Faiza Acitani : une voix féminine qui a su transgresser un code culturel

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Benhacen Abdelhamid

Une romance
Quarante neuf poèmes qui forment dans leur ensemble une romance poétique avec l’originalité d’une poétesse qui a su puiser de ce genre certains éléments, comme elle a su se démarquer d’autres éléments qu’elle a jugé désuets. Romance, car ces poèmes sont disposés dans un processus narratif qui raconte une histoire d’amour où agissent deux personnages : La 1ère personne – qui n’est autre que la femme, et la 2ème personne qui est ce cher être bien aimé qui demeure vivant même après sa disparition dans l’au-delà . Deux personnages qu’unit une relation d’amour pure et révoltée :
O vent ! o tempêtes !
Saccagez-nous
Célébrez notre fête
Emportez-nous
Au-delà de l’horizon

Ce processus narratif évolue dans un espace poétique esquissé d’une main experte, avec des couleurs propres à nous faire dire : Le romantisme est de retour dans un habit neuf ! La mer, la lune, les étoiles, les collines, les dunes ; tout dans un seul tableau qui n’a cure du réalisme et qui ne cherche que la beauté et l’extase :
Je t’ai cherché
Entre les vagues d’une mer houleuse
Entre les lueurs d’une lune frileuse
Entre les étoiles éparses d’une nuit ténébreuse
Le facteur Temps est un élément essentiel dans ce processus narratif : Un début heureux où la révolte contre les carcans et les tabous apparait comme une fin en soi :
Elancez-vous rebelles
Brisez les muselles
Et le silence cruel
Déchainez vos merveilles !
Elans !
Vient ensuite la disparition tragique du bien aimé, une disparition immortalisée dans ( Tu es tous mes souvenirs p79/80) :
Tu es mon poème
Qui fait chanter ma bohème
O tendresse !

Et c’est à partir de cette étape que la poétesse commence à se démarquer du romantisme, elle adopte une attitude courageuse qui ne ressemble en rien à la soumission des romantiques. Et c’est ainsi qu’en page 80 elle exprime sa confiance en un avenir radieux :
Un renouveau va éclore
Resplendissant et plus fort

Mieux encore, l’amour à venir sera raisonné, sans fougue, et d’un certain point de vue soumis au code culturel social… La foi en Dieu, la piété à la place des tempêtes déferlantes :
Nous seront très pieux
Créatures de Dieu

Est-ce la peur d’une malédiction ou d’une nouvelle tragédie qui a appelé la poétesse à s’arranger du côté du code culturel social ? Est-ce la maturité après une jeunesse fougueuse ? Dans tous les cas, le parcours du récit s’arrête là, mais il ne se referme pas car ouvert à de nouveaux horizons. La poétesse ne cessera jamais de réfléchir, de chercher la meilleure équation qui sortira l’individu de la tragédie qu’il endure dans notre société.
Et sans verser dans une polémique sexiste, je dirai qu’une voix féminine algérienne qui emprunte- de nos jours- les sentiers escarpés de la poésie d’amour est en soi une prouesse qui mérite son pesant de respect et d’estime. Faiza Acitani est une poétesse qui ajoute du nouveau dans le romantisme, en le dépassant, et du coup en le condamnant d’une certaine manière.

Le style :
Le langage poétique diffère des autres stratégies discursives en ce qu’il mise sur l’élargissement du champs d’interprétation au point de ne laisser échapper aucun élément linguistique, à commencer par le niveau phonétique et à finir par l’interprétation du message dans son ensemble. Et s’il est établi que le texte ne se dispose à l’interprétation qu’après avoir subi l’analyse de tous ses niveaux d’expression, je me contenterai d’une analyse sommaire, car cet espace ne permet pas une analyse détaillée.

a- Niveau phonétique :
La rime occupe en poésie une place importante, car sa résonance persiste tel un refrain qui endigue la pensée et trace une feuille de route que l’oreille ne peut chevaucher. Et le critère le plus adapté à l’étude de la rime d’un poème est celui de la redondance. En ces termes il m’a été donné de constater que la poétesse Faiza Acitani a eu recours, dans ce recueil, à des rimes qui vacillent entre quatre phonèmes principaux : S,Z,R,G. Et si la spontanéité est un signe d’originalité dans tout texte littéraire, il demeure possible de donner à ces phonèmes des significations que la poétesse aurait, volontairement ou spontanément, adoptées. Ainsi, et en se référant de nouveau au critère de redondance, on pourrait dire que les deux premiers phonèmes ont été comme une illustration phonétique de la tristesse : Le sifflement continu du S et du Z n’inspire que tristesse et mélancolie. Ce jugement peut être justifié par le fait que ces phonèmes se trouvent dans la majorité des mots qui tournent dans le champ lexical de la tristesse : Lassitude, morosité, sinistre…etc.
Mais dans la rime qui s’appuie sur les deux autres phonèmes ( R et G ), force est de constater que le moral n’est plus sous l’emprise de la faiblesse ; c’est plutôt la force de la résistance et du défi :
Flots de mon cœur
Estompez mes peurs
Etouffez mes pleurs
Pansez mes douleurs
Cette approche classique demeure valable dans l’étude de la poésie contemporaine car elle s’appuie sur des données intrinsèques de la langue française.

b- Niveau syntaxique :
Hormis quelques ellipses (somme toute fréquemment utilisées dans la poésie moderne), la poétesse s’est conformée dans ce recueil à la structure classique de la phrase. Dans cette strophe :
Elans !
Foudre de l’orage !
Tempête qui ravage !
Cyclone qui rase !
Passion qui s’embrase !
Des notes qui délirent
Sur les cordes des ans !
L’auteure a délibérément omis l’auxiliaire (être) qui devait précéder (Des notes qui s’embrasent) pour dire : (Sont des notes qui s’embrasent), et ce – à mon humble avis – pour donner au lecteur l’impression que l’orage est si fort que même les mots (légers) s’envolent, et ne restent que les mots massifs, lourds de sens et plus fort que l’orage lui-même. Et c’est tout simplement beau !
Une grammaire textuelle en diapason avec la sincérité de la poétesse. Le temps n’est plus à la phraséologie stérile, les mots se suivent et se succèdent tel un courant dédallant un parcours sinueux. La structure finale est une histoire vraisemblable exprimée au gré des situations. C’est pour dire que dans ce recueil il n’y a pas un seul style, mais des styles qui changent avec le changement des sentiments.

c- Niveau lexical :
Ce recueil s’appuie sur un registre de langue tout à fait conforme aux exigences de la poésie d’amour. Une stratégie discursive puisée de l’expérience personnelle, mais aussi de la lecture. Que l’auteure narre ou décrit ou soliloque, c’est toujours du bien aimé qu’il s’agit , car son image est l’épicentre de ce registre de langue :
Entre les lignes du temps
Entre mes pas vagabonds
Tu apparais imprévisible
En attraction irrésistible
Mais quand la poétesse s’engage dans un autre discours interactif, l’autre partie prend fréquemment la forme de la 2ème personne, et quelques fois de la 3ème personne, mais jamais de la 1ère personne. Ce choix ne pourrait être justifié par le fait que cette autre partie n’est plus de ce monde, car en poésie il est esthétiquement admis de faire parler l’absent. Faire parler le mort ne fera que compléter le tableau de cette romance qui ne peut voler d’une seule aile. Je m’exprime sur ce point comme un simple lecteur qui aurait pu être enchanté d’entendre parler ce bien aimé absent pour (certifier) de la grandeur de cet amour qui continue à scintiller tel la braise sous une fine couche de cendre. L’auteure saura bien agréer cette remarque qui ne peut tenir lieu d’un jugement de valeur ; car, ce n’est de fait que l’expression d’une impression sans référence à aucune règle de la critique littéraire.

En termes de pragmatique :
Ce recueil de poésie est une voix féminine qui a su transgresser un code culturel social désuet sans verser dans la provocation fortuite. Dans l’Algérie de ce début du 21ème siècle, l’amour a pris sa place parmi les interdits pointés par le doigt bienveillant de serviteurs de Dieu autoproclamés. Dieu n’accepterait de propos entre la femme et l’homme que dans le sein de la vie conjugal, car (iblis) est aux aguets. Toute transgression de cette règle est passible d’ostracisme et de souillures sans limites. Parler d’amour dans ce climat est comme un saut dans l’inconnu. Faiza Acitani s’inscrit dans un nouveau registre de femmes algériennes qui ne se contentent pas de refuser le fait accompli tout en se taisant. Elle exprime cette révolte d’une façon inouïe dans ses poèmes qui traduisent sa conviction que la parole est un acte qui remue les choses stagnantes et dérange les esprits démissionnaires. (Dire c’est faire), c’est la règle d’or des linguistes pragmatiques que notre poétesse a su actionner tout le long de ce recueil.

Mansoura/ BBA, le 24/11/2016
Benhacen Abdelhamid

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