L’intelligence et le pays

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On ne produit que ce dont a besoin, c’est valable pour ce que l’on mange, comme pour le reste. Concernant le type, la quantité et le niveau d’intelligence utile au pays, dès l’indépendance, c’est à ce principe que le premier pouvoir algérien a obéi et auquel les pouvoirs successifs continuent d’obéir.

Selon les dirigeants politiques, l’Algérie avait d’abord besoin de médecins, d’ingénieurs et de techniciens pour ses plans de développement. Elle avait aussi besoin, malgré eux, de spécialistes en sciences sociales, ils en ont formés en expurgeant, autant que possible, les programmes dans une démarche obsessionnelle de neutraliser ce qui est critique.

C’est-à-dire ce qui peut contrarier le prisme unifié à travers lequel la société algérienne devait être perçue. Les sociologues, les psychologues, les historiens, les démographes, les archéologues et tous ceux qui pouvaient produire une lecture rationnelle des choses, devaient se redéployer sur le plan professionnel, pour survivre, ou louvoyer avec la censure.

Parallèlement, des milliers de bourses d’études sont octroyées, pour la formation à l’étranger des profils requis par l’appareil  de production et par les institutions, qui étaient en train d’être mis en place.  Il s’avéra, plus tard, que ces bourses vont se transformer en prime à l’évasion vers l’Occident et constituer le premier moyen utilisé pour émigrer dans les meilleures conditions.

Ici, il est inutile de souligner que, vers la fin des années 80, ce moyen a été ouvertement sélectif  et qu’il n’obéissait plus à la nécessité qui a présidé à sa promotion dans la stratégie de formation de cadres. Le pays s’est, ainsi, mis à résorber le vide criminel laissé par la colonisation en termes de compétences. Il fallait construire des usines et les faire fonctionner, ériger des écoles et les doter d’enseignants, développer des services publics et les encadrer, couvrir le territoire d’un système de santé et le pourvoir en personnels médicaux et paramédicaux et réaliser des infrastructures et des équipements à la mesure des exigences de l’économie et de la vie sociale.

Il ne s’agissait pas de déficit à résorber, mais de tout rattraper. Durant toute la période qui va de l’année de l’indépendance à la fin des années 70, il en sera ainsi. Le pouvoir pensait et la société acquiesçait. Dans Le même temps, le pouvoir a promu ceux qui ont accepté de soutenir et de porter sa parole.

L’illusion a duré le temps des certitudes socialistes qui ont mobilisé les principaux intellectuels de la gauche tolérée, au sein du Parti de l’Avant-garde socialiste et du FLN.  En marge, la très peu nombreuse intelligentsia critique rongeait son frein, sans trouver pour autant de grandes plages d’écoute, ni chez les instruits, encore moins dans la société en général. Elle avait le choix à l‘exil à l’étranger où elle a pu s’exprimer, sans trop de succès dans le pays, ou  à l’exil intérieur, le plus terrible, celui qui réduit au silence le plus complet. Elle avait, aussi, le choix de la clandestinité politique.  

Et puis, la machine s’est grippée, sous l’effet conjugué des contradictions internes au système politique, de la perte de l’aisance financière et de la forte dépendance de la finance internationale. Le pouvoir découvrait le désert culturel qu’il avait, lui-même, établi. A la place de débats de sociétés, il n’y avait qu’un seul discours qui régnait ; le seul discours qui a été encouragé et soutenu, avant qu’il n’intègre des revendications politiques.

On se rappelle que lors de l’élaboration du code de la famille, le président de l’époque, Chadli Bendjedid, tançais le manque de voix en dehors des milieux conservateurs. C’’était, lors d’une allocution télévisée. Il disait « où êtes-vous vous qui… » Il devait se sentir bien seul. Pas de la même façon que lorsqu’il n’avait pas besoin de contradiction, mais il devait se rendre compte que ceux à qui il s’adressait n’existaient pas au niveau des nécessités de l’heure.

C’était déjà écrit, le pouvoir en place ne pouvait être remplacé que par un pouvoir similaire dans l’exclusion de la contradiction intellectuelle. Le face à face avait commencé. Même l’intelligence technique formée à grand frais en dinars ou en devises, ne trouvant plus à s’employer ou à vivre décemment, terrorisée par la violence qui se profilait, pour un certain nombre, s’est mise à quitter le pays.  Mais ce n’est pas seulement pour ces seules raisons.

L’exode est aussi la conséquence de  la marginalisation des cadres et du déclassement du statut  qu’ils occupaient dans la société, par rapport à une faune d’affairistes, surgie ex nihilo, au haut du pavé, dès l’abandon des illusions de développement du secteur public. Ce secteur qui était le pourvoyeur fondamental de carrières au long cours et  de conditions de vie acceptables, de logement, de divers privilèges,  complément déguisés de revenus largement insuffisants eu égard aux fonctions et aux responsabilités assumées.

Selon les entreprises, la voiture de fonction ou des prêts très souples pour l’achat d’un véhicule personnel, les missions à l’étranger, les coopératives de consommation… La perversion  des valeurs sociales au profit de l’affairisme et au détriment du travail a définitivement consommé le divorce entre le pays et son intelligentsia.

Ce n’est pas que le tissu industriel  offrait de réelles perspectives d’épanouissement aux universitaires et aux chercheurs, mais il les portait virtuellement. Cette perversion a eu, aussi,  comme conséquence la réduction des espaces d’expression à l’intelligence, en général, et à la pensée en particulier. Ce qui a renforcé le sentiment d’exclusion et amplifié la frustration. Qu’il y ait passage à l’acte ou non, la propension au départ a désormais gagné la partie. Elle ne trouve pas d’arguments qui peuvent la contredire ou l’infléchir.

Ainsi, l’Algérie paie le prix des errements dans lesquels elle a été engagée depuis, au moins, la fin des années 70. Elle perd chaque jour un peu de sa matière grise  et semble ne plus être en mesure d’endiguer le phénomène. Faire revenir ceux qui sont partis relève plus de la gageure que d’autre chose.

Quand rien ne se  fait pour retenir ceux qui sont, ici, ou pour  sortir ceux qui végètent dans leur exil intérieur.  L’autisme initial du pouvoir n’est pas près de se dissiper et de faire qu’il faut se rendre compte que ce qui anime intelligentsia est de la même nature que ce qui fabrique les Harragas. Selon la terminologie des démographes, l’Algérie est répulsive et cet état doit s’aggraver avec les efforts que déploient les pays occidentaux pour attirer les compétences.

Quand la France et l’Europe s’inquiètent de la fuite en masse de leurs cadres vers les Etats-Unis et vers le Canada, un pays comme le nôtre devraient être tétanisé par le phénomène. Il ne semble pas en être ainsi, si on considère le maintien du cap originel, qui veut que les aspérités nuisent à la platitude et qu’on observe la férocité avec laquelle on persiste à ne rien tolérer de ce qui peut, simplement, égratigner l’ordre établi.

Comme les dernières arrestations du ramadhan qui dénotent du sentiment de fragilité qui taraude les pouvoirs publics et de leur incapacité de gérer la différence, quittes qu’ils sont à provoquer les divorces les plus dangereux, qui ont fait et qui continuent de faire que des Algériens se sentent étrangers, dans le seul pays où ils devraient aimer vivre.

Ahmed Halfaoui  

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