Il est connu que chez les Frères, en particulier, et chez les prétendants au vicariat divin sur les âmes, en général, l’exclusion du peuple (al-âma) de la réflexion sur sa destinée est un principe cardinal. Principe qui découle de la conviction que seul les « sachants », les « initiés », sont aptes à réfléchir, à comprendre et à décider.
Le peuple, lui, est jugé incapable de sagesse et susceptible de contrevenir au sacré et de blasphémer et, de ce fait, doit être tenu à l’écart des affaires de pouvoir, de gouvernance et même de ce qui touche à la codification de son mode de vie. Par extension, les langues du peuple, langues « profanes », sont méprisées et ne doivent pas prétendre à l’émancipation.
La similitude avec l’Eglise chrétienne est manifeste. Celle-ci a pu des siècles durant, grâce à la détention par les seuls membres du clergé du latin, dans lequel a été traduite la Bible, exercer un monopole sans partage sur le culte et sur la connaissance. Aujourd’hui, il semble que les Frères soient plutôt inquiets de ce que « la langue du Coran » puisse être concurrencée et, de surcroît, par des « dialectes ».
Plus loin, ils doivent appréhender que la « sacralité » de l’arabe subisse des dommages, d’autant que cette langue n’a pas du tout réussi à conquérir l’espace social, à s’introduire dans l’expression des choses de la vie, en restant confinée dans l’école et dans certains actes administratifs, là où elle est imposé par la loi.
Mais leur inquiétude ne vient pas, principalement, de la préoccupation de défendre l’arabe. C’est tout l’édifice culturel duquel ils tirent leur « légitimité » qui est mis en danger. À travers leur hostilité contre les langues populaire, ce n’est pas la religion qu’ils défendent, c’est à l’imaginaire du peuple qu’ils s’attaquent et à ses sensibilités culturelles.
Ils n’ont pas pu empêcher que la chanson fuse des tréfonds émotionnels et linguistiques de la société, ils ne veulent pas que cette « sous-culture », qui résonne, malgré son ostracisation, dans les cours de récréation, dans la rue et dans les foyers, soit habilitée dans les salles de classe. C’est en ce sens que la mise en avant de l’arabe classique est faite, en accusant la ministre de l’éducation nationale de vouloir lui porter atteinte.
Les Frères ne se sont pas aperçus qu’ils se sont démasqués, en nous faisant découvrir que « arabisation » a finalement pour adversaires les parlers algériens et non le français, comme on pouvait le croire. La virulence de la réaction, quant à elle, témoigne de l’importance de l’enjeu.
Il s’agit, ni plus ni moins, de la mise en danger du fonds de commerce islamiste en perte de vitesse, et qui ne trouve plus grand-chose à vendre, sauf de préserver les pouces de terrain d’où il compte tirer, encore, de la substance. Sans préjudice de la volonté de paralyser toute évolution de l’institution scolaire et d’interdire la production d’intelligence, cette ennemie mortelle des sorciers, dont les Frères sont une catégorie particulièrement active, qui n’a pas fini d’escompter régenter notre existence.
Ahmed.Halfaoui