Ma langue, ma patrie et mon avenir!
L’idée que la langue du paradis soit l’arabe me réjouit. Sa richesse syntaxique , sa finesse sémantique et sa souplesse lui confèrent une virtuosité métaphorique qui donne de la profondeur à sa concision. Et tous les érudits savent que toute la difficulté de traduire le Coran, sans en réduire le sens des versets par une interprétation étriquée, réside dans cette prouesse de la langue arabe.
L’effet de tout ce qui dépasse la mesure se transmute en son contraire, dit un adage arabe. Ses qualités ne mettent pas la langue arabe à l’abri d’un mauvais usage. Ainsi, sa fluidité et sa ductilité autorisent les discours abscons aux débordements adorablement lénifiants comme les étalements sibyllins dans lesquels la rhétorique dévore le sens.Jamais peuple n’a été aussi amoureux de sa langue comme le furent les arabes. Plus qu’avec leur bravoure épique, c’est avec le verbe qu’ils surent chevaucher qu’ils ont inscrit la légende de leur trajectoire dans la postérité . Ils furent pourtant surpris, émerveillés par le Coran.
Ce n’est donc pas fortuitement que l’arabe fut élu écrin pour l’accomplissement de la révélation. Éblouissant de luminosité, le texte coranique aux multiples dimensions liturgiques, philosophiques et législatives, entre autres, il ne cesse de constituer une source d’enchantement pour les musulmans d’origines diverses d’hier et d’aujourd’hui.Pour paraphraser Albert Camus, je dirais que la langue arabe est bien ma patrie et, je l’espère, mon avenir. C’est une langue avec laquelle j’aime faire des rêves que je raconte volontiers en français. Je ne tergiverse pas à souscrire , avec Voltaire, que la langue française ne manque pas de génie de la clarté.
Si pour Malek Haddad, pour qui la langue française est un « exil », pour Kateb Yacine « C’est notre butin de guerre »dont il faut donc user sans amertume. Je ne m’en prive pas et disons que je me sens personnellement avec la langue française dans un exil plutôt doré.En 1986, Kateb Yacine fut remis sous les feux de la rampe par la parution aux éditions Sindbad de « L’Oeuvre en fragments », ses textes réunis par Jacqueline Arnaud.
L’année suivante, le ministère français lui décerne le Prix National des Lettres. Par reconnaissance, probablement, il commet un navrant papier dans le Nouvel-Observateur sous le titre aussi énigmatique et qu’ambiguë de « la langue de Malek Oussekine », le jeune étudiant français d’origine algérienne qui avait succombé à l’acharnement de policiers dans un hall d’immeuble à Paris lors de manifestations estudiantines.
Il s’attaqua à la langue arabe l’enterrant sous des préjugés infondés. Péremptoire, il décréta qu’inéluctablement le parler populaire algérien prospérera pour finir par s’imposer, à l’image du français qui balaya le latin, le contraignant au statut de langue morte! Or Kateb Yacine, enjambe allegrement l’attachement du peuple à sa langue, fait fi de la sophistication de la langue arabe et feint d’ignorer son rôle dans l »émergence de la civilisation islamique qui fit parler le monde en arabe. Si l’on convient avec Stendhal, à propos Des périls de la langue italienne, que « Le premier instrument du génie d’un peuple, c’est sa langue. ».
La civilisation islamique et la culture arabe ont eu pour fondement cette langue façonnée et épurée par la vie spartiate du désert et qui paradoxalement ne s’est jamais refusé des moments d’exubérance de grande beauté où la noblesse de l’âme se laisse séduire par la splendeur du verbe. La pureté des lignes et la majesté de l’allure du cheval qui y vit le jour se conjuguent pour constituer un emblème qui sied à la grandeur de cette civilisation; elle contribua magistralement aux avancées spirituelles et scientifiques décisives à l’humanité.
Arabe oui, Français pourquoi pas, charabia non!
Quand au parler populaire algérien, c’est un langage, un charabia, devrais-je dire, fait de bric et de broc. Les mots arabes sont impitoyablement martyrisés par règles grammaticales du français ou françaises quand les verbes français sont embarqués sans ménagement dans d’affligeantes tournures de conjugaison argotiques. Ce n’est faire insulte à personne que de dire avec Victor Hugo que « L’argot, c’est la langue des ténébreux. »; et plus ténébreux que le parler de la rue du côte de chez nous, j’en connais pas!
J’ai le souvenir vivace d’une conférence donnée par le regretté Youcef Sebti, le plus poète des sociologues algériens, à l’Institut des technologies agricoles (ITA) de Mostaganem en 1989 (?); il avait, avec un sens rare de l’à-propos, intitulé son intervention » Du culturel au cultural ». Il y stigmatisa notre langage fait de fatras d’onomatopées et de ce méli-mélo mots de provenances diverses, choisis approximativement et dont l’usage corresponds parfois à un détournement, pas toujours heureux, du sens originel. il relata son expectative devant l’interpellation par un de ses amis tunisiens lui demandant « mais quelle langue parlez-vous donc, vous autres algériens? »
Nous avons donc de sérieuses circonstances atténuantes pour excuser notre nature si rétive aux débats et notre promptitude à exprimer des opinions sans nuance, sentencieuses et définitives que l’on ramasse comme on peut!
Le travers commun à beaucoup de mes compatriotes est de s’enorgueillir parfois de leur nullité dans une langue sous le fallacieux prétexte que l’on se définit comme étant francophone ou arabophone! Peu importe si celui qui affiche sa francophilie soit incapable d’aligner trois mots dans la langue de Voltaire sans trébucher ou que la maitrise de l’arabe soit adossé à une parfaite inculture. le francisant snobera toujours l’arabisant en affichant de façon dogmatique et malvenue ses misérables références culturelles sur lesquelles il s’appuiera pour prétendre à une modernité qu’il confond allègrement avec une volonté d’occidentalisation. Peu lui importe que « La modernité » soit « sans doute le mot le plus creux de la langue française. », selon de Serge Uzzan et certainement le plus convenu chez les algériens.
L’arabophone perçoit dans le manque d’intérêt pour la langue maternelle pour l’écrasante majorité de la population algérienne des réminiscences renégates qui prolongerait l’œuvre d’ acculturation coloniale d’où le mépris envers l’élite francophone rendue responsable de la décadence morale.
Chaque camp charge l’autre de tous les maux de la société. Cet état de guéguerre permanente est épuisant. l’absence de véritable débat ou chacun s’assume ses positions et argumente ce qu’il reprochent à l’autre gangrène la vie politique, sociale et culturelle du pays.
l’Algérie: deux sociétés, une nation?
La confrontation larvée entre les tenants de la langue qui imprègne profondément la personnalité de l’algérien et les partisans de la langue héritée de l’ancienne puissance coloniale est une des illustrations du surplace éreintant auquel s’est adonné l’Algérie depuis sa libération (1). Les effets sont d’une telle gravité que L’auteur d’Ezilzel, Tahar Ouattar, dont l’œuvre et la pensée sont emblématiques de la culture arabe en Algérie ouverte sur l’universel, avait vu dans ce qui fut qualifié pudiquement ,en 1992 ,d' »arrêt du processus électoral » , la conséquence du clivage entre arabophones et francophones.
La propre vie de l’écrivain illustre la dualité des deux langues pour ne pas dire des deux cultures. Se racontant dans un texte autobiographique, il souligne que son père avait pris le soin de mettre deux de ces quatre garçons à l’école française et les deux autres à l’école en langue arabe. » Dans le Coran que j’apprenais par cœur, j’ai reconnu l’éloquence et la beauté. » précise-t-il. C’était avant la Révolution .
Vingt ans après, Amine Zaoui observant les disparités et les incohérences dans le marché du livre tire l’alarme. le lectorat francophones serait mieux loti quant à l’accès aux livres qui nourrissent les débats intellectuels et litteraires de l’heure pendant que sur le souk de la plume arabe, le lecteur serait mis, à l’insu de son plein gré, sous des perfusions où des idées obsolètes sont dissoutes véhiculant des contenus fanatisants, dans des contenants qui dépassent largement les dates raisonnables de péremption. « C’est mortel, catastrophique. Ce qui se produit dans le domaine de la lecture, chez nous, constitue le pas vers un glissement tragique. Sur la même terre, sous le même ciel, on avance vers la création de deux peuples, deux peuples avec des références différentes, opposées et même conflictuelles. » (2)
La douce léthargie neuronale des gouvernants
Amin Zaoui met le doigt là où le bat blesse. et si la politique du livre arabe tient dans un salon annuel qui ne peut pas faire le printemps sur un désert culturel. Le pays est maintenu dans une indigence intellectuelle par une volonté politique pour assécher la vie sociale de tout débat susceptible de perturber la douce léthargie neuronale des gouvernants. La pièce maitresse de cette volonté est la pérennisation d’un ministre inamovible de l’éducation dont chacun, s’il peut s’en douter sur quelle cuvée il peut veiller, personne n’ignore pas que l’apprentissage des langues ne fait pas partie de ses soucis quotidiens! le maintien d’une ministre de la culture qui possède si peu de références et dont la longévité à son poste ne s’explique que par sa discrétion.
Querelles byzantines pour occuper les esprits oisifs.
Les sempiternelles querelles byzantines entre francisants et arabisants et les analyses que l’on en fait sont souvent excessives. cependant si on se donne quelques peines à décaper tous les faux procès que les uns intentent aux autres et vice-versa, on s’apercevra qu’il y a un petit fond de vérité chez les uns comme chez les autres! les déficits de démocratie et des libertés, exacerbés par la difficulté réelle de parler le même langage, entretient des tensions. Les gens se balancent leurs petites vérités à la mesures de leurs petites misères quotidiennes alors que chacun reprochent aux autres de ne pas se hisser à la hauteur des attentes du pays qui possède des atouts qui devraient lui épargner de subir son avenir en victime consentante.
C’est un paradoxe algérien que cet entêtement d’accuser la plus belle des langues de formater les esprits pour qu’ils avancent à reculons ou inversement étiqueter d’assimilationniste toute personne qui recourent à la langue de Voltaire.
Je ramène ma fraise!
Animant une modeste chronique bi-hebdomadaire sur Radio Dahra de Mostaganem, intitulée « une minute pour l’environnement », c’est ma B.A pour la planète, je reçois avec beaucoup de fierté régulièrement des encouragements pour mon arabe que je m’applique à pratiquer de la manière la plus châtiée qui soit à ma portée. Cependant, je souligne ,sans fausse modestie, que , si l’expérience est certes stimulante de part la difficulté à s’exercer à être concis, au delà de la minute bonjour les ratées!
En revanche,je suis toujours navré par cette catégorie de concitoyens dont le français est autrement plus lamentable que mon arabe mais exhibe leur francophilie de la manière la plus ostentatoire pour tirer vanité de leur ignorance de la langue comme s’il cela leur servait de gage pour consolider l’idée qu’ils se font de la modernité.
se prévaloir ainsi de son indigence pour paraître dans le coup relève de l’imbécile qui croit faire illusion en paraissant heureux! lorsque ce jeu est décliné devant des amis français, un peu pour leur être agréable, un peu pour se conformer à des clichés supposés chez l’autre ou convenus, cela est si puéril que ça en devient lamentable. Car c’est une inanité monumentale que de vouloir persuader l’autre que l’on puisse rentrer dans une langue sans en posséder la sienne.
Tout profane que je puisse être, je restes convaincu que les linguistes et les pédopsychiatres partagent largement l’évidence que la conceptualisation et l’accès aux subtilités d’une deuxième langue sont d’autant plus aisés pour un jeune apprenant qu’il a bien pénétré l’intimité de sa propre langue maternelle.
Gâchis
Les urgences qui nous ont fait zappés des débats générateurs de cohérence nationale, les sempiternelles bonnes raisons de restreindre les libertés individuelles et les savants discours pour justifier un état autoritaire se devant de tenir le peuple en laisse jusqu’à qu’il acquière le bon usage de la démocratie ont imposé un mot, le gâchis, à la lecture de l’histoire récente du pays.
Toute idée de changement qui murit est détournée ou pervertie par des décideurs. Ils ont gagné leurs galons et gravit les échelons avec des trésors de duplicité qu’ils craignent de voir un vent de liberté emporter leurs privilèges. Ils sont tétanisés par la peur de l’effet corrosif que ce vent pourrait avoir sur leurs fortunes indues.
Ils ne comprennent même pas que le peuple veuille leur enlever leurs prérogatives et s’arroger la liberté de choisir un autre chemin que celui qu’ils lui ont assigné pour atteindre un bonheur fuyant. la planche de salut de tous ces faussaires de l’intérêt national est de faire enliser le pays dans un marasme dans le quel de crise en crise le peuple n’a plus le droit de rêver.
La gabegie, qui règne dans les doctrines en matière d’éducation, de culture et de statut à accorder à chaque langue, a transformé la richesse linguistique des algériens ont en un sujet de discorde stérile où le plus rassurant consiste à gérer le statu quo. Beaucoup de compatriotes conviendront que c’est un domaine où les gouvernants se sont particulièrement illustré à miner le terrain et à fragiliser les fondements de l’identité nationale par leur vision rabougrie, ne peut susciter qu’une action publique timorée.
Le sujet traité ici et l’actualité des révolutions arabes me conduisent directement à m’appuyer sur un vers d’Adib Ishaq (Damas 1856 – Beyrouth 1885), homme est un confluent de plusieurs influences qui forgèrent son bon sens. Ecrivain, traducteur de la tragédie de Racine , Andromaque, à l’arabe, et pionnier du journalisme arabe, il est syro-libanais d’origine arménienne ayant vécu en Egypte , il rencontra Victor Hugo à Paris. C’est cet itinéraire forcément fructueux qui lui a fait entrevoir qu’ à ne pas prendre conscience de ses atouts, on finit toujours par vivre misérablement sur terreau très riche, avant de s’effondrer, qu’à Dieu ne plaise, comme ce « dromadaire proie aux affres de la soif dans le désert alors qu’il porte sur le dos l’outre lourdement chargée du précieux liquide qu’il brûle d’atteindre « (3).
De l’exercice de la liberté
Si Miguel de Unamuno a raison de dire qu’ « Être libre, c’est croire qu’on l’est ! », j’assume avec confiance,donc, très fièrement et pleinement de laisser la langue arabe parlait à mes gènes et m’esquisser un avenir édénique. Mais je n’oublie pas qu’ « Etre libre, ce n’est pas pouvoir faire ce que l’on veut, mais c’est vouloir ce que l’on peut. », selon Jean-Paul Sartre ; c’est donc en français que mes neurones se mettent en branle-bas de combat quand il s’agit de donner corps à quelques idées pour radoter utilement avec ceux qui, comme vous, ont l’amabilité de me lire.
Epilogue
Avant de conclure sur mes états d’âmes linguistiques, je voudrais, par esprit de charité ,dire à cet ami, goujat sur les bords et sot pour l’essentiel, le proverbe persan « Le compliment exagéré est pire qu’une injure. ». condescandant, il me fit l’éloge suivant pour un de mes articles : » tu as une facilité pour écrire – traduisez que je n’ai aucun mérite!- on devrait pouvoir produire de bonnes choses, j’ai plein de bonnes idées- mon esprit serait donc en jachère!-« . Connaissant ses idées et le sachant très bien intentionné envers sa petite personne, je lui fit comprendre avec tact que j’ai, depuis une mésaventure que je ne souhaiterais plus revivre, cessé de faire le nègre au noir pour des ignares.
Avant de rassurer mes amis en retournant m’occuper de mes oignons, je ne résiste pas de dire la fierté qui fût la mienne de voir la femme du consul des Etats-unis trépigner de plaisir en échangeant avec ma fille ,Hanane, quelques amabilités dans la langue de Shakespeare. Lauréate du deuxième prix ex-æquo du concours national organisé par l’ambassade des USA sur le dialogue et la tolérance dans les religions; Hanane avait été éblouissante lorsqu’elle fut appelée pour lire son texte en français(4), intitulé « La voie ou le savoir pour seule arme » .
Dans le public, dernière l’épouse du consul et une amie à elle de la société algéroise, J’avais compris que les deux dames, à l’instar du public invité, étaient sincèrement ravies de voir cette jeune lycénne de 16 ans, discourir en français ex-professo. J’ai compris qu’elles étaient conquises d’entendre quelqu’un exposer correctement ses idées et les défendre avec maestria. J’avoue avoir eu une petite pensée pour mon ami. Encore aujourd’hui un questionnement, qu’il suscita en moi,me turlupine. Comment peut-on avoir des idées quand on ne possède pas les mots pour les formuler?
Dr. Mokhbi Abdelouahab
Références
1. De la libération à l’indépendance : L’epoustoufflant sur-place
2. Souffles…Le manifeste du lecteur arabophone en Algérie !
3. (كالعيسِ في البيداء يقتُلُها الظما ***والماءُ فوق ظهورِها محمولُ)
4. نتائج مسابقة أحسن مقال حول حوار الأديان
Autres références:
• Belle leçon de tolérance des jeunes
dz.midipress.com/algerie/22051.html
17 avr. 2011 – La difference, une richesse Hanane Mokhbi, à l’issue de la réception, nous confiera : «C’est ma mère qui m’a encouragée à participer à ce …
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• La voie ou le savoir pour seule arme – L’Observateur Kabyle
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1 août 2011 – Mokhbi Hanane. Lycéenne, 16 ans, de Mostaganem, 2e prix du concours 2011. Article original sur Elwatan.com • « Deux Algériens honorés en …
• La voie ou le savoir pour seule arme
actualite.algeeria.com/la-voie-ou-le-savoir-pour-seule-arme/