Entrevue de Fred Romano par Jamouli Ouzidane
Fred Romano nous présente une nouvelle version de « Topographie et Histoire Générale d’Alger », comportant des éléments inédits qui lui permettent d’affirmer et démontrent que Miguel de Cervantès en est l’auteur, et pas Diego de Haedo (l’auteur déclaré), aux Editions du Menhir (Carnac, France www.editionsdumenhir.com parution en mars 2015).
Une occasion pour lui demander plus de précisions sur son livre qui intéresse aussi une partie de notre histoire commune avec l’Espagne.
1- Bonjour Fred Romano, pour commencer commençons par l’auteur ; en quelques mots si possible, qui est Fred Romano pour nos lecteurs, car les avertis savent que vous avez eu une bio digne d’un grand roman d’amour, de gloire et de tragédie ?
a. Ancienne compagne de Coluche, mais aussi journaliste (enquête sur la vache folle, etc.), actrice et écrivain. Je vis à Formentera, en Espagne, a 200km au nord d’Alger. Atteinte de sclérose en plaques, je nage en mer tous les jours. Je suis spécialiste des défis impossibles et des voyages merveilleux. Je suis écrivaine.
2- d’où vous vient cette passion de l’histoire de l’Espagne, de la méditerranée et exactement de cette période andalouse ?
a. Plus exactement c’est vers la Méditerranée que je me suis tournée, l’histoire de la Méditerranée comme creuset des cultures, d’une richesse et tragédie inégalée. Mon intérêt pour l’Espagne est venu dans la mesure où, ce pays m’ayant acceptée, il me paraissait une bien petite obole que d’en apprendre l’histoire.
Puis je me suis passionnée pour la Catalogne, pays où j’ai été élevée. La Catalogne, depuis le 12eme siècle, possède une loi qui dit que peut être considérée catalan(e) toute personne travaillant et résidant en Catalogne. L’édition originale de 1612 de « Topographie.. » est conservée dans la réserve de la bibliothèque nationale de Catalogne depuis 1915.
3- Ou avez-vous puisé le plus vos références bibliographiques, contacté des chercheurs algériens, avez-vous visité Alger et ces lieux où a vécu Cervantez, notamment la grotte d’El Hamma à Alger ?
a. Mes références bibliographiques sont presque exclusivement d’origine « paisos catalans », cad Catalogne, Balears, Valencia, la frange méditerranéenne de l’Espagne. J’ai amplement visité les fascinantes archives majorquines, ayant la chance de pouvoir consulter des archives privées de 400 ans, celle de Don Joan Sureda, le pirate de Majorque.
J’ai contacté Mr Mounir Salah, très aimable, mais qui a préféré ne pas donner suite à notre conversation après que je lui ai envoyé mon manuscrit. L’un de mes souhaits les plus chers serait pourtant de pouvoir élaborer une édition algérienne de mon travail. Je n’ai pas visite cette grotte, mais j’en ai infiniment de curiosité, surtout après que Mr Khelifa ait eu la gentillesse de m’en envoyer des photos. Je crois que c’est dans cet endroit que Cervantès a eu la vision de Don Quijote, d’ailleurs il y est fait directement allusion dans le traité suivant la « Topographie », Epitomé des Rois d’Alger (a paraitre).
4- Quelle lumière rapporte de plus votre ouvrage à cette période ?
a. Tout d’abord, il faut parler de l’ouvrage sur lequel se base mon travail. Il s’agit d’une édition originale de 1612, conservée dans la réserve de la bibliothèque nationale de Catalogne. Elle a été légalement achetée par Mr Bonsoms i Sicart, un riche homme d’affaires catalan, début 1900. Il se pourrait qu’il s’agisse de celle conservée à Alger et sur laquelle la première version en français a été élaborée en 1870.
De sa main, Mr Bonsoms i Sicart, le plus grand collectionneur de livres anciens de l’époque, a écrit en page de garde de l’ouvrage qu’il s’agit d’un ouvrage d’une rareté exceptionnelle. Effectivement. Le texte est corrigé de forme manuscrite, par un lecteur musulman antérieur à 1735 –pour certaines de ses tournures en espagnol-, une circonstance unique dans l’histoire de la littérature mondiale.
C’est un livre qui a miraculeusement résisté aux voyages, aux guerres, a l’Inquisition, au franquisme, à la colonisation française. Ici, avant de continuer, je dois préciser que la majeure partie des universitaires, à l’échelle mondiale n’a pas eu accès à cet ouvrage digne d’étude, le livre ayant été caché durant la dictature franquiste, puis les archives espagnoles ont oublié de signaler la présence du livre catalan dans leur banque de données générales.
Donc, les universitaires du monde entier étudient un fac-simile de l’œuvre, réalisé entre 1921-29 durant la tourbe dictature de Primo de Rivera, où certaines fautes, telles les révélatrices erreurs de latin, ont été « corrigées », orientant ainsi l’autorité de l’ouvrage vers un lettré catholique.
5- Vous parlez de Cervantès, dans votre livre, quelle est l’influence exacte de ses 5 années d’emprisonnement dans sa vie et surtout dans ses œuvres littéraires ?
a. L’influence exacte, c’est ce génie lui-même qui nous en donne la mesure, quand dans le tome 2 des aventures de Don Quijote, il fait dire au chevalier à la triste figure que l’auteur de ses aventures n’est autre que Sidi Ahmed Ben Djeli. Ce que beaucoup ont pris pour une blague absurde n’est rien de plus qu’une confession. Car il est clair, au regard de cette « Topographie… », que son auteur, Cervantès, a du se convertir à l’islam, seule échappatoire à une mort atroce, suite à ses multiples tentatives d’évasion.
6- Don Quichotte confronté au réel, a-t-il renoncé à ses ambitions chevaleresques ? que représente ici ce symbole de Don Quichotte ; une fatalité de cette conquête de justice contre la conquête de la puissance et de l’injustice ? de l’idéal contre la réalité ?
a. Pour moi, Cervantès est le père incontestable du roman. Il a tout inventé et l’étude de la Topographie me conforte dans la certitude que beaucoup de ses subtilités nous échappent encore. Je crois que beaucoup des aventures de Don Quijote se sont racontées auparavant entre les compères de l’évasion de la grotte d’Alger. L’Absurde pour tromper la peur et l’angoisse. C’est lui, ce chevalier ridicule au royaume des pirates, où se forge un nouveau type de société, il le voit bien, en dépit de ses convictions. Par ailleurs, il est remarquable que « Topographie… » soit le premier ouvrage où soit mentionnée la personnalisation d’un moulin.
7- Vous dites dans votre livre selon l’auteur que « les corsaires d’Alger ne sont ni chrétiens ni musulmans, toujours à cheval entre deux mondes », c’est une nouvelle version de l’histoire, quels documents peuvent supporter une pareille affirmation ?
8- Mounir Salah (1), professeur de langue espagnole au département Interprétariat à l’Université d’Alger donne une autre version sur Cervantez. Ilpense « Cervantès n’a pas été un captif comme les autres. Il a bénéficié tout au long de sa résidence surveillée d’une certaine liberté de mouvement et un traitement de faveur … En effet, Cervantès s’était étonné de voir à quel point l’Islam, à cette époque, était tolérant et ouvert sur les autres religions, chrétienne et juive, qui avaient droit de cité. Il a côtoyé de nombreux maures et a pu constater la propreté qui régnait dans la vielle cité », remarque l’universitaire. Et de pousser plus loin l’influence musulmane sur le célèbre bagnard : « Cervantès, selon quelques sources, aurait été tenté de se reconvertir à l’Islam, mais sa peur de l’inquisition aurait eu raison de lui » (1)
a. Ce que j’affirme, c’est ce qui est contenu dans ce livre extraordinaire, qui semble présenter toutes les questions et leurs réponses. Tel, le détail sur l’erreur de date de la bataille de Lépante : quelle meilleure manière, pour le héros de Lépante, que de s’autodisculper de ce texte périlleux (l’Inquisition aurait brûlé Cervantès s’il avait avoué en être l’auteur, l’ouvrage citant armes et textes hérétiques et mentionnant les pratiques religieuses fondamentales d’autres religions), d’autant que l’explication du décalage de deux jours est donnée dans le texte par l’explication du changement de calendrier (de julien à grégorien), une anecdote qui n’a d’autre fonction que de justifier cette erreur.
Mr Mounir Salah ne semble pas avoir eu accès à l’édition originale sur laquelle j’ai travaillé, comme il me l’a confirmé. Il défend la thèse de Mr Emilio Sola, lequel n’a pas pu amener d’explication quant aux erreurs de latin, entre autres choses. Par ailleurs, lorsque Mr Salah dit « que Cervantès… a pu constater la propreté qui régnait dans la vielle cité », j’en viendrais à croire qu’il n’a pas étudié le texte original de la Topographie, qui dit précisément le contraire « Les choses publiques sont sans ordre, ni concert ni apprêt, comme c’est la coutume et l’usage général chez les peuples maures » D’autre part, Cervantès avait largement de quoi craindre l’Inquisition, qui d’ailleurs l’attendait sur le quai à son retour en Espagne. Revenir sain et sauf d’un séjour de cinq ans en Alger était un fait suspect en soi.
Note sur l’auteur : Page facebook
Fred Romano (Paris, 1961) est une auteure française résidente a 200km au nord d’Alger, sur l’ile espagnole de Formentera (« Topographie.. » est aussi le premier livre au monde qui évoque cette ile, que l’auteur désigne comme « voisine d’Alger »). Elle a commencé sa carrière en recevant le premier prix mondial de la nouvelle en français RFI-Agence de la Francophonie en 1994 pour sa nouvelle « Le petit chat est mort ». En 2000, elle a publié un roman « Le film pornographique le moins cher du monde », inspiré de sa vie avec l’acteur français Michel Colucci, dit Coluche. En 2002, on lui a diagnostiqué une sclérose en plaques, avec un très court horizon de vie. (1) Conférence – Cervantès et la culture arabo-musulmane, Don Quichotte l’« Algérois »
« Topographie… » sera mon septième ouvrage. Pour l’anecdote, mes éditeurs français avaient rejeté mon premier titre « A toute blinde à travers la boue », une citation de Bakounine qui ne leur plaisait pas (les Bretons ne comprendront pas, m’ont-ils affirmé). J’ai choisi « Le film pornographique le moins cher du monde » , aussi en hommage à mon provocateur chéri. Je n’aurais pas imaginé appeler ça « Bambi et les petits zoiseaux ».
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