LA MEDERSA DU SIG : CE QUE BEAUCOUP IGNORENT.

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Sig.

                                                                                                   La médersa du Sig

Commençons par rappeler que Sig fut créée au début du II ème siècle sous le nom de « Tasacorra » et attira romains, berbères, Béni Amer ces derniers  surtout pour la fertilité de ses terres. Pour le thème qui nous intéresse, on peut avancer que pendant de longs siècles, elle fut un centre où ses habitants avaient particulièrement à cœur de dispenser le savoir. Cet intérêt tient au fait que cette ville se trouve au cœur d’une multitude de petites bourgades habitées par des Chorfas dont le premier souci était d’avoir des écoles qui dispensaient un enseignement de très haute qualité : que ce soit à Boujebha, en contrebas de Sidi Hamadouche , à quelques kilomètres de Sidi – Bel – Abbès, à El Gaada, à Ech-Chorfa jouxtant le barrage, ainsi qu’aux douars disséminés sur les itinéraires qui vont vers Mascara, Arzew ou Oran.

Les populations qui s’y trouvaient étaient constituées d’entités guerrières mais non moins paisibles. Elles étaient rattachées à Sig pour leurs compléments en besoins alimentaires pendant que la ville y trouvait non seulement des maîtres pour les nombreux lieux d’enseignement dont elle disposait mais même la main d’œuvre nécessaire. Notre rappel concerne principalement le XX ème siècle même si nous jugeons utile de rappeler certains événements qui font partie de l’Histoire et qui peuvent constituer un sérieux indicateur sur les prédispositions de certains éminents personnages de la ville qui était un passage obligé pour les dynasties qui se sont succédé dans notre pays ce qui a exposé plusieurs fois la ville à une disparition totale.

Afin de ne pas perdre certains repères, nous rappelons qu’au début de juillet 1804, les trois-quarts de la population du Sig furent massacrés par Abdelkader Ben Charif qui se chargea de propager la Tariqa derkaouiyya qui venait de naître au Maroc sous le règne de Moulay Slimane. L’illuminé fonça sur Oran et son armée, mise en déroute, tenta de rejoindre Mascara. Arrivée près de Sidi Daoud, elle fut taillée en pièces par les troupes commandées par Aboulkacem Ben Ouannane, ce nom étant le plus répandu dans cette ville.

27 années plus tard, les Français occuperont Oran. La population de Mascara soumettant son acte d’allégeance au Cheïkh Mohieddine, celui-ci le refusa à cause de son âge avancé mais accepta de diriger le combat à une condition : que le Cheïkh Abdelkader Ben Ziane du Sig soit avec lui. Le grand érudit accepta et, au mois de mai 1831 eut la première bataille de Khang En-Nattah (Garguenta). Au cours de la même année eut lieu une deuxième bataille au même endroit.

Pourquoi aborder aujourd’hui la construction de la Médersa du Sig ?

Il y a quelques semaines, parut un très long article – en 30 parties – sur la reprise de l’enseignement post indépendance à Sidi – Bel – Abbès que j’ai intégralement lu et qui m’a inspiré une réponse circonstanciée. Ayant décelé de nombreux indices qui exprimaient ce que le texte n’alignait pas, je me suis ravisé et conclus à la non publication de cette réponse. Dans cet article, il est notamment question de la construction de la Médersa du quartier « El-Graba ». A sa parution, je fus interpellé par de vieilles connaissances qui s’étonnaient de ne pas avoir lu des noms de membres de leurs familles qui furent parmi les bienfaiteurs avérés. Je les dissuadais de dire quoi que ce soit car leur mérite a déjà été acquis. Tout ce qui peut être dit ou écrit sur eux n’ajoutera rien à leur aura. A ce moment, je me suis rappelé de la construction de la Medersa du Sig.

Tout au début du siècle dernier débarqua à Sig pour y enseigner le Cheïkh Mohamed Belguendouz Ben Salem venant de Mostaganem où il fut sollicité par le Cheïkh Bentekkouk. Quand le nouvel arrivant s’aperçut qu’il avait échoué dans une Zaouïa, il attira l’attention du Mokaddem sur certaines pratiques blâmables. Il fut prié de vider les lieux sur le champ.

Des personnes lui conseillèrent d’aller à Sig où l’écrasante majorité de la population était des sunnites malékites irréductibles. Et ainsi, Mohamed Belguendouz qui n’eut comme maître que le plus grand Alem du XX ème siècle et l’avant- gardiste du mouvement El-Islah, le Cheïkh Mouloud Ben Houssine CHOU’AÏBI de Sbih auquel nous avons consacré un article sur Algérie Network qui peut être aisément consulté, se rendit directement à Sig.

L’arrivée de Belguendouz à Sig se répandit très vite à travers l’Oranie. En 1906 débarquèrent chez lui des Fouqaha accomplis pour réviser ce qu’ils avaient acquis chez un grand Alem qui venait de décéder en 1905 à EL-Gaada : Hadj Mohamed Ben Benabdellah dont la petite-fille était ma mère. Ces Fouqaha étaient Habib SOUDANI d’Al-Mabtouh descendant de Sidi Blaha, les Chouyoukh Si Tayeb El M’Haji, Si Tayeb ben Abdelkader, Si Bouchentouf tous d’El Gaada ainsi que d’autres. Ils passèrent une année chez lui et se rendirent, à pied, en 1907, chez l’unique Maître de Belguendouz cité plus haut.

La Zaouïa Tidjania, installée à Sig, se démarqua avec virulence de ces Oulama. Elle eut, parmi ses adeptes, nombre d’Imams dirigeant des Mosquées et rétribués par l’Administration coloniale. Les très nombreux bienfaiteurs du Sig continuèrent sereinement leur activité. En 1918, s’installa à Sig, venant d’El-Gada, le Fqih Mohamed connu par son surnom « Si Meknous »-mon grand-père maternel- qui commença à dispenser des cours de Fiqh en divers lieux.

Devant l’afflux de plus en plus croissant d’élèves, les notables de Sig décidèrent de louer des locaux qui servirent de Synagogue aux Juifs de la ville. Les adeptes de la Tidjania n’utilisèrent que l’expression  « fils de la Synagogue » pour désigner ces Foukaha. Une fois sa famille installée, Si Meknous promulgua une Fetwa qui consacrait l’invalidation de la prière accomplie derrière un Imam rétribué par l’administration coloniale en disant :

صــلاتــهم صحيحة ولــكن غــير جـائزة

Puis, un jour, un homme élégant descendit du train venant d’Alger. Il demanda à rencontrer des personnes de la ville opposées à l’administration. On lui présenta des notabilités.

Quand il leur dit qui il était, ils l’accompagnèrent chez Si Meknous. L’homme était l’Emir Khaled (1875 – 1936) à qui furent recommandés les Sigois qui allaient cotiser assidûment à la cause du petit-fils de l’Émir et notamment à son journal nationaliste « El Ikdam » que l’ex – élève du Lycée Louis le Grand et brillant Saint Cyrien, édita de 1919 à 1923.

Mon oncle Si Mokhtar, âgé de 10 ans en fut marqué. Il me raconta cette anecdote : « Lors d’une visite de l’Emir Khaled, la situation de la ville passant par une période de vaches maigres, mon père informa son hôte qu’il était désolé au nom de tous les nationalistes de ne lui avoir rien préparé  mais il avait une idée pour lui permettre de ne pas le laisser  retourner bredouille à Alger. Il emmena l’Emir avec lui chez le Caïd de la ville et, sans préalable, le mit au courant de ce qu’il voulait. Pour se débarrasser de la peste et du choléra, Le Caïd qui avait peur de déplaire à ses maîtres, mit généreusement la main à la poche et l’Emir reprit le train, incrédule. » Restons avec notre Medersa.

Le nombre d’élèves croissant sans cesse, les responsables se réunirent et décidèrent de faire venir un vrai maître pour leur école. A cette époque travaillait à Sig un interprète indigène originaire de Médéa qui s’appelait Mohamed DAKHLI- et que j’ai connu durant les deux dernières année de sa vie (1974/1975) – fut chargé par les membres de la forte communauté scientifique du Sig où figuraient, entre autres, Abdelkader Ben Ziane futur membre co-fondateur de l’Association des Oulama (et arrière-arrière petit-fils dont l’ aïeul prit part aux deux batailles de Khang En-Nattah) , Kadi El Mahi, Hadj Djilali, Kaddour Benhouna, Belhabri Saïd, Si Meknous, son fils etc. de leur ramener un responsable pour diriger la Médersa de la ville.

   Et c’est ainsi qu’y débarqua, en 1929 et pour trois ans, le Cheïkh Larbi Tbessi qui fut très lié à Si Meknous.
             A son retour à Tébessa, avec une épouse sigoise, c’est lui qui se chargera de faire venir son remplaçant : Ferhat Ben Derradji, venu d’Alger pour passer sept années à Sig et qui décèdera en 1951 à Blida. Il sera suivi par le Cheïkh Mohamed Tahar El Djidjelli ( photo de droite) qui laissera un souvenir impérissable à Sig. Puis ce fut le tour du Cheïkh Chentir qui ne restera qu’une année.

Quand les habitants du Sig se sentirent prêts, ils contactèrent Si Mokhtar pour lui demander de superviser la construction de la nouvelle Médersa et de la gérer une fois finie. Il mit une condition : il acceptait ce qui lui était demandé à condition qu’il fût autorisé à la réaliser plus imposante que tous les établissements français. C’est ce qui fut fait.

 

                                                                                                           

Fqih Si Meknous                                                                                                                                                  Si Mokhtar

Alors que la construction de la Médersa avançait à un rythme soutenu, Si Mokhtar se trouvant à Oran et descendant la rue d’Arzew fut attiré par un attroupement. Seul arabe en tenue traditionnelle au milieu d’une cohorte de Pieds-Noirs, il assista à une démonstration sur l’utilisation des plaques de plâtre qui venaient de faire leurs premiers pas dans la construction. Deux associés s’exerçaient à convaincre l’assistance. A la fin, l’un d’eux demanda s’il y avait des intéressés. Un silence s’en suivit et fut rompu par Si Mokhtar qui, tout en tendant sa carte de visite aux démonstrateurs leur demanda s’ils pouvaient se déplacer à Sig pour la confection d’un devis. Ils lui demandèrent s’il avait une idée sur la surface. Il leur répondit : 1600 m2 !

Il les emmena dans sa voiture Hotchkiss avec volant à droite que conduisait son fidèle chauffeur Tami au légendaire cigare. Chemin faisant, il prit connaissance du contrat. Le devis fut établi : 1600 m2 et les négociations du prix des travaux aboutirent à la somme de 1 500.000 Francs. Séance tenante, il leur remit trois traites de 500.000 francs chacune payables, la première après six mois de la réception du travail et les deux dernières à 90 jours d’intervalle. Et ainsi fut construit le plus bel édifice culturel de la ville.

Mon père enseigna le Coran à Sig pour être Imam de la Mosquée d’El Graba à Sidi-Bel-Abbès durant de nombreuses années. Et ce qui ne devait pas arriver arriva : l’Administration coloniale ferma, en 1956, toutes les Médersas appartenant à L’association des Oulama Algériens.

Quelques jours après ce coup du sort, Si Mokhtar se rendant à sa confiserie d’olives y trouve les deux associés qui avaient accompli un excellent travail accompagnés par une personne qu’il n’avait jamais vue. Il touche la main aux deux associés et en touchant celle de la troisième personne, il lui dit : « Je suppose que vous êtes l’avocat de ces messieurs ? Vous leur avez sûrement expliqué que la médersa, spoliée par l’Administration, le contrat qui nous lie est caduc puisque selon la loi c’est à l’administration d’indemniser les créanciers entre autres vos clients. Cependant vous ignorez un aspect qui ne représente peut être rien pour vous : le contrat n’est qu’une feuille de papier pour un Musulman. Seule la parole est sacrée. Le plus grand nombre de mes partenaires européens se contentent de ma parole. »

Sur ce il leur demande les trois traites signées pour le compte de la Médersa qu’ils lui remirent. Il les déchire et les jette dans la corbeille à papiers. Il tira un carnet de traites à son nom et leur remit, sur ses propres fonds, trois de 500.000 francs chacune, la première payable immédiatement et les deux autres à 90 jours d’intervalle !

Il faut rappeler que de nombreux Sigois prirent en charge totale les meilleurs élèves de la ville pour poursuivre leurs études à l’Etranger. Passeports, trousseaux, frais de voyage et pécules de subsistance : et c’est ainsi que des jeunes Sigois se retrouvèrent au Maroc, en Tunisie, en Egypte, en Irak et en France. Parmi ceux que Si Mokhtar prit en charge, figure le regretté Abdelkader Benkaci qui occupa un poste important à la Présidence sous Chadli. Il finira assassiné à Paris par le Mossad.

Quant à Si Meknous, il rendit l’âme à Sig le 26 Cha’bane 1368/ 23 juin 1949 et fut enterré à El Gaada.

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