Fetwa, dîtes-vous ?

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Par Mohamed Senni.

Il y a quelques mois, j’ai lu sur le quotidien « El-Watan » un article qui rendait compte des travaux d’une commission chargée de mettre sur pied une structure d’envergure nationale pour l’énonciation des Fetwas dans notre pays.

 Ma première réaction fut de reconnaître que la culture, chez nous, si tant est qu’elle existât, avance à reculons. Ensuite j’ai constaté, tout récemment, la prolifération de Fetwas biscornues et hallucinantes émanant de divers pays musulmans, la dernière étant celle formulée par un illustre inconnu, bien de chez nous et répondant au nom de Abdelfettah Hamadache contre Kamel Daoud. Mon propos est de démontrer l’impossibilité de l’énonciation d’une fetwa en m’abstenant d’émettre un jugement sur le différent Hamadache / Kamel Daoud. Le premier me répugne et le second n’émarge pas à ma sympathie comme tous ceux qui écrivent ce qui sied aux « lecteurs » outre Méditerranée et, comme le disait si bien Edward Saïd « écrivent avec une mentalité d’indigènes ».

1. L’exigence qui doit présider à l’énonciation d’une Fetwa.

  Or, ne prononce pas une Fetwa qui veut, quelque versé qu’il puisse être sur le sujet. Selon Ali Bnou Abi Talib, cité par diverses traditions, ne peuvent prétendre à cette délicate mission que ceux, parmi les jurisconsultes, qui maîtrisent « l’abrogeant et l’abrogé dans le Coran » (الناسخ والمنسوخ في القرآن). Un jour passant devant la Mosquée, il entendit un homme qui faisait un prêche. Il l’interrompit et lui demanda s’il maîtrisait « l’abrogeant et l’abrogé dans le Coran ». L’homme répondit par la négative. Le quatrième Khalife lui dit : « Tu as péri et tu feras périr ».( َهـَلَكْــتَ وَأَهْلَكْت) sur quoi il l’autorisa à fréquenter la Mosquée en s’abstenant de sermonner les fidèles.

Le Coran recèle nombre de versets qui sont abrogés par d’autres versets et leur parfaite connaissance est une condition incontournable pour prétendre énoncer une fetwa. Un seul verset dit « de l’épée » (5 ème de la Sourate IX « Le Repentir ») abroge 113 autres que l’on retrouve dans 51 Sourates !

Des dizaines de livres (environ quarante) ont été écrits sur le sujet à travers les siècles, dont un par l’Imam Ahmed Ibnou Hanbal qui, soit dit au passage, a eu pour élèves les Imams El Boukhari, Mouslim et Abou Daoud parmi une pléiade d’auteurs de très haut niveau qui sont toujours d’actualité.

Cependant,   nous nous sommes basé sur deux d’entre eux qui ont recueilli l’unanimité sur leurs contenus  pour présenter un travail précis à nos aimables lecteurs : celui d’En-Nahhas (mort en 338/949) et Ibn Khozeïma (223-311 /837-923), auteur,  entre autres titres, d’un « Sahih » sur les Traditions du Prophète qui, malheureusement nous est parvenu incomplet.

2.Quand la Fetwa devient une spéculation en chaîne.

Nous assistons de nos jours à une piètre mode où, à travers toutes les chaînes arabes, des « Oulama » dispensent sans pudeur et sans discontinuer des Fetwas émanant davantage de leur prééminence sur les plateaux de télévision que de leur savoir intrinsèque. Pourtant…

2.1 Trois rappels qui interpellent.

1/ On rapporte qu’ « il a été posé à l’Imam Malik (93-179 / 712-795) quarante-huit questions et nous l’avons entendu dire au sujet de trente-deux d’entre elles : je ne sais pas », soit exactement les deux-tiers !

2/ Il est, par ailleurs dit dans une chronique que l’Imam Ahmed Bnou Hanbal (164-241/780-855) ne répondait aux Fetwas que le jour suivant, jamais sur le champ.

3/ Il est prouvé qu’au soir de sa vie, le Cheïkh Abou Ras de Mascara (1150-1238 / 1737-1823), – qui fut quelque temps Maître de l’Emir – avait installé une deuxième porte dan sa demeure lui permettant de la quitter sans être vu. Chaque fois que quelqu’un se présentait pour une Fetwa, il chargeait le meilleur de ses élèves de lui répondre pendant que lui sortait par cette porte.

Ces trois exemples, pris dans une large panoplie, traduisent le degré d’importance de la Fetwa en Islam que prononcent chez nous à longueur de journées des Imams qui ne connaissent pas tout le Coran et ils sont majoritairement nombreux. Ainsi donc, la descente aux enfers ne concerne pas que l’Université. Quant à ceux qui se prononcent sur la base de  leurs perceptions personnelles, nous rappelons cette juste sentence d’Ibn Taymiyya : « Quiconque interprète le Coran par son point de vue se trompe même quand il dit juste ».

من فسر القرآن برأيه وأصاب فقد أخطأ

Nous profitons aujourd’hui pour rappeler l’envergure spirituelle et la grandeur d’âme de ceux qui ont pour tâche d’œuvrer pour que leurs coreligionnaires soient toujours sur la voie juste. Nous avons pris l’attitude de deux fondateurs  des quatre grands rites orthodoxes de l’Islam. Cette attitude est citée par diverses sources. Nous la livrons, telle qu’elle nous a été narrée par nos Maîtres dont la caractéristique dominante était l’anonymat.

Cette anecdote a le privilège de traduire la grandeur de L’Islam, dans la plénitude de « sa haute et pleine majesté », incarnée par  ses vrais Hommes, à travers cette histoire frissonnante, entre notre Imam Ahmed et l’un des plus prestigieux de ses maîtres qui n’était autre que ce grand fils de Ghazza, aujourd’hui martyre (parce que trahie par ceux qui ont les moyens de la défendre). Il s’agit de l’Imam Mohamed Ben Idriss Chafe’i (150-204/767-820).

Dès le premier contact avec son élève, Chafe’i décela en lui les qualités qui frisent la perfection. Plus les jours passent, plus le Maître est convaincu de la pureté de son élève. Il en parla à sa famille lui disant à peu près ceci: « Ahmed Ibn Hanbal est le plus dévot des hommes que j’ai connus. Quand il mange c’est toujours pour faire taire sa faim. Jamais de bombance ni de ripaille. Il passe ses  nuits en prières et en incantations où la foi la plus sincère transparaît ».

 La fille de l’Imam, sensible au témoignage de son père, lui demanda alors  de l’inviter pour passer une nuit chez eux. Le Maître accepta et l’élève, tout honoré, n’espérait pas tant. Quelques temps après, l’exceptionnel élève traverse le seuil de la maison de son Maître. La fille leur prépara, intentionnellement,  un repas plantureux, très bien garni et le leur servit. Son père mangea et s’arrêta. Le futur Imam Ahmed ne leva plus la tête et mangea tout ce qui restait sans laisser une miette. La fille en fut étonnée.

On  indiqua à l’élève sa place pour dormir et il s’étendit donnant son dos à la porte derrière laquelle la fille s’assit espérant entendre ses incantations ou sa psalmodie du Coran qui ne laissaient pas indifférent puisque son propre père en fut marqué. Le temps passa et le silence était total. De temps en temps, elle tentait un regard furtif : l’Imam était figé dans  sa position. Pas un son. Le silence de la nuit fut rompu par l’appel à la prière du Fedjr. L’Imam Ahmed, se leva et fit directement sa prière sans faire d’ablutions. La fille alla voir son père et lui dit que ce qu’elle avait remarqué ne correspondait pas du tout à ce que son père soutenait sur les qualités de son élève. Et elle lui rappela  tout ce qu’elle avait vu : le repas qu’elle avait volontairement préparé pour plusieurs personnes, Ahmed Ibn Hanbal l’avait pratiquement mangé seul. Elle a vainement attendu toute la nuit pour l’entendre prier ou dire ses incantations, mais rien ! Et le plus grave, c’est qu’il a accompli la prière du Fedjr sans ablutions !

L’Imam Chafe’i rejoignit son invité et lui fit part de ce qu’avait remarqué sa fille. Il dit à son élève : « Je t’en conjure au nom de Dieu, éclaire-moi ».لله دُلَّـــنِي  Le Maître savait donc parfaitement qu’il y avait une explication. Son élève lui dit : « Je savais que la nourriture de l’Imam Chafe’i était totalement licite et j’en ai profité autant que j’ai pu. Puis j’ai passé la nuit à réfléchir à la confection de 40 Fetwas qui concernent des Musulmans dans leur religion et dans leur quotidien. J’ai passé en revue quelque 400 Hadiths pour élaborer les réponses à chacun d’eux ce qui m’a contraint à rester éveillé toute la nuit et j’ai accompli la prière du Fedjr avec les ablutions d’El Icha de la veille !!

« عَلِمْتُ أن طَعَامَ الشافعي كُلَهُ حَلاَلٌ فَأَرَدْتُ أَنْ أَمْلَأَ بَطْنِي مِنْهُ، وَبِتُ الليْلَ كُلَهُ أُفَكِرُ في حَلِ أربعين مَسْأَلَة تُهِمُ المسلمين في دينِهم ودُنْياهُمْ           فبَوَبْتُ »400 حديثٍ فَلَمْ أَنَمْ وَصَلَيْتُ الفَجْرَ بِوُضُوءِ الْعِشَاءِ                                                                                

L’Imam Ahmed a été particulièrement marqué par la Tradition (voir son monumental Mousnid qui compte quelque 40 000 Hadiths selon les sources les plus fiables) puisé sur un lot de 350 000 tous disponibles chez l’Imam. Il observait rigoureusement  le respect des dogmes et des rites qu’il appliquait  à son corps défendant : lorsqu’il refusa au (septième)  Khalife abbasside  de son époque, Al-Mamoun (198/813)  de reconnaître que le Coran est la Parole de Dieu créée, ce que prônaient El Mou’tazila, il fut attaché à la queue d’un cheval et envoyé de Baghdâd, battu durant tout son périple jusqu’à  Damas. Parmi ceux qui avaient subi le même sort que lui, certains renièrent leurs convictions pendant que d’autres périrent. A-t-il cédé pour autant ? Non. Et pourtant  ça lui a valu 18 ans de prison !

Que ne gagnerait-on pas si les faux dévots, ceux qui citent des Versets coraniques en toutes circonstances en les amputant malgré ce qu’en dit le Coran Lui- même, à nous en tenir scrupuleusement, dans la discrétion la plus totale, aux deux versets suivants et du Hadith qui les suit car l’Algérien, gavé depuis un demi-siècle de discours oiseux et de sermons singés sous d’autres cieux continue d’entendre mais n’écoute plus !

                       « ألَمْ نَجْعَلْ له عَيْنَيْنِ وَلِسَانا وشَفَتَيْنِ  وهَدَيْنَاهُ النجْدَيْنِ »,

« Ne lui avons-Nous pas donné deux yeux, une langue et deux lèvres ? Ne l’avons-Nous pas  guidé vers la double rampe ? » (Sourate 90. La Ville. Versets 8 à 10)

                    « وأن هَذَا صِرَاطِي مُسْتَقِيمٌ فاتبِعُوهُ ولا تَتَبِعُوا السُبُلَ فَتَفَرَقَ بِكُمْ عَنْ سَبِيلِهِ »  

« Tel est, dans sa rectitude, Mon sentier. Suivez-le. Ne suivez pas les chemins qui vous en fourvoieraient. » (Sourate 6. Les Troupeaux. Versets  153).   Traduit par Jacques Berque.                                                                                                                                                                                                                                      et de ce Hadith :    « فكل مُيسًرٌ لِمَا خُلِقَ لَهُ اِعْمَلُوا »

Ajoutons enfin que l’Imam Ibn Taymiyya a écrit que

من زاد في القرآن بحرف أو نقص منه فقد كفر به كله                                         

La difficulté que certains cultivent dans l’observance des préceptes de l’Islam tient-elle dans sa simplicité ? Tout le laisse penser.

Nous ne terminerons pas sans signaler que le 30 août prochain consacrera le 1161 ème anniversaire de sa mort et pourtant son œuvre domine tellement cet espace dont nous avons, compte tenu de son immense legs, l’impression qu’il s’agit d’un contemporain.

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