«Mère, mon Algérie» d’Anne-Marie Carthé.

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Premier roman de la poétesse plasticienne Anne-Marie Carthé.

Par Mohamed Senni.

Des titres sur l’Algérie, surtout ceux abordant la période coloniale, ne cessent d’alimenter les étalages des librairies et tout indique que cela ne va pas s’arrêter de sitôt. Les Editions La Cheminante n’ont pas été en reste puisqu’elles ont  gratifié les lecteurs par la mise à leur disposition, cet été, et plus précisément dès le 18 juin 2015 d’un roman que nous recommandons aux férus de cette longue page commune écrite sur les deux bords de la Méditerranée.  Dans ce livre, une mère et un pays (l’Algérie) y tiennent une place prépondérante. Les premiers échos reçus ou lus sur divers supports nous indiquent que les lecteurs, quelles que soient leurs sensibilités, ont bien été tenus en haleine. Personnellement, je ne le fus pas moins. Je me propose, ici, de tenter de restituer le contenu de ce livre et, pour mettre nos lecteurs dans les meilleures conditions pour le savourer, j’avance d’emblée que, de manière presqu’anodine, cette histoire sort des sentiers battus, non pas parce que l’auteure l’a voulu mais parce que le récit qui s’impose, sans artifice aucun, en a « décidé ainsi ». Je commencerai donc par présenter l’auteure dans une première phase avant de  faire part des sensations que son premier roman nous a  procurées.

Mère, mon Algérie

1. L’auteure Anne-Marie Carthé.

Madame Anne-Marie Carthé est née le 10 mai 1954 à Sidi-Bel-Abbès. Ses parents étaient enseignants au Collège Technique de jeunes filles après avoir exercé à Relizane (à environ 140 km de la capitale de la Mekerra). Avant de chuter dans cette dernière ville, sa mère fut enseignante à Mazouna. Sa famille était surtout connue par ses grands-parents maternels qui tenaient un commerce à la rue Catinat (aujourd’hui Soraya Bendimered) sur le trottoir opposé à celui qui mène au théâtre de la ville.

Son grand-père maternel est né à Sidi-Bel-Abbès au début des années quatre-vingt-dix du XIX ème siècle tandis que, celui, du côté paternel, est né dans le Gers et sa grand-mère dans le Tarn – et – Garonne. Sa grand-mère maternelle est née à Elche (Espagne) et foula la terre algérienne âgée de trois mois. Ainsi, notre auteure baigna dans sa tendre enfance dans une ambiance où l’on parlait valencien, castillan, le parler oranais et le français. Elle entama sa scolarité à l’Ecole Paul Bert (aujourd’hui «Affane Fatima»).

Un peu plus d’un mois après avoir fêté son huitième anniversaire, elle se retrouva à bord d’un « Noratlas » militaire qui l’emmenait, avec sa famille, définitivement en France closant ainsi la présence de trois générations qui ont évolué, convivialement,  au milieu de classes moyennes d’origines diverses.

 S’i fallait citer ces ingrédients qui traduisent la convivialité, nous nous limiterions à un seul détail : à l’enterrement du grand-père maternel d’Anne-Marie, il y avait plus « d’indigènes », issus du village de Tessalah, qui fut un passage obligé durant des siècles pour les flux qui allaient d’Est en Ouest et vice-versa, qui suivaient le cortège funèbre que de Pieds Noirs.

2. Le nouveau départ.

Dans  une « petite géobiographie d’Anne-Marie Carthé », son éditrice, Madame Sylvie Darreau écrit en page 156 et suivante : « Son père qui aimait peindre et dessiner, lui transmet sa passion. Inscrite à l’école ABC de dessin puis, adolescente, à l’école universelle de dessin, elle gagne des concours encourageants. Un baccalauréat arts plastiques à Bayonne la propulse vers l’École des beaux-arts de Toulouse où après cinq < ans > d’études elle obtient le Diplôme national des beaux-arts option  design et architecture d’intérieur. <…>. Elle ouvre son propre bureau d’étude à Anglet, puis à Oloron-Sainte-Marie. <…>. Anne-Marie change de cap professionnel, obtient son Capes et devient enseignante puis conseillère pédagogique en arts plastiques dans l’éducation nationale. »

Mariée et mère de deux garçons, elle a derrière elle vingt ans d’enseignement. Et, ultime héritage familial, elle se mettra, comme son père, à la poésie qu’elle adjoindra à la peinture et à la sculpture, matières liées intimement en vue d’un but unique : critique des œuvres littéraires, françaises, basques, africaines, maghrébines ainsi que des lointaines Îles. Des dizaines de tableaux, de poèmes et de sculptures paraîtront et traduiront toutes les œuvres qui l’inspireront. Notre icône nationale, Assia Djebar tiendra une bonne place. Ce travail, on peut le deviner aisément contraignant par la diversité et la particularité des œuvres retenues. Celles-ci se singularisent par l’écho que leur donne Anne-Marie et qui convergera vers l’émergence du «  mouvement artistique contemporain » qui se vulgarisera sous le titre «  Chemin de peinture, ligne d’écriture ». Il s’agit d’un glissement artistique homogène, fidèle interprète puisque partant et finissant de et pour les œuvres littéraires retenues.

Le livre (ci-contre), d’excellente conception, reprend nombre d’ouvrages littéraires, traduits par des poèmes et des tableaux ou sculptures exécutées  par l’auteure. Paru en série limitée en mai 2015 aux Éditions Fred Noiret, la troisième page nous renseigne sur la «  démarche d’Anne-Marie Carthé qui s’articule autour de trois thèmes : la trace, la mémoire, le temps.

    .Penser la trace comme élément plastique.

    .Penser la mémoire comme concept                                    .Penser le temps comme rythme. »

3. Cinquante-un ans après…

Les 9, 10 et 11 mai 2013 et après  escales à Alger et Tizi-Ouzou, en compagnie de Madame Amel Chaouati, Présidente du « Cercle des Amis d’Assia Djebar » venues toutes les deux présenter « Lire, Assia Djebar ! » une œuvre collective, éditée par la Cheminante, Anne-Marie a retrouvé sa ville natale, son domicile, son école primaire, le Collège où ses parents avaient enseigné et s’est même arrêtée en face du logement où vivait sa grand-mère. L’atmosphère s’était électrifiée par une multitude de sensations où la dignité avait pris une telle place qu’elle forgeait le respect de  ceux qui avaient reçu les deux dames. Le 11 au matin quelque soixante-dix invités – et non des moindres – venus de cinq Wilayate (Départements) ont suivi, avec un intérêt soutenu, les interventions des deux conférencières.

Photo envoyée de Nouvelle Calédonie le 1/1/2015

 Cette rencontre ne put avoir lieu sans l’inspiration et le judicieux conseil du Responsable avisé de la Société Edif 2000 d’Alger, éditrice et importatrice de livres et qui s’apprêterait à mettre ce roman sur le marché algérien.

  Mère, mon Algérie.

De format 19 ˣ 14 et sur 154 pages du livre, l’auteure retrace l’itinéraire de sa mère. Les matériaux utilisés font sortir le roman de son canevas classique pour s’élever au rang de « roman-vrai » ce qui influe positivement sur le lecteur tout en l’acculant au partage de la narration. Le titre peut aussi prédisposer à l’hypothèse de la lecture d’un roman « grave » tout comme certains sont plus enclins à lire plutôt des romans « gais » ou « historiques ». Ce n’est pas le cas. L’histoire véhiculée tout au long des pages peut être multipliée par des dizaines de milliers de cas similaires sans que personne ne s’en offusque ou ne soit surpris. Là se situe la première grande particularité.

Je reconnais avoir éprouvé des difficultés à m’en imbiber : ce beau roman m’a tenu en haleine par la richesse-tout simplement humaine-de son contenu, son dosage mesuré et strict, ses images saisissantes et le tout exprimé avec une simplicité qui, en fin de compte, en fait la force tant la limpidité du texte est inattaquable. Je savais Anne-Marie poétesse. Celle-ci a-t-elle déteint sur la romancière ? J’incline à le penser.

 Dans mon propre passé, j’ai eu à connaître les lieux – clés du récit : Mazouna, Mostaganem, Arzew, Oran, Orléansville, Relizane et surtout Sidi-Bel-Abbès. Et cette connaissance décuple l’attrait ce qui provoque inéluctablement une espèce d’hypnose, de magnétisme qui  ont fait du lecteur que je suis – et je le dis sans prétention – un «témoin » et même un « figurant », malgré lui, du récit palpitant qui nous est proposé.

J’ai revu ces images originelles des cours où se rassemblaient les familles d’alors. J’ai « humé » et ressenti ces senteurs caractéristiques de l’époque et une foule de « petits » détails tels les succès littéraires de l’époque, les titres de films mythiques et les chansons en vogue où la Grande Oum Kalthoum n’est pas omise. Une belle symbiose qui n’est rendue possible que par l’harmonie observée naturellement par les uns et les autres.

 Tout ce monde se construit mot après mot avec autant de pondération que de sagesse.  Le récit sur une mère telle que celle d’Anne-Marie doit nécessairement être dépouillé de fioritures –  dans lesquelles succomberaient beaucoup d’autres – et, ainsi est « conduit » tout lecteur à réfléchir sur le sens de la vie et de l’existence où, fatalement, la narratrice, inintentionnellement, le pousse.

Et il se laisse aller, buvant et savourant sans modération, cette rigoureuse anaphore qui me renvoie au célèbre poème « mystico-existentiel » du Libanais Ilya Abou Madhi (Les Talismans composé en 71 quatrains) : « C’est donc cela la vie… », anaphore qui, par certains aspects, résume tout : le combat de la vie pour la Vie, l’amour de la terre notre première mère, celui des proches et des amis et seulement pour ce qu’ils sont, et l’impassibilité, face aux vicissitudes, sublimée par une dignité à toute épreuve le tout étant dépourvu de la plus infime velléité d’acrimonie. C’est aussi compliqué que simple : trop simple même lorsque, sans calculs, on arrive à se voir dans les yeux des autres.

 Ma lecture s’est longuement arrêtée quand l’auteure  parle de l’union de ses parents le 1er août 1953 à l’Eglise Saint-Vincent de Paul (je le suppose) en face de la maison de la « Abuelita ». Cette date et cette Eglise m’ont longuement plongé dans le souvenir de mon très cher ami, Père Mas Ernest  Margerie qui était en charge de ce lieu de culte. Il y a une très forte probabilité pour que ce soit lui qui ait dirigé la cérémonie qui a scellé l’union des jeunes tourtereaux. Ayant ce pays dans les tripes, il repose au cimetière chrétien d’Oran. L’émotion d’Anne-Marie se doit d’être à la hauteur de ce combat qui s’est imposé à ses  parents et, telle qu’on la perçoit à travers ses écrits sur les auteurs, fort nombreux et disséminés à travers de grands espaces où la vie n’est pas toujours rose, elle a dû beaucoup  mériter de ce couple accaparé et attaché à la communication du savoir. Si Rousseau avait eu à connaître ces « gens », il n’aurait jamais écrit : « L’homme avance dans la vie par zigzag. »

Nous avons sous les yeux le vécu de trois générations dont mon pays – profond – peut être honoré de les avoir reçus, qui a certainement été généreux avec eux autant qu’ils l’ont été, sans nul doute, avec lui et ensuite par l’aspect littéraire d’où s’exhalent des senteurs et des ressentis qui s’apparentent à ceux que j’ai savourés voluptueusement suite à ma très ancienne lecture de « A la recherche du temps perdu » écrit par celui qui fut qualifié, dans l’Hexagone, comme étant « le père du roman moderne » : Marcel Proust.

Sidi-Bel-Abbès, le 29 septembre 2015.

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