HALTE A L’INFAMIE !
Par Mohamed Senni
«Quelqu’un, parmi vous aimerait-il manger la chair de son frère mort ? Vous l’abhorreriez. Craignez Allah. » Coran, (Sourate El Houjourate -Verset 12)
Paru dans le Quotidien d’Oran du 1er juin, sous la plume de M. Boukherissa Kheïreddine, Président de la Fondation du 8 mai 45, aujourd’hui disparu, cet article surréaliste, inqualifiable et indigne pour celui qui porte un titre qui le place à la plus haute charge d’une Institution nationale, c’est-à-dire un responsable qui doit être non seulement porteur mais défenseur des valeurs actuellement admises par l’Algérie officielle et en plus respectueux des pensées des autres, ne serait – ce que durant la période de ses exercices officiels, recèle un mélange d’ignorance criarde, d’innommables sous-entendus où nous percevons une manipulation qui dissimule mal les marionnettistes qui l’orchestrent. Nous vivons des temps bizarres où nous assistons à une remise en cause de l’un des plus grands symboles de notre pays et ce à travers des conférences et des écrits pervers, destinés tantôt à ceux qui, outre Méditerranée, imposent à ceux qui les regrettent ici, une vision d’eux-mêmes voulue par eux, tantôt écrits par ceux qui assimilent mal le passé qui leur a été légué par leur ascendance et dont ils ne sont, pourtant, nullement responsables.
Nous venons de parler de « grand symbole » pour la simple raison que s’il n’y a pas eu l’épopée de l’Émir, il n’y aurait pas eu d’Algérie du moins dans sa configuration actuelle. Une rigoureuse et impartiale lecture de l’Histoire, sans fards, corroborerait cela. Nous sommes tous dépositaires de ce qui s’est passé dans notre pays quelles qu’en soient les périodes concernées et aussi loin que la mémoire peut remonter. Si des choses négatives ont été accomplies et il y en a eu beaucoup, la sagesse commande de les positiver pour échapper aux dangereux clivages que les sempiternels ressassements risquent de créer faute de quoi, parce qu’embarqués dans la même galère, nous avons de fortes chances de couler tous ensemble. Aussi, ne faut-il pas cracher sur ceux qui ont fait plus que leur devoir, dans des conditions extrêmement difficiles et, dans le cas de l’Émir, face à un double ennemi : la France et la nuée de traîtres issus de tribus félonnes, exigeant de lui une énergie fantastique pour s’acquitter, d’abord devant Dieu (et c’est ce qui l’intéressait avant toute autre chose), ensuite envers ceux qui l’ont acculé à diriger le combat qu’il a mené sans relâche jusqu’à l’extrême limite et pour lequel il n’était pas préparé si ce n’est par ce vœu auquel tout Musulman aspire : mourir en martyr. Le faire pour l’Émir implique que tous ceux qui l’ont investi de sa mission, ceux qui l’ont suivi et les millions de personnes qui croient à son œuvre, sont tous visés par les propos de l’article en dépit de la liberté d’appréciation et de jugement – fût-il mauvais – qu’on doit leur concéder et que seule une intolérance peut leur contester. Avant d’y revenir rappelons que « juger » des événements et des comportements qui se sont déroulés il y a presque deux siècles avec les critères d’aujourd’hui, critères qu’il faut, au préalable, méticuleusement examiner de près pour en apprécier la recevabilité – et qui n’apparaissent pas dans le cas présent – fausserait l’Histoire déjà bien mise à mal. Comme nous l’enseigne notre culture « le vivant peut vaincre mille morts ». Le lecteur jugera dans quelle catégorie il classera celui qui s’adonne à cet exercice.
- Examen de l’article.
S’il est nécessaire d’apporter certains éclairages historiques pour permettre aux lecteurs d’avoir une approche que l’importance de l’Émir ne permet pas de rendre aisément, et que nous allons simplement tenter d’effleurer, la réponse que nous donnerons spécialement à l’auteur de l’article résidera dans la genèse du verset ci-dessus cité. Elle est réservée pour la fin.
L’impression qui se dégage de la lecture de l’article est toute simple :l’Émir est vilipendé – et, avec lui, sans aucune démonstration, l’Émir Khaled ainsi que Ferhat Abbas, par l’auteur qui voulait un « scoop »; l’Émir est responsable de ne pas avoir trouvé un Etat algérien ; le seul vrai nationalisme est né le 8 mai 1945 et la spiritualité de l’Émir que l’auteur feint d’en reconnaître l’étendue, par calcul, n’est qu’un plagiat puisé dans notre longue tradition musulmane. L’auteur n’a réussi, tout au plus, qu’à allumer un fétu de paille et, autant en a emporté le vent. Il omet volontairement de citer l’origine de certaines sources – leur identification s’entend – prenant pour argent comptant ce que peuvent raconter ceux qui sont sur l’autre rive de la Méditerranée ainsi que des pseudo historiens pratiquement inconnus dans leur pays et figurant au nombre de ceux qui écrivent ce que d’autres, sous d’autres cieux, souhaitent lire sur nous. Beaucoup de nos compatriotes qui s’affichent en « patriotes »-modèles ne peuvent s’empêcher de ne se satisfaire de la lecture de leur histoire que lorsqu’elle vient d’ailleurs. Elle les arrange et leur permet de faire durer le « rêve » qui a pourtant définitivement et irrémédiablement cessé le 3 juillet 1962. En cessant, en ce jour mémorable, ce rêve s’est transformé en cauchemar pour eux. Aussi sont – ils prêts à tous les reniements, à toutes les vilenies et ne reculent devant rien pour arriver à leurs desseins surtout quand leur fragilité intellectuelle ne leur suffit pas pour résister, quand ils le veulent bien, à la poussée de ceux qui sont derrière eux ce à quoi ils aiment se plier. L’auteur pense même avoir réussi la prouesse d’expliquer, a contrario, la colonisation de notre pays par des événements historiques survenus a posteriori – c’est une première ! – oubliant singulièrement que l’Algérie en a connu bien d’autres :
celles des Phéniciens du XII ème siècle avant J.C. jusqu’à la chute de Carthage en 146 après J.C,
celle des Romains qui la rasèrent à la même date, Massinissa refusant de la secourir,
celle des Vandales menée par Genséric qui, parti en 429, de Julia Traducta (le même lieu de la province de Cadix qui verra, un peu moins de 220 ans plus tard, l’arrivée en Andalousie du premier Musulman, Tarif Ibn Malik), prit Carthage le 19 octobre 439 après dix années de terribles résistances de la part des Romains, des Donatistes et surtout des Autochtones.
Il y eut ensuite celle des Byzantins secondés par les Huns qui, partis de Constantinople le 22 juin 533, poussèrent jusqu’ à l’actuel Maroc et il faudra attendre l’avènement de l’Islam pour y mettre fin.
Il y eut enfin celle des Ottomans qui, après avoir occupé le pays plus de trois siècles, abandonnèrent lâchement leurs coreligionnaires aux Français et sont de ce fait, les seuls vrais responsables, à notre sens, de la colonisation française.
Suivirent également les Espagnols qui occupèrent des territoires restreints, avec domination plus étendue assurée par des tribus mercenaires locales qui serviront tous les maîtres de l’heure et que certains historiens qui s’en réclament s’entêtent à les présenter comme étant le nombril de ce pays. Ainsi, pendant plus de vingt siècles, les territoires formant l’actuelle Algérie et au-delà, passèrent d’un colonisateur à un autre.
Soulignons que la présence phénicienne, à travers des comptoirs commerciaux, n’avait pas apporté le lot d’atrocités et d’injustice comme le firent toutes les autres et c’est leur présence, 18 siècles avant l’avènement de l’Islam, qui mit les autochtones à l’arabe.
Mais celles – ci ont été vite oubliées, certaines ont même été pardonnées et il n’y a pas, curieusement, de responsable désigné à la pâture. Méconnaissance de l’Histoire et mauvaise intention obligent! Mais l’Émir, lui, sujet de fierté pour beaucoup, non seulement en Algérie mais dans le monde entier, donne mauvaise conscience à certains. Le tableau ne serait pas parfait si nous n’ajoutions que beaucoup d’entre eux languissent platement pour l’obtention de la nationalité du pays qui nous a laissé, en 132 ans d’occupation, plus de dix millions de morts, des milliers de handicapés, de déportés, d’irradiés et autant de compatriotes morts pour lui dans des guerres qui n’étaient pas les leurs. D’autres, plus malins ou disposant d’arguments convaincants, émargent déjà au R.M.I. C’est le lot de ceux qui remisent leur dignité au placard. Mais revenons au contenu de l’article.
Par cécité mentale doublée d’une mémoire paraissant volontairement hémiplégique, l’auteur commence par nous apprendre d’emblée que l’Émir défendait « le sol, celui de ces aïeux les plus proches, les Hachem en particulier ». S’il y a un territoire où l’Émir s’est le moins battu c’est bien celui des Hchems.
Rappelons qu’il ne fut pas le premier à prendre les armes.
Pour étayer notre propos, examinons succinctement ce qui s’est passé après la capitulation du Dey, signée le 6 juillet 1830 à 10 heures du matin dont le document stipule que(1) « le Dey …tant qu’il restera à Alger..sera, lui et toute sa famille, sous la protection du général en chef de l’armée française ; une garde garantira la sûreté de sa personne et de sa famille ». Sitôt le traité signé, le Dey se vit signifier un sursis de deux heures pour quitter l’Algérie que la Sublime Porte avait saignée pendant 313 ans. Finalement, par manque de dignité, il se confondit en lamentations et même en larmes, et le départ n’eut lieu que le 10 juillet vers Gênes où il avait déjà une résidence en toute propriété non sans avoir dressé au général De Bourmont un tableau complet des populations de la Régence défunte sur lequel nous reviendrons partiellement. Mais un avant-goût de la parole française était entre-temps donné.
- Le 23 juillet 1830, quelque 38 mois avant l’investiture de l’Emir, le général De Bourmont marcha sur Blida. S’il pénétra sans problème dans la ville où étaient encore visibles les meurtrissures du séisme qui l’avait complètement détruite en 1825 et où sa population passa de 15 / 18 000 âmes à 5 / 6 000, ses troupes furent harcelées par les tribus de la Mitidja depuis leur départ d’Alger et pendant leur séjour dans la ville des roses acculant le général à retourner à la capitale tête basse comprenant enfin qu’il y avait un sentiment ferme de résistance qu’il n’avait pas décelé chez les Turcs.
- Après la chute du Dey, le Bey de l’Est, Ahmed – Bey qui se trouvait à Biskra rejoignit Constantine tenue par Mahmoud Bey. Celui-ci refusa de le reconnaître : Ahmed Bey le mit à mort ; de même il déchirera le message envoyé par Damrémont et mettra à mort son émissaire. Le général français mit à la voile une flotte en vue de représailles contre la ville de Annaba. Mais le représentant d’Ahmed Bey livra la ville aux Français le 2 août 1830 « sans coup férir ». Ainsi, en violation de tous les usages diplomatiques et surtout des prescriptions de l’Islam, Ahmed Bey, tenant fermement à garder ses acquis, ne pouvant aucunement ignorer la réaction des Français, leur fit là cadeau de Annaba ceci malgré la leçon de la chute du Dey : les Français, débarqués le 14 juin 1830 à Sidi Ferruch mettront moins de 20 jours pour le faire abdiquer. Voilà le conseil que Husseïn donna au général De Bourmont : « Je vous recommande surtout de vous tenir en garde contre Mustapha- Bou-Mezrag, bey de Tittery … Le bey de Constantine est moins perfide et point dangereux : habile financier, il rançonnait très bien les peuples de sa province…mais il est sans courage et sans caractère. »
- Le 18 novembre 1830, Clauzel prend Blida et le 23 Médéa, en dépit d’une farouche résistance de Boumezrag qui, capturé, sera exilé à Alexandrie. De retour à Blida, Clauzel trouva sa garnison décimée. L’auteur cite Boumezrag et Bouamama comme «vaillants défenseurs de cette identité nationale » comme s’il venait d’en parler alors qu’il n’en est rien. Il glisse là un comparatif tendancieux, qui n’a pas lieu d’être, de ces deux hommes avec l’Émir et ceci sans le dire. Qu’il sache donc qu’en ce qui concerne Bouamama, l’essentiel sur lui n’a jamais été dit et les écrits le concernant, parus notamment au Maroc, n’ont été suivis d’aucune réaction de la part de ceux qui ont été trop prompts à en faire l’apologie. Rappelons que Bouamama, né à Figuig (Maroc) en 1256 / 1840 et, décédé à Oued Bourdim (Maroc) mercredi 11 Ramadan 1326 / 7 Octobre 1908, son corps fut transféré et enterré à El- Aïoun à une cinquantaine de kilomètres d’Oujda sur la route de Fès. L’auteur nous rendrait un grand service s’il pouvait nous expliquer pourquoi sa mort est intervenue au Maroc, pourquoi l’a-t-on transféré du lieu où il décéda à Aïoun Sidi Mellouk et il nous rendrait un service encore plus grand s’il pouvait nous aligner deux pages seulement sur Boumezrag.
- Le fils de ce dernier reprit l’étendard de la révolte et, les colonnes de Berthezène parties pour le capturer, subiront un vrai désastre dans les gorges de la Chiffa. Il sera acculé, le 29 juin 1831, face à 4500 soldats, de battre en retraite et se réfugia au sud. Bien qu’éloigné du champ des opérations, il permit la libération de Médéa. Cet événement qui fut fêté jusqu’à Tanger faisait naître de sérieux espoirs à travers tout le pays et des appétits chez nos voisins. A la nouvelle de l’investiture de l’Emir, il le rejoindra avec armes, bagages et troupes.
- Dans la plaine, les troupes de Ben Zamoum, chef des Flissa, celles restées fidèles à Boumezrag, celles de Koléa et surtout celles des Kabyles avec à leur tête Sidi Ali Saadi harcelèrent les Français qui durent se cantonner à l’intérieur d’Alger. Sidi Ali Saadi se réfugia au lieu même où Ziri Ben Ménad construisit en 324 / 935-6, à l’est de Ksar El Boukhari, près de Aïn Boucif: la citadelle d’El – Achir. Quand le moment sera venu, il suivra, en dépit de son âge avancé, le futur fondateur de l’Etat algérien.
- Entre-temps, Moulay Abderrahmane, Sultan du Maroc, sollicité par des personnalités de Tlemcen, des Zmala et des Douaïers, occupa Tlemcen contre l’avis de ses propres Foukaha pendant que les Tunisiens s’installèrent à Oran, sur demande des autorités françaises, tout en affichant leur désir d’occuper l’Est algérien à partir de Constantine, moyennant un tribut annuel qu’ils paieraient à la France.
L’auteur mentionne que l’Emir, lors du serment d’allégeance, « ne sera reconnu dans cette distinction que par trois tribus ». Rappelons que l’acte d’allégeance, dans son acception originelle implique un total don de soi et nous savons comment il a pesé de tout son poids sur l’Émir au point où, face à toutes les trahisons des siens desquels il n’avait plus rien à espérer et après 13 jours de combats ininterrompus, avec une météo exécrable, avec seulement 1200 combattants contre 50 000 soldats marocains, soutenus par l’artillerie du Général Lamoricière, il demanda, pour la deuxième fois en moins d’un mois, à ses derniers compagnons de l’en décharger. Ce jour-là deux faits uniques se produisirent : l’issue de l’ultime bataille ne souffrant aucun doute, les soldats refusèrent à l’unisson la demande de leur chef. Ce sera également la première fois que l’Émir ne se tenait pas à l’avant de ses troupes mais à l’arrière pour être le premier à faire face aux Marocains qui étaient derrière lui. Si notre auteur savait les sujétions, les implications et les subtilités de l’acte d’allégeance, il ne parlerait pas de « distinction », ce trait étant le seul à n’avoir jamais effleuré les pensées de l’Emir.
Sid Ali Hachelaf le Mostaganémois, auteur du livre « Les Chorfas », édité à Tunis en 1347 / 1929, donne, dans son avant – propos une liste de 34 tribus qui ont combattu avec l’Émir et dont l’auteur retrace les différentes généalogies. Quand on examine de plus près celles – ci, on constate que la plupart d’entre elles concernent des personnages qui occupent des fonctions au sein de l’Administration coloniale et éparpillées, pour nombre d’entre elles, sur le territoire s’étendant de part et d’autre de l’Oued Chélif, exception faite pour les Bengana originaires de Biskra. Curieusement ne figurent pas celles qui ont constitué l’élite des troupes de l’Émir qu’on reconnaissait à travers ses redoutables «Cavaliers Rouges » : les H’Chem, Béni Amer avec toutes leurs fractions estimées – sous toutes réserves – à une soixantaine (dans un profil bas), Hassasna, Ouled Slimane dans toutes leurs composantes (M’Hadja et divers Chorfas), Ouled Mimoun, El Macharif, Djaafra, Hmiyane etc.
Ayant considéré que ceux qui avaient combattu avec l’Émir n’avaient fait que contribuer à un devoir sacré, nous n’avons jamais voulu nous intéresser à ce qui pourrait constituer des statistiques sur le sujet pourtant à notre portée. Beaucoup auraient eu à en rougir. Aussi, estimons – nous qu’à côté de chaque tribu signalée ci – dessus, nous sommes passés à côté de 10 ? 20 ? Plus ?
Les événements grandioses qui ont eu des conséquences pérennes dans l’Histoire sont tous partis de noyaux extrêmement restreints : l’Islam n’a-t-il pas commencé avec un Homme, une femme et un enfant ? Notre guerre d’indépendance par une poignée d’hommes ?
Un détail auquel seuls quelques privilégiés, parfaitement instruits du fait religieux duquel notre auteur se sert, maladroitement, pour les besoins de sa cause et de ceux qui partagent ses vues, mérite d’être cité ici : tous les actes d’allégeance qui ont été prêtés à travers l’Histoire – et on peut citer des centaines – ont été des actes d’entérinement de situations préalablement réglées- par la force, l’hérédité- à l’exception de ceux des deux premiers Khalifes et… de l’Emir. De plus, des Maîtres théologiens, à travers l’Histoire qui ont participé au Djihad, on retient Abdellah Ibn El Moubarak, élève de l’Imam Malik Bnou Anass, spécialiste lui-même du Hadith et qui participa aux conquêtes arabes et l’Émir Abd-El-Kader. Or l’usage qui est fait aujourd’hui de la Religion, la manière dont elle est enseignée, le déplorable niveau de ceux qui sont sensés la représenter et les bouleversements accélérés que nous subissons, bon gré mal gré, nous convainquent qu’il est quasiment impossible qu’il y ait un successeur à l’Émir et son illustre prédécesseur. Tous deux ont eu à supporter le terrible poids de cette charge sacrée, s’en sont acquittés avec des fortunes diverses mais avec la sérénité et la certitude qu’ils ne pouvaient pas faire plus. S’ils ont connu des infortunes nul, quels que soient ses statut et niveau, ne peut les blâmer parce qu’ils auraient été les premiers à oublier leur triomphe si celui-ci avait couronné leurs entreprises. Quel est ou quel sera cet Algérien qui, pour ses seules valeurs intrinsèques, verra son nom porté par une ville d’une grande nation ? Non seulement il n’y en a pas mais il n’y en aura plus. Aucun algérien sensé ne peut nier l’apport des événements du 8 mai 1945 dans le devenir qui allait être celui de notre patrie. Quel est celui qui peut nous renseigner sur celui généré par la Fondation
- Les mauvaises lectures de l’auteur.
3.1 Sur les propos prêtés à Alfred Sauvy (31/10/1898 – 30/10/1990).
Le besoin de convaincre, pour le thème qui nous concerne, doit étaler le maximum de détails relatifs aux sources. Là, l’auteur, ne nous indique pas d’où sont tirés les propos de Sauvy mais nous admettons, jusqu’à plus ample informé, qu’ils sont vrais. Polytechnicien, économiste et sociologue, Alfred Sauvy débuta sa carrière professionnelle à la Statistique Générale de France, fait un tour, sous le Général De Gaulle, par le Secrétariat Général à la Famille avant de se tourner définitivement vers la démographie à l’Institut National des Etudes Démographiques. Quant au qualificatif d’historien que lui accorde l’auteur, il prêche par manque de précision. Ceci importe peu. Toujours est-il qu’il aurait écrit : « Le responsable de la conquête n’est pas Bugeaud, mais Abdelkader. Les pouvoirs publics français étaient prêts à se contenter de quelques ports marchands, quand la révolte a obligé l’armée à rétablir l’ordre et le Parlement à voter les crédits nécessaires. » Notre auteur trouve « ce commentaire si poignant et si compromettant ». Seule une lecture au premier degré, qui dénote de la limite du niveau de celui qui lit ce qui précède, peut mener à cette conclusion. De plus cloîtré dans une ville, l’action de l’Émir, qui ne trouvait sa pleine expression qu’à travers les grands espaces, s’en serait ressentie. C’est ce qu’il fera dans le traité de la Tafna.
Qu’a voulu dire Sauvy ? Tout simplement que c’est parce que l’Emir, à qui a été imposée la responsabilité de diriger la résistance, a assumé la tâche qu’attendaient de lui ceux qui ont porté leur choix sur lui, ce qui amena les autorités françaises à y faire face. Il y aurait eu compromission si l’Émir, comme le pense insidieusement l’auteur, avait laissé faire. Or, s’il est difficile de lui trouver des défauts, il est impossible de l’imaginer traître et la traîtrise viendrait justement de celui qui pense que l’Émir n’aurait pas dû se battre. Devrons – nous conclure à une appréciation relevant d’un comportement atavique ? Plus haut nous avons exprès cité les premiers résistants à l’occupant. Ils étaient tous du centre, ce qui est normal, les événements ayant commencé à Alger. Pourquoi l’auteur ne leur colle pas la compromission qu’il a réservée au seul Émir ? Le regretté Professeur Abdelmadjid Meziane nous disait au début de l’année 1981 ceci : « l’Emir a été le seul homme à avoir endossé les responsabilités qui étaient les siennes par une volonté populaire, une première dans l’Histoire ; quand ceux qui se sont adressés à son père pour lui exprimer leur souhait de désigner son fils pour mener le Djihad, le vieux Mohieddine appela son fils aîné Mohamed Saïd. Ses visiteurs l’arrêtèrent et lui dirent : nous sommes venus pour Abd-El-Kader ». Ce qu’il y a d’inquiétant dans cette appréciation de ce qu’a exprimé Sauvy, c’est qu’elle n’est séparée que d’un cheveu des thèses soutenues mordicus par une certaine droite de l’Hexagone sur l’apport positif de la colonisation
3.2. Sur la structure du pouvoir de l’Emir.
Quant à « structurer son pouvoir sur la même typologie que l’empire ottoman, l’émir et ces khalifes » (sic), il faut préciser les sens étymologiques de ces termes : l’émir est celui qui a la responsabilité du suivi des affaires communautaires ; le khalife étant le chargé – le lieutenant – de l’émir (le wali d’aujourd’hui en quelque sorte). Ces termes ayant été dévoyés et vidés de leur substance dans la pratique, surtout contemporaine, l’auteur a insisté, de manière étrangement innocente, sur cette moderne approche de ces vocables dans un but de ternissement du pouvoir mis en place par l’Émir. Le fondateur de l’Etat algérien a été le seul responsable, à travers les siècles, à n’avoir habité ni palais ni maison mais seulement une tente qui ne pouvait rivaliser en faste avec celles de ses compagnons ce qui lui sauva la vie en juin / juillet 1847 alors qu’il se trouvait avec sa Deïra près de Tafersit, dans le Rif. Il lui arriva même de dormir une nuit entière sur le dos de son cheval après la bataille de la Sikkak (Tlemcen). Ajoutons qu’il n’émargea jamais à Beït el Mel et que, le vendredi 16 moharrem 1264 / 24 décembre 1847, le tlemcenien Hamadi Sekkal, à la solde de la France, chargé par lui, de vendre ses effets et ceux de ses compagnons sur le quai du port de Ghazaouet, n’a pu en tirer que six mille francs !
Selon Mohamed, fils de l’Emir (2), l’état de recensement des biens pris dans le palais du Dey, après la chute de Fort l’Empereur, se monte à 48 680 575 francs. Dans celui établi par la commission française des finances, on note 7 212 kilogrammes d’or à 3 434 francs le kilo, 108 704 kilogrammes d’argent à 220 francs le kilo soit un montant de 48 683 000 francs – pour un peu plus de 115 tonnes – pour ces deux seuls métaux précieux auxquels on ajoute 3 000 000 en laines et denrées diverses et 4 000 000 en pièces d’artillerie de bronze soit un total de 55 684 527 francs (1), état où n’apparaît pas ce que de nombreuses mains françaises indélicates ont subtilisé. (Charles André Julien a noté dans son « Histoire de l’Algérie contemporaine, tome 1, éditions P.U.F. » que le seul intendant Deniée avait pris 5 à 6 millions de francs). Le payeur général Firino en fit de même. (3) Ce total serait multiplié par trois qu’il n’étonnerait personne! Charles X qui a, face à des difficultés internes, ordonné la conquête de la Régence a été le premier à réclamer la part du trésor qu’il estimait lui revenir. Lorsqu’il chutera le 27 juillet, tous les royalistes qui firent partie de l’expédition – dont le général De Bourmont- furent rappelés. De Bourmont prendra le chemin de l’Espagne avec un petit coffre contenant le cœur de son fils mort au combat à Constantine. Que pouvaient contenir ses plus gros coffres?
Il est établi que 92 000 hommes, dont 16 000 Kabyles, ont été mobilisés par le Dey pour empêcher les 37 000 Français de débarquer mais au lieu de 100 cartouches, disponibles, qu’ils demandaient, ils ne reçurent que deux ! C’est le tournant et la cause de la colonisation qu’on relève à ce niveau. Le produit de la vente des effets de l’Émir, soit six mille francs, comparé à ce qui a été trouvé chez le Dey donne la mesure exacte – et aujourd’hui inimaginable – du mépris qu’avait l’homme pour le luxe et les biens matériels. Et s’il avait été habité par l’ambition d’un pouvoir sans partage c’est tout un trésor qu’on aurait trouvé sur lui car point d’argent point d’état. Seul lui savait ce que sa religion d’abord, son éducation ensuite son intégrité absolue et le titre qui était le sien lui interdisaient ce à quoi a pensé l’auteur qui semble, avec un entêtement mal déguisé, faire accroire qu’émir doit être compris dans le sens que lui donnent ceux qui le portent aujourd’hui alors que khalife correspondrait, lui, au sens de baron tel qu’il est admis chez nous. Le juif Bacri, qui était l’intime du Dey Husseïn, assure que celui – ci ne disposait que de 4 000 000 de francs (rien que çà) alors que d’autres sources soutiennent qu’il disposait de sommes plus considérables ! Le Dey supplia De Bourmont de lui remettre 30 000 sequins (pièces d’or de Venise) avant son embarquement, le 10 juillet sur la frégate la Jeanne d’Arc pour Naples, ce qu’il obtint avec toutes ses pierreries et ses soieries lyonnaises.
Quant à la structure du pouvoir ottoman en Algérie, elle n’était pas basée sur « l’émir et ses khalifes » mais sur celui du Dey et de ses Beys.
Une dernière remarque sur le trésor amassé sur le dos des Algériens par le Dey Husseïn: sur les 55 684 527 francs officiellement comptabilisés, 48 500 000 couvrirent l’intégralité des dépenses de l’expédition française qui prit le départ de Toulon le 25 mai 1830 avec 768 navires, 70 450 hommes dont 37 331 soldats et toute l’intendance nécessaire : armes, bagages, nourriture, solde, fret! Et ils ne s’étaient pas déplacés pour l’Emir.
3.3. Le traité de la Tafna.
Tout d’abord, l’Émir n’a jamais accepté une quelconque défaite parce que, si Bugeaud savait qu’il l’ avait vaincu, il n’aurait pas négocié avec lui un traité où l’auteur reconnaît quand même que le « vaincu » restait maître des deux tiers de l’Algérie, les villes ne l’intéressant pas. De plus, il est quasiment impossible de rendre avec précision, aujourd’hui, le détail de ce traité que Bugeaud, de l’avis des sources les plus autorisées, a falsifié lui-même obligeant sa veuve à faire un autodafé de tous les documents laissés par son mari. Lorsque les Français se rendirent compte que leur adversaire avait les coudées franches pour mieux affiner les structures et l’organisation de son Etat naissant et jouant sur l’écriture française d’un oued qui, en arabe avait une seule orthographe et deux prononciations différentes désignant chacune un oued distinct, l’un agrandissant le territoire des Algériens, l’autre le réduisant, ils voulurent tester les réactions de leur ennemi et envoyèrent des troupes au-delà des Portes de Fer.
Des Historiens et orientalistes français admettent que, dans ce litige, la parole de l’Émir pesait beaucoup plus lourd que celle de Bugeaud. Toujours est-il que les troupes du Khalifa kabyle El Mokrani veillant, alertèrent l’Émir. Il mit en garde le Gouverneur d’Alger qui jugea bon ne pas répondre. L’Emir lui conseille de rappeler tous les Français isolés et, parti des bords du Chélif, écrasa tout sur son passage pour être 24 heures après devant le Jardin d’Essais.
Quant à son combat contre les traîtres qui relève de l’impératif religieux, l’auteur le qualifie d’extermination. Mais c’est parce que l’Émir les a combattus que ses chances d’aboutir ont été réduites. Le siège de Aïn Madhi n’a-t-il pas duré plus de huit mois et qu’il a fallu faire appel à des Figuiguis, spécialistes avérés dans le creusement des tunnels, pour construire des galeries ?
L’auteur reconnaît que « l’Emir gagnera quand même la bataille de Sidi Brahim, avant de rendre les armes le 23 septembre 1847 » (sic). Le lecteur remarquera que ce « quand même » est concédé à l’Émir comme cadeau de l’auteur! La date ci- dessus ne correspond ni au jour de la bataille citée ni à celui où il s’est « rendu ». Celle de Sidi Brahim eut lieu tout au début de la dernière décade de septembre 1845 et sur les 400 hommes qui sortirent de Ghazaouet pour affronter l’Émir, seuls quinze furent faits prisonniers le 23 septembre et, l’un d’eux, le trompette Escoffier demandera plus tard à être mis au service de l’Emir alors détenu à Amboise. Tous les autres périrent au combat.
Début octobre, 300 cavaliers, envoyés de Tlemcen par Cavaignac pour renforcer la garnison de Témouchent, se rendront à l’Emir sans tirer un seul coup de feu.
Le 15 octobre 1845, Bugeaud débarque à Alger revenant de France où l’on n’a pas été tendre avec lui, entre autres, sur le Traité de la Tafna. 120 000 hommes vont le suivre pour la capture de l’Emir. Cavaignac, Lamoricière et Bedeau avaient exigé sa présence.
Plusieurs batailles opposèrent ses troupes à celles de l’Emir : le 23 décembre, avec 500 hommes, il faillit mettre la main sur le général Youssouf suivi de 2000 hommes. Moins de quatre semaines après il était en Kabylie aux côtés de son Khalifat Ben Salem qui l’attendait à la tête de 5000 hommes. Ils ratissent toute la plaine et arrivent à quatre heures d’Alger.
Le 7 février 1846, au pied du Djurdjura, il fut encerclé en pleine nuit par les Chasseurs et réussit à faire échouer leurs plans. 21 jours après, à Bordj Bou Kenni, il sollicita les délégués de toutes les tribus qui lui restaient inconditionnellement fidèles pour débattre de la guerre. Mais, avertis que Bugeaud marchait vers eux avec le gros de ses troupes, ils conclurent que la prudence devait prévaloir. Quittant le Djurdjura le 7 mars avec 2000 hommes il se dirigea vers l’Ouest, écrasa les Douaïers, depuis plus de treize ans au service de la France ainsi que d’autres tribus ralliées. En juin, et après être passé chez Ouled Sidi Cheïkh, il rejoignit sa Deïra au Maroc. Nous voyons, que sur la période allant de septembre 1845 où il écrasa Montagnac, à juin 1846, il livra plus de vingt batailles et celle que l’auteur veut faire apparaître comme étant la dernière fut la première de celles qui devaient avoir lieu pendant presque toute l’année qui suivit et où l’Émir et ses plus fidèles compagnons ont eu à parcourir plus de 10000 kilomètres.
Dès son retour au Maroc et après s’être à peine reposé il dut faire face à l’acharnement du Sultan Moulay Abderrahmane et certaines tribus du Maroc oriental. Fin juin / début juillet, avec 200 hommes, il écrasa les 9000 hommes du chef militaire Hicham Lahmar près de Tafersit détachés pour s’emparer de lui. Quelques semaines après les Béni Amer qui s’étaient installés à Fès décidèrent d’aller renforcer les rangs des Algériens. En août 1846, ils furent quasiment tous massacrés près de l’oued Ouargha par les Cherarda commandés par Ibrahim Ben Ahmed Lakehal. Les Hchems subirent le même sort près de Zerhoun.
Etant sorti pour aller à la rencontre des Béni Amer, l’Émir fut mis au courant de la nouvelle de leur extermination par quelques rescapés. De retour à sa Deïra, il apprend que les Glaâ avaient attaqué son campement et s’étaient emparés de ses biens qui restèrent moins d’une semaine entre les mains des ravisseurs qui subirent, en moins de deux heures, une défaite cuisante. C’était en plein mois de Ramadan (septembre 1847), cette date figurant dans l’article comme étant celle de la reddition de l’Emir. Le samedi 3 moharrem 1264 / 11 décembre 1847, à la tête de 1200 cavaliers, il se lança contre les 50 000 marocains envoyés par le Sultan et dirigés par ses fils dont le prince héritier Mohammed, le futur Mohamed IV. La bataille durera treize jours. Il n’y avait plus d’issue. Il envoya deux émissaires porter ses conditions au général Lamoricière qui, fou de joie, lui adressa une lettre à blanc, signée par lui et portant le cachet de l’un de ses officiers supérieurs, étant d’avance, d’accord avec toutes les exigences de l’Emir. Il n’y a pas un seul exemple dans l’histoire où celui qui se « rend » eut droit à une telle considération pour une seule raison : celui qui se rend se présente devant ses vainqueurs l’arme bien apparente au-dessus de sa tête alors que l’Emir avait gardé la sienne avec le sabre que Lamoricière lui avait envoyé comme gage de bonne volonté ; celui qui se rend ne parle que lorsque l’on lui pose des questions, ne reçoit pas les honneurs militaires et ne s’entoure pas des garanties pour ceux de ses compagnons qui avaient choisi de rentrer chez eux. La France au passé très belliqueux n’a concédé ces égards à aucun de ses ennemis. Ces égards furent reprochés au Général Lamoricière et il eut une réplique tellement célèbre qu’elle mérite un examen à part.
Ancien ministre de la guerre en 1814 et 1815 sous Napoléon qu’il qualifia d’usurpateur, Major Général de l’Armée, pair de France en 1827, Ministre de la guerre de 1830 à 1832, Président du Conseil en 1832,1839, et de 1840 à 1847, le Général Soult écrivit : « Il n’y a présentement dans le monde que trois hommes auxquels on puisse légitimement accorder la qualification de grands et tous trois appartiennent à l’Islam. Ce sont Abd El Kader, Mèhémet Ali et Chamyl. » Mais le Maréchal Soult n’avait pas l’envergure intellectuelle de notre auteur!
Tous les généraux qui ont eu à signer des traités avec l’l’Émir : Desmichels (pour celui de la Macta), Bugeaud (pour celui de la Tafna) et Lamoricière pour s’être plié aux exigences de son ennemi, ont tous été réprimandés, leur hiérarchie reconnaissant trop tard l’habileté de leur adversaire pour ne plus parler que de son génie. Pour les deux premiers traités signés, l’Émir n’avait pas le droit de demander la paix, car c’était contraire à l’enseignement de l’Islam, mais il avait la faculté de l’accepter à l’unique condition qu’elle lui fût proposée. Et c’était le cas.
Si Bugeaud se sentait vainqueur, il ne proposerait pas son traité. Un officier suisse qui a été autorisé par la France à visiter ces nouveaux territoires a assisté à la signature du traité de la Tafna. Le récit qu’il en fit est saisissant. Et, ce qui apparaît à l’auteur de l’article comme concessions de la part de l’Emir relève d’une lecture de forme. Le fond est entièrement différend. L’auteur admet très mal que l’Emir ait pu forger le respect de ses ennemis. Le général Pélissier, ennemi irréductible de l’Emir, précurseur des chambres à gaz ( enfumades des Ouled Riah et d’autres lieux) que l’auteur met sous la responsabilité de l’Émir après s’être « rendu » alors qu’elles ont eu lieu bien avant, a déclaré : « On ne peut pas approcher cet homme sans l’aimer ». Bien plus tard, le général Bigeard, dans une interview télévisée en 1972 dira : « je me suis incliné au cours de ma vie devant deux hommes et je suis certain qu’il n’y aura pas de troisième, le premier était Ho Chi Minh et le deuxième Ben M’Hidi ». C’est étrange de constater que les stratèges français ne s’inclinent que devant leurs ennemis algériens.
3.4. Les citations religieuses à la fin de l’article.
Nous saisissons très mal cette suite de Versets et de Hadiths qui interviennent suite aux « griefs » retenus contre l’Emir. Nous en avons retenu deux choses :
-La première c’est quand l’auteur dit : « Abdelkader ne fera que réécrire toutes ses valeurs ancestrales à sa façon ». Seule une méconnaissance totale des écrits de l’Émir peut engendrer une telle ineptie. L’homme incriminé était parfaitement au fait de tout ce qui avait trait à sa Religion. Des sources sûres rapportent qu’il enseignait le Sahih de Boukhari en pleine chevauchée. Au cours de sa résistance il eut à passer un mois de Ramadhan à Médéa : ce mois sacré lui donna l’occasion de commenter, dans son intégralité, la Rissala sur le Fiqh de Malik, écrite par Ibn Abi Zayd El Kaïraouani. Dans les lettres adressées aux Oulama de Fès et un peu plus tard à ceux d’El Azhar, il ne s’était pas contenté de poser des questions mais il avait pratiquement, par de solides références, anticipé lui-même sur les réponses des Oulama contactés. C’était une façon sage de prendre à témoin des sommités religieuses de ce qu’il subissait comme trahison de la part des siens et des difficultés qu’il rencontrait avec le sultan Moulay Abderrahmane du Maroc. Prisonnier à Amboise, il enseigna, sans aucun support didactique, à ces compagnons qui l’avaient sollicité, Kitab El Ibriz de Sidi Abdelaziz Eddebagh. Il n’a réécrit aucun des livres du patrimoine arabo musulman ; au contraire il a veillé à transmettre ce qu’on lui a enseigné en s’attelant à un rigoureux respect du legs de ses prédécesseurs. Et cette rigueur est poussée à un tel point que, dans son autobiographie, il cite la chaîne de transmission des Maîtres remontant très loin dans l’Histoire pour finir jusqu’aux générations qu’il a connues. Quand l’imprimerie en arabe fit son apparition, il fut le grand précurseur de l’édition des œuvres de son Maître spirituel Ibn Arabi en prenant, à sa charge, la publication des Foutouhate El Mekkia (Les Illuminations de la Mecque). Connaissant parfaitement l’œuvre de son Maître et disposant d’un manuscrit, il prit la précaution de déléguer deux de ses compagnons auprès du Sultan d’Istanbul pour comparer sa copie avec celle qui se trouvait, parmi beaucoup d’autres, en Turquie mais il savait que la copie du Sultan a été écrite de la main d’Ibn Arabi lui-même.
Notre vraie réponse à Monsieur Boukherissa
Dans son article, il cite le Verset coranique suivant : «Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez Le plus noble d’entre vous, auprès de Dieu, est le plus pieux. Dieu est certes Omniscient et Grand Connaisseur. » Ce Verset est le treizième de Sourate El Houjourate. Il vient juste après celui que nous avons encadré après le titre. Voici les circonstances dans lesquelles ce Verset fut annoncé au Prophète (QLSSSL) :
Ma’izz, un Compagnon du Prophète vient voir ce dernier et lui dit : « Ô Envoyé de Dieu ! J’ai commis une faute qui mérite lapidation ; purifiez-moi. » Le Prophète ne tient pas compte de sa demande. L’intéressé revient une deuxième fois pour le même objet et reçoit la même réponse. A la troisième, le Prophète alla voir la famille de l’intéressé et leur demanda si Ma’izz était sain d’esprit. Répondant par l’affirmative, la sentence que le coupable savait méritée fut exécutée : il fut lapidé, reçut une toilette mortuaire fut mis dans un linceul et eut droit à la prière des morts. Un homme, parmi l’assistance, dit alors à son compagnon : « Regarde cet homme que nous avons lapidé ; il n’a pas gardé son secret pour lui au point où il a fini par être lapidé comme un chien. » Le Prophète les entendit. Le narrateur ajoute : « Ils passèrent près de la carcasse d’un âne mort. L’Envoyé de Dieu demanda : où sont untel et untel ? Les deux compagnons répondirent : nous sommes là ô Envoyé de Dieu ! Il leur dit : « Descendez et mangez de cette charogne » Ils lui répondirent : « Dieu te pardonne ô Envoyé de Dieu ! Peut-on manger de çà ? » Il leur dit : « Ce que vous venez de dire au sujet de votre frère est une nourriture pire que celle-là. »
A une époque où, dans notre pays, l’Imam Malik a été traité de « halik » dans des prêches singés sous d’autres cieux, où Abane Ramdane est désigné comme « dictateur », où Cheïkh Ben Bâdis subit les pires médisances, peut-on être étonné par ce qui vient d’être publié ou qui le sera certainement?
Sources :
–1. L’Algérie ancienne et moderne. Par Léon Galibert. Editions Furne et Cie. Paris 1844.
-2. Touhfat El Zaer fi tarikh El Djazaïr oual Amir Abdel Kader. Mohamed, fils de l’Emir. Dar El Yaqaza Al- Arabiyya. Beyrouth. 2ème édition. 1384 / 1964.
-3. Histoire de l’Algérie Contemporaine. Tome 1. Conquête et colonisation (1827-1871). Charles – André Julien. Presses Universitaires de France.