vendredi, mars 29, 2024

Djamila Abdelli-Labiod: L’immigration de jeunes algériens à Ibiza

Laura Ferrer Arambarri

Mourad survit entre les débris, il récupère, dans les décharges, du plastique et des pièces de métal qu’il revend à une usine de recyclage. Sa vie est terne malgré sa jeunesse et ses envies de vivre pleinement à chaque seconde…jusqu’au jour où il découvre Ibiza dans un reportage à la télévision et nourrit une obsession pour une certaine idée de paradis. C’est ainsi que démarre le deuxième roman de Djamila Abdelli-Labiod, Survivre pour Ibiza ! (Aframed Editions), dans lequel elle dresse le portrait de la réalité des jeunes de son pays qui embarquent sur des bateaux de fortune pour rejoindre Ibiza. Pour la couverture du livre, elle a choisi une image loin d’être complaisante : le travail de très jeunes garçons dans les décharges algériennes.

« Le personnage principal de mon roman s’appelle Mourad, qui signifie ambition en arabe », raconte Abdelli-Labiod à Noudiari depuis Béjaïa où elle réside. Cette ambition qu’évoque son prénom se révèle au moment où il se confronte à une réalité très éloignée de son quotidien. Ainsi, comme c’est le cas de beaucoup de jeunes algériens, c’est à travers de la télévision et des réseaux sociaux par lesquelles ils ont accès à des images d’un monde d’abondance qui n’est pas à leur portée. Ou peut-être que si, à condition qu’ils osent tenter l’avenir.« Mourad voit un reportage sur Ibiza à la télévision, des images de discothèques et des lieux comme Bora Bora, des filles, encore et toujours des filles et des plus belles, et c’est alors qu’Ibiza se transforme en rêve. Il n’a plus que ça en tête ! », explique l’écrivaine.

Djamila Abdelli-Labiod relate quel est ce rêve que font beaucoup de jeunes qui voient Ibiza ou d’autres endroits d’Europe à travers des écrans et se mettent à penser à l’immigration illégale : « j’irai à Ibiza, je trouverai un travail et j’y vivrai bien », résume-t-elle. Il faut tenir compte de l’énorme répression sexuelle et les conditions économiques et sociales que vivent ces jeunes, souligne l’autrice : « en Algérie, même flirter avec une fille est considéré comme un délit si les jeunes se font surprendre. S’ils veulent se marier, ils doivent avoir un travail et un logement… ce qui fait que ces jeunes-là n’atteignent pas leurs objectifs ni réalisent leurs aspirations et se retrouvent dans une perpétuelle frustration. C’est pour cela, qu’ils voient dans des lieux comme Ibiza ou d’autres points de l’Europe, un modèle de société qui pourrait correspondre à leur choix de vie et c’est pourquoi ils veulent partir », argumente Abdelli-Labiod. Il y a des endroits qui leur paraissent inaccessibles de par leurs pauvres moyens, mais la proximité géographique de l’Espagne fait qu’ils se rabattent sur cette option : embarquer sur une barque de fortune et atteindre les côtes Baléares.«L’histoire du roman est remplie de tournants, de diverses trames et c’est aussi une immersion dans la vie des jeunes algériens », décrit l’autrice, qui met en relation la révolution personnelle que vit Mourad dans le roman avec le Hirak.

Le mécontentement et le malheur du personnage de Mourad se reflètent dans cette révolution qui a lieu dans le pays pour les mêmes motifs car la réalité de Mourad n’est autre que le reflet de la dure réalité de l’Algérie soumise à une crise chronique multidimensionnelle. En 215 pages de ce roman, l’autrice également de La réglisse de mon enfance (2011), dresse le portrait de plusieurs jeunes tentés par la possibilité de traverser la Méditerranée par le biais de ce canal d’immigrations illégales.La dureté de l’exil et le déracinement dont souffrent ces jeunes n’est pas palpable dans le roman, puisque, comme l’explique l’autrice, c’est une chose le rêve, et c’en est une toute autre la réalité dans laquelle ces jeunes se trouvent. Un livre chargé de messages, à disposition à ceux qui veulent bien les entendre, souligne-t-elle. Une histoire, en somme, qui rappelle que derrière les chiffres des embarcations qui accostent au large d’Ibiza (35 l’an dernier avec plus de 400 personnes), il y a bien plus : de jeunes gens qui veulent un avenir que leur patrie ne peut leur offrir.

Laura Ferrer Arambarri

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