Ahmed Bedjaoui : Il faut œuvrer pour que la culture cinématographique se réimplante dans nos écoles, nos lycées et nos universités.

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Interview de Mr. Ahmed Bedjaoui (AB) par Jamouli Ouzidane (JO)

JO-1 : Mr le Dr. Ahmed Bedjaoui, permettez de vous présenter en quelque mots si possible :

Vous êtes une figure mythique de la critique du cinéma international (italien, suédois, américain) en général, spécialiste du cinéma algérien et en général un expert de la communication. Vous êtes Monsieur Télé Ciné club des 70-80. Vous avez hanté les studios algériens pendant au moins 20 ans en psychanalysant en quelque sorte les œuvres des classiques. Grâce à vous les algériens de notre génération ont découvert le cinéma universel et en ce qui me concerne Ingmar Bergman avec les séduisantes Ingrid Bergman et Liv Ullmann qui ont bercé notre enfance.

Vous avez été responsable des archives à la Cinémathèque algérienne (1966 à 1971), conseiller du directeur général de l’ONCIC (1971 à 1977), Directeur du département des services de production cinématographique à la RTA avec une période d’or pour le cinéma algérien, Vice-président du Conseil National de l’Audiovisuel de 1987 à 1991, conseiller pour la communication auprès du Premier Ministre algérien, consultant pour le compte de la Commission européenne, directeur du réseau REMFOC, Conseiller pour le cinéma auprès du ministre algérien de la communication en 2000, Commissaire général adjoint pour l’année de l’Algérie en France en 2003.

Cela fait une carrière bouillonnante bien remplie. Qu’est ce qui vous fait courir comme un madjnoun leila vraiment derrière cette passion de toute une vie ? Un événement particulier ? Une petite confidence devant votre psychanalyste ?

AB. Aussi loin que je puisse me souvenir, l’amour du cinéma m’a toujours habité. Tout petit, j’organisais des séances de « cinéma » avec des rouleaux de bandes dessinées que je faisais tourner avec des mécanismes en fil de fer. Lorsque plus tard, j’ai vu le volet des Enfants du Vent de Brahim Tsaki dans lequel des enfants fabriquent dans un total mutisme des engins roulants avec du fil de fer, je me suis tout de suite reconnu.

Peu de temps après, alors que j’étais à l’école primaire, mon oncle maternel a été chargé par un distributeur des projections itinérantes publiques à Sebdou où nous habitions alors. Trois fois par semaines, il montrait des films en 16mm dans un café du village. Il en profitait pour ramener chez nous l’appareil de projection et nous montrait des films égyptiens et américains le plus souvent.

J’étais totalement fasciné par ces séances qui me transportaient dans un monde magique, irréel et imaginaire. Je crois que j’en ai gardé un désir intense de dire pourquoi j’aimais tel ou tel film et de communiquer avec le public. Le plus étrange, c’est que j’ai eu l’occasion de présenter vingt ans plus tard dans mon émission télé cinéclub des films dont j’ai reconnu des séquences enfouies dans mon inconscient.

C’était le cas d’un film de Raoul Walsh dans lequel on voit Humphrey Bogart mourant sur un lit d’hôpital. J’avais compris à cinq ans que la cigarette qui tombait de ses lèvres était le signe visuel de la mort du héros.

JO-2 : On commence par le présent et votre dernier ouvrage : “Cinéma et Guerre de libération”. Une « exposition photos » du photographe yougoslave serbe Stéphane Labudovic a été organisée le 20 Mai 2015 au Bastion 23 à Alger. Je pense que c’est lui qui a fait la photo aussi de couverture de votre livre. Pourquoi cet hommage pour cet homme ?

AB. Stevan Labudovic est une leçon pour l’engagement et le courage. Il était photographe officiel de Tito et jouissait à ce titre, de beaucoup de privilèges. Il a préféré quitter ces avantages pour se rendre dans les maquis et se mettre au service de l’ALN. Il a fini sa carrière à l’ANP dont il est retraité. Mieux encore, à chaque premier novembre, il revient en Algérie, revêt le costume de l’armée nationale et assiste au lever du drapeau.

Je voulais, à travers cette image dire que l’héroïsme ou le patriotisme a parfois été porté par des personnes qui ont fait le choix de l’Algérie, contre leur propre communauté. Malheureusement, on a trop tendance à oublier ou à occulter l’apport de personnalités comme Pierre Chaulet, Jacqueline Guerroudj, Serge Michel, Jacques Charby, Henri Maillot et bien d’autres.

JO-3 : ce livre vous a demandé une recherche incroyable dans les coulisses de ce cinéma. Une rétrospective qui je pense sera suivi d’une monographie de toutes les œuvres du cinéma algérien durant cette période et je suppose certainement une trilogie pour clore cette période historique.

AB. Effectivement, ce livre a demandé des milliers d’heures de visionnage, de recherche et de documentation. Il fallait aussi recouper les sources car, à côté de gens modestes et effacés, il y en a eu qui ont su mettre en valeur leur rôle. C’est en recourant à plusieurs sources que l’on arrive à approcher la vérité. Fort heureusement, beaucoup de protagonistes de la guerre de libération ont commencé à témoigner par écrit et cela s’est avéré précieux pour mes recherches.

JO-4 : Maintenant, tout le monde connait un peu la crise du cinéma ou de la production télévisuelle de nos jours. On ne produit plus de génie chez les producteurs, les réalisateurs, les écrivains, les acteurs … C’est un peu valable aussi pour le cinéma égyptien, libanais …

AB. L’aventure du cinéma est une chose merveilleuse qui a connu son pic entre 1920 et 1970 en gros. Cinquante ans pendant lesquels, le cinéma était le seul art populaire capable de drainer des foules, de les faire rêver ensemble dans une chambre noire où on projetait un film enregistré dans une chambre noire qui est la caméra. Au cours de ce demi-siècle, nous avons connu à travers le monde des cinéastes de génie qui vont du russe Eisenstein au japonais Misogushi en passant par Chahine, Renoir, Hitchcock ou Fellini. Mais on peut en citer plus de cents qui ont apporté des idées cinématographiques lumineuses.

Et puis la télévision est venue. Autant le cinéma s’est confondu avec la liberté et la diversité des messages, autant la télévision a été utilisée comme une arme pour la pensée unique un peu partout, y compris dans les pays démocratiques. La télévision a changé les habitudes de consommation et éclaté les groupes des publics pour les réduire à des individus isolés, ou ce que David Riesman appelle des « foules solitaires ».

Le cinéma a tout dit. Il est difficile aujourd’hui d’innover. C’est pourquoi ce sont les pays jeunes ou « différents » comme l’Iran ou la Corée qui apportent des idées nouvelles. Grâce au rôle joué par le cinéma dans la libération du pays, l’Algérie a eu, dans l’élan de l’indépendance sa période de gloire, nourrie elle-même par un rêve de justice et de développement exemplaire, qui a dur le temps de deux décennies, jusqu’au moment où Omar Gatlato est venu montrer les fissures qui traversaient ce rêve.

JO-5 : Comment en sommes-nous arrivés là et quels actes devons nous faire pour restituer notre génie.

AB. Avec Omar Gatlalto, l’Enfer à dix ans, le Charbonnier ou encore Tahya ya Didou ont entretenu l’illusion d’une relance qui n’est jamais venue. Au moment où le cinéma officiel était dominé par des rêves de grandeur et par les carcans de l’unanimisme, c’est curieusement à la télévision que la flamme s’est allumée à la télévision de l’époque de la grande RTA.

Dès le début des années soixante, Abdelaziz Tolbi avec Noua ou Moussa Haddad avec les Enfants de Novembre commencent à apporter une vision nouvelle au traitement de la guerre d’indépendance. Un regard moins pollué par les rêves hollywoodiens. Des films qui enfin expliquent pourquoi une génération entière a décidé de faire don de sa vie pour retrouver la dignité d’être Algérienne ou Algérien chez soi.

Je produisais et animais l’émission Télé cinéclub depuis 1969 et j’étais souvent appelé à présenter des films algériens produits par la RTA qui était dirigée par Abderrahmane Cheriet, un homme tout à fait remarquable. C’est lui qui a commencé à encourager la production. Autant il était ouvert, autant la direction de la télévision et de l’information était conservatrice et frileuse.

Parfois, ces gens s’opposaient au passage de tel ou tel film et Abderrahmane Cheriet me le montrait en projection pour avoir mon avis. Certains dans ce cercle restreint préconisaient de censurer certaines scènes (pourtant bien anodines). Avec l’accord du DG, je décidais de programmer ces films dans mon émission à la condition qu’il n’y ait aucune censure.

En contrepartie, je m’engageais à poser la question au réalisateur qui avait ainsi la chance de s’expliquer directement avec son public. Cela est arrivé assez souvent au cours des dix premières années et nous a permis de sauver des œuvres majeures. Je voudrais ajouter qu’à l’époque de Boumediene et contrairement aux idées reçues, la liberté d’expression dans les arts et même la presse publique, était plus grande qu’au cours des années 80. Je pouvais faire mes émissions en direct et je recevais des appels téléphoniques non filtrés.

A partir de 1981, on m’a obligé à enregistrer mes émissions qui passaient ensuite au visionnage de contrôle avant diffusion. Je produisais et animais toujours cette émission lorsqu’en 1976, Abderrahmane Laghouati (dont j »étais déjà le conseiller à l’ONCIC) a été nommé directeur général de la RTA. Il m’a demandé de diriger la production de la télévision.

Ce que j’ai accepté, à condition d’avoir carte blanche, ce qu’il m’a accordé sans jamais se démentir. En contrepartie, je m’engageais à fournir à la programmation un long métrage de fiction chaque début de mois, plusieurs feuilletons par an et des dizaines de documentaires régulièrement.

Grâce à la volonté de cet homme exceptionnel qui fut le plus grand patron que la télévision algérienne ait connu, et sans doute l’un des plus grands de la Méditerranée, la production de la RTA a connu son heure de gloire. Entre 1976 et 1984, j’ai ainsi produit près de 80 longs métrages de fiction, une dizaine de feuilletons (dont Zina) et une centaine de documentaires artistiques.

C’est là que Abderrahmane Bouguermouh a pu réaliser son premier film Les Oiseaux de l’été, puis dansa foulée Kahla oua Beida. N’oublions pas les deux films de la future académicienne Assia Djebar si violemment attaquée par des cinéastes autoproclamés et autodidactes. La Nouba des femmes du Mont Chenoua qui a remporté le prix de la critique au festival de Venise et La Zerda ou les chants de l’oubli qui a été primé à Berlin. Assia Djebar a été la première femme arabe à réaliser ainsi un long métrage de fiction.

Mais à côté de cela, nous avons eu de merveilleux documentaires de Azeddine Meddour (Colonialisme sans empire et Combien je vous aime) que j’avais engagé en arrivant à la direction de la production, d’Ifticène (Gorine, Djalti ou les Rameaux de feu), de Moussa Haddad (Libération, Le Défi ou encore Hassen Terro au Maquis) de Bakhti (le retour). N’oublions pas que c’est à cette époque que la RTA a produit Vent de sable de Lakhdar-Hamina, qui fut présenté au festival de Cannes dans la sélection officielle. Je ne peux citer tous les autres réalisateurs comme Badie ou Badri et tant d’autres qui nous ont donné des œuvres superbes. Qu’ils m’en excusent tous.

JO-6 : Parlez nous de votre production du magnifique film Nahla qui est je pense l’une de vos plus belles histoire d’amour avec le cinéma.

AB. Au milieu de cette production si riche, Nahla apparaît comme la cerise sur le gâteau, un joyau serti de diamants, un miracle unique, puisque Beloufa n’a jamais pu réaliser depuis (et malgré son immense talent) un second long-métrage. C’était aussi une folie que nous avons pu mener à bien grâce à l’audace et à la volonté d’Abderrahmane Laghouati. La RTA a acquis deux caméras entières et le film a pu être tourné en 35 mm en format cinéma. De plus, il s’est tourné entièrement au Liban quasiment en pleine guerre civile. Le résultat fut ce film mythique qui est à mon avis, l’exception algérienne avec La Nouba des femmes du mont Chenoua.

Jo- 7 : parlez nous d’un autre film mystique que vous avez aussi produit : le grand Bouamama de Benamar Bakhti écrit par Boualem Bessaaih avec le grand acteur Athmane Ariouath.

AB. Après quelques années d’intense travail de production, nous avions réussi à former des équipes entières en faisant la promotion de jeunes techniciens ou décorateurs. Le projet de l’épopée du Cheikh Bouamama (c’est le titre complet du film) était sensé être le début d’une phase de consolidation qui devait nous mener à un grand film sur l’Emir avec auparavant un autre sur El Mokrani. Le scénario a été écrit par Boualem Bessaih qui connait bien l’histoire des insurrections du Sud Oranais avec Laala, Belkheir et Bouamama.

Mis à part le chef cascadeur Yvan Chiffre (qui a formé une dizaine d’Algériens sur cette production) tous les postes étaient exclusivement dirigés par des Algériens : Youssef Sahraoui à l’image, Malek Zaïdi au son, Mohamed Kessaï pour les décors, Chérif Kortbi pour la musique Mouaki Larafi au montage : Costumes, Liliane El Hachemi pour les costumes.

Sous la direction de Madame El Hachemi, des milliers de costumes, d’armes et de selles ont été confectionnés en Algérie. Et puis, ce fut l’apogée de cet immense acteur qu’est Athmane Ariouath. Ce dernier a été sous-utilisé dans le cinéma algérien qui est passé à côté d’un comédien d’exception.

Jo-8: comment voyez vous le rôle puissant du cinéma dans le vaste champs de la communication, des médias, des réseaux sociaux modernes et surtout du béhaviorisme social, de l’embrigadement et de la propagande à la lumière de votre expérience qui commence déjà avec le cinéma de guerre et de révolution.

R. Comme je l’ai dit plus haut, le cinéma a eu son heure de gloire. Il a gagné sa place de haute lutte en contribuant à gagner des batailles politiques sur la scène internationale. On parlait à l’époque de propagande et d’information. A mon avis les hommes du GPRA ont remporté sur la France coloniale une bataille décisive qui s’est jouée sur le terrain de la communication, audiovisuelle en particulier. Les Algériens étaient des cinéphiles accomplis, grâce au réseau important de 450 salles héritées de l’ère coloniale. Le cinéma algérien méritait mieux. A mon avis, il a été trahi au profit de la télévision sans que cela profite vraiment à ce média dominant.

Jo-9 : Votre thèse de Phd en 1983 a porté sur la littérature américaine avec le grand auteur Scott Fitzgerald et Hollywood.

Commençons par Fitzgerald et ses œuvres mises en scènes aussi comme “Gatsby le magnifique” de Jack Clayton avec le magnifique Robert Redford, “tendre est la nuit” de Henry King, “le dernier Nabab” de Elia Kazan, rappelons qu’il a aussi participé au scénario d’ “autant en emporte le vent” qu’est-ce qui fait réellement son génie particulier ou qu’est-ce qu’un génie en général ?

AB. Oui, j’ai passé de longues années à rédiger ce doctorat en anglais et cela m’a beaucoup enrichi sur le plan personnel. J’ai lu et annoté tout ce qui avait été écrit (y compris dans sa correspondance privée) par Francis Scott Fitzgerald, mais aussi à peu près tout ce qui a été écrit sur lui. Le mérite de Fitzgerald aura été, avec ses collègues de la Bit génération (dont Hemingway), d’avoir enfin sorti la littérature américaine de la nursery européenne.

Fitzgerald, sans être un génie de la dimension de James Joyce ou de Faulkner, a écrit des œuvres majeures, dans un anglais particulièrement coloré et ancré dans la fêlure du rêve américain de la première moitié du 20ème siècle. Il voulait devenir une star à l’image des stars d’Hollywood. Il a participé à l’écriture de nombreux scripts pour la MGM mais il n’a été crédité qu’une seule fois.

Cette période nous a donné un magnifique roman inachevé, Le Dernier Nabab, superbement adapté par Elia Kazan. J’allais dire mon ami Kazan, car bien que je ne l’aie jamais rencontré, j’ai tellement fréquenté ses œuvres qu’il fait à jamais partie de ma culture profonde.

JO-10 ; parlons de la complexité du rôle de Hollywood comme influence sociale. Quels sont vos points de vue sur sa missions comme :
– une machine de propagande politique et patriotique déjà durant les deux guerres, la chasse aux sorcières contre les russes, les chinois, les iraniens, quelles sont sommairement les théories psycho-analytiques dans le cinéma.

AB. Hollywood a été pendant la deuxième guerre mondiale une machine de propagande mobilisée contre le nazisme. Mais c’est après la guerre que l’hystérie anti-communiste, menée par le sénateur McCarthy s’est déchainée. De nombreux cinéastes ont été victimes de la chasse aux sorcières ; Chaplin, Losey, Dassin, Ben Barzman etc. Seul Kazan a échappé à la curée en choisissant de témoigner contre ses collègues. Certains lobbies ont poussé quelques producteurs mineurs le plus souvent à développer une image négative des Arabes et des Musulmans. J’ai été choqué par Argo de Ben Affleck (par ailleurs un excellent comédien) qui a malmené l’histoire et donné une image inadmissible de l’Iran.

– une machine qui démontre les fissures de la société américaine en général et constituent ainsi une critique de la conscience sociale américaine.

AB.. Il faut également noter la présence s’une génération de comédiens engagés qui ont dénoncé la guerre que les ultras républicains ont menée contre l’Irak par exemple, sous des prétextes fallacieux et mensongers. Georges Cloney, Bradd Pitt, Matt Damon, Angelina Joly, Johnny Depp ou encore Nicolas Cage sont autant d’exemples d’artistes engagés au cœur même d’Hollywood.
R. N’oublions pas tout de même que le cinéma américain a souvent dénoncé le système politique capitaliste. Des cinéastes comme Huston et tous les réalisateurs du film noir ont été des gens engagés. De nombreux acteurs comme Gary Cooper, Spencer Tracy ou Humphrey Bogart étaient des personnes très à gauche de la pensée dominante aux USA.

– un divertissement qui vend la séduction du modèle américain.
AB. Hollywood s’est toujours présentée comme une fabrique de rêve, faute d’être celle du rêve américain écorné depuis si longtemps. Le souci premier des grands studios hollywoodiens est de faire du business et de gagner de l’argent à travers le réseau de salles et de distribution de home cinéma dont ils disposent à travers le monde. Si le film peut distraire et être bon, on le retrouvera aux oscars, mais cela est secondaire.

JO-11 : Parlez nous un peu de la critique cinématographie en Algérie qui est inexistante en réalité. On a aucune école, aucun enseignement, aucune revue et aucun courant. En France, il y’avait les “Cahiers du Cinéma” où même des cinéastes comme François Truffaut, Claude Chabrol, Serge Darney, … excellaient. Quelles perspectives voyez-vous ?

AB. Il a existé à la RTA à l’époque de Laghouati une excellente revue « Les deux Ecrans ». Cette revue avait un public très large recruté parmi les cinéphiles qui se formaient dans les salles de cinéma au milieu d’un public. Aujourd’hui, les salles sont toutes fermées et le cinéma est privé de public.

Comment imaginer dans ce vide sidéral une critique qui ne relève pas du virtuel ou du fantasme ? L’enseignement du cinéma est au point mort et l’Université algérienne ne dispose pas d’espaces réservés à l’enseignement de l’audiovisuel.

Tant que l’Etat continuera à monopoliser les activités de production, de formation et de promotion du cinéma au lieu de laisser ces tâches au marché et de se contenter d’apporter des aides aux porteurs de projets, nous stagnerons dans la situation peu reluisante qui caractérise le cinéma depuis les années 90.

JO- 12 : Comment voyez vous le rôle du critique cinématographique : entre informer sur le film, donner un simple avis de journaliste, faire la promotion commerciale avec un attaché de presse, ou critiquer le contenu dans la forme et le fond.

AB. Pour être clair, je ne crois pas qu’il existe ou puisse exister des critiques de cinéma dans un cinéma virtuel et sans circuit de salles. Il a existé une critique lorsque des centaines de salles accueillaient des millions de spectateurs. Aujourd’hui, il ya moins de vingt salles ouvertes au public dans tous le pays. A quel public parlerait un critique aujourd’hui ?

JO-13: Finalement après cette faste période de la passion cinématographique, quel projet de rêve vous reste t-il à espérer ? Réaliser un autre film pour la prospérité ?

AB. Faire un film pour qui ? Tous les films qui ont été faits depuis 15 ans ont été vus par quelques centaines d’invités privilégiés à l’occasion des avant-premières mondaines et par quelques festivaliers lorsqu’ils arrivent à être sélectionnés. Pour mémoire, les neuf films présentés à la sélection de Cannes en 2015 n’ont pas été retenus.

Mon rêve est le même :
– militer pour la réouverture de certaines salles encore viables ou/et l’ouverture de multiplex qui font aujourd’hui le bonheur du cinéma égyptien ou turc.
– continuer à œuvrer pour que la culture cinématographique se réimplante dans nos écoles, nos lycées et nos universités.

C’est en offrant des structures viables au marché cinématographique et en renforçant l’amour du cinéma qu’on aidera le septième art à sortir de son marasme. La production de films n’est justifiable que lorsque le public sera en mesure de l’accueillir. Ce n’est pas en mettant la charrue avant les bœufs qu’on fera revivre un cinéma moribond.

Interview de Mr. Ahmed Bedjaoui par Jamouli Ouzidane

 

 

 

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