Par Ammar KOROGHLI*
Les relations franco-algériennes, au-delà de leur aspect purement commercial, se révèlent plutôt chaotiques et peu sereines. Peut-il en être autrement au regard du contentieux historique ? Après avoir reconnu le 8 mai 1945 comme une « une tragédie inexcusable » et le 17 octobre 1961 comme une « répression sanglante », comment cicatriser les plaies de l’Histoire de près d’un siècle et demi ? Ici, une réflexion sur quelques questions que nous gagnerions à élucider.
Et pour cause, on nous dit que de nombreux contrats seront signés par Alger et Paris, notamment avec Lafarge (ciment), Sanofi Aventis (produits pharmaceutiques), Biaugeaud (agroalimentaire) et Meda Système (panneaux lumineux). Au profit de qui ? Des économistes et experts Algériens devraient prendre la parole et la plume pour apporter tous éclairages utiles sur des relations économiques qui seraient plutôt « gagnant-perdant » pour l’Algérie. Au-delà des relations économiques, volet certes important, d’autres questions demeurent.
Repentance ou excuses officielles et réparation ?
Qui, même en dehors des générations ayant crapahuté au djebel, se risquerait à omettre la sanglante guerre d’indépendance, longtemps caractérisée comme étant des « événements » par Paris ? Certes, la France a récemment évoqué la journée d’octobre 1961, mais quid de 132 ans d’histoire ? Un auteur Algérien rappelle que « la colonisation, entreprise de crimes et de rapines, est une immense tache noire, un calvaire, une horrible mutilation subie à froid… brutalisation permanente, la colonisation a été plus qu’une régression, un processus de décivilisation et d’ensauvagement qui n’en finit pas de libérer ses miasmes toxiques » (1). Bien entendu, il ne s’agit pas pour autant d’absoudre nos dirigeants qui, en cinquante ans d’indépendance, ont travesti notre souveraineté en politique ayant abouti à un mal développement politique, économique, social, culturel et scientifique. Et que dire de leurs réformes inopérantes et au compte gouttes ?
En la matière, pour nous aider à cautériser les blessures de notre mémoire collective, plutôt qu’une « repentance », sans doute qu’il faudrait une volonté politique sincère de tourner la page. Ne serait-il pas plus légitime de réclamer des excuses officielles d’Etat accompagnées d’une juste réparation pour préjudice subi durant des décennies sous forme de partenariat économique « gagnant-gagnant » et de réel transfert technologique, y compris dans le domaine nucléaire ? Le gouvernement du Canada n’a-t-il pas présenté des excuses officielles qui s’apparentent à un mea culpa envers les Indiens dont les enfants ont été contraints de fréquenter des institutions d’enseignement conçues pour assimiler les Autochtones ? Le Premier Ministre canadien, a reconnu que cette politique d’assimilation était erronée, qu’elle avait fait beaucoup de mal et qu’elle avait causé des dommages importants à la culture (« génocide culturel ») à la langue et au patrimoine autochtones. Il est vrai également que les anciens élèves des pensionnats ont obtenu un dédommagement après une longue bataille devant les tribunaux. En effet, à la suite d’une importante campagne et de milliers de plaintes constituant le plus grand recours collectif du Canada, un accord a été signé en mai 2006 prévoyant que les 80 000 anciens élèves toujours vivants, reçoivent 10.000 dollars pour leur première année scolaire dans un pensionnat autochtone et 3.000 dollars de plus pour chaque année subséquente (2).
Déjà le 12 février 2008, le chef du gouvernement australien a présenté ses excuses, au nom de l’Australie, aux aborigènes pour les injustices subies pendant deux siècles. Il a prononcé un discours au Parlement qui a été retransmis en direct sur les grandes chaînes de télévision nationales, dénonçant l’atteinte à la dignité et l’humiliation dont ont été victimes les aborigènes -premiers habitants du pays. Il est vrai également que dès le 13 septembre 2007, la Déclaration sur les droits des peuples autochtones a été adoptée par les Nations unies. Ce texte fondamental vise à protéger les droits des quelque 370 millions d’autochtones dans le monde et mentionne notamment le droit à l’autodétermination, le droit à la terre et aux ressources des autochtones. Selon l’article 20 de ce texte, « les peuples autochtones privés de leurs moyens de subsistance et de développement ont droit à une indemnisation juste et équitable »…
Le séjour, un parcours du combattant ?
Les étrangers, en général, et l’immigration algérienne en particulier, ont toujours été un enjeu politique en France (3). Il est vrai que nos parents étaient qualifiés de « bougnoules », voire plus récemment de « racaille » de banlieues pour les jeunes des cités nés en France. Hier encore, on nettoyait au napalm dans certaines colonies ; aujourd’hui, on a voulu les nettoyer au « karcher ». Mais enfin, est-ce bien là l’Etat de droit, patrie des droits de l’homme et de la démocratie auxquels les jeunes des banlieues ont tant cru ? A telle enseigne que leurs parents ont défendu la France, les armes à la main comme tirailleurs ; beaucoup d’ailleurs y ont laissé leur vie. Dans le même temps, une loi du 23 février 2005 évoqua le « rôle positif de la présence française outre mer, notamment en Afrique du Nord »… Certains y ont décelé des relents colonialistes qui sont toujours présents dans certains esprits. Devrait-on alors parler de discrimination d’Etat ?
Toujours est-il que, si dès l’indépendance, les Accord d’Evian ont permis aux Algériens de circuler entre l’Algérie et la France, sans la contrainte du visa ; il n’en est plus de même depuis de nombreuses années et pour séjourner en France, il fallait demander un « certificat de résidence« . Un accord en matière de séjour notamment a été signé le 27 décembre 1968. Il y a eu depuis deux avenants en date du 22 décembre 1985 et du 28 septembre 1994 ; ce, pour enter de rapprocher le statut des Algériens de celui des ressortissants d’autres pays. Cela étant, un Algérien pouvait s’installer en France afin de poursuivre des études ou exercer certaines activités professionnelles. Toutefois, être parents d’enfants français ne permettait pas le droit au séjour ; les Algériens dérogeaient ainsi au droit commun. Cette situation a été modifiée par l’avenant du 11 juillet 2001. De même, alors que la présence sur le territoire français pour une période de dix ans a été mise à l’index en vue de la délivrance d’un titre de séjour, cette disposition demeure encore valable pour les Algériens même si l’Administration reste sévère quant aux preuves justifiant de cette présence. Enfin, nos compatriotes ayant la qualité de conjoint de français peuvent prétendre à un titre de séjour ; en pratique, ils peuvent l’obtenir dans l’année même du mariage sans avoir à justifier d’un visa long séjour.
S’agissant de l’obtention d’un titre de séjour par le biais du travail avec mention salarié, la circulaire du 28 novembre 2012 a apporté une solution. En effet, elle a pour objet les conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) qui, plutôt qu’une opération de régularisation, rappelle et précise les critères permettant d’apprécier une demande d’admission au séjour des ressortissants étrangers en situation irrégulière en vue de leur délivrer un titre de séjour portant soit la mention « vie privée et familiale » soit « salarié » ou « travailleur temporaire ». En ce sens, quoique les ressortissants algériens ne sauraient se prévaloir des dispositions du CESEDA, la circulaire précitée fixe les conditions d’admission exceptionnelle au séjour des Algériens par le biais du travail ; ce, par dérogation aux dispositions de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié.
Mononationalité et binationalité ?
La question de la nationalité intéresse et concerne nos ressortissants établis en France. Dans cette perspective, l’Algérie a naturellement vocation à leur accorder sa nationalité. Il lui appartient d’agir auprès de l’Etat d’accueil de ses ressortissants afin d’établir leur nationalité algérienne, hormis ceux et celles qui, à leur corps défendant, souhaiteraient bénéficier de la binationalité. En l’espèce, un cas mérite d’être soulevé : il s’agit des enfants nés en France de parents algériens (voire dont le père est algérien). En effet, selon le droit commun français de la nationalité, l’enfant né en France ne devient Français qu’à partir de la majorité. Or, par le jeu combiné de plusieurs dispositions du code de la nationalité française, les enfants algériens nés en France sont considérés comme Français dès leur naissance, contrairement à toutes autres nationalités. C’est ainsi que l’article 19-3 du code civil français stipule que : « Est Français l’enfant légitime ou naturel né en France lorsque l’un de ses parents au moins y est lui-même né ». Question : pourquoi l’Algérie n’a-t-elle pas la volonté de demander l’application du droit commun français aux enfants légitimes ou naturels nés en France dès lors que l’un de ses parents, père ou mère, est Algérien ?
En effet, dans la logique du législateur français, c’est la règle dite du double droit du sol s’appliquant à l’enfant né en France si l’un de ses parents est né sur le territoire des anciens départements français d’Algérie avant le 3 juillet 1962. Et comme l’Algérie était considérée française jusqu’à cette date, les Algériens nés alors en Algérie – même bénéficiant de la nationalité algérienne du fait de leur choix et celui de leurs parents – sont considérés comme Français. Et donc leurs enfants nés en France seraient Français à raison de leur filiation supposée française. Cette situation juridique aboutit en pratique, sans la moindre démarche, de faire de ces enfants des ressortissants français dès leur naissance… S’agissant des parents nés en Algérie avant l’indépendance, ils sont pourtant simplement résidents au regard du droit au séjour, à moins qu’ils optent volontairement pour la réintégration dans la nationalité française, mais pas leurs enfants nés à compter du 1er janvier 1963 dès lors que le code de la nationalité française les comptabilise parmi ses ressortissants. Et pour répudier la nationalité française, il faut attendre d’avoir 17 ans et demi révolus jusqu’à 19 ans, en présentant notamment comme pièce à fournir un certificat délivré par les autorités algériennes établissant qu’on a, par filiation, la nationalité algérienne.
A cet égard, l’article 6 du code de la nationalité algérienne est pourtant sans équivoque possible dès lors qu’il dispose que : « Est considéré comme Algérien, l’enfant né de père algérien ou de mère algérienne » (Ordonnance n0 05-01 du 18 moharrem 1426 correspondant au 27 février 2005 et complétant l’ordonnance n0 70-86 du 15 décembre 1970 portant code de la nationalité algérienne). C’est ainsi qu’on observe que les deux codes de la nationalité, algérien et français considèrent ces enfants comme leurs propres ressortissants. Conflit de lois ? La question se pose. En tout état de cause, il me semble que les dispositions de l’article 21-7 du code la nationalité française suffisent amplement puisqu’il est stipulé expressément que « tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de 11 ans ». Avons-nous la volonté (et les moyens) de demander l’application de cette disposition à nos ressortissants Algériens nés en France après l’indépendance de notre pays ? La question reste posée et le débat est ouvert (4).
La langue française : butin de guerre ou exil ?
Entre la position de Malek Haddad, pour qui la langue française est un « exil » et celle de Kateb Yacine, pour qui elle constitue un « butin de guerre », la tentation est grande de rejeter le français car langue de l’ex-colonisateur comme celle de l’adopter en tant que langue littéraire (voire technique et scientifique). D’évidence, le choix est aisé pour l’arabophone, il l’est moins pour le francophone ; peut-être devrait-on parler d’algérianophone. Certes, le problème concerne l’ensemble des Algériens – et au-delà, des Maghrébins -, mais surtout l’élite qui s’exprime, dont notamment les écrivains, universitaires, journalistes, politiques… En effet, le peuple, quant à lui, a tranché la question au quotidien depuis belle lurette : l’arabe (littéraire et dialectal) et le berbère (le kabyle, le chaoui, le m’zabi et le targui), compte tenu des brassages séculaires, sont de rigueur. Pour le reste, la langue française qu’une partie de l’élite utilise pour des raisons d’ordre culturel ou autre, de deux choses l’une : Ou bien la nation algérienne admet celle-ci comme un moyen d’expression littéraire (et donc tolère celle-ci pour des besoins culturels : travaux de recherches universitaires, par exemple) et également des nécessités ressortissant au développement artistique, culturels, scientifique, technique et technologique ; Ou bien la nation algérienne devient intransigeante pour des raisons de souveraineté et d’identité en mettant quasiment hors-la-loi toutes les langues étrangères (au-delà même de la langue française qui ne sera alors plus ni « butin de guerre » ni « exil »).
Dans ces conditions, toute la question est de savoir s’il faut procéder à une rupture, plus qu’épistémologique, puisqu’elle a trait à un choix précis, net et définitif d’une (des) langue(s) nationale(s) ou s’il faut accepter une transition (à définir et à délimiter dans le temps) et au terme de laquelle l’écrit, plus particulièrement, continuera d’être investi par des langues étrangères compte tenu des circonstances historiques connues par l’Algérie. En fait, la réponse à cette question dépend de la capacité des Algériens, d’une manière générale, et du pouvoir et des arabophones et berbérophones, d’une façon particulière, à produire culturellement et littérairement – mais aussi scientifiquement – des œuvres en quantité et en qualité suffisante, ainsi qu’un appareil conceptuel à vocation culturelle et scientifique permettant l’affranchissement du moi national à l’égard de toute allégeance linguistique.
Toutefois, il faut prendre garde d’instaurer un no man’s land culturel en ayant à l’esprit le fait que nos aïeux, sans doute plus intelligents que nous, n’ont pas hésité à recourir avec brio à la traduction (cf. la philosophie hellénique) quitte à transgresser les tabous « balisés » par les tenants d’une arabisation pure et dure des années 1970 et ceux des « raisonneurs » à courte vue new look des francophones des années 1980 qui, d’une manière ou d’une autre, place le culte de leurs petits noms au dessus des considérations nationales et des aspirations du peuple de ce pays et qui font fi des 7,5 millions ( ?) d’analphabètes et autres illettrés qui peuplent encore malheureusement notre pays. La solution idéale serait d’adapter le rythme de la « linguistisation » de l’imaginaire, du vécu et du quotidien culturel (et partant, scolaire et universitaire, administratif et socioéconomique…) par une arabisation qui tient compte à la fois de notre passé – berbère y compris – et des impératifs de développement de l’art et de la culture, également de la science et de la technique demeurant encore l’apanage de l’Europe (donc des langues anglaise, allemande, russe et française pour l’essentiel), voire de la Chine, de l’Inde, du Brésil et de l’Afrique du Sud.
A cet effet, la « bilinguisation » de la vie sociale et culturelle – au vu de notre volonté nationale et des résultats indigents fournis – ne saurait être regardée que comme palliatif nécessaire, mais dont l’échéance est inscrite dans le temps, tant il est vrai que les nations puissantes agissant de plain-pied dans les décisions importantes de la communauté internationale (les Etats-Unis et l’Europe occidentale) ont leurs langues propres – parlées et écrites -, charriant assez souvent d’ailleurs une idéologie de domination à divers titres : culturel, politique, économique, militaire et technologique, beaucoup plus qu’une volonté de dialogue et de partenariat avec les nations du Sud, anciennement ex-colonisées. Au demeurant, il est vrai qu’en dernière instance, les grandes nations ont une langue (voire des langues nationales), même lorsqu’elles veulent unir leur destin. Le cas de la CEE est plus que probant à cet égard. Voilà, en effet, plus d’un demi-siècle que l’Europe met en place son édifice économique et juridique devant aboutir politiquement à un bloc soudé par une Constitution autour de 25 pays. Les pays du Maghreb, et au-delà du monde arabe, ont là un formidable défi à relever par la mise hors la loi du « zaïmisme » (ou leadership) qui les a tant desservis et maintenus jusqu’à l’heure actuelle dans une situation de marasme culturel et de subordination technologique vis-à-vis de l’Europe, par-delà les problèmes linguistiques qui agitent une certaine élite, même si la question de la (des) langue(s) nationale(s) se pose effectivement.
Les citoyens des pays modernes sont suffisamment alphabétisés et lettrés en grand nombre ; il est en effet constant que ceux-ci parlent, écrivent et produisent dans le domaine littéraire (et, au-delà, dans les secteurs de la science et de la technologie) d’abord et essentiellement dans leur langue maternelle (même quand ils ont deux ou plusieurs langues nationales). Dans cette perspective, il y a sans doute lieu de nuancer les relations parfois tendues entre francophones et arabophones, notamment pour apprécier à leur juste valeur tous les producteurs de la littérature algérienne. In fine, si un débat national à ce sujet devait s’ouvrir, il faut prendre garde de se rappeler que beaucoup de nations civilisées ont deux ou plusieurs langues (Canada, Suisse et Belgique par exemple) et que l’Algérie est d’abord et avant tout algérianophone, c’est-à-dire arabophone et berbérophone. Et que l’algérianité demeure le lieu d’expression où tous les auteurs peuvent se retrouver pour conjuguer leurs efforts en vue d’une culture nationale admettant le pluralisme linguistique à même de permettre à l’Algérie de s’intégrer dans le concert des nations dites civilisées (5).
Quid de l’exequatur des décisions algériennes ?
En principe, lorsqu’une Juridiction algérienne rend une décision en matière civile notamment, l’exequatur n’est pas indispensable ; ce, conformément aux dispositions de l’article 1er de la Convention relative à l’exequatur et à l’extradition entre la France et l’Algérie du 27 août 1964 selon lequel les décisions contentieuses rendues en matière civile par les juridictions siégeant en France ou en Algérie, ont de plein droit l’autorité de la chose jugée sur le territoire de l’autre Etat, moyennant la production devant les Tribunaux français de certaines pièces énumérées par l’article 6 de la même Convention dont notamment une expédition de la décision réunissant les conditions nécessaires à son authenticité et un certificat des greffiers compétents constatant qu’il n’existe contre la décision ni opposition ni appel.
Ainsi en est-il du jugement algérien qui se limite à prononcer le divorce sans l’assortir de mesures devant être exécutées. Dans le cas où l’époux est binational, il adressera ce jugement au Parquet près le Tribunal de Grande Instance de Nantes qui fera procéder à la transcription à l’état-civil dont il a la charge. Et lorsque deux époux Algériens résident en France, c’est en principe leur loi nationale commune qui s’applique en matière de divorce, même lorsqu’ils vivent tous les deux en France, et ce afin de faciliter la reconnaissance de ce divorce (exequatur) dans le pays dont ils ont la nationalité. En ce sens, selon la jurisprudence la décision de divorce prononcée par un juge étranger doit être reconnue en France dès lors que le litige se rattache de manière caractérisée avec le pays étranger dont l’épouse a la nationalité (Civ. 1ère, 30 septembre 2009 : Bull. civ. I, n° 192, pourvoi n° 08-18769). En pratique, notamment en matière du droit de la famille, c’est loin d’être le cas, même si la nationalité algérienne des époux constitue un rattachement caractérisé avec l’Algérie (Civ. 1ère, 15 juin 1994 : Bull. civ. I, N° 214) et que l’Algérie reste l’Etat dans lequel se trouve la Juridiction compétente (Paris, 30 juin 1999 : D. 1999. IR. 224).
Pourtant, le code de la famille modifié, en son article 53 (modifié), stipule qu’ « il est permis à l’épouse de demander le divorce » et, en son article 54 (modifié), spécifie que « l’épouse peut se séparer de son conjoint, sans l’accord de ce dernier ». Et, l’article 52 (modifié) dudit code indique que « Si le juge constate que l’époux a abusivement usé de sa faculté de divorce, il accorde à l’épouse des réparations pour le préjudice qu’elle a subi ». Et, en matière procédurale, ledit code mentionne en son chapitre intitulé justement : Des conflits de lois dans l’espace, en son article 22, que : « la loi algérienne est appliquée si la personne présente, en même temps, la nationalité algérienne, au regard de l’Algérie et, une autre nationalité, au regard d’un ou de plusieurs Etats étrangers ». La réforme de 2005 en Algérie du Code la famille est pourtant loin d’avoir apporté une solution satisfaisante.
Et pour cause, la Cour de cassation en France refuse, de façon constante, de reconnaître les jugements de divorce prononcés en Algérie. Pour la Haute Cour, ces décisions algériennes constatant une répudiation unilatérale du mari est contraire au principe d’égalité des époux reconnu par l’article 5 du protocole du 22 novembre 1984 n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme que la France s’est engagée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction. De même, elle estime que ces décisions sont contraire à l’ordre public international réservé par l’article 1er d) de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964 ; ce, « même si elle résultait d’une procédure loyale et contradictoire, cette décision constatant une répudiation unilatérale du mari…était contraire au principe d’égalité des époux lors de la dissolution du mariage » (Cour de cassation, 17 février 2004 ; Bull. 2004 I N° 47 P. 38). Et, il arrive même que cette Cour indique que la nationalité algérienne commune ne suffisait pas à rattacher le litige d’une manière caractérisée à l’Algérie et que le juge algérien n’était pas compétente pour en connaître (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 17 février 2004 ; Bull. 2004 I N° 46 P.37). De même, elle estime que la législation algérienne est incompatible avec l’ordre public français et doit être écartée au profit de la loi française car elle ne prévoit ni prestation compensatoire, ni pension alimentaire pour l’épouse en cas de divorce (Civ. 1ère, 16 juillet 1992 : D. 1993. 476 ; 7 nov. 1995 : Bull. civ. I, n° 391). Ainsi, l’époux (se) Algérien(ne) peut saisir le tribunal français dès lors que le jugement algérien obtenu par l’un des époux ne sera pas susceptible d’être reconnu par les juridictions françaises (Cass. Civ. 1ère, 8 juin 1999, pourvoi n° 97-13406).
Force est de constater que, dans le cadre des divorces prononcés en Algérie, aucune remise en cause de l’acte de volonté unilatérale de l’époux de divorcer n’est possible en droit algérien, précisant que ces jugements ne sont pas susceptibles d’appel, sauf dans leurs aspects matériels (article 57 du code de la famille algérien). Et, il est hélas vrai que, les jugements de divorce prononcés en Algérie, pour des ressortissants algériens résidant en France, les condamnations pécuniaires, libellées en dinar algérien, révèlent souvent un montant dérisoire au regard notamment des nombreux années de mariage et du dévouement de l’épouse à son époux et au temps passé à l’éducation des enfants.
Au total, d’autres questions mériteraient d’être soulevées, ainsi celles des enfants des couples mixtes, de l’emploi et du logement de nos compatriotes séjournant en France, voire même des abus des contrats d’édition touchant les universitaires et intellectuels Algériens (6)… C’est pourquoi, plus que jamais, l’Algérie a besoin d’une véritable politique concernant ses ressortissants établis en France particulièrement. De la politique de « réinsertion » des années 70 au vide sidéral en la matière à l’heure actuelle, nombre de nos concitoyens sont quasi irrémédiablement perdus pour l’Histoire de notre pays dont notamment ceux et celles ayant un haut niveau scientifique et intellectuel. Et, inutile d’insister sur l’exemple de l’un de nos voisins immédiats, le Maroc, qui par le biais de banques marocaines installés en France draine une partie de l’épargne de ses immigrés à qui ils facilitent l’investissement et l’acquisition de biens immeubles pour y habiter. Il est vrai que le budget de l’Etat ne dépend pas des recettes des hydrocarbures…
* Avocat-auteur Algérien
——-
Notes
1/ Bélaïd Abane (Le Soir d’Algérie du 18 12 2012);
2/ www.alterinfo.net : « Le rôle positif des excuses officielles : de la repentance aux réparations » ;
3/ A. Koroghli, Le Soir d’Algérie du 29 octobre 1992 (« Immigration en France entre récupération politique et expulsion »), El Watan des 29 et 30 mai 1993 « Le droit au faciès » et Le Quotidien d’Oran du 18 02 2010 « Le droit au séjour, un vrai parcours du combattant » ;
4/ A. Koroghli, Mononationalité et binationalité (El Watan du 18 mars 2008)
5/ A. Koroghli, La langue française ; butin de guerre ou exil ? (El Watan, 9 novembre 2005) ;
6/ A. Koroghli : Des auteurs étrangers abusés par des contrats d’édition ( Le Quotidien d’Oran » du
20.01.2010)