipulations:

  • le mensonge (comment reconnaître un menteur / comment mentir avec efficacité)

  • la manipulation soft (comment savoir lorsque l’on est poussé à prendre une décision contre son gré, alors que l’on se croit libre / comment pousser quelqu’un à faire un choix qui n’est pas le sien)

  • la rhétorique (comment apprendre à décrypter un discours pour en saisir les faiblesses ou les forces / comment établir soit même un discours percutant)

  • le brainwashing (comment certains groupuscules sectaires, militaires ou politiques obtiennent un lavage de cerveau de leurs membres / comment utiliser ces techniques)

  • le cold reading (comment capte t on des informations nous concernant sans que nous nous en rendions compte / comment le faire soi même)

A chaque fois, j’explique quelles sont les techniques employées, leurs origines, leur fonctionnement, j’illustre de quelle façon elles sont utilisées selon les milieux (monde du renseignement, de la criminalité, de l’illusionnisme, de la publicité, etc…), et, enfin, le lecteur apprend à les employer lui même.

Défense d’abord, attaque ensuite.

Point deux, le succès du livre. Il est assez simple à expliquer:  aucun des ouvrages grand public consacrés au mentalisme tel qu’il est perçu actuellement depuis l’apparition des séries télévisuelles The Mentalist ou Lie to Me ne me satisfaisait. Je n’y retrouvais rien de ma formation, qui, pour le coup, ressemble beaucoup plus à celle des personnages de ces fictions qu’aux mentalistes old school se prenant pour des télépathes ou autres para-psychiques. Beaucoup de livres ou de sites mentionnent des facultés « psy », « comment développer ses pouvoirs paranormaux »,du « mentalisme humaniste » etc…..bullshits. Or je suis un lecteur comme un autre, et il me semble que beaucoup de lecteurs ont été déçus par ces bouquins.

Dans tout cela, beaucoup d’enrobage, de fausse pub, d’abus de la crédulité de son prochain, sauf l’essentiel : la manipulation mentale, qui se résume en huit mots lorsque l’on est en position offensive : l’autre, d’accord, mais tel que je le veux. Voilà pourquoi outre mes expériences, j’ai tenu à mener de nombreux entretiens avec des professionnels qualifiés, agents de renseignement, policiers, journalistes, psychologues, illusionnistes, afin de trouver les points de convergence entre les techniques qu’ils utilisaient, et les mettre en évidence au regard de mon propre vécu.

Je pense que le public attendait cela car en trois mois le livre est devenu l’ouvrage le plus vendu sur le Mentalisme en France. J’ai voulu le livre pragmatique, permettant au lecteur de se défendre contre les manipulations mentales en tout genre, ou, de les utiliser, selon son bon vouloir. D’où le succès immédiat de l’ouvrage.

Je ne me situe pas en donneur de leçons, en moraliste, ou en développeur de facultés X, mais en pédagogue qui décrit scrupuleusement des méthodes de conditionnement mental.

Comme dans ma profession,  je reste un animal à sang froid.

RG = Il y a aussi l’astuce des QR codes permettant de voir les expériences de son smartphone grâce à une application spéciale. Comment t’es venue en tête l’idée des QR codes?

Pour les QR codes, rendons à Cléopâtre ce qui semble être à César, c’est tout simplement une idée de ma femme, qui en avait vu ailleurs (pop art, clips, boîtes de médicaments, etc…). Les utilisations sont multiples, et le procédé, en lui même, n’est pas nouveau.

Le QR code est un code barre évolué qui permet de stocker plus d’informations qu’un code barre classique. De plus en plus de téléphones portables utilisent des applications type « qr reader », qui leur permettent, à l’aide de l’appareil photo, de scanner le QR code et d’obtenir directement à l’écran une image, une vidéo ou site internet.

Voilà à quoi cela ressemble, fais l’essai si tu veux :(Voir seconde image)

 

Le livre fourmillant d’explications techniques dont l’axe directeur est de manipuler l’esprit de l’autre,

ou de se protéger d’une manipulation, j’ai donc joint l’image au texte, et beaucoup de démonstrations peuvent être vues en vidéo. Je déteste avoir à recopier un lien situé en note de bas de page dans des ouvrage pour accéder à un contenu. Aussi, la première fois que j’ai fait l’expérience sur le manuscrit, j’étais assez émerveillé.

De mon fauteuil, je pouvais lire la technique décrite tout en la voyant sur mon mobile. Je pouvais voir, par exemple, l’illusionniste Slydini exécuter une misdirection (détournement d’attention) dans une vidéo d’époque, tout en lisant la théorie. Je pouvais regarder l’explication en 3D de la théorie de Paul Eckman sur les micro expressions (expressions faciales rapides et universelles reflétant l’émotion que l’individu ressent), tout en lisant son descriptif les développements.

J’ai donc décidé d’aller plus loin à travers le site qui complète l’ouvrage, http://secretsmentalistes.com . Je vais y intégrer un QR code qui permettra aux utilisateurs de rentrer dans un groupe privé dédié uniquement au mentalisme et de s’informer des informations entre eux, en temps réel, sur leur téléphone portable. Comme pour un chat. Cette idée m’est venue du fait que je reçois énormément de questions ou d’observations concernant le livre via les réseaux sociaux, notamment Facebook. Tenant à rester disponible et accessible pour mes lecteurs, je leur vais donc leur proposer de constituer un cercle parallèle de discussion entre passionnés véritables, plus performant, plus rapide, et plus intime qu’un simple forum internet.

Dans le même esprit, le livre contient un mot caché, un code, grâce auquel les internautes accèdent à un apprentissage progressif de démonstrations de mentalisme qu’ils peuvent effectuer auprès de leurs amis. Ici.

RG: Tu pousses les gens à relire le livre pour trouver le code ? Encore une manipulation !

JBD: Exactement. Le jeu continue sans cesse. Le lecteur perçoit l’objet différemment.

Les Éditions de La Martinière ont été très innovantes sur ce point, je tiens à les en remercier. Séduites également, puisque selon mes dernières informations, d’autres ouvrages exploitant  l’idée des QR Codes devraient suivre.

Tu sais, le monde du livre va beaucoup évoluer dans les prochaines années. Encore une fois en raison d’internet. Le processus est général et concerne le monde de l’information et de la culture dans son ensemble.

Tout d’abord la musique fut touchée, puis, depuis peu, le cinéma, avec la sortie de l’excellent site du producteur français le plus primé mondialement, Jean François Fonlupt: http://monfilm.com. Le monde de l’information est touché aussi. La faute majeure des grands quotidiens a été de mettre dans les années 2000 l’intégralité de leur contenu en accès gratuit sur le web. Vous aviez donc le journal en magasin, payant, et la même information gratuite sur le net. Erreur fatale, économiquement.

D’où une adaptation nécessaire, basée sur des modèles économiques différents (auto-production, production participative des internautes, etc….). Au niveau de l’information, en France, quoique l’on pense de sa ligne éditoriale, l’équipe de http://mediapart.fr a très bien joué son coup. Les gens sont prêts à payer pour de l’info exclusive. Encore faut il que ce soit de l’exclu. Voilà pourquoi leurs copieurs ont du mal à décoller. Moins d’expérience.

Pour les livres c’est différent. La dématérialisation est en cours, mais si un lecteur peut avoir envie de lire http://algerienetwork.com sur son téléphone ou une tablette électronique, il ne se plongera pas dans la lecture de 380 pages sur un écran.

Il faudra viser plus simple. L’ebook va donc devoir évoluer en devenant plus riche en contenu média, et le livre papier, quant à lui, va devoir également présenter de nouvelles formes d’interactivité, comme ce fut le cas avec le mien.

R.G: Lors de la conférence et un mois avant la sortie de l’affaire, tu as procédé à un décryptage vidéo au ralenti des micro expressions de Dominique Strauss Kahn. Tu prenais l’exemple de ses réactions immédiates à l’intervention de Stéphane Guillon, qui ont valu à ce dernier un licenciement. Tes conclusions anticipaient ce qui arrive en ce moment. Comment as tu fais ?

JBD: Simple. Lors de ses réactions, Strauss Kahn simulait une fausse tristesse face au sketch de Guillon. La tristesse se caractérise notamment par une contraction des lèvres, ce qui n’était, comme tu l’as vu, pas le cas sur les images. En revanche, nous retrouvions les micro expressions de mépris (sourire asymétrique) et de dégoût (contraction de la lèvre supérieure ajouté à un froncement de sourcils, assez proche de la colère). On pouvait donc en déduire que non seulement Guillon avait touché un point très sensible, mais également qu’il serait purement et simplement viré dans les heures qui suivraient. Surtout, on pouvait lire la suite: le fait que DSK n’éprouvait aucune tristesse malgré sa volonté de la simuler lors de l’entretien. Guillon avait donc misé juste et malgré son côté bouffon des temps modernes, n’était pas du tout dans l’exagération. Cela signifiait que le portrait était fidèle, et que l’excès d’assurance de DSK le ferait tomber un jour sur ce point. Je ne vois d’ailleurs nul complot dans l’affaire DSK. Juste une banale affaire de mœurs, magnifiée médiatiquement en raison de la position sociale de l’inculpé. Une pulsion sexuelle reste une pulsion sexuelle. Les serial complotistes m’amusent de plus en plus. Modèles incarnés de fermeture d’esprit:  toute théorie qui va à l’inverse de la théorie du complot est à leur yeux nécessairement complotiste.

 

R.G: Dans l’heure qui suivi la publication de l’entretien de la journaliste Tristane Banon sur Agoravox TV, alors que la plupart des gens sur les réseaux sociaux pensaient qu’elle allait porter plainte et qu’une seconde affaire allait apparaître tu annonçais sur Facebook qu’elle ne le ferait pas, à la seule vision de cet entretien. Les faits ont confirmé ta version. Comment as tu fait ?

JBD: tout aussi simple : en la regardant et en appliquant le vieux système VAKO issu de la PNL (programmation neuro-linguistique)  que je décris en partie dans mon ouvrage. Et surtout, (plus moderne, car la PNL est à mon sens périmée) en me servant d’une analyse de son body langage, qui laissait transparaître non du doute dans ses allégations, mais de la peur quant à passage à l’attaque. La personne sur cette vidéo n’est pas en position offensive. Or un plaignant ou futur plaignant doit l’être. Observe le toi même: position de recul, micro expression de peur, timbre de la voix hésitant, position de honte (visage tournée vers le bas selon une diagonale -classique-) micro expression de dégoût, repli systématique de la nuque qui signifie, là encore, la peur, etc..etc… Autant d’indices pouvant permettre à un observateur informé de ces constantes que cette demoiselle n’irait pas jusqu’au bout de ses accusations dans l’immédiat (pas au pénal, tout du moins). Cela ne signifie pas néanmoins que ses accusations sont fausses. Mais, on dénote une absence de volonté procédurale belliqueuse. Parfois, la lecture d’un bon bouquin de mentalisme vaut mieux que les prédictions d’Elisabeth Tessier, qui prévoyait une superbe année 2011 pour notre cher et tendre DSK.

R.G : Tu as une grande expérience dans les domaines justement du décryptage de mensonge et de la manipulation, mais pourquoi le livre n’est pas sorti plus tôt?

JBD: Pourquoi le livre n’est il pas sorti plus tôt ? Parce qu’auparavant d’autres livres étaient sortis sur ce domaine, et aucun ne me satisfaisait. Je souhaitais mener une véritable recherche, sur le long terme, non une opération marketing pour buzzer sur un phénomène télévisuel en sortant un produit sans contenu, une coquille vide.

Tu sais, j’écris et je pratique le mentalisme depuis l’époque de X-Files, soit il y a 15 ans. Avant même sa parution en France, je traduisais dans son intégralité de 13 steps to Mentalism, de Tony Corinda, une bible de 800 pages qui reste une référence en la matière. Je baigne dedans depuis l’adolescence.

A l’époque j’étais intermittent du spectacle, et il s’agissait de revues pour illusionnistes professionnels. J’ai tenu à prendre mon temps pour y adjoindre mes expériences ultérieures dans le monde de la criminologie et du renseignement. C’est la même passion qui me conduit aujourd’hui avoir créé tout récemment un véritable portail d’actualités du mentalisme et de la manipulation, http://secretsmentalistes.com où je parle de techniques, bien sûr, mais aussi du travail des autres mentalistes.

Car le mentalisme souffre au niveau mondial d’un défaut majeur: l’individualisme. Chacun ayant sa propre formation, chacun communique sur sa propre vision sans exposer celle des autres. Moralité: ce sont des vitrines publicitaires, mais la personne intéressée par la manipulation et son histoire n’y trouve pas son compte. Une passion est faite pour être partagée. Pas pour être amputée et exhibée avec tarification, comme sur un étal de boucherie.

Dès lors, il faut pallier cette carence, en oubliant cet individualisme à vocation mercantile. Voilà pourquoi je donne la parole aux autres praticiens dans le site. Récemment, un des meilleurs hypnothérapeutes de France, qui intervient en bloc chirurgical. Bientôt, le fondateur du Cercle zététique, qui démystifiait les phénomènes paranormaux pendant des années. Puis, un des plus grands collectionneur d’ouvrages sur la manipulation mentale. Plus tard, un psychologue, etc…etc….j’ai déjà bouclé le programme de l’année.

C’est une véritable passion, et non un gagne pain. Je vis bien de mon métier d’avocat. Secrets d’un Mentaliste est l’ouvrage le moins cher du marché, dans le domaine de la manipulation mentale, alors qu’il est extrêmement dense.

RG: Tant que nous y sommes, penses tu que la manipulation est à séparer du décryptage des mensonges, ou bien justement reliée?

Manipulation et décryptage du mensonge sont liés à certains niveaux, mais représentent deux disciplines complémentaires. Je m’explique. Le mensonge est une manipulation de la vérité. La manipulation du mental d’un autre être humain peut s’effectuer en usant du mensonge, mais d’autres procédés existent. Le fameux processus de l’engagement, par exemple. Obtenir d’un individu une petite concession, afin de l’amener progressivement à céder sur des points plus importants. L’exemple le plus marquant reste celui des prisonniers américains manipulés pendant la Guerre de Corée. A leur retour au pays, lors des phases de débriefing, les analystes découvrirent qu’un pourcentage non négligeable de soldats était devenu authentiquement communiste.

C’est à ce moment précis que naquit aux États Unis le projet MK ULTRA, destiné à utiliser la chimie pour modifier l’esprit d’un individu. Des milliards de dollars furent investis dans des expériences, au départ sur des sujets non consentants. Or, les communistes n’avaient pas utilisé l’arme chimique pour retourner idéologiquement leurs prisonniers. Ils ont utilisé la psychologie. D’abord, en se montrant particulièrement aimables (d’apparence), et en demandant à certains prisonniers de venir faire des exposés sur les bienfaits de leur système, le capitalisme. Chaque bon orateur recevait en récompense une ration de bananes.

Puis, quelques jours plus tard, le concours d’éloquence recommençait, mais cette fois ci, le prisonnier orateur, pour gagner ses bananes, devait intégrer une unique critique de son propre système, et argumenter. Un exercice rhétorique, en somme. En quelque mois, petites concessions par petites concessions, certains finissaient par faire l’éloge sincère du communisme. Mon livre fourmille d’exemples du genre, et de pièges que vous pouvez tendre à votre voisin en utilisant cette méthode. Or, dans cette stratégie de manipulation dont les bases sont utilisées encore aujourd’hui par les opérateurs de téléphonies mobiles (réengagement de 24 mois = cadeau), il n’y a aucune utilisation du mensonge.

Donc je dirais que mensonge et manipulations psychologiques sont complémentaires. Voilà pourquoi j’en ai fait deux parties différentes.

Inversement, si vous utilisez le premier chapitre consacré à la détection du mensonge et à l’art du bien mentir, il est évident qu’un premier mensonge parfaitement exécuté peut conduire par la suite à une succession de manipulations en tous genres.

R.G : Il y a eu beaucoup de monde à t’aider pour cet ouvrage, alliant des poids lourds du journalisme au monde de la magie en passant par les services de renseignements français. En un mot impressionnant. As tu eu du mal pour tous les contacter? Y a t il eu des gens qui ne voulaient pas te raconter leurs expériences?

Je n’ai eu aucun mal à les contacter car ils ont tous contribué à ma formation. Ce sont des mentors, que la providence a mis sur ma route à des moments clefs de ma vie. Dès lors, c’est avec la bienveillance d’un père pour un fils qu’ils se sont prêtés au jeu. Aucun mal pour les contacter, un peu plus pour se voir, car il s’agit d’opérationnels qui sont souvent sur le terrain.

Tous m’ont narré par le menu leurs expériences. Pour certaines, nous les avions vécu en commun, mais je ne peux dire publiquement lesquelles.

Il n’y a eu que deux limites.

J’ai du conserver pour moi certaines parties des entretiens avec un ancien de l’ex DST (aujourd’hui DCRI), car elles mentionnaient noms, dates, et modalités des opérations. Compte tenu des personnalités en présence, je garde cela pour plus tard.

La seconde limite concernait un ami de la BRB (Brigade de répression de Banditisme) dont j’ai tenu à garder l’identité secrète, au regard des éléments qu’il livraient sur certains modes d’interrogatoire policier  et qui constituent des infractions pénales. Donc, motus, sur ces deux points. Je ne révèle que les méthodes.

R.G: Étonnant pour un avocat aux clients sensibles d’avoir de tels rapports privilégiés avec des membres de services de renseignement, non ?

JBD: Reliquat comportemental légué par mes ancêtres britanniques, mon cher Watson.  Nous autres savons nous entendre avec beaucoup de milieux très différents….

Rachid Guedjal pour Algérienetwork

 

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