Francine Ohayon: Djamila Labiod, l’hôtesse

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Djamila Labiod, l’hôtesse ,nous invite à bord, pour donner une idée de la réalité visible et invisible de son pays, l’Algérie. Elle donne à voir ce que la jeunesse se prête à rêver. Elle ancre, enchaînée à Mourad, faute de mieux son imaginaire sur l’île déserte des images et des mirages. C’est là qu’elle nous donne rendez- vous pour camper son personnage principal qui, malgré son jeune âge, est conscient du naufrage sociétal. Il a bien compris, aussi, qu’il n’a que le rêve… comme bouée de sauvetage.

Au fil des pages, comme au fil de l’eau, on navigue dans ce « vertige horizontal » cher à Julien Gracq, avec l’espoir d’accoster, avec Mourad, sur de nouveaux rivages. La tête dans les nuages, il accroche ses rêves aux fragiles cordages, espérant oublier un avenir sans visage.Un roman comme un voyage avec autant d’escales que de chapitres.L’auteure se hisse avec adresse au mât de l’embarcation à bord de laquelle, elle embarque généreusement, son lectorat. Elle y jette l’encre avec courage, simplicité et honnêteté intellectuelle.

Mourad, son héros ou plutôt son anti – héros ( en rupture avec la société, ou du moins, sa société, en décrochage scolaire) rêve, lui aussi, de jeter l’ancre mais l’ancre avec un « a », ce « a » de l’avatar, ce « a » de l’aventure car il a un projet « Survivre à Ibiza » ( et parler de projet, c’est parler d’aventure et des « a » des aléas), le « a » de l’allumage de rêves, de l’aimant que représente l’amante Ibiza…lointaine limaille !Ibiza, là où tout invite à l’imagination, à l’oubli, à l’ivresse multiforme.Mourad rêve d’un sémaphore, d’un horizon plus large, d’une respiration plus ample, de soirées débridées, pour occulter la violence d’un quotidien tronqué de quelconque liberté.Farouche adolescent, il n’a peur de rien, ( car il n’a rien à perdre) ni du trident de Poséidon, ni d’Amphitrite, ni de Triton…il a connu d’autres traversées, habité qu’il est, par son passé, écœuré et décapité par un présent qui n’augure de rien d’autre que de la désertion d’un espoir de futur.

Mourad est prêt à se risquer au prix d’éventuelles rencontres, au pire, de nymphes meurtrières, au mieux, de Grâces infinies, là- bas, à Ibiza, en cas de survie, ou à défaut, au gré des flots…Notre attentive et bienveillante romancière a à cœur le destin de ces adultes en devenir qui, comme le dirait José Maria de Hérédia, sont « fatigués de porter leur misère lointaine aux bords mystérieux du monde occidental » .Une odeur de brise marine titille les narines de Mourad, le connaisseur d’odeurs puisque l’incipit du roman a déjà transporté le lecteur dans le remugle d’une décharge municipale, lieu symbolique, s’il en est un, pour dépeindre la laideur du monde et la place accordée à une jeunesse en dérive qui n’autre recours que d’allumer des rêves, flambeaux de détresse, et de lancer des SOS et ce, pour survivre…à défaut de vivre !

Plus question de parler de vie sans prendre le risque d’offenser ces jeunes à l’avenir compromis et confisqué par diverses autorités. Djamila Labiod l’a bien compris, l’a bien senti et l’a bien écrit en ne négligeant pas, toutefois, de nous faire la peinture d’une société embue de nombreux et tenaces vecteurs culturels avec notamment le portrait brossé à grands traits de la mère de Mourad pour dire l’importance et la subsistance du matriarcat…et, pour rester dans la métaphore marine, je gratifierai le champ lexical de la mer d’un titre de chanson de Renaud que je modifierai en hommage à votre contexte socio-culturel « C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la MÈRE qui prend l’homme » ! ( Un fond musical en sourdine pour d’éventuelles lectures en café littéraire ( ? ) d’extraits de l’œuvre ? )

Le regard honnête de l’auteure ( à la hauteur ! ) sur les faits sociaux de son pays force le respect. Son roman témoigne de son authenticité, de l’intérêt porté à ses compatriotes et fatalement de son ouverture d’esprit générateur des lignes qu’elle écrit.Son livre est une portée à lire en fa, la, do, mi ( entre les lignes ) car son personnage y évolue en mi, sol, si, ré, fa, comme un oiseau, posé, sur un fil électrique, le temps d’un rêve, prêt à s’envoler pour « survivre à Ibiza » .A bâbord, à tribord, bonne traversée , chers passagers/ lecteurs, à bord du splendide et classieux paquebot « Survivre à Ibiza » en l’excellente compagnie de notre illustre commodore, l’auteure, Djamila Labiod.

Francine Ohayon

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