Un obscur fonctionnaire étasunien, en poste (par intérim !) à l’ambassade des Etats-Unis en Algérie où il est (provisoirement !) le responsable (par intérim, vous dis-je !!) de la Section commerciale, se déclare « déçu » par la faiblesse des performances économiques de notre pays, au regard de ses immenses potentialités. Il ne s’arrête pas en si bon chemin. Il prodigue généreusement ses conseils pour nous permettre d’amorcer la marche vers le développement. Les conseils en question ne brillent guère par l’originalité.
C’est la liste habituelle des recommandations du FMI, qui prônent l’ouverture totale du marché intérieur, l’abandon du 51/49, la dévaluation du dinar… En bref, ce fonctionnaire a connu son heure de gloire en Algérie en ressassant les recettes favorites du FMI, celles qui ont eu le succès que l’on connait dans les pays qui les ont expérimentées bien malgré eux…
Sommes-nous descendus si bas que les élucubrations d’un sous-fifre fassent la une de nos quotidiens ? Ce sous-fifre est, il est vrai, étasunien, ressortissant d’une puissance qui a la faculté de peser sur nos destinées. Alors, sa voix est entendue, bien plus que celles de notre chef de gouvernement et de nos ministres. Voilà qui est de nature à ramener les rodomontades de ceux-ci à de bien modestes proportions.
Nous avons tous les jours l’occasion d’expérimenter notre faiblesse, notre insupportable vassalité, d’autant plus scandaleuses que le prix de l’indépendance aura été extraordinairement élevé. Comment le supplice d’un peuple a-t-il pu déboucher sur un tel gâchis ?
Comment une révolution qui a ébloui le monde, qui a suscité tant de vocations, s’est-elle diluée pour accoucher du brouet infâme qui nous est servi aujourd’hui ?
Comment, dans notre pays, des mini guerres civiles ont-elles pu éclater comme à Berriane ?
Comment des jeunes gens peuvent-ils prendre le risque d’une mort hautement probable en fuyant l’Algérie à bord de rafiots ?
Comment 200.000 de nos compatriotes ont-ils pu mourir assassinés, souvent dans des conditions atroces, sans que notre peuple soit éclairé sur les tenants et aboutissants de cette tragédie ?
Comment le Pouvoir a-t-il pu néanmoins se maintenir à l’identique et poursuivre le pillage du pays, après avoir déclaré « la parenthèse fermée » ?
Personne ne doit fuir sa responsabilité. En l’espèce, ce n’est pas seulement celle du Pouvoir, c’est aussi celle de la société, ou plutôt celle de l’absence de société. Il y a un hiatus, un gouffre entre les politiques et la population, deux mondes distincts, évoluant dans des univers parallèles. La rencontre, quand elle se produit, est explosive. Le ressentiment accumulé se traduit par l’émeute, la destruction des biens, la fermeture des voies de circulation. Très vite, le soufflé retombe et le bon peuple retourne à son morne quotidien, « le fil des jours pour unique voyage ».
Un immense paradoxe veut que ce même peuple, si haineux envers ses dirigeants, refuse tout changement. Il se dressera comme un seul homme contre toute initiative visant à l’instaurer. A choisir entre une vie médiocre et un changement à risques… Personne ne s’imagine que l’équipe qui est aux affaires est de taille à redresser le pays. L’écrasante majorité pense au contraire qu’elle mène le pays à sa perte. Mais elle le fait graduellement, doucement. « Killing me softly »…
Parabole bien connue de la grenouille : elle est plongée dans une marmite d’eau froide, disposée sur une plaque chauffante. La température est augmentée faiblement, à intervalles réguliers, d’un degré environ. La grenouille a ainsi le temps de s’adapter et vit somme toute plutôt confortablement. A la fin de la journée, l’eau bout et la grenouille est morte, paisiblement, sans s’en être rendue compte…