Au lendemain de la défaite décisive des groupes wahabites au bastion rebelle de Baba Amr, entrainant la fuite des milliers de mercenaires à travers la frontière avec le Liban, les appels des dirigeants atlantiques et des émirs et sultans arabes du Golfe à renverser le régime du président syrien, Bachar al-Assad, paraissent plus futiles que jamais. En effet, après un an de « guerre universelle », la Syrie a réussi jusqu’à présent à dépasser l’étape la plus dangereuse de la conjuration arabo-atlantique, celle du soulèvement armé des groupes islamistes appuyés par des milliers de mercenaires étrangers[1].
Le front diplomatique : la Syrie sur la défensive
Dans le domaine de la diplomatie, la Syrie a pris, depuis le début de la crise, une position défensive en essayant de repousser les « attaques » continues qui la frappaient de tout côté.
Le régime visait toujours à laisser le dossier syrien dans son cadre arabe –la Ligue – et à ne pas donner d’excuses aux conjurateurs pour le transférer au Conseil de sécurité (CS). Pour compléter cet objectif, la Syrie a pris plusieurs mesures concrètes : premièrement, le président Assad a entamé une série de réformes politiques et constitutionnelles ; deuxièmement, les autorités ont libéré des centaines de détenus politiques ; troisièmement, le régime a salué toute initiative arabe visant à trouver une solution à la crise ; et quatrièmement, les autorités ont collaboré au maximum avec le comité des observateurs arabes et ont facilité leur mission. Cependant, quand le comité a soumis son rapport à la Ligue, cette dernière l’a rejeté ; pour la simple raison que le rapport indiquait la présence de groupes armés dans les rangs de l’ « opposition », et il les rendait aussi responsables des violences et des pertes humaines que le régime. En plus, le rapport a souligné la collaboration des autorités syriennes avec les observateurs.
Évidemment, une telle réalité ne servait pas les objectifs des conjurateurs qui augmentaient leur pression sur la Syrie en transférant le dossier syrien au Conseil de sécurité (CS), le 4 février.
Après le deuxième échec de la Sainte-Alliance arabo-atlantique au sein du CS[2], grâce au veto chinois et russe, le président syrien, Bachar al-Assad, voyait le summum de la campagne arabo-atlantique contre la Syrie. Ainsi, dans le domaine diplomatique, la campagne arabo-atlantique commença à dessiner une ligne descendante. Rien de pire ne pourrait arriver après l’échec du projet de résolution ; le message du double veto était précis et bien déterminé : non à l’intervention militaire directe en Syrie ; non à une résolution du CS entrainant une intervention militaire sous prétextes de type « humanitaire » ; non au renversement du président Assad.
La Syrie a déjà gagné la bataille dans l’arène du CS.
Le front militaire : la Syrie à l’offensive
Au lendemain de la visite du ministre des Affaires étrangères de Russie, Serguei Lavrov, accompagné du directeur du Service des renseignements extérieurs de la Fédération de Russie, monsieur Dmitri Medvedev, le 7 février[3], le président Assad donna le feu vert pour une opération militaire majeure contre les bastions rebelles à Homs, à Idlib et au Rif de Damas. Après quelques semaines de combats féroces, l’armée syrienne a mené une victoire décisive sur les groupes wahabites, armés et appuyés par des milliers de mercenaires arabes et atlantiques ; d’abord au Rif de Damas, puis à Baba Amr, enfin à Idlib. Grâce à cette opération militaire, la plupart des villes et des régions infestées par des combattants wahabites et des mercenaires ont été libérées.
Il est évident que le régime vise à mener une victoire décisive dans les villes principales avant la fin du mois d’avril et de sécuriser les autoroutes principales pour relier les villes l’une à l’autre. Pourtant, jusqu’à présent, le régime ne fait aucune illusion que les opérations militaires pourraient durer longtemps avant qu’il puisse détruire complètement les réseaux de bandits, de mercenaires et de groupes armés.
Le président Assad avait attendu un an avant qu’il a donné le feu vert à une telle opération militaire. À fortiori, le président Assad attendait la présence de deux conditions :
Premièrement, entraîner et préparer les troupes aux tactiques des guerres de villes et des combats de rues. Les résultats d’une telle préparation se sont apparus aux combats de Baba Amr, où l’armée syrienne utilisait les tactiques des forces spéciales, lui permettant de prendre le bastion rebelle ruelle après ruelle, maison après maison, avec un minimum de pertes.
Deuxièmement, choisir le moment politique le plus convenable pour écraser les groupes armés. À preuve, dès le début des violences en Syrie, le président Assad insistait à « traiter les groupes armés en tant que champignon de peau qu’il fallait laisser s’étendre avant de le brûler à l’aide d’un remède le plus efficace »[4]. Dans ce sens, il ne reste plus secret que le président Assad n’aurait pas déclenché l’opération militaire sans la protection diplomatique du double veto chinois et russe.
La victoire décisive à Baba Amr « a cassé le dos » des groupes rebelles et des mercenaires étrangers – selon une expression en dialecte syro-libanais – et des milliers de combattants islamistes et étrangers se sont enfuis à travers la frontière avec le Liban et la Turquie. L’ambassadrice étatsunienne au Liban, Maura Connelly a demandé au gouvernement libanais d’appuyer les soldats syriens désertés et les membres de groupes armés qui s’enfuyaient par milliers à travers la frontière avec le Liban[5].
Une victoire diplomatique au sein du CS et une autre militaire à Baba Amr, la Syrie fut couronnée !
Le début de la « saison de pèlerinage » à Damas
Parallèlement à la fuite des combattants et des mercenaires[6], des diplomates et des émissaires se sont dirigés vers « la capitale des Omeyyades », Damas, pour faire le pèlerinage au sein du « Qasr al-Mouhajerine », le palais présidentiel. La Syrie a approuvé la venue de la responsable des opérations humanitaires de l’ONU Valérie Amos, qui avait auparavant annoncé qu’elle allait se rendre en Syrie pour tenter d’obtenir un accès humanitaire « sans entrave ». Elle était arrivée à Damas le 7 mars et est partie le 9 mars[7]. Par ailleurs, la Syrie avait salué la visite de l’émissaire de l’ONU et de la Ligue arabe pour la Syrie, Kofi Annan, qui est arrivé le 10 mars à Damas : « la Syrie salue la visite de Kofi Annan, émissaire du secrétaire général de l’ONU », a indiqué la chaîne d’État, citant un responsable sous couvert de l’anonymat[8]. M. Annan était accompagné de son adjoint, l’ancien ministre palestinien des Affaires étrangères Nasser al-Qidwa, pour cette première mission en Syrie[9]. Pour rappel, l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan a été nommé le 23 février « émissaire conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe sur la crise en Syrie ». La mission déclarée de M. Annan visait à arriver à un cessez-le-feu dans toutes les régions syriennes, sécuriser des accès humanitaires et libérer des milliers de détenus.
En revanche, ce qu’on a déclaré devant les microphones et les caméras ne reflète pas nécessairement ce qu’on avait dit dans les coulisses. On parlait dans ces coulisses que lors de son arrivée au palais présidentiel, monsieur Annan a présenté le projet de la Ligue arabe, mais sans l’appel au renversement du président Assad. M. Annan demandait au président syrien un cessez-le-feu, la libération des milliers de détenus et des accès humanitaires. Pourtant, le président Assad s’est interrogé devant son « hôte » : « comment pouvons-nous arriver à un accord avec l’opposition en présence de groupes armés ? Qui pourrait garantir que ces derniers respecteraient un tel accord ? » ; le président Assad a ajouté : « il n’en reste qu’à dévoiler ceux qui appuient, financent et arment les groupes armés. Il est ridicule de croire que toutes ces armes et tout cet argent tombent du ciel »[10] ; mais l’émissaire international n’a rien dit pour calmer les inquiétudes du président Assad ; il a seulement haussé la tête en murmurant : « vos suggestions méritent d’être étudiées ». Par cette phrase très courte, la rencontre entre les deux hommes a été conclue.
Par ailleurs, et selon la même source d’« informations », les dirigeants syriens auraient retardé leur réponse aux « propositions » de monsieur l’émissaire, pour qu’ils pussent les discuter avec Moscou ; car Damas n’avait confiance ni en l’ONU ni en monsieur Kofi Annan[11].
En effet, ce qui a renforcé la méfiance des dirigeants syriens c’est que l’émissaire a quitté la Syrie vers le Qatar pour rencontrer son premier ministre, Hamad. On se demande ici, n’aurait-il pas été plus « démonstratif » si l’émissaire de l’ONU et de la Ligue arabe s’était réuni avec le secrétaire de la Ligue, M. Nabil al-Arabi, ou avec le secrétaire de l’ONU, M. Ban-ki Moon ? Au moins que monsieur Annan considérait le Qatar « en état de guerre » avec la Syrie, qu’il fallait négocier avec son émir !
Le début de la fin
Ne trouvant que les injures et la profération de menaces pour exprimer leur indignation face aux victoires de la Syrie, les dirigeant atlantiques, accompagnés des émirs et sultans arabes du Golfe, se rassemblèrent à une conférence à Tunis, dite la « Conférence des amis du peuple syrien »[12]. Cette conférence d’ « Amis », dont le but déclaré prétendait l’offre de l’aide à la prétendue « révolution » syrienne, visait en effet à renforcer et à rassembler la foule opposante qui commença à se disperser en toute direction. L’émir du Qatar, Hamad, et le sultan du Royaume de l’Arabie Saoudite, Faysal, entrèrent la salle de conférence en hurlant la célèbre phrase de Karl Jaspers : « Le désespoir est une défaite anticipée » ; Camarades révolutionnaires printaniers, il ne faut pas désespérer !
Par contre, l’objectif réel caché derrière le vacarme créé par la conférence d’ « amis » avait un usage de « bombe à lacrymogène » plutôt qu’une utilité politique. La foule d’ « amis », rassemblée à Tunis, choisit l’ancien secrétaire général de l’ONU, monsieur Kofi Annan comme émissaire de l’ONU et de la Ligue arabe pour la Syrie.
Malheureusement, ce vacarme « à l’Arabique » n’avait aucun effet sur le terrain et n’a laissé qu’un écho sourd à Damas. Pour ces conférenciers audacieux, la bataille au CS a été déjà perdue, ainsi que celle à Baba Amr.
Ainsi, des figures les plus célèbres du despotisme obscurantiste arabe coalisé avec l’impérialisme occidental, telles que les émirs et sultans de la péninsule Arabique, se précipitèrent au microphone prêchant à la Syrie la démocratie et les droits de l’homme. En définitive, la guerre contre la Syrie constituait le summum de la mascarade du discours philanthrope impérialiste. D’un côté on prêche la démocratie et les droits de l’homme ; de l’autre côté on s’allie au despotisme obscurantiste arabe ; on se précipite « au secours » du peuple syrien, mais on tourne le dos à l’élimination systématique du peuple palestinien.
La déclaration du Conseil de sécurité : la Syrie victorieuse
Loin des brouhahas arabo-atlantiques qui voyaient dans la déclaration du CS[13] une victoire décisive sur le régime syrien, cette déclaration a mis fin aux illusions qui faisaient croire que « les jours du président Assad se comptaient sur les doigts »[14]. À plus forte raison, la déclaration du CS sur la Syrie, le 21 mars, a envoyé plusieurs messages :
Premièrement, la déclaration ne portait aucune allusion au renversement du président Assad, contrairement aux «vœux » du Conseil national syrien et des émirs et sultans arabes du Golfe. En effet, la déclaration a reconnu – sous entendu – le président Assad comme seul représentant de la République arabe syrienne et du peuple syrien.
Deuxièmement, la déclaration a dénoncé les actes de violences venant de tous les partis du conflit ; ceci entraine une reconnaissance sous entendue de la présence de groupes armés et terroristes sur le territoire syrien, qui visent à détruire les infrastructures de l’État. Après cette déclaration, aucune parole sur la nature « pacifique » des oppositions syriennes ne serait échangée au souk d’injures et d’accusations contre le régime syrien.
Troisièmement, la déclaration prenait comme titre principal la reconnaissance du rôle du président Assad dans toute solution future. La communauté internationale semble finalement convaincue que toute solution à la crise syrienne ne pourrait passer sans l’accord du président Assad, et à travers lui ; et que sans lui, aucune solution n’est possible. Désormais, les appels au renversement du président Assad sont devenus des vacarmes du passé.
Quatrièmement, la déclaration a insisté et encouragé le dialogue entre le régime et les oppositions « sous le parapluie du président Assad » et selon son agenda. Ce qui mène à conclure que la communauté internationale ne peut désormais dépasser le rôle du président Assad, non seulement concernant le dossier de la crise syrienne, mais bien plutôt tous les dossiers « chauds » de la région : la Palestine, le Liban, l’Irak et l’Iran.
Maintenant que la Syrie a franchit les deux tunnels les plus obscurs de sa crise, c’est-à-dire l’offensive diplomatique et le soulèvement militaire wahabite, il lui reste deux défis à relever : l’économie et la sécurité.
La Fable des deux Chèvres
En guise de conclusion, il nous reste à dire que le sort du Conseil national syrien et des monarchies absolutistes du Golfe – maintenant que la déclaration du Conseil de sécurité a pris comme titre principal la reconnaissance du rôle du président Assad dans toute solution future – ne semble pas assez étincelant ; ce qui évoque en nous la fable de La Fontaine, Les deux Chèvres :
Faute de reculer, leur chute fut commune.
Toutes deux tombèrent dans l’eau.
Cet accident n’est pas nouveau
Dans le chemin de la fortune.
(Fables de La Fontaine / Les deux Chèvres / Livre XII, Fable 4)
Fida Dakroub, Ph.D
Notes
[3] http://www.lefigaro.fr/flash-
[9] http://www.lefigaro.fr/flash-
[12] http://www.lexpress.fr/