L’Algérie face au terrorisme islamiste : Une histoire tragique
Comme nous l’avons dit dans de précédents articles, les groupes terroristes de la région ne constituent pas une menace politique, mais sécuritaire à l’Algérie. Toutefois, la reprise de la violence, sous une forme ou une autre, est toujours possible tant que les causes à partir desquelles a surgi n’ont pas été profondément abordées. Il ne faut pas sous-estimer l’islamisation rampante de la société algérienne. Aujourd’hui, l’islamisme radical est en train de récupérer idéologiquement des terrains qu’il avait perdus militairement. Une telle tendance pourrait s’avérer, si des mesures fermes ne sont pas prises à temps, néfaste pour l’avenir démocratique de l’Algérie. La première tâche la plus urgente consiste à sortir de cette ambigüité ; comment caractériser les années 1990 ; est-ce une simple décennie noire ? Une tragédie ? Une guerre civile ? Etc. Face à la diversité des lectures qui relèvent davantage de la spéculation, il semble urgent (comme première étape) de lancer un programme de recherche impliquant une équipe pluridisciplinaire chargée d’établir une ou des études sur cette période noire de notre histoire susceptibles de devenir des références clés. Comme vous le devenez, la volonté politique est essentielle pour la réussite d’une telle entreprise. Car il s’agit aussi d’aborder l’avenir du pays et la période actuelle. L’article se veut théorique mettant l’accent sur la non-déradicalisation de la mouvance islamiste algérienne et menace que représente cette idéologie, et insiste sur le choix individuel lorsqu’une personne s’engage dans le terrorisme.
L’idéologie islamiste :
Cette modeste contribution se veut comme un signal d’alarme attirant l’attention sur cette insoutenable légèreté d’appréhender le péril islamiste qui est en train de reconquérir idéologiquement des terrains qu’il a perdus militairement. Pas seulement l’État qui est démissionnaire, mais aussi l’élite intellectuelle. Face à l’idéologie islamiste, les forces libérales se battent en retraite souvent mises dos au mur par ces forces des ténèbres comme Hamadache et Madani Mezrag. Alors que ce devrait être l’inverse. Pas d’initiatives offensives systématiques visant à délégitimer cette idéologie à l’mage de l’esclavage. Gagner la bataille des idées signifie ramener cette idéologie obscurantiste à ce que l’esclavage est aujourd’hui ; abject, infâme. Souvent sont les Hamadache et les Mezrag qui définissent l’ordre de jour et les forces progressistes et modernités ne font que réagir au lieu d’agir. Gagner la bataille des idées c’est ne leur laisser aucun répit, toujours les mettre dos au mur et les pousser à se battre en retraite jusqu’à l’épuisement.
L’islamisme sous toutes ses manifestations constitue une menace de nature à semer le chaos et l’anarchie qui sont essentiels à sa conversion en force politique et militaire. L’islamisme est en mesure de saper les fondements de la société un peu comme les termites pourraient nuire à une maison en bois par l’imposition de la fracture sociale : priver la société de la capacité à communiquer, observer et interagir (une version macro de la privation sensorielle utilisée sur les individus) afin de créer un « sentiment d’impuissance ». Comme l’illustre le prototype de DAECH, l’islamisme pourrait créer une illusion de la force et la cruauté infinie ; toujours infliger des représailles brutales contre ceux qui résistent. Il vise à détruire la volonté de résister avant, pendant et après la bataille si celle-ci s’avère une étape nécessaire pour imposer leur vision idéologique. L’islamisme sème le chaos et en même temps il en a besoin de s’étendre. Les partis et organisations islamistes ne défendent pas un programme, mais une idéologie. Par idéologie, nous voulons dire simplification excessive de la réalité sociale et surtout accès pouvoir. L’idéologie a nombreuses fonctions.
En effet, seule l’idéologie est susceptible de rationaliser le programme des partis islamistes, car « l’idéologie a toujours été conçue par opposition à un certain ordre de vérités ou connaissances à partir duquel il serait possible de discerner son caractère trompeur et faux ». En effet, « des normes, des modes de pensée et des théories vétustes et inapplicables sont appelés à dégénérer en idéologies dont la fonction est de dissimuler la fonction réelle de la conduite plutôt que de la dévoiler ». Chaque idéologie s’articule autour de certains concepts et revendications qui la distinguent d’autres idéologies et la dotent d’une structure ou morphologie spécifique. Ces idéologies sont si bien intégrées dans le tissu de la société de manière à être presque invisibles. Selon le théoricien politique Michael, « au centre de toute analyse des idéologies est la proposition qu’elles sont caractérisées par une morphologie qui affiche des concepts de base, adjacents et périphériques ». Ce qui rend une idéologie politique, c’est que ses concepts et revendications sélectionnent, privilégient ou rétrécirent les significations sociales liées à l’exercice du pouvoir dans la société.
Les faits politiques ne parlent pas d’eux-mêmes. Grâce à nos diverses idéologies, nous fournissons des interprétations divergentes de ce que les faits peuvent signifier. Toute interprétation, chaque idéologie, en est un exemple d’imposer un modèle de la façon dont nous interprétons (ou mal interprétons) les faits, les événements, circonstances et actions politiques. La façon de voir les choses et comprendre la réalité sociale n’est pas un acte entièrement indépendant, mais lié aux représentations médiatisées par les structures de (re) production de sens au fil de temps à travers la société. Il ne faut pas perdre de vue la fonction inévitablement politique de l’idéologie. Elle ne s’agit pas seulement d’une recette indiquant comment mettre un système de pensée ensemble correctement. Au contraire, il s’agit d’un agenda des choses à discuter, des questions à poser, des hypothèses à faire. L’idéologie est inextricablement liée aux nombreuses façons dont le pouvoir est exercé, justifié et modifié dans une société. L’idéologie constitue le ciment qui lie la théorie et la pratique en orientant et organisant l’action politique conformément aux règles générales, codes culturels de conduite. Paul Ricoeur intègre les éléments et les fonctions de l’idéologie dans un cadre conceptuel global en constatant que « l’expérience montre qu’aucune domination ne se contente de fonder, de bon gré, sa pérennité sur des motifs strictement matériels ou strictement affectifs ou relevant strictement des idéaux. En plus, toutes les dominations cherchent à éveiller et à entretenir la croyance en leur légitimité ».
Il caractérise le premier niveau fonctionnel de l’idéologie comme une distorsion ; c’est-à-dire la production d’images déformées et floues de la réalité sociale. Plus important, le processus de distorsion cache le contraste entre les choses telles elles sont envisagées dans la théorie et les choses telles elles se jouent sur le plan de la réalité matérielle. En effet, toutes les idéologies dressent un tableau du monde basé sur un mélange particulier qui, à la fois, représente et déforme les processus sociaux. La distorsion représente le niveau de la surface d’un phénomène qui contient deux autres fonctions à des niveaux progressivement plus profonds. Il identifie la légitimation comme le second niveau fonctionnel de l’idéologie. Deux principaux facteurs sont impliqués ; la prétention à la légitimité faite par l’autorité dirigeante et la croyance en la légitimité de l’autorité accordée par ses sujets. Il souligne la fonction de médiation de l’idéologie dans le décalage entre la croyance et la revendication. Étant il y a toujours un certain décalage entre la revendication d’une autorité et la croyance populaire en sa légitimité ; c’est l’une des fonctions de l’idéologie de fournir aux populations une justification supplémentaire dans le but de réduire ce manque de crédibilité. Son cadre se complète par sa description de l’ « intégration », le troisième niveau de l’idéologie. En mettant l’accent sur la structure symbolique de l’action sociale, soutient-il ; au niveau le plus profond, l’idéologie se fonde sur les riches ressources symboliques qui jouent un rôle de médiation ou d’intégration. De cette façon, l’idéologie fournit à la société la stabilité qu’elle crée, préserve et protège l’identité sociale des personnes et des groupes.
Nature fractionnée et non déradicalisation de la mouvance islamiste algérienne :
Si la population, qui a approuvé un plan de paix dans un référendum en septembre 2005, semble vouloir oublier le passé, il reste toujours la lourde tâche de forger une cessation de la violence politique qui est, au moins en partie, un héritage d’une guerre civile fractionnée. Car, contrairement à beaucoup de révolutions ou rébellions où les forces de l’opposition sont coordonnées sous un commandement centralisé capable de négocier un cessez-le-feu, la mouvance terroriste islamiste algérienne n’a jamais été un mouvement cohérent, unifié. Au lieu de cela, elle a été caractérisée par une affiliation nébuleuse et lâche de groupes autonomes, chacun avec sa propre direction, stratégie, tactique et dogme religieux.
Ces groupes terroristes avaient de profondes divergences sur les interprétations de la doctrine islamique concernant la finalité de la lutte et la licéité de leurs actions religieuses et tactiques de guerre. Ce qui explique que des poches de résistantes sont toujours actives et posent de sérieux problèmes de sécurité. Bref, les tendances centrifuges dans la guerre civile continuent à induire de faibles niveaux de violence islamiste qui peuvent prolonger la durée de l’agonie de l’Algérie pendant un certain temps à venir. La nature en effet contradictoire et divergente traversant l’insurrection islamiste crée de fortes pressions centrifuges vers un conflit fratricide qui divise en factions le mouvement en groupes disparates. Les fissures idéologiques entre les islamistes ont engendré un mouvement de pression pour des mouvements armés polycéphales avec des éléments autonomes et souvent contradictoires, ce qui rend la tâche de rétablissement de la paix maigre. Tout au long de la décennie noire, les groupes islamistes se sont multipliés ainsi que les désaccords entre le mouvement. Malgré le cessez-le-feu de l’AIS (Armée islamique de Salut) et la reddition d’un certain nombre d’islamistes, des schismes au sein du mouvement restent et un certain nombre de groupes armés continuent à opérer.
Bien que le risque associé au terrorisme international soit devenu de plus en plus apparent, la modalité de protection contre ce risque est tout sauf évidente. Cette situation se manifeste dans une incertitude opérationnelle considérable, surtout pour les forces armées. La lutte contre le terrorisme est considérée comme l’une des nombreuses missions militaires potentielles qui sont tombées dans la catégorie des « conflits de faible intensité ». Les opérations en-cours de l’armée algérienne ont la marque d’un nouveau type de conflit que les experts militaires ont redouté pendant des années. La nation fait face à une guerre asymétrique. Historiquement, les grandes puissances ont perdu environ 30% des guerres qu’elles ont menées contre les petits États. Une tendance qui va se renforcer semble-t-il. Dans les guerres asymétriques qui ont éclaté entre 1800 et 1849, le côté le plus faible (en termes d’armements et troupes) a atteint ses objectifs stratégiques dans seulement 12% des cas. Mais dans les guerres de ce type entre 1950 et 1998, le côté faible a prévalu dans 55% de temps. Avec l’instabilité et DAECH à nos frontières notamment en Libye, les ennemis d’aujourd’hui sont dynamiques, imprévisibles, divers, fluides, réseautés, et en constance évolution.
L’âge de l’ennemi sans visage a bouleversé « l’art de guerre » et, dans ce type de conflit, la réalisation de la victoire stratégique est susceptible d’être de plus en plus difficile à atteindre. Ce qui nécessite de profonds changements dans l’armée (en termes d’organisation, formation, capacités, structures et compétences culturelles) sinon la nation peut gagner la guerre, mais sûrement « perdre la paix ». Avec l’expansion de DAECH à nos frontières, ce sera un nouveau type de guerre contre un nouveau type d’ennemi. Au lieu d’un front stable, l’armée algérienne sera amenée à se battre sur des champs de bataille en évolution constante qui pourraient être à l’extérieur des frontières nationales -même à l’intérieur de nos villes. Au lieu d’armées qui s’affrontent, l’accent sera mis des frappes chirurgicales sur de minuscules cellules terroristes, centres de formation et laboratoires d’armes présumées. Le succès ne se mesurera pas principalement en nombre de corps et terrains gagnés, mais aussi dans les réseaux pénétrés, communications interceptées, virements bancaires bloqués, et armement secrets découverts et arrêtés. Il y aura une guerre dans laquelle intelligence et surveillance, diplomatie multilatérale, et vigilance accrue sur le front intérieur auront autant d’importance que les prouesses militaires.
Cette situation, couplée à la mondialisation du terrorisme et l’instabilité du voisinage, met l’Algérie à la croisée de chemins précaires à partir desquels elle peut progresser dans le monde moderne ou régresser vers et dans le chaos incontrôlable surtout avec l’abondance des armes. Au cours des dernières années, le terrorisme en Algérie est réapparu dans le cadre d’un mouvement mondialisé lié à la circulation internationale des djihadistes et la montée d’Al-Qaïda/DAECH. Mais pas seulement. Car il est aussi question de savoir ce qui se va passer lorsque les populations estiment que le système est très fermé pour elles. Certains petits nombres peuvent se révéler être la prochaine vague de recrues pour quelle que soit la nouvelle organisation. Le succès du FIS (Front islamique de Salut) avait moins à voir avec le désir des Algériens d’une théocratie islamiste et plus avec leur désenchantement face à la corruption des dirigeants politiques provoquant ainsi la colère des dépossédés.
Une telle instrumentalisation est toujours probable d’autant plus que le problème n’est pas encore été réglé sur le plan politique comme le montre les différentes interventions publiques d’anciens membres du FIS qui sont de plus en plus offensifs et insatisfaits. Et plus important, il est difficile de savoir combien parmi la population algérienne soutient le parti dissout ou plus exactement l’idéologie moyenâgeuse que le FIS (et d’autres partis ou organisations) défend. Les sondages qui pourraient révéler sa popularité n’ont pas été développés en Algérie. Pourtant, le pays ne peut maintenir éternellement le segment volatile de sa population à l’écart du processus politique. La prudence est de mise, car il reste un réservoir islamiste au cœur de la société algérienne qui pourrait être réactivé surtout que les terroristes islamistes algériens ne se sont pas dé-radicalisés. Pour précision, bien que les termes désengagement et dé-radicalisation sont souvent utilisés indifféremment, ils se référent à deux processus sociaux et psychologiques assez différents. Désengagement se réfère à un changement de comportement tel que quitter un groupe ou une évolution du rôle en son sein. Il ne nécessite pas un changement de valeurs ou d’idéaux, mais il faut renoncer à atteindre l’objectif par la violence.
La dé-radicalisation, en revanche, implique un changement cognitif, un changement fondamental dans la compréhension. Il est souvent déclenché par une expérience traumatisante qui ‘remet en question la cohérence de la vision du monde de l’individu. Les résultats de programmes mis en œuvre dans certains pays (y compris l’Algérie) sont intéressants. Il y a trois dimensions à ces programmes de dé-radicalisation : 1) Comportementale ; exiger l’abandon de la violence, 2) Idéologique ; délégitimer le recours à la violence ; 3) Organigramme ; changements structurels au sein des dirigeants d’une organisation. La dé-radicalisation des groupes extrémistes ne se produit pas toujours dans ces trois domaines.
Si certains groupes ont été de-radicalisé en changeant leurs idéologies et comportement, ce n’est pas le cas de l’AIS et un grand nombre des repentis. Ceux-ci un connu un processus de désengagement pour des raisons pragmatiques et n’ont pas changé leur point de vue idéologique sur l’utilisation de la violence. En somme, la réussite de tout processus de dé-radicalisation dépend en grande partie des trois facteurs: La dynamique entre le spirituel et le leadership organisationnel au sein d’un groupe ; l’interaction du groupe avec la société ; les circonstances politiques intérieures du pays dans lequel le groupe opère. L’expérience montre que l’augmentation de la répression étatique conduit les groupes à plus de radicalisation.
Facteurs de risque ou causes profondes du terrorisme :
Connaitre son ennemi ! Que veulent les terroristes? Aucune question n’est plus fondamentale pour l’élaboration d’une stratégie antiterroriste efficace. La première étape dans un compte de lutte contre le terrorisme est de comprendre ses praticiens. La question des motivations est fondamentale pour la réussite de stratégie antiterroriste. Les terroristes ont des motivations et il y a une logique stratégique à leurs actions, et l’examen de ces choses peut révéler des stratégies qui pourront faire échouer et dissiper leurs efforts. Il est difficile de trouver des explications générales et de trouver une formule permettant de prédire pourquoi (et qui sont) les gens se radicalisent. Bien sûr, il est possible d’identifier un certain nombre de groupes radicaux islamistes et parfois violents, mais leur émergence, leurs membres et le modus operandi ne sont pas conformes à un modèle particulier. L’environnement est important, mais n’est pas le seul et la radicalisation des islamistes est un phénomène très complexe.
À propos de la radicalisation violente, un membre d’un groupe peut devenir violents alors que d’autres ne le deviennent pas, ce qui rend l’individu (plutôt que le groupe) l’acteur (au lieu de dire victime) d’un tel processus. Sont nombreux en effet qui préférant parler de « facteurs de risque » au lieu de « causes profondes » de terrorisme. Au lieu de cela, est énuméré un certain nombre de conditions préalables. Il est nécessaire d’établir des distinctions conceptuelles entre les différents types de facteurs. D’abord, il existe une différence significative entre les conditions préalables, facteurs qui ouvrent la voie au terrorisme sur le long terme, et les facteurs précipitant, les événements spécifiques qui précèdent immédiatement l’apparition du terrorisme. Ensuite, une autre classification divise les conditions préalables en facteurs permettant ou permissifs, qui offrent des possibilités pour le terrorisme de se produire, et les situations qui, directement, inspirent et motivent les campagnes terroristes. Les facteurs précipitant sont semblables à des causes directes du terrorisme.
Donc « parce que la participation à la guerre sainte sous sa forme locale ou globale est une décision individuelle », il convient de mettre en garde contre la dépendance excessive des conditions externes comme des causes du terrorisme. Car mettre l’accent sur les influences extérieures sur le comportement de l’individu prive la personne du libre arbitre et, plus précisément, du pouvoir de choisir de s’engager dans le terrorisme. De nombreuses personnes peuvent choisir le terrorisme parce qu’ils le perçoivent comme un moyen d’étendre leur influence et pouvoir par exemple. Les facteurs tels les influences psychologiques, la parenté, le système de croyances, les griefs (vengeance, perception de l’injustice) contribuent aux motivations d’une personne à s’engager dans le terrorisme. Le terrorisme en soi n’est généralement pas un reflet du mécontentement de masse ou des profonds clivages dans la société. Plus souvent, il représente la désaffection d’un fragment de la société qui peut prendre (se considère ainsi) sur lui la responsabilité d’agir au nom de la majorité qui (selon ce fragment) peu disposée à prendre son destin en main.
Afin de favoriser la compréhension des processus psychologiques menant au terrorisme, Fathali Moghaddam conçoit l’acte terroriste comme la dernière étape sur un escalier se rétrécissant ; si la grande majorité des gens (même quand ils se sentent privés et injustement traités) restent au rez-de-chaussée, certaines personnes montent et sont finalement recrutées dans des organisations terroristes. Ces personnes pensent qu’ils n’ont pas la voix au chapitre dans la société, et sont encouragées par les leaders à déplacer l’agression sur d’autres groupes et à se socialiser au sein de l’organisation terroriste comme membres de groupes légitimes et ceux en dehors du groupe est le mal. La stratégie de lutte contre le terrorisme met largement l’accent sur la manifestation du terrorisme dans sa forme tactique, sans s’attaquer aux facteurs de risque ; elle se concentre sur les personnes qui sont déjà en haut de l’escalier n’apporte que des gains à court terme. La meilleure politique à long terme contre le terrorisme est la prévention, rendue possible en nourrissant la démocratie contextualisée au rez-de-chaussée.
Il existe différents facteurs de risque qui contribuent au terrorisme y compris une réponse aux crises économiques ou la dislocation sociale, une réaction à l’autoritarisme, la honte nationale en raison des défaites militaires, les crises de l’identité nationale, les quêtes de l’authenticité nationale, le désir d’une autorité légitime, et la désillusion avec les échecs des gouvernements d’inspiration pour faire face aux problèmes de leurs sociétés. Mais au final, le terrorisme, comme l’explique James Forest, est fondamentalement le « produit de choix éclairés résultant d’interactions dynamiques entre les individus, les organisations et les conditions environnementales, influencées par des considérations temporelles et spatiales et par quiconque et n’importe quel qui nous aide à interpréter le monde qui nous entoure ». Dire que l’individu est au cœur du processus de radicalisation c’est d’éviter l’externalisation et le transfert des responsabilités. Forest suggère deux cadres d’analyse :
1) Le premier suggère la prise en compte que trois niveaux ; 1) caractéristiques individuelles et organisationnelles ; 2) conditions environnementales qui produisent des griefs entre les membres d’une population et ; 3) conditions environnementales qui offrent des opportunités aux individus et organisations de soutenir des activités violentes. De cette façon, l’accent est mis sur le besoin de traiter les contextes (notamment les griefs qui aident qu’une idéologie violente trouve un écho parmi les membres d’une communauté particulière, et les conditions environnementales qui favorisent les possibilités de procéder à la violence y compris le trafic d’armes, des frontières poreuses, etc.) tout en continuant à cibler les membres et les capacités d’une organisation terroriste à travers un effort coordonné.
2) Le deuxième décrit l’engagement (ou désengagement) d’un individu dans des activités terroristes comme un processus. Une façon d’examiner les interactions complexes entre individus, organisations et environnements, perceptions et convictions générées par ces interactions ainsi que par d’autres personnes influentes (famille, chefs religieux et éducatifs, etc.). Ce « cadre d’interactions dynamiques » suggère que la compréhension des processus d’action et réaction entre individus et organisations dans un environnement particulier est une première étape nécessaire pour identifier la situation, les stratégies de lutte contre le terrorisme contextuellement pertinentes.
Comprend les éléments tels que | ||
Caractéristiques
Individuelles |
Les motivations personnelles de l’action, y compris les influences psychologiques, de parenté, système de croyances, les griefs (comme la vengeance, la perception de l’injustice), etc. | |
Caractéristiques
organisationnelles |
Leadership, la composition, l’histoire, l’idéologie articulant les griefs en apparence légitimes, ainsi que des stratégies pour les atténuer, etc. | |
Conditions
précipitant |
raisons structurelles pour lesquelles une idéologie résonne; les conditions socio-économiques, politiques et autres conditions qui engendrent (ou donner une légitimité à) ces griefs | |
Déclencheurs de
l’environnement |
Des actions, des politiques et des événements spécifiques qui renforcent la perception du besoin de l’action (très dynamique et moment-approprié) au sein d’un environnement particulier | |
Opportunités de
l’action |
Les facilités comme l’accès aux armes ; liberté de circulation ; le financement ; refuge ou parrainage par un Etat ; gouvernements faibles, la porosité des frontières, etc. | |
L’environnement
global |
économies interdépendantes, les conflits interétatiques, diaspora, les réseaux criminels transnationaux, Internet, etc qui influent sur les conditions et possibilités locales. |
James F. Forest, « Terrorism as a Product of Choices and Perceptions », In Benjamin H. Friedman & Jim Harper & Christopher A. Preble (dir.), Terrorizing Ourselves, Cato Institute, Washington, D.C., 2010
La combinaison des deux cadres aide à (et met en évidence la nécessité de) comprendre les mécanismes et outils (y compris les idéologies, mythes, les symboles, les réseaux sociaux et de l’Internet) qui encadrent les relations entre l’individu, l’organisation et environnement. Tout est lié sinon recyclé dans une interaction à trois niveaux. L’idée est d’explorer le phénomène du terrorisme par une sorte de « lentille bifocale » ; l’une centrée sur les caractéristiques et les conditions, l’autre portait sur les perceptions et les interactions dynamiques. L’Algérie en gagnera beaucoup d’une telle approche qui pourrait fournir un cadre global pour faire face à la situation actuelle susceptible de donner lieu à un nouveau concept autour de ce que le stratège et théoricien de la contre-insurrection David Kilcullen appelle la stratégie de « désagrégation ». Cherchant à démanteler, ou briser, les liens dans le jihad mondial, la désagrégation est susceptible de fournir une « conception stratégique unificatrice ». « Une stratégie de désagrégation signifie des choses différentes à des moments différents ou dans des théâtres différents, mais fournit une conception stratégique unificatrice pour une confrontation prolongée », dit-il. « Néanmoins, plusieurs idées pratiques découlent de cette conception stratégique ». Mais la volonté politique serait-elle au RDV ?
Hamel Tewfik