Fatiha Nesrine, La baie des jeunes filles, roman. Paris : L’Harmattan (coll. « Écritures arabes »), 2000, 164 p
Par Paule Kassis
Algérie Littérature Action N° 47 – 48
Entre le conte et le récit, la mémoire déroule les souvenirs. Surgissent alors les fantasmes de l’enfance où les émotions épurées et confuses se heurtent, se chevauchent dans des retrouvailles où les mondes se côtoient et se superposent.
Sous le soleil qui écrase la terre, dans le quotidien âpre d’un village, au bout d’une presqu’île, une fillette échappe par le rêve à la terreur d’une guerre entre ses parents. L’enjeu de cette lutte : la scolarisation de l’enfant contre la volonté paternelle qui y voit la remise en cause de son absolutisme et la source de tous les maux d’une société où toute forme d’émancipation de la femme altèrerait à jamais l’image que le pouvoir masculin veut donner de lui-même.
C’est sans compter sur l’infini amour de la mère, puissant, déterminé, qui lui permet de regrouper toutes les ressources de son énergie, d’inventer et mettre en oeuvre des stratégies incertaines de contournement.
Amour-sacrifice qui va jusqu’à la folie, jusqu’à l’épuisement par le labeur. Avec humilité et dignité, la mère coud, et coud encore, les vêtements de celles qui paieront ou oublieront, mais qui lui permettront de préparer « le tablier », symbole, s’il en est, de l’entrée à l’école.
Même si elle a peur, même si elle désespère de voir ses efforts aboutir, la mère continue inlassablement, partageant doutes et complicité avec son enfant, inquiétude, trouble et… bonheur.
C’est sans compter sur la puissante solidarité des femmes du village, grand-mères, tantes, soeurs, qui, dès lors qu’elles entrevoient un rien d’espoir pour leurs filles, refusent la fatalité avec acharnement.
C’est sans compter sur la magie des lieux, « la baie des jeunes filles » où les femmes puisent et renouvellent leur foi dans un rituel sacré et ancestral qu’elles entretiennent et transmettent dans la sincérité de leur coeur.
C’est sans compter sur la vie, tout simplement, qui progresse dans une société en plein bouleversement, où la résistance à la colonisation engage chaque individu et lui donne sa place dans le combat immédiat en transformant le futur.
C’est sans compter sur la joie d’être de l’enfant, d’être Vie, d’être en devenir, d’être en découverte, cette force qui force toutes les réticences, qui gagne tous les combats.
Le souvenir alors se raconte avec poésie, humour (comme la découverte du double sens du langage à l’école — la grenade, le fruit pour l’institutrice, le sang la guerre et le secret pour l’enfant). Récit conté, conte poétique où, dans les méandres de la mémoire, les géants affrontent les rochers, où l’écume de la vague rejoint le bleu du ciel, où l’olivier tordu cherche l’eau au bout de ses racines, où le figuier démesuré étire ses branches lourdes de fruits intouchables.
Un enchantement! au delà de toute angoisse, de toutes les peines. Une générosité et une amplitude dans l’écriture, dans la peinture de cette fresque qui marque une époque déterminante dans l’histoire de l’Algérie, dans la conscience des femmes, et dans la vie de l’auteur. Il reste cependant que ce parcours si fragile et si poétique à travers la mémoire paraît souvent encombré, surchargé de mots, qui n’ajoutent rien à la beauté du texte mais dont l’accumulation et la répétition systématiques comme procédé stylistique finit par embarrasser le lecteur.
On peut imaginer qu’il s’agisse là d’un désir de l’auteur qui traduit sa confusion émotionnelle dans sa quête et sa volonté de dépasser la souffrance.
Plus grave néanmoins restent les défauts de qualité de l’édition où les fautes de frappe, les coquilles, l’altération de la ponctuation gênent considérablement le plaisir de la lecture, et agacent l’acuité du lecteur qui finit par faire porter à l’auteur les problèmes de son éditeur…
C’est plutôt regrettable car on se laisse aisément emporter par le souffle poétique de l’écriture et glisser dans la lumière de l’enfance retrouvée, de l’enfance libérée, dans l’exubérance de la nature où les couleurs se mêlent aux parfums par la magie des mots et des images.