Docteur Chawki Mostefaï
Le samedi 28 mai 2016, à 20H30, le Moudjahid Chawki Mostefaï s’éteignit dans sa 97 ème année. Militant nationaliste de 1941 à 1962, il remit sa lettre de démission au GPRA le 27 juin 1962 pendant, qu’en pleine période du cessez le feu, des opportunistes de tous bords grossissaient exponentiellement les rangs de l’ALN. Issu d’une illustre famille de Bordj Bou Arreridj, il était né à M’Sila le 5 novembre 1919. Il suivit ses études primaires dans la première ville citée et, avec un baccalauréat série philosophie obtenu à Sétif en 1938, il s’inscrivit à la faculté de médecine d’Alger pour faire son internat dans une faculté de Toulouse et suivre après une spécialisation en ophtalmologie à Paris. A Sétif, il milita de 1936 à 1937, avec un groupe de camarades, dans les « Jeunesses Socialistes » (SFIO) la future CGT. Le défunt sera inhumé demain au cimetière de Aïn Bénian à l’Ouest d’Alger. (La photo de droite date de quelques mois.)
Alors que je travaillais dans une imposante promotion immobilière à Alger, de 1991 à 1996, j’ai eu à recevoir un client de 21 ans mon aîné. Il forgeait le respect à mille lieues à la ronde : le salut au premier abord, l’élégance, la finesse dans le langage, tout était soigneusement et scrupuleusement dosé. Au premier contact, il se présenta en me tendant la main : « Sghir Mostefaï, retraité et j’ai pour épouse une des sœurs de votre employeur. » Je lui dis aussitôt : « Sans être indiscret, ne seriez-vous pas un des frères Mostefaï de Bordj-Bou – Arreridj ? » Il me répondit qu’il s’agissait de tous ses oncles paternels au milieu desquels il a grandi au point où tout le monde le prenait pour leur frère. Sghir Mostefaï
Né en 1926, licencié en sciences économiques en 1957, il rejoignit le FLN et fit partie de sa délégation désignée aux négociations d’Evian. En 1962 il fut responsable de la création de la Banque Centrale d’Algérie et en devint le premier Gouverneur le 28 décembre 1962 jusqu’à juin 1981 soit durant 19 années. De plus, il joua un grand rôle aux côtés du regretté Mohamed Seddik Benyahia – sollicité spécialement par les USA – pour négocier la libération de plus de 50 otages américains détenus dans leur ambassade à Téhéran.
Il faut rappeler cette déclaration d’un haut responsable américain, prononcée au lendemain du dénouement de cette affaire, vantant les mérites de Benyahia et disant : « Si chaque père d’un otage avait été sollicité pour négocier la libération de son fils, il aurait fatalement abandonné. Benyahia ? Jamais. » Un jour, discutant avec Si Mohamed-Sghir Mostefaï, je reçus des clients désireux d’acquérir un appartement. Parlant de choses et d’autres avec eux, l’un d’eux parla de la ville du Sig.
A leur départ, Si Sghir me dit : « Je vous ai entendu parler de la ville de Sig. Connaissez-vous bien les grandes familles de cette ville ? J’ai connu un homme exceptionnel dont le nom m’échappe. » Je lui répondis que je le connaissais. Il fut très étonné par ce qu’il ne m’en avait pas dit un seul mot ni donné une quelconque description. Sa curiosité s’aiguisa. Je lui dis alors : « Vous l’avez connu au CNES (Conseil National Economique et Social) où vous siégiez ensemble et suis convaincu que vous vous en souvenez ne serait-ce que parce qu’un jour, il avait remis Monsieur Chérif Belkacem, Ministre des Finances de Boukharrouba Mohamed à sa place devant l’assistance médusée des membres du CNES. » Je sais que ça ne peut être que lui. Je lui dis qu’il se portait bien, qu’il s’appelait Mokhtar TAÏEB-BRAHIM et que c’était l’aîné de mes trois oncles maternels et mon père spirituel.
Cet oncle, son ami Abdelmadjid Meziane, Si Sghir Mostefaï, de sérieuses lectures sur la Guerre d’Algérie et surtout le contenu de la conférence donnée par le Docteur Chawki à l’Association Historique et Culturelle du 11 décembre 1960 et publiée le 19 octobre 2013 constituent la trame de ce qui suit.
Lors de la débâcle française du 18 juin 1940, le Docteur Mostefaï et cinq étudiants universitaires, décidèrent de lancer à travers toute l’Algérie des actions d’insurrection dès le 1er octobre de la même année. Ils en référèrent au Docteur Mohamed-Lamine Debaghine
Dr. Mohamed-Lamine DEBAGHINE
qui les convainquit de rejoindre le PPA où notre grand Patriote fut admis d’office comme membre à part entière du Parti. C’est lui qui, avec Chadly Mekki et Hocine Asselah furent chargés de dessiner l’emblème national qui devait servir lors des marches du PPA du 1er et du 8 mai 1945. Les dessins furent arrêtés dans un F2, mis à la disposition du PPA par Moufdi Zakaria (le père du poème , Hymne national algérien, et qui était situé dans la rue « Souk El Djemaa ». Dès l’automne 1940, Avec Mohamed lamine DEBAGHINE, il rencontra, à « l’hôtel des Négociants » sis rue d’Isly, Ferhat ABBAS pour le convaincre de suivre la voie indépendantiste. Ne donnant pas suite, le chef de L’UDMA se ravisera après le débarquement anglo-américain de la fin de la première semaine de novembre 1942. C’est là qu’ABBAS rédigea le « Manifeste du Peuple Algérien » !
Mostefaï participa à la mise sur pied de l’OS et fut de ceux qui lancèrent le 1er Novembre 1954. De 1956 à 1958, il fut proche collaborateur de Krim Belkacem puis chef de mission diplomatique auprès de la Tunisie, ensuite en Irak et en février 1960 il était ambassadeur du GPRA auprès du Maroc.
Et là il apprend le projet du Général de Gaulle qui avait obtenu les accords de Bourguiba, Hamani Diori (Niger), Modibo Keïta (Mali) et de Mokhtar Ould Daddah (Maurétanie) pour créer le Sahara des Riverains qui amputait de fait l’Algérie de son actuel désert. Le Docteur Chawki, pris de panique, voulait savoir qu’elle était la position du Maroc parce qu’il la savait déterminante. Il prit contact avec un de ses amis, ministre marocain, le Docteur Abdelkrim Khatib de père algérien et de mère marocaine, qui avait été élève à la faculté d’Alger avec lui de 1943 à 1945.Il était également cousin germain de Youcef Al-Khatib, qui était à la tête de la Wilaya IV. Son ami lui fit comprendre que la moitié du gouvernement était pour et l’autre moitié contre. Mostefaï essaie de le convaincre qu’ils allaient vers des problèmes graves et qu’une réunion entre le GPRA et le Gouvernement marocain devenait nécessaire.
Modibo KEÏTA (Mali) Hamani DIOURI (Niger)
Mokhtar OULD DADDAH (Maurétanie) Abdelkrim EL-KHATIB (Maroc)
Contre toute attente, Abdelkrim Khatib informa son ami que le Maroc était d’accord pour une telle réunion. Elle eut lieu fin juillet 1961. Le problème du Sahara fut posé par Hassan II. Ferhat Abbas lui répondit : « Nous enregistrons le fait, Nous sommes d’accord qu’il existe un problème de frontière entre nous. Mais notre qualité de membres d’un gouvernement provisoire ne nous autorise pas à prendre une décision d’aliénation d’une partie du territoire pour lequel nous sommes en état de guerre. Nous n’avons pas la compétence voulue. Ce ne peut être décidé que lorsque l’Algérie sera entièrement souveraine. » Cette thèse a été acceptée par la délégation marocaine. Bien après la signature des accords d’Evian Mostefaï reçut ordre du GPRA de rentrer à Alger et engager des négociations avec le Général Suzini, chef de l’OAS qui s’apprêtait à faire sauter le quartier de Belcourt et la Casbah dont elle avait bourré les conduites.
Si Abdelmadjid Méziane, Président de la Fédération du Maroc FLN FLN raconta que Mostefaï vint le voir et le mit au courant. Lui demandant ce qu’il comptait faire, le Docteur Chawki lui répondit : « Je rentre à Alger et il faut que je fasse le maximum : 15 000 à 50 000 vies risquent d’être perdues ». Méziane lui dit : « Si tu réussis, ne t’attends surtout pas à la reconnaissance pour ce que tu vas faire. » L’homme qui avait barré la route au projet de De Gaulle eut vite raison du général Suzini et l’accord de cessez le feu fut signé et annoncé sur les ondes. A la même période, Mostefaï fut désigné pour seconder le Président de l’Exécutif Provisoire de Rocher Noir, Abderrahmane Farès et préparer les seules élections propres que notre pays aura connues. Il déposa sa démission auprès du GPRA et se retira définitivement de la vie publique.
Il ne serait pas vain de signaler que son neveu, Si Sghir, décédé le 21 janvier 2016, se vit déposséder par Chadli et Larbi Belkheïr de sa villa. Aussitôt il rédigea quelques pages sur « Jeune Afrique » et la villa fut évacuée et mise sous scellés. Et c’est le Président Zeroual qui ordonna qu’elle soit restituée à son propriétaire ! Quant à son oncle Chawki, le plus grand honneur lui fut rendu à son enterrement : pas d’emblème national sur son cercueil – emblème qu’il a lui-même dessiné – , pas une seule des têtes qui ont mis ce pays sous séquestre : une vie de rectitude ne pouvait se terminer que par des funérailles limpides.