On ne badine pas avec l’Histoire. (Première partie).

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Par Mohamed-Senni El-M’Haji.

 Contact : mohamedsenni@yahoo.fr

« Il suffit de dire le vrai d’une manière étrange, pour que l’étrange finisse par sembler vrai à son tour. » (GOETHE in « Les affinités électives », 1809. Editions 10/18. 1963)

1. PRÉAMBULE. 

Depuis plusieurs années, et plus particulièrement au cours de ces dernières, nous assistons à un large éventail de «modes » multiformes qui s’installent dans nos mœurs n’épargnant aucune des couches de la société algérienne (comme beaucoup d’autres d’ailleurs).

Rien d’anormal nous rétorquera-t-on car ce phénomène touche toutes les sociétés sauf qu’il s’incruste aisément et s’ancre  profondément dans celles qui se détachent de leurs valeurs et de leurs repères, faisant leurs toutes ces « nouveautés » qui viennent d’ailleurs,  singées  de surcroît  avec zèle et soins méticuleux.

Ceux qui s’en prévalent, de manière ostentatoire dans la plupart des cas, ne pensent pas un seul instant au double danger qui les guette : la perversion et / ou la néantisation pure et simple de leur personnalité originelle et la perte, par aliénation, de leur liberté car, comme le disait si bien Alain : « Il y a péril pour toute l’existence intérieure si l’on commence à admirer par imitation ».

Parmi ces modes, très nombreuses, nous nous limiterons à citer : celle liée au soufisme – et l’ un des thèmes les plus prisés dans ce domaine est celui de l’Unicité de l’Etre (Wahdat el Wujûd وحدة الوجود) qui a, par le passé, fait couler plus de sang que d’encre. Cette théorie  a été prônée,  entre autres, par Ibn Arabi – le Cheïkh Al Akbar – (17 Ramadan 560/ 28 Juillet 1165 à Murcie – 28 Rabi II 638/ 16 Novembre 1240 à Damas), que nous aborderons  sûrement un jour.

Il y a celle des arbres généalogiques (surtout des Chorfas ou supposés tels) pour lesquels certains dépensent des sommes colossales pour se voir citer dans quelque ouvrage où l’immodestie, la médiocrité, le doute, la platitude, le ridicule et surtout l’arnaque, cohabitent dans un accommodant  ménage  pendant que des apprentis généalogistes (Nassaboun) se sucrent sans vergogne sur le dos de ceux qui expriment cette demande de plus en plus croissante et de plus en plus alarmante.

Enfin, il y a la mode de l’Histoire qui, elle, ne nous vient pas d’ailleurs mais bien de chez nous et  sur laquelle nous allons nous pencher particulièrement, la situation devenant préoccupante.

Son émergence a été rendue possible par le vide total qui a sévi en la matière et par l’outrageante production de bas aloi indécemment et maladroitement orchestrée ou tolérée par la pensée unique.

Le revers de cette médaille est que certains écrits, signés par des écrivailleurs ou des plumitifs,  le plus souvent thuriféraires, traduisent, entre autres, un  bien curieux besoin de réhabilitation avec ce qui ne pourra jamais l’être qui hante les esprits de ceux qui s’affichent en historiens ; ceci pour dire que beaucoup de nos compatriotes assument mal leur Histoire ou ne l’acceptent que lorsqu’elle nous vient d’ailleurs, après être passée par moult prismes déformants quand ils ne la déforment pas eux – mêmes.

Ils ne s’assument pas tels qu’ils sont mais  tels qu’il a été décidé, sans leur avis, qu’ils soient. Toujours est-il que, si certains y trouvent leur compte, ils disposent  là d’un moyen, enrobé d’innocence pudibonde savamment dosée, pour régler des  comptes  pour lesquels l’Histoire a déjà tranché, faisant que leurs téméraires et vaines remises en cause qu’il nous est cycliquement donné de croiser ne sont qu’un coup d’épée dans l’eau.

L’Histoire nous intéresse spécialement aujourd’hui puisqu’en  se conjuguant à tous les modes et à tous les temps, elle nous est imposée dans notre quotidien avec une appétence insatiable, de manière inquiétante et grotesque.

Tout le monde s’y met, surtout les détenteurs de demi-savoirs autrement plus dangereux qu’une ignorance avérée. Que faut-il donc faire pour contrer l’irréparable et nous en sortir ?  Nous reconnaissons que cette question, avant d’être posée, reste subordonnée à la connaissance de celui (responsables attitrés, Institutions  spécialisées…) qui aura – quand ? Nous ne pouvons y répondre- la dure et non moins noble mission de  s’attaquer  à l’endiguement de ce phénomène.

L’état de pourrissement avancé auquel on fait aujourd’hui face nous interpelle tous : la complaisance, le silence complice ou voulu, les dérobades et surtout les fuites en avant ne sont plus permis. Il y va tout simplement de l’un des facteurs de  stabilité de notre société et, partant,  de notre Identité. En disant ce qui précède nous sommes loin de dramatiser mais le danger est bien là.

Malgré tout, nous gardons un fol espoir de voir les choses rentrer dans l’ordre car, il a été prouvé que l’Histoire finit toujours par rattraper acteurs et narrateurs quand ils la bafouillent, la maquillent, la tronquent, en usent, en abusent ou l’ignorent et, comme  disait le regretté Ferhat Abbas (24 août 1899 / 24 décembre 1985) : « ceux qui trichent avec l’Histoire seront  balayés par elle ».(1)

Sesame 15

Ferhat ABBAS

2.TENTATIVES DE DÉFINITION.

Afin d’interpeller, sans grande illusion d’y parvenir, certaines consciences, nous croyons utile d’essayer de définir ce que l’on entend communément par le concept d’Histoire. Celle-ci vise un but et opère par des moyens.

Le but consiste à avoir une image réelle, aussi fine que possible, du passé qui explique valablement le présent et peut anticiper sur l’avenir.

« Faisant partie intégrante de la culture, elle permet « la prise en compte de notre héritage spirituel…réclame en  compensation une démarche active de l’intelligence et ne se construit solidement que par suite d’une longue décantation ». (2).

 De ce point de vue, l’Histoire est un phare éclatant  qui nous indique les chemins à  suivre, les limites qu’il ne faut pas dépasser et constitue un formidable vade-mecum d’où nous pouvons puiser le maximum de solutions pour éviter les embûches qui, le plus souvent, lorsque l’on outrepasse les balises qui les délimitent, se paient comptant et très cher.

Les moyens avec lesquels s’opère toute recherche historique s’appuient sur des approches critiques extrêmement rigoureuses, une connaissance finement aiguisée de la méthodologie de traitement  des sujets abordés et une intégrité quasi absolue de l’historien. Un seul  de ces éléments manque et l’édifice érigé s’écroule inéluctablement quelles que soient les gesticulations orchestrées, souvent par mimétisme, qui tenteront de le maintenir debout.

Pour étayer notre propos, nous reprenons ci-après quelques écrits que nous avons eu à consulter au cours des récentes dernières années. Toutefois, il est opportun de signaler que les lignes qui précèdent et celles qui vont suivre ne sont pas de la main d’un historien, mais tout simplement celles d’un homme  écœuré par certaines lectures accidentelles  et qui  court le risque d’être chargé pour s’être mêlé de ce qui ne le regarde pas.

Dire la vérité ou nous limiter simplement à la rappeler, et c’est là la moindre de nos  ambitions, a de fortes chances de ne pas être du goût de tout le monde. Si tel devait être le cas nous  aurions, à notre manière, prouvé que « si une feuille bouge c’est qu’il y a du vent ». Or seuls le respect de la déontologie et la quête de vérité (heureusement partagée par beaucoup) nous intéressent et nous excitent. Quant aux élucubrations dites « intellectuelles » qui surexcitent certains, et sans être thaumaturge ou  verser dans une pseudo- prophétie, nous pouvons d’orès et déjà avancer qu’elles n’auront jamais de conséquences…historiques.

Il nous faut préciser que nous n’avons strictement rien contre les auteurs des textes retenus que nous ne connaissons que vaguement pour certains d’entre eux. S’ils s’adonnent à cette gymnastique «  intellectuelle » où en général ils démontrent piètrement ce qu’ils doivent  ignorer et ignorent tout ce qu’il faut savoir c’est, on le perçoit nettement à travers leurs écrits, d’une part pour assouvir des desseins inavoués ( rentrer, pour la majorité d’entre eux, dans les bonnes grâces de ceux qui sont dans l’air du temps –ce temps qui ne peut «  durer que  l’espace d’un soupir », tout au plus un moment, lui–même vite évanescent – s’imbiber à l’envi d’un narcissisme sans limite, étaler un nombrilisme facétieux, se complaire du regard admiratif des sots…) quitte à ce que la réputation à laquelle ils aspirent  éperdument en y mettant toutes leurs  énergies, surtout sonnantes et trébuchantes, se fasse par reptation et, d’autre part, parce que l’ambiance générale, dans laquelle nous évoluons tous, a fait qu’on a «amené» le citoyen à respecter les « situations bien assises »  sans se demander sur quoi au juste elles sont assises.

La réponse que nous comptons leur apporter sera, dans l’écrasante majorité des cas, celles des historiens eux-mêmes et espérons qu’ils feront preuve d’humilité pour accepter les verdicts des plus intègres parmi eux.

Avant d’aborder les textes retenus nous tenons à préciser que seuls les écarts révoltants dont certains auteurs ont fait preuve nous ont  incité à ne pas nous limiter à la seule confrontation  des idées, ceci d’autant plus qu’il nous a été donné de constater que, faute d’argumentaire pointu, ils la réfutent avec un entêtement tenace. Sur ce point précis, nous avons vécu une expérience cauchemardesque avec l’un d’eux.

3.TEXTES RETENUS

3.1. SIDI SLIMANE IBN ABDELLAH  AL-KAMIL.

Paru le 20 août 2007, dans une page entière du Quotidien d’Oran, ce premier article retenu, signé Baghli Mohamed, mérite d’être vu de plus près car représentant, à notre sens, une des modes dont  nous voulons parler.

Sur la forme : l’auteur ne décline pas sa qualité et, le temps nous manquant pour nous intéresser à ce qui nous ne nous intéresse pas, nous n’avons pas cherché à savoir de qui il s’agissait. Ce nom étant  répandu à Tlemcen et, avec une manière « d’éviter qui ressemble à chercher » qu’on relève au cours de la lecture, on sent que  cette ville constitue, avec intention délibérée, l’âme de l’article où est sous-entendu un parti pris pernicieux, ce qui nous autorise à conclure que l’auteur est de la capitale des Zianides.

Et il nous a été donné que beaucoup de ses concitoyens épousent la même attitude et nos lecteurs peuvent jeter un coup d’œil à notre article sur Sidi Abou Médiane pour s’en convaincre.

Tlemcen

Le texte, lui, se présente sous la forme d’un déballage, qui relève davantage du « copier-coller » et  de la fantasmagorie. Le sujet abordé est asséné en absence du minimum d’ordre qui doit présider à  l’élaboration d’un tel thème : présentation sommaire du problème qu’on souhaite soulever, respect d’un ordre chronologique clair de nature à faciliter au lecteur le parcours du texte, en d’autres termes revenir à la bonne vieille méthode des rédactions : introduction, développement et conclusion.

Mais chacun s’exprime comme on lui a appris à le faire si tant est que cet apprentissage eût eu lieu et dans les normes. Reconnaissons toutefois que la bonne expression n’est pas l’apanage exclusif de ceux qui sont bardés de titres. Si ces ingrédients indispensables  ne sont pas ressentis  au cours de la lecture alors c’est que le sujet n’a pas été bien conçu, plutôt mal  cerné ou ne sert que d’alibi pour lequel l’art est remisé au profit d’une discutable manière.

S’en suit alors une difficulté à l’exprimer clairement,  entraînant une lassitude du lecteur et c’est malheureusement le cas. L’absence totale de sous-titres, les redites et la présence de petits passages n’ayant aucun lien avec ceux qui les précèdent ou les suivent, quant à elles, n’arrangent  pas les choses. Plus grave, quoique finalement compréhensible, est l’inexistence totale des sources utilisées ce qui laisse supposer soit une absence de qualification, soit que les sources utilisées ont paru à l’auteur peu crédibles et il se devait d’en faire la critique, soit qu’il s’agit d’un inédit ce qui est impossible.

Sur le fond : quand on examine attentivement le texte on s’attend à un récit historique sur Sidi Soulaïmane Ben Abdellah Al-Kamil. Or, si l’on se réfère à ce que tous les historiens  ont écrit, un tel récit ne peut excéder, dans un style concis, une poignée de pages tout au plus, très peu pour faire un livre et pas assez pour faire un article d’une page entière de journal.

Le personnage qui fait le titre se taille, dans un indescriptible cafouillage, une toute petite part dans  ce récit  car l’auteur commence et finit par un procès qui ne dit pas son nom à tous ceux auxquels il fait allusion sans les nommer et sans préciser les griefs qu’il a contre eux. Quelques  paragraphes  parleront cependant, avec de longues redondances, de Sidi Soulaïmane.

L’impression dominante est que l’auteur a voulu mettre en relief Tlemcen, ce qui est louable en soi, mais force est d’admettre que c’est un exercice extrêmement ardu à cause du gigantesque rôle que la capitale des Zianides a joué, avec plus ou moins de bonheur, dans tous les domaines à travers l’Histoire et notre auteur est tombé, malgré lui, dans le piège de celui qui, partant de rien pour ne pas dire autre chose, veut faire un monde ou de celui à qui l’on demande de redécouvrir que la terre est ronde et fonce dans la recherche tête baissée ; alors, forcément, « qui cherche le mieux peut trouver le pire » (Hugo).

Mais Tlemcen (l’historique s’entend) peut–elle gagner plus de prestige que celui qu’elle a, depuis plusieurs siècles, quand on veut lui attribuer, par matraquage insidieux, ce qu’elle serait la première à refuser? Si telle a été la vraie motivation de l’auteur, et tout l’article tend à le confirmer, alors le gâchis est total car il y a eu erreur sur le choix des matériaux utilisés, la méthode affichée et le style pour exprimer l’ensemble.

Un premier constat ? Tlemcen restera toujours Tlemcen, haut lieu de l’Histoire chanté par les plus grands et un des beaux poèmes qui lui est dédié par l’Emir, commencé par lui et terminé par un de ses proches compagnons en est une des nombreuses preuves.

Qui fut Sidi Soulaïmane ?

Dans  son  Kitab Jamharat ansab el-‘Arab ( Anthologie des généalogies des Arabes جمهرة أنساب العرب) bien qu’il y cite les Berbères, les Hébreux et les Perses, Ibn Hazm, né à Cordoue le dernier jour du mois de Ramadhan 384 (7 novembre 994) et mort à Niebla, près de Huelva, face à l’Océan, le 27 / 28 Chaâbane 456  (15 juillet 1064) rapporte  que Soulaïmane était un des «cinq» fils de Abdellah Al-Kamil. Celui-ci était fils d’El Hassan EL Mouthana, fils d’El Hassan es-sibt-et non sabt comme l’écrit l’auteur de l’article-(le mot sibt étant usité, en arabe pour désigner, entres autres, le petit-fils, fils de la fille pendant que hafid (حفيد) désigne le petit–fils, fils du fils ). Le père d’Al-Hassan n’était autre que ‘Ali Ibn Abi Talib, gendre du Prophète (3).

      (Volubilis Oulili).                                                            Moulay Idris ( Zerhoun)

Ses quatre frères étaient Idriss, futur fondateur à Volubilis (Oulili en arabe) de la dynastie qui portera son nom et qui allait durer de 172 à 375 (788 à 985) soit presque deux siècles- avec une éclipse de quelque 24 années avec l’avènement d’Ibn Abi el Afia -, Mohamed En-Nafs Ez-Zakiyya (l’Ame Pure) dont descend, entre autres, la dynastie alaouite fondée par Moulay Chérif Ben Ali, dans le Tafilalet au Maroc, en 1631, voilà presque quatre siècles, Ibrahim et  Yahya.

Ibn Hazm ne cite pas Moussa et Aïssa ce dernier étant le seul à ne pas avoir eu d’héritiers. Et c’est lui qui nous laissa une information capitale sur le sort de son frère Soulaïmane que nous examinerons  plus loin. L’énumération concernant les noms des cinq  frères n’est pas propre à Ibn Hazm. On la retrouve chez presque tous les auteurs qui ont écrit sur l’Histoire ou sur les  généalogies.

Alors, le lecteur peut se demander, à juste titre d’ailleurs, pourquoi citer  uniquement Ibn Hazm et taire les autres ? Ceci n’a jamais été notre intention mais la facilité de la lecture de l’œuvre citée d’Ibn Hazm nous a conduit à commencer par lui. En effet dans sa Jamhara,  et notamment  en page 45, il affirme que Soulaïmane a été tué dans la bataille de Fakh, près de la Mecque. Quant à Tabari (224-310 / 839-923), dans sa chronique (4),  et plus précisément  à la page 1691 du tome 5, il confirme que Soulaïmane a bien été tué dans la bataille citée «  qui eut lieu Youm ettarouia, » c’est-à-dire le 8 Dhoul Hijja 169 (11 juin 786),  jour où les pèlerins quittent la Mecque pour Mina.

Dans son Kitab El-Istiqça (5) كتاب الإستقصا في أخبار دول المغرب الأقصى , l’historien marocain Ahmed En-Naciri Es-Slaoui (1250 / 1835 – 1315 / 1897) fait le même récit qu’Ibn Hazm et Tabari en ajoutant, comme le fait également Ibn El Athir, que plus de cent têtes furent  tranchées au cours de la bataille de Fakh et, celles d’El-Housseïne ( ben Ali ben El-Hassan, Ben El-Hassan el-Mouthana)  et de son oncle paternel Soulaïmane, furent rapportées au Calife El-Hadi ben Mohamed El-Mehdi ben Abi Jaâfar El-Mansour qui, satisfait du résultat de la bataille, condamna quand même l’acte de décapitation.

Cette information, rapportée par quatre auteurs dont les deux premiers et le dernier cités ont une certaine prééminence dans l’Histoire de l’Islam pris dans son acception géographique, ce qui n’enlève rien au mérite du troisième, est aussi précisée par d’autres historiens.

En voilà déjà quatre qui nous apprennent que Soulaïmane, comme une centaine (5) de membres de sa famille, est  bien mort dans la bataille de Fakh. Il y en aura d’autres, beaucoup d’autres.

Quant à Ibn Khaldoun, dans Kitab el-Ibar (6), il écrit qu’après la bataille de Fakh, Idriss, grâce à son affranchi Er-Rached et à des complicités inespérées au Caire, put rejoindre,  le 1er Rabi’I 172 (août 788), au Maroc la tribu des Aurébas  (originaires des Aurès ayant fui les guerres de l’époque de Koceïla),  sans signaler un quelconque accueil à Tlemcen par son frère Soulaïmane qui, selon l’auteur, s’y trouvait déjà. (En-Naciri affirme également qu’Idriss y a passé quelques jours, ce qui est vrai). Un tel détail, pour important qu’il fût et sur lequel nous reviendrons, n’aurait pu être occulté par Ibn Khaldoun.

Une année après avoir obtenu le serment  d’allégeance – le 4 Ramadan 172 / 5 février 789 – des tribus qui avoisinaient Oulili, qui, contrairement à ce qu’écrit l’auteur, ne se trouve pas près de Tanger – bien qu’elle en dépendait à l’époque concernée –  mais près de Zerhoun qui, elle, ne se trouve pas dans la région de Fès mais à 20 / 25 km au nord de Meknès surplombant la ville romaine de Volubilis, Idriss, après avoir puissamment établi  son pouvoir au Maroc, marcha sur Tlemcen, en 173 (789 / 790), alors gouvernée par Mohamed Ibn Khazer,Ibn Hafs, Ibn Soulat le Maghraoui (dont le père Wazmar embrassa l’Islam sous Abdellah Ibn Saad Ibn Abi Sarh).

C’est au cours de ce déplacement qu’il posa les fondations de la Mosquée (en Safar 174, sans précision du jour, ce mois s’échelonnant du 19 juin au 17 juillet 790)  dont la chaire porte une inscription écrite à l’occasion de son édification. Là aussi Ibn Khaldoun ne parle pas de la présence de Sidi Soulaïmane. Ce qui précède se trouve dans le tome II du Kitab el-Ibar (pp 559-563). Or, dans le tome III, page 229,  Ibn Khaldoun écrit : « Idris I régnait encore, quand son frère, Soleiman-Ibn-Abd-Allah, vint  le trouver  après avoir quitté l’Orient. » En-Naciri confirme qu’Ibn Khaldoun a bien écrit ce qui précède et ajoute que ce « même auteur (Ibn Khaldoun), d’accord avec Aboul Fida » (672-778 / 1273-1331), émir syrien de Hama, géographe et historien, « déclare que Soulaïmane ben Abdellah ben Hassan fut tué à la bataille de Fakh et que sa tête fut ramassée avec celles des autres morts. »

Ainsi, selon En-Naciri, Ibn Khaldoun a dit une chose et son contraire. Ce fait relève, à notre avis, du devoir qu’a l’historien de citer toutes les informations, même contradictoires dont il peut disposer, ce qui n’a échappé à aucun spécialiste. Dans le cas, très improbable pour ne pas dire tout simplement impossible, où c’est Soulaïmane qui vint trouver Idriss, il est implicitement exclu que le premier nommé, à moins qu’il n’eût pu jouir d’un don d’ubiquité, fût à Tlemcen « pour soutenir une campagne en faveur de Ahl Al-Bayt ».

Quant à Mohamed Ben Abdeljalil Tanassi (de Ténès), dans  son livre controversé «  Histoire des Bany – Zayyan Rois de Tlemcen », écrit trop complaisamment sur leur très discutable pour ne pas dire impossible  qualité  de Chorfa   (ce qu’a remarquablement analysé et démontré l’ancien Directeur de la Bibliothèque Nationale, le regretté Mahmoud Bouayad – de Tlemcen – dans une décortication poussée dudit livre, publié en 1405 / 1985, et n’ayant pas de précédent dans l’Histoire), soutient que c’est quand il apprit la mort d’Idriss que Soulaïmane décida de venir au Maghreb.

Cette assertion nous éloigne encore plus de l’affirmation  selon laquelle Soulaïmane se trouvait  à Tlemcen quand son frère arriva au Maroc.

L’avant dernier paragraphe pose un sérieux problème : il tient dans l’attitude d’Ibn Khaldoun sur l’existence physique de Soulaïmane à Tlemcen. Il y a des explications à cela. Nous en avons cité une plus haut mais leur nombre est tel qu’il nous ferait dévier du cours que nous avons voulu pour cette mise au  point.

Aussi nous nous rangerons du côté de l’écrasante majorité des historiens qui soutiennent que Sidi Soulaïmane est bien mort à Fakh et c’est son fils Mohamed  qui  prit  les destinées de Tlemcen sur instruction d’Idriss II (né le 3 Rajab 177-14 octobre 793 et mort le 2 Joumada II 213 -18 août 828). Il y séjourna trois années, de 199 / 814- à 202 / 817, auprès de son cousin et ce séjour n’est  pas étranger à ce que  la moitié du Maghreb central allait connaître sur les plans de la paix et du développement sous le règne des Soulaïmaniyine.

Une autre preuve, irréfutable celle-là, de la mort de Soulaïmane à Fakh existe. Notre auteur  signale que « Sidi Slimane est le frère de Idriss et de Issa qui ont la même mère, Atika Al-Makhzoumiyya » ce qui est vrai. Or, les historiens nous apprennent qu’après la bataille de Fakh, Aïssa, composa un poème funéraire dans lequel il dit notamment :

                                               فـــلأبكين على الحسين بعولة وعلى الحسن

                                                وعلى ابن عاتكة الذي واروه ليس لـه كفن                          

                     Je pleure en gémissant sur El-Hoseïn et sur El-Hassan

                     Ainsi que sur Ibn Atika qu’on a  enseveli sans linceul.

Donc, des trois frères, tous fils de ‘Atika, celui «  qu’on a  enseveli sans linceul » ne peut  être que Soulaïmane puisque, après la bataille, l’un des trois (Aïssa)  composa le poème et l’autre (Idriss) partit pour le Maghreb. Ces vers sont cités par Aboul Faradj El-Asphahani (284-356 / 897-967), auteur du monumental « Kitab El Aghani », dans son livre « Maqatil Et-Talibiyine » (مقاتل الطالبيين) qu’on peut traduire par « Le massacre des Talibiyine », Talibiyine désignant la descendance de Ali Ibn Abi Talib.

Tous les Martyrs sont connus avec une rare précision y compris, pour certains d’entre eux, les généalogies de leurs mères ! Ces vers  sont repris par tous les plus grands historiens. Quant à Fakhreddine Razi (né à Rayy-actuelle Téhéran- en 543 / 1148 – mort en 606 / 1209 à Hara), figure exceptionnelle de l’Islam, auteur de l’une des plus importantes exégèses du Coran, dans son livre « Ech-chadjara al moubaraka fil ansab ettalibiya » (l’Arbre béni des généalogies des Talibiyine الشجرة المباركة في الأنساب الطالبية), il affirme que Soulaïmane avait un cinquième frère, Moussa El Jaoun (Moussa le brun).

Ce Moussa serait l’ancêtre de l’illustre Saint Sidi Abdelkader El Jilani d’après les propos de Abdesslam Ben Tayeb né en 1058 / 1648, dans son livre « Mounassabatoun lin – Nassab el Karim » (مناسبة للنسب الكريم) écrit en 1089 / 1678 et selon également les fortes présomptions d’un bon ami. Razi confirme la mort à Fakh du premier nommé (Soulaïmane) et celle de son frère Yahia, en prison, à Baghdad, sous le Califat de Haroun Er-Rachid, ce que nous allons voir en détail.

Il nous apprend également que Soulaïmane  n’a eu que deux fils : Abdellah qui n’eut pas de descendance et Mohamed qui eut dix héritiers. C’est ce dernier qui optera pour Tlemcen.

Ibn Abi Zar’, l’andalou, composa à la Cour de Fès en 1326 son «  Raoud  el Kirtas » (le Jardin des Feuillets) (روض القرطاس) où il reprend cinq siècles et demi d’histoire du Maroc (et de l’Andalousie) qui ont connu cinq dynasties dirigées par quarante-deux Émirs en commençant par le premier : Idriss.

Ce livre a été traduit en allemand, portugais, espagnol, latin et, en français, pour les besoins de la cause coloniale, par le vice-Consul de France au Maroc, Auguste Beaumier, en 1860. Ibn Abi Zar’ est l’un des rares à parler de la venue de Sidi Soulaïmane à Tlemcen. Quoique reconnu comme érudit maîtrisant, entre autres, le Fiqh et le Hadith, son livre recèle de  nombreuses inexactitudes. A ce sujet, il désigne les Idrissides comme Houssaïniyine alors qu’ils sont Hassaniyine ; c’est ainsi qu’en parlant de la descendance de Abdellah El Kamil, il mentionne que ce dernier est fils d’El Houssaïne, fils d’El Houssaïne fils de Ali  et ce, en maints endroits, ce qui est faux.

De plus il lui cite un septième fils : Ali qui a bel et bien existé ce qui donne à Soulaïmane  un total de six frères.  Son récit, dans lequel figure même l’usage d’au moins un Hadith apocryphe dont il est admis que celui qui y recourt n’est pas éligible au témoignage, est à exclure ou doit être lu avec de grandes précautions.

Dans le même livre il souligne que Soulaïmane a eu de nombreux enfants alors que Razi ne parle – comme beaucoup d’autres auteurs d’ailleurs – que de deux, ce que  nous venons de  dire à la fin du précédent  paragraphe.

                                                                          A suivre…. 

On ne badine pas avec l’Histoire. (Première partie)

On ne badine pas avec l’Histoire. (Deuxième partie)

On ne badine pas avec l’Histoire. (Troisième partie)

On ne badine pas avec l’Histoire. (Quatrième partie et fin)

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Reçu, ce 10 avril 2010, de Jonathan Klein, professeur de littérature à Bakersfield, en Californie, ce message où il est question...
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