La mise en opposition de la darja et de l’arabe classique occupe tout l’espace et prend une tournure où tout est ramené sur le terrain de l’émotionnel. Le projet de réforme de l’école devait, bien sûr, susciter des réactions, mais la forme qu’elles ont prises en laisse pantois, plus d’un.
Le néocolonialisme serait à l’origine des propositions adoptées par le ministère de l’éducation nationale. A tout pendre, il n’était attendu d’attaques de ce type que des ennemis de l’intelligence, des marchands idéologiques, fort peu crédibles sur ce type d’accusation. C’était se tromper lourdement.
Car si ce sont les grenouilleurs de la mouvance islamiste qui ont inauguré le débat, ils sont suivis par des voix des plus inattendues, reconnues en tant qu’ennemies mortels de cette mouvance.
Calmement, la ministre, Mme Benghebrit, réplique au brouhaha, étant donné qu’elle doit savoir de quoi il retourne et que, au contraire de ses détracteurs, en tant que responsable de l’école, elle ne peut se permettre des envolées passionnées. D’autant plus que les problèmes que posent le système éducatif ne se réduisent pas au seul fait que l’enfant soit coupé de sa langue maternelle.
Elle a raison, elle doit s’atteler plutôt à éclairer l’opinion sur les enjeux et sur les objectifs globaux. Elle doit charger les spécialistes d’exposer les problématiques, seule façon d’empêcher que l’insulte, que l’invective ou que les accusations, quel que soit leur contenu, résonnent seules sur la scène.
Nous pourrions évaluer, concrètement, la consistance des mesures qui doivent être mise en œuvre. Cependant, faut-il s’étonner de ce que la seule référence aux langues populaires provoque de telles lectures ? Cela, même si nous tenons compte du fait que la question de l’identité pèse toujours de tout son poids, à la fois sur les plans culturel et politique.
La réponse doit se trouver dans le marché linguistique lui-même. Celui-ci met en concurrence, officiellement, le français et l’arabe classique, les langues locales, les « dialectes » comme on les classe, n’ayant pas droit de cité dans le duel. La concurrence fonctionnait allègrement et les défenseurs de la « langue nationale », de tous bords, se suffisaient qu’elle soit la « langue nationale », pendant que le français occupe la sphère économique, totalement et ouvertement, et serve de langue officieuse pour la majorité des institutions de l’Etat.
Dans la vie, dans la rue et chez soi, au cinéma ou au théâtre, dans la chanson, la darja est reine et le français trouve une très large place, au contraire de l’arabe classique qui peine à avoir des utilisateurs, même s’il est largement lu et écrit.
Une situation qui ne dérangeait pas et qui ne soulevait pas la moindre poussière. Pas même le fait que la darja et le berbère servent de langue d’enseignement, dans la pratique. Plus loin, lorsque nous y pensons, il y a qu’à l’université les principales disciplines scientifiques sont prodiguées en français, pour des raisons évidentes.
Nous comprenons, alors, pourquoi la promotion de la darja fasse réagir avec une telle violence, en dehors du camp traditionnel, parmi les non-religieux qui vivent de l’arabe en tant que langue d’expression écrite ou professionnelle. Il reste, après ça, à comprendre en quoi la darja menacerait l’arabe et en quoi elle serait néocolonialiste.
A.H