• Ténébreuse trinité
La toile grouille de commentaires autour de celui qui, en l’absence d’un sursaut salvateur –quoique personnellement je sois fatigué des sauveurs pyromanes de toutes sortes- sera resté à la tête de l’Etat algérien sous l’égide de trois constitutions, celle avec laquelle il a consommé ces deux premiers mandats ; celle avec laquelle il a fait sauter l’écueil pour le troisième mandat et celle qui se profile à l’horizon pour permettre à des indus occupants de détourner la légitimité élective –formelle, de toute évidence- pour exercer le pouvoir.
Les atteintes physiques du prétendant et les forces obscures et mystérieuses qui cherchent à l’instrumentaliser ou celles qui cherchent à en endiguer raisonnablement les capacités de nuisance pour ne pas y laisser des plumes, placent l’Algérie sous la gouvernance d’une trinité inéluctable. Ne s’afficheront que les têtes utiles pour le strict nécessaire au décorum républicain. Pour Ali Bahmane, qui a signé l’éditorial d’El-Watan du 16 mars, le pouvoir est d’ores et déjà tenu par le chef de l’Etat en exercice -sans jeu de mots-, Son frère, Saïd de son prénom, une doublure présidentielle avec un statut effectif exorbitant, sans la moindre procuration ou mission préalablement définie. Une sorte de Wassila Bourguiba au masculin, personnifiant ainsi un véritable défi aux institutions et aux fondements de l’Etat puisque agissant dans l’ombre et à l’abri de tout contrôle et enfin le dernier arrivé, Ahmed Ouyahia.
• Un Sisyphe heureux
Un poste stratégique idoine pour un Ahmed Ouyahia aux aguets en cas de défaillance majeure du titulaire de la magistrature. Si d’aucun subodore la forte attraction qu’exerce le sommet sur le plusieurs fois premier ministre et personne ne doute de son envie tenace, qu’il sait contenir, d’escalader les escarpements difficiles du pouvoir où les risques de chutes – pas de dérapages avec cet ambitieux persévérant- se nichent sous le moindre éboulis que l’on viendrait à négliger par excès d’imprudences ou d’impatiences !
Le challenge d’Ahmed Ouyahia est d’atteindre le sommet avec le sérieux handicap que constitue le fardeau de son impopularité chronique qui lui colle à la peau. Et ce n’est pas le sentiment, tenace chez les algériens, que c’est bien à son obéissance aux bonnes étoiles mais aussi à son allégeance au système dont il connait si bien les arcanes qu’il doit de se retrouver là d’où il peut, aujourd’hui, caresser son rêve.
Par ses accointances idéologiques, par la complexité de sa filiation politique, et son parcours d’éternel second de sa classe mais pas aimé pour autant et surtout parce que il se sait condamné à gravir le somment avec cette lourde charge inhérente à son image, il personnifie dans le sérail politique algérien le Sisyphe légendaire. Comme Camus et au regard de ce que m’inspire le vrai Ahmed Ouyahia, j’imagine très bien un « Sisyphe heureux » en dépit de l’éternel recommencent !
L’Os.
La candidature à la magistrature suprême d’un homme dont ses forces physiques sont significativement diminuées et certains précisent que l’intégrité de ses forces de l’esprit est largement entamée, pour paraphraser un Mitterrand justifiant publiquement son refus d’abandonner l’Elysée à cause de sa maladie, provoque une véritable levée boucliers d’autant qu’elle est perçue comme une simple promenade de santé pour une auto-reconduction de mandat. Cela en fait la tentative de maintien sur le trône la plus ubuesque de l’Algérie indépendante et en ulcère plus d’un algérien.
On se serait arrêté à se faire une raison pour le tintamarre ambiant autour du sujet en se consolant du fait que les algériens ont un os à ronger. Les voix d’hommes d’état expérimentés et respectés tels Ali Yahia Abdenour, Ahmed Taleb Ibrahimi et Rachid Benyelles, Mouloud Hamrouche ou Liamine Zeroual sonnent trop juste et souligne la gravité de cette étape décesive. Le quatrième mandat s’il venait à s’imposer aux algériens, se réalisera pour consolider des intérêts occultes au détriment de ceux du pays. Les trois premiers ont adopté une position citoyenne au-dessus de toute démarche qui serait empreinte de rivalité, ou induite par des motivations partisanes ou claniques.
Ils se sont réunis autour d’un consensus pétri de bon sens. Celui qui n’a pu endiguer, sur quinze ans, la régression du potentiel de développement du pays alors qu’il bénéficiait d’une manne et d’une aisance financièrement sans précédent ne peut prétendre à redresser la situation en encore moins de temps et des ressources plus réduites car dilapidées et gâchées. Créer la dynamique pour un essor de la nation sous ces conditions, une période plus courte et avec moins d’atouts, est évidemment une gageure qui exige que le leader soit porté par le plus large consensus national et soutenu par une adhésion massive et enthousiaste des algériens. Sans être doué pour lire dans le marc de café, on peut présupposer que le prochain barreur doit valoir son pesant de charisme pour faire rêver le pays à l’unisson.
Le président Liamine Zeroual a clairement mis l’accent sur la nécessité de saisir cette dernière chance à réhabiliter les fondements d’un fonctionnement authentiquement démocratique pour propulser la nation vers un épanouissement économique dont elle est encore capable. Le cas échéant, l’entêtement à garder le leadership que les vicissitudes de la vie vous empêchent d’assumer sera l’estocade qui clouera davantage le pays dans une dépendance de plus en plus problématique vis-à-vis du marché international et obérera toutes les possibilités d’une réindustrialisation du pays. C’est dire que le quatrième mandat risque d’être un mandat de trop pour le prétendant constituera un os à travers la gorge de la nation.
Un mandat pour phagocyter l’avenir
Je suis aussi en phase avec Mouloud Hamrouche ; son appel aux forces vives à réagir en plaçant le problème au-delà du refus ou de l’approbation d’un quatrième mandat est pertinent. La présidentielle est un moment fort et privilégié pour une confrontation fructueuse d’idées sur les bonnes directions à faire prendre au développement du pays, une saine émulation pour partager des visions de l’avenir afin que l’on puisse dans la sérénité choisir un cap et arrêter de subir le temps qui passe.
Avec le quatrième mandat rien de tout cela n’est possible ; Le débat national est réduit à se déterminer de manière dichotomique, pour ou contre, à prendre des positions disparates ; il en résulte que tout effort de réflexion pour dessiner les contours de notre futur est annihilé. Nous avons une réelle difficulté chronique à débattre de notre présent, si en plus, une candidature agit comme une diversion pour nous empêcher le peuple de relever la tête et scruter l’horizon pour, comme j’aime à le dire, regarder l’avenir dans les yeux.
Il devient urgent de répondre à la seule question qui vaille d’être formuler : quelles sont ces forces qui s’acharnent à diriger le pays sur le maelström ? Je suis convaincu que l’on ne pourra pas faire l’économie d’un authentique débat pour aller vers une transition démocratique. Un débat où les élites comme les masses exerceront sans modération leurs droits à la liberté d’expression. Même s’il ne débouchera pas sur une solution immédiate, cela vaudra beaucoup mieux que la meilleure des solutions qui viendrait à être imposé sans débats ni consensus.
• Ruser avec l’impasse ?
Sommes-nous dans une impasse ? C’est le diagnostic de Mouloud Hamrouche, ce 24 mars dans l’interview qu’il accorde à El-Watan. Soit. Je rappelle donc la sentence de Abdelhamid Mehri , réfutant l’inanité de vouloir ruser avec l’impasse. Le président-candidat a inauguré son premier mandat en faisant sien un adage arabe qui stipule que la sagacité commande à celui qui a l’esprit bien affuté de ne pas recourir à la ruse et autres subterfuges de pacotille.
Or, qu’observe-t-on dans son camp ? Que de petits malins qui manient grossièrement des arguments à quatre sous pour faire avaler aux gens de bien grosses couleuvres. Lui-même, dans sa lettre aux foules qui réclameraient à cors et à cris sa candidature ne craint pas le ridicule de manier une langue de bois empestant le ridicule. Il rempilerait donc pour satisfaire l’appel pressant du peuple afin notamment de le consacrer son quatrième mandat par le passage de témoin à la jeune génération. Il entend donc des voix ! On peut commettre la lapalissade en lui signalant que plus vite il prendra sa retraite, plus vite les nouvelles générations s’approprieront les rênes du pouvoir.
Il n’y a pas de mal à se faire du bien avec un zest de sagesse arabe; il n’y a pas à tergiverser avec une bonne idée, il faut l’appliquer avec célérité ! Alors, vite ! levez le pied, ne franchissez pas le Rubicon !
• Deuxième république ou reformatage permanent de la république !
L’obstination à continuer à retenir la main de la république de peur de la voir échoir à quelqu’un d’autre dont les capacités seraient mieux assorties avec la charge devient en soi une attitude non-patriotique, pour le moins. On entendrait presque le candidat, paraphrasant Brel, « Je crève de crever aujourd’hui alors que mes concurrents sont bien solides et massivement moins méritants ». Qu’à cela ne tienne, son clan ne semble pas hésiter pour lui faire accomplir le fameux pas en avant alors qu’il se trouve sur le bord du gouffre ! un quatrième mandat implique une révision constitutionnelle pour accommoder la république aux impératifs inhérents aux capacités du président, même si on admet que ses aptitudes ne le disqualifient pas.
Mais alors, qu’a-t-on besoin d’écrire des constitutions qui à la première contrariété doivent-être modifiées. Une constitution pour chaque président et le plus boulimique d’entre eux, en veut sa troisième ! Un mandat, une constitution, c’est plus que déraisonnable. Ou alors l’écrire avec un seul article, le président élu dispose d’un blanc-seing absolu pour formater la république à ces desideratas, à ses convenances personnelles et aux exigences de son programme.
L’absence des contre-pouvoirs constitutionnels efficaces ou leur veulerie fait que les constitutions ne sont pas si fondamentales chez nous. Aujourd’hui, avec le quatrième mandat, nous payons la facilité déconcertante et le silence qui a béni le tripotage de la précédente rendant possible le troisième mandat.
D’un autre côté, si ce fut louable pour Liamine Zeroual de limiter à deux mandats la magistrature suprême dans la constitution du 28 novembre 1996, cela n’autorise pas à se voiler la face ou être amnésique au point d’oublier que celle-là, même approuvée par un referendum, fut conçue pour juguler toutes velléités ou expressions intempestives de la représentation nationale élue par un tiers présidentiel désigné au sénat. Le peuple aurait donc approuvé d’être muselé par un tiers bloquant, au cas où il abuserait de sa liberté de choisir ! à d’autres !
En son temps, Mouloud Hamrouche avait publié une tribune dans El-Watan où il avait développé l’idée que les problèmes qu’affrontait le pays découlés de la non-application de la constitution de 1989 et n’étaient en aucun cas générés par l’impérieuse nécessité d’une nouvelle.
Ce sont les crises récurrentes du système qui dictent donc l’adoption de nouvelles constitutions. Il est pourtant simple, si on agit en patriotes authentiques et éclairés, de pouvoir mettre fin à ce reformatage permanent de la loi fondamentale du pays. Et s’il y a consensus à rechercher c’est autour du principe que toute modification significative de la question ne peut s’appliquer ou plus exactement bénéficier à son instigateur et doit satisfaire à une large approbation par la classe politique et validé par le peuple. Cela implique un deuxième élément du consensus : la volonté populaire ne doit plus être détourné par des manipulations frauduleuses mais doit être conforme aux bulletins de vote effectivement mis dans les urnes par les citoyens.
No pasarán!*
Les algériens se rebiffent contre ce que d’aucun aurait simplement, en temps normal, qualifier de candidature suicidaire. Ils rejettent « globalement et dans le détail » cet option appuyée par des porte-voix de fortunes mais terriblement appliqués et dont la motivation ne concède pas le moindre carat à leur discipline de phraséologues repus d’opportunisme.
Confusément ou avec une perspicacité d’analyste au fait de la chose politique, les gens ont conscience de la gravité des enjeux de cette partie d’échecs qui se jouent sans eux et dont ils ne comprennent pas toujours les règles. Leur résignation légendaire à élire sans jamais choisir risque, cette fois-ci, d’ajouter à l’aveuglement des décideurs, volontairement confinés dans les coulisses du théâtre de la république pour manipuler l’ombre chinoise.
Fatalement, ils ne verront pas la société refuse désormais d’être figée dans un immobilisme délétère dont les forces du mal veulent la maintenir. Et qu’à Dieu ne plaise, la goutte qui fera déborder le vase arrivera ! Je dirais alors ce que j’ai écrit sous les titres « La Révolution oui ! La chienlit non ! »1, basta avec « les neo-harkis, renegats, l’arrogance en plus »2, il est temps que l’on choisisse calmement un « tempo pour « Algérie, mon amour » »3 et « l’Algerie au cœur [regarder] l’avenir droit dans les yeux.»4, sinon nous perdurerons dans « de la libération à l’indépendance, l’époustouflant sur place »5.
On suggère au président-candidat ces derniers temps de s’armer d’un tantinet de volonté de rentrer dans l’histoire. Malheureusement, comme dirait l’iconoclaste cycliste Virenque, « à l’insu de son plein gré », il s’agrippe pathétiquement aux basques de république. Il est difficile de rentrer dans l’histoire dans cette posture.
Dieu me garde de m’attaquer ad hominem à une personne à terre même s’il suffirait que je la nomme pour vous faire partager tout le mal que je pense d’elle. Il est probable qu’une sorte de justice immanente s’acharne contre elle pour lui faire payer d’avoir bien vécu jusqu’à maintenant. C’est un spectacle pour voyeuriste auquel les citoyens sont soumis à leur corps défendant. Les plus vigilants craignent que la nation soit tirée vers les abysses où les vieux démons à peine engourdis se réveilleront pour s’en donner à cœur joie.
Des trésors d’intelligences sont mobilisés pour donner quelques couleurs à la langue de bois nord-coréen et faire accroire aux gens que la mascarade couvre un sauveur. La sincérité a cependant son timbre. J’entends enfler la voix des gens inquiets pour leur pays crier « No pasarán! » (Ils ne passeront pas) mais si vous entendez, jaillir après le 17 avril, « ¡Han pasado! » (Ils sont passés !), sachez que la boite de pandore est ouverte mais n’oubliez tout de même pas que l’espérance est la dernière à s’y échapper !
Mokhbi Abdelouahab
Références :
1. https://algerienetwork.com/blog/algerie-la-revolution-oui-la-chienlit-non/
2. http://dzlinks.blogspot.com/2011/03/les-neo-harkis-renegats-larrogance-en.html
3. https://algerienetwork.com/blog/1ier-novembre-quel-tempo-pour-algerie-mon-amour/
4. https://algerienetwork.com/blog/lalgerie-au-coeur-et-lavenir-droit-dans-les-yeux/
5. https://algerienetwork.com/blog/de-la-liberation-a-lindependance-lepoustoufflant-sur-place/