La Libye et la Syrie après l’assassinat de Kadhafi

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Rien  d’étonnant à ce que Ban Ki-moon, l’aigle protecteur de l’humanité qui  se montre pigeon, là où il faut dénoncer la destruction systématique de  l’infrastructure de la Libye par l’OTAN, sous prétexte de protéger les  civils, rien d’étonnant à ce que cet aigle ait, dès le début de  l’insurrection armée en Syrie, rendu le régime syrien coupable et  responsable de l’accroissement des violences.

 

Du paysage syrien

Dans son adresse récente au président syrien Bachar al-Assad, le 17  octobre à Berne, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon disait :  « J’ai demandé instamment au président Assad de stopper ces tueries, qui  sont inacceptables, avant qu’il ne soit trop tard ». Il ajouta qu’il  était « totalement inacceptable que 3 000 civils aient été tués en  Syrie ». M. Ki-moon continua à marteler, par son héroïsme herculéen, le  régime syrien en déclarant que : « la Syrie répond qu’il y a plus de  morts dans les rangs des forces de sécurité que chez les civils, il  n’empêche, ces tueries doivent cesser, et je lui demande avec insistance  d’engager une action urgente en ce sens ». [1]
Heureusement, cette adresse ne nous étonne pas, car il devint  habituel qu’à la veille et au lendemain de chaque initiative de la part  du régime syrien à entamer un dialogue entre les différentes parties  composantes de la société syrienne, dans le but d’élaborer une  perspective commune des reformes et des solutions à adopter, les  dirigeants des puissances impérialistes, ainsi que leur porte-parole  aux quatre points du monde, accroissent leur pression sur le président  syrien Bachar al-Assad ; d’une part, ils rejettent ses initiatives,  d’autre part ils amplifient leur discours « anthropophile » sur les  « violations » des Droits de l’homme.
Ironiquement, ni les insurgés armés, appuyés par l’Empire étatsunien et ses alliés européens, n’entendent les cris de l’aigle de l’Empire, glatissant son discours « philanthrope », ni la vue perçante de cet aigle royal  ne dépiste les actes de violences commis par les insurgés, qui pillent,  brûlent et détruisent l’infrastructure du pays, et qui avancent à pas  de loup vers le démembrement de la Syrie en plusieurs États-Confessions  et États-Tribus.
Tristement, les médias de l’Empire étatsunien et des provincae  continuent à produire une désinformation systématique concernant les  violents bouleversements qui frappent le monde arabe, tout en créant une  image fautive des événements sur le terrain. À en croire ces médias, le  monde arabe aurait toujours été en saison de « Printemps »,  malgré la chaleur étouffante des bombardements lourds, partout en Libye,  en Syrie, au Yémen et à Bahreïn. Aussi, les violences en Syrie auraient  été une sorte de « révolution populaire » contre un président  « despote » qui réprime son peuple, et qui s’enorgueillit dans son harem. Une image intéressante qui pourrait former un scénario pour une nouvelle série de Le Seigneur des anneaux (The Lord of the Rings) ; Bravo Hollywood !
Cependant, nous tenons à exprimer notre désaccord face à la version fictive des médias impériaux, malgré leur tendance « utopique » à voir les choses. Nous sommes d’avis que la Syrie se trouve, depuis neuf mois, face à  une conjuration atlantique, dont les joueurs principaux sont : l’Empire  étatsunien, la France de Napoléon le Petit [2] , Nicholas Sarkozy, et la Turquie du nouveau sultan ottoman, Recep Tayyip Erdogan. À ces joueurs principaux, s’ajoutent aussi des joueurs subordonnés, tels que les émirats et sultanats arabes du Golf.
Malheureusement, sur le terrain, les affrontements quotidiens entre  l’armée syrienne et les groupes armés, soutenus à l’extérieur par les  pays mentionnés ci-dessus, coûta déjà la vie à plus de 3 000 civils, et à  plus de 800 parmi les forces armées et la police.
L’exemple de Yehya Murhej, qui perdit son fils au début des  violences, nous aide à rassembler les pièces de casse-tête, pour obtenir  une illustration complète et réelle du paysage syrien. Au début de l’insurrection armée en Syrie, le fils de Yehya, un  soldat de l’armée syrienne, fut enlevé et tué par des groupes armés, à  Daraa, le 23 mars. Le témoignage de Yehya contredit les « larmes de  crocodile » du secrétaire général de l’ONU, M. Ki-moon, qui sanglote, à  toute occasion, « l’atrocité » du régime syrien. Yehya dit : « Tous les  correspondants étrangers savent qu’un trop grand nombre de l’armée et de  la garde nationale ont été tués. Alors, comment peut-on dire que les  groupes armés n’existent pas ? ». Il ajouta : « qui sont-ils ceux qui  enlèvent et tuent les civils et les soldats, comme on l’a fait à mon  fils ? Ceux qui prétendent que l’insurrection armée n’existe pas en  Syrie sont des menteurs ». [3]
Dans un autre domaine, le correspondant du journal britannique The Independent,  Robert Fisk, écrivit sur les violences en Syrie : « Une unité de  déserteurs de l’armée syrienne, prétendant qu’elle était forte de  plusieurs milliers d’hommes – une estimation qui provient probablement  du département du doigt mouillé – a maintenant émergé sur internet, avec  des photos de certains des hommes en uniforme. Un acte audacieux qui  prouve aussi que les adversaires d’Assad, s’ils ne sont pas des  « gangs », sont très certainement armés ». [4]
Somme toute, la dernière adresse du secrétaire général, M. Ki-moon,  au président syrien, Bachar al-Assad, ainsi que son silence inexplicable  vis-à-vis la destruction systématique de la Libye sous prétextes  « humanitaires », créent l’impression que l’ONU est une organisation  subordonnée à l’OTAN, et que son rôle sur la scène internationale fut  réduit.

Le lynchage de Kadhafi : une violation de l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949

Pendant un entretien sur les stations radio Voice of Russia, Radio  Russia et Ekho Moskvy, le ministre des Affaires étrangères russe,  Sergueï Lavrov, répondit aux questions des auditeurs portant sur la  situation en Libye et la mort de Kadhafi, suite à un échange de tirs  entre les milices du Conseil national de transition (CNT) et des  partisans de l’ancien régime. Le ministre russe déclara que « Kadhafi  eut perdu sa légitimité depuis longtemps, mais sa mort évoque des  questions sérieuses ». [5] M. Lavrov indiqua aussi que les vidéos et photos de la mort de Kadhafi  montrent que le chef libyen fut tué après sa capture et non pas avant :  « Les images que nous vîmes à la télévision indiquaient qu’il [Kadhafi]  fut vraiment capturé après qu’il eut été blessé ; et que plus tard, déjà  en captivité, il fut exécuté », dit-il.
Ce n’est pas par hasard que M. Lavrov souligna que la mort de Kadhafi  constitua une violation des principes du Droit international  humanitaire, qui exigent l’application de certaines procédures envers  les prisonniers de guerre. Pour rappel, les règles visant expressément à protéger les  prisonniers de guerre furent énoncées pour la première fois de manière  détaillée dans la Convention de Genève de 1929. Elles furent affinées  dans la Troisième Convention de Genève de 1949, sur la base des leçons  tirées de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que dans le Protocole  additionnel I de 1977. Le statut de prisonnier de guerre s’applique  uniquement dans les situations de conflit armé international. Par  prisonniers de guerre on entend généralement les membres des forces  armées d’une des parties à un conflit étant tombés aux mains de la  partie adverse.
La Troisième Convention de Genève fait mention d’autres catégories de  personnes auxquelles ce statut peut s’appliquer ou qui peuvent être  traitées comme des prisonniers de guerre. : « Les prisonniers de guerre  doivent être traités avec humanité en toutes circonstances. Ils sont  protégés contre tout acte de violence ou d’intimidation, ainsi que  contre les insultes et la curiosité publique ». [6] Dans le cas de conflits armés non internationaux, tel que le cas de  Libye, l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et le  Protocole additionnel II stipulent que les personnes privées de liberté  pour des raisons liées au conflit soient elles aussi traités avec  humanité, en toutes circonstances. « Elles seront notamment protégées  contre le meurtre, la torture et les traitements cruels, humiliants ou  dégradants ». [7]
En guise de conclusion, l’assassinat militaire de Kadhafi aux mains  des milices du CNT montre la volonté de l’Empire à envoyer un message  précis et ferme à plusieurs destinataires au Moyen-Orient. Ce message  dit : « voilà comment l’Empire punit ceux qui désobéissent sa volonté.  Désormais, il n’y aura plus de procès ; les opposants à la volonté de  l’Empire ne seront plus condamnés devant la Cour pénale internationale ;  au contraire, ils seront lynchés immédiatement, une fois capturés ».  La nouvelle politique de l’Empire vis-à-vis ses adversaires fut déjà  mise en application à deux occasions : 1) l’assassinat de Ben Laden, le 2  mai 2011, et 2) l’assassinat de Awlaki, le 30 septembre 2011. Ainsi, le  lynchage de Kadhafi forme la troisième application de cette politique.

Illustration flashback

Dans l’Antiquité, la crucifixion était d’application à l’Empire  romain. Il s’agissait d’une peine particulièrement infâmante qui était  théoriquement réservée en priorité aux esclaves, ultérieurement aux  brigands et pirates ou à la rigueur aux prisonniers de guerre et  condamnés politiques. Contrairement aux esclaves, les citoyens de  l’Empire bénéficiaient de leur droit d’être condamnés devant un  tribunal ; et d’être soumis à d’autres procédures pénales.

Le pillage de la Libye

Maintenant que le tyran de Tripoli est mort et que les canons se sont  tus – nous l’espérons – des points d’interrogation se précipitent  devant nos yeux, en provenance de la ville ruinée de Syrte, la dernière  forteresse du « roi des rois d’Afrique », détrôné par les cavaliers du  Conseil national de transition (CNT), et abattu dans les rues de sa  ville natale :  Que sera la Libye maintenant que son infrastructure est complètement  détruite, ses villes sont ruinées par les bombardements intensifs de  l’OTAN ? Que restera de la paix et de la cohabitation entre les  différentes tribus, unités composantes de la société libyenne, de part  et d’autre, « bédouine », maintenant que le « roi des rois d’Afrique »,  Kadhafi, fut lynché dans les rues de Syrte et de Misrata, sous les  regards de ses frères du clan Ghous et de la tribu Kadhafa ? Qui sera le  vrai gagnant de cette guerre, faite par les milices du CNT, et  télécommandée par les forces de l’OTAN ? et les ressources pétrolières  et gazières, resteront-elles propriété du peuple libyen, ou seront-elles  privatisées et baptisées aux noms des compagnies pétrolières  occidentales ?
En préambule, la Libye constitue l’une des plus grandes économies  pétrolières du monde. Les évaluations les plus récentes estiment les  réserves pétrolières de la Libye à 60 milliards de barils et ses  réserves de gaz à 1500 milliards de mètres cube (m3). Sa production de  pétrole se chiffre entre 1,3 et 1,7 millions de barils par jour. Un tel  banquet va sans doute aiguiser l’appétit pantagruélique des puissances  impérialistes. Ainsi, la présumée « opération humanitaire » en Libye  fait partie du programme militaire de l’OTAN au Moyen-Orient et en Asie  centrale, consistant à mettre la main sur plus de 60 % des réserves  mondiale de pétrole et de gaz naturel . [8] En un mot, l’occupation de la Libye servirait les mêmes intérêts privés  que l’occupation de l’Irak en 2003. Cependant, l’Empire étatsunien et  ses provinciis europais, c’est-à-dire l’OTAN, ne se trouvent pas en mesure d’entamer une troisième guerre en Libye, au moment où leurs legiones  trébuchent en Irak et en Afghanistan. La voie la plus courte et la  moins couteuse, menant à l’occupation de la Libye, sans l’engagement en  bataille des troupes de l’Empire, fut pour l’OTAN une sorte d’éclatement  du pouvoir dictatorial de l’intérieur, à l’aide d’une insurrection  militaire, et cela en jouant la carte des contradictions tribales de la  société « bédouine » libyenne.
De surcroit, dès le début de cette « opération humanitaire », comme  il plait à l’OTAN de l’appeler – c’est-à-dire le bombardement intensif  de l’infrastructure du pays, selon les données du terrain – l’OTAN  précisa un objectif sous-jacent de trois points majeurs : 1) prendre  possession des réserves de pétrole de la Libye ; 2) déstabiliser la  CPN ; 3) privatiser l’industrie pétrolière du pays, soit transférer le  contrôle et la propriété de la richesse pétrolière libyenne dans des  mains étrangères . [9]
Sans nul doute possible, le bombardement intensif de la Libye, de son  infrastructure et de ses villes, par l’OTAN constitue un crime de  guerre au regard des normes internationales compte tenu du fait que la  population civile en est la principale victime. Ce drame demeure ignoré  par les médias de l’Empire et de ses provinciis europais. Un silence qui  fait d’eux des complices . [10] Les forces aériennes de l’OTAN effectuèrent depuis le 19 mars plus de 10  000 missions d’attaque, larguant environ 40 000 bombes, détruisant plus  de 5 000 objectifs sans subir aucune perte. Et l’objectif de la guerre  demeure celui d’occuper un pays dont la position géostratégique, à  l’intersection entre Méditerranée, Afrique et Moyen-Orient, est de  première importance . [11]

Le mensonge « humanitaire »

Sur un autre plan, l’ancien agent de MI5, Annie Machon, contredit le  mythe américain sur « l’intervention humanitaire » de l’OTAN. Selon  elle, le bombardement intensif de l’infrastructure par les forces de  l’OTAN réduisit la Libye en un simple terrain de l’Âge de la pierre.  Selon elle, la destruction de la Libye attint un point de non retour.  Machon dit que « même si Kadhafi était un dictateur odieux et une épine  dans le flanc des pays occidentaux depuis trois décennies, mais cela ne  nie pas la réalité que pour la majorité des Libyens leur qualité de vie a  été parfaitement bien ». [12]
Sous la tyrannie de Kadhafi, les Libyens « avaient une éducation  gratuite, des services de santé gratuits, ils pouvaient étudier à  l’étranger. Quand ils se mariaient, ils recevaient une certaine somme  d’argent. Plusieurs pays africains les enviaient. Comme résultat de bombardement intensif de l’infrastructure, les  Libyens sont retournés à l’âge de pierre. Ils n’auront pas la même  qualité de vie. Les femmes ne bénéficieront probablement pas du même  niveau de représentation dans les futurs gouvernements. La richesse  nationale probablement va être pillée par les compagnies occidentales.  Peut-être le niveau de vie en Libye aurait été légèrement supérieur à ce  qu’il est peut-être aujourd’hui en Amérique et au Royaume-Uni sous la  récession », ajouta Annie Machon. [13] Il est évident que les médias de l’Empire n’évoquent pas les  réalisations du Tyran de Tripoli dans les domaines de la construction et  du développement de l’infrastructure de la Libye, entamée et achevée  pendant ses quatre décennies de tyrannie, telles que la nationalisation  des hydrocarbures, la construction de la Man Made River (les plus  importants travaux d’irrigation au monde), la redistribution de la rente  pétrolière (il fit d’une des populations les plus pauvres du monde, la  plus riche d’Afrique) . [14]

Apothéose

Maintenant que les cavaliers du CNT se précipitent dans les  rues de Tripoli et de Benghazi, célébrant la mort du colonel Kadhafi, le  coût de guerre se pèsera lourdement sur l’épaule du peuple libyen. La  Libye tomba déjà à la prise des puissances impérialistes ; d’ores et  déjà leur indépendance ne sera qu’illusoire. Les chiffres des pertes  humaines dépassent les 30 000 morts et 50 000 blessés, le pays est en  ruine . [15]  S’il est vrai que le meurtre du colonel Kadhafi par le CNT mit fin à la  légende du « roi des rois d’Afrique », il n’est pas moins vrai que ce  meurtre donna aussi le coup de grâce à l’indépendance de la Libye. Hic Rhodus, hic salta ! C’est ici qu’est la rose, c’est ici qu’il faut danser ! [16] Telle était l’apothéose de la « révolution » libyenne, ravie et saoule de sa victoire glorieuse sur le tyran de Tripoli ; tel sera le couronnement de la soi-disant « révolution » syrienne, appuyée, comme le CNT, par l’Empire étatsunien et ses provinciis europais.

Le nouveau né

Demain dès l’aube, les cavaliers du CNT se réuniront pour  mettre une nouvelle constitution, entamer des élections –  « démocratiques » sans doute – et choisir un représentant légitime du  peuple libyen. Ainsi, le monde verra naître un nouveau Hamid Karzai, un  nouveau Nouri al-Maliki. Voici, la vierge sera enceinte, et elle enfantera un fils, et on appellera son nom Emmanuel ! [17]] Ce qui, étant traduit, signifie Dieu avec nous !
Fida Dakroub, Ph.D.
[2] Le titre d’un pamphlet politique de Victor Hugo, condamnant le règne de Napoléon III.
[16]  « Voici Rhodes, saute ! » Formule d’une fable d’Ésope. Un athlète  vaniteux assure qu’il a fait un saut extraordinaire alors qu’il se  trouvait à Rhodes, et qu’il peut en produire des témoins. Un de ses  auditeurs réplique que ce n’est pas nécessaire ; il suffit qu’il refasse  le saut là où il est. [17] Le Nouveau Testament, l’Évangile de Matthew, 1 : 23.
Publié sur Le Grand Soir
Fida Dakroub
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