Habibi !
Je suis confuse et meurtrie à la fois ; je n’ai pas su réfléchir, ni raisonner ni approfondir tes enseignements. Je n’ai pas su respecter ma promesse. Hélas ! J’ai dévié, glissant terriblement sur le fil de l’absurde, puis, ils sont devenus les maîtres du mal, de la violence, de la répression, de l’injustice, de l’indifférence, du mépris, de la médiocrité, devenus les experts de la lâcheté, de la spoliation des deniers publics ; devenus les semeurs des capharnaüms, du choléra ainsi que de la terrible misère qui ronge le pays. Ils sont les dévoreurs de la terre, les tueurs de vie, les bandits-blanchisseurs afin de satisfaire leurs vilains désirs, narcissiquement fantaisistes et fanatiques.
Habibi !
Sans aucun scrupule, ils sont assis sur mon trône à jamais, aspirent ma vie comme ma dignité telles des hyènes en rut. Pourquoi laissent-ils leurs corps ramollis, se décalcifier s’écraser sous le poids de la vieillesse ? Des corps pansus même la mort semble écœurée, désespérément désintéressée. Leurs trônes usés, sentent les maux sous les moisissures de l’âge ; leur âme s’indigne, se désole, se prosterne inlassablement afin de quitter son pitoyable corps gavé, bavant sans retenue le sang de mon peuple qui s’évapore tristement, et se suspend sur les ailes des anges horrifiés pour un éternel voyage au paradis. Soudain ! l’ultime goutte de sang de mon enfant se métamorphose en encre de mes yeux pour t’écrire cette lettre où tu pourrais lire comme entendre entre les mots, les gémissements des innocents terrifiés ; lire entre les lignes les cris des corps violés de mes fillettes, les pleurs endeuillés de ma mère en agonie ; sentir les odeurs des corps brûlés, entendre la ponctuation saisir les soupirs, les sanglots qui me déchirent, et la cruauté dans laquelle je vis, moi, la Nation.
Ils regardent sournoisement, sans mot-dit, sans entendre, sans rien voir, esquissent un sourire de courtisane, courbent l’échine, disent amen avec leur tête, distribuent des chèques en cachette, dilapident, corrompent, consomment à outrance et engraissent les conspirateurs d’or et d’argent de mes enfants. Ces ombres qui sont la risée du monde entier, il ne leur reste plus rien, l’identité vendue, la dignité piétinée, la religion manipulée, caricaturée, leurs dorures ensablées, pulvérisées, le turban arraché par le vent de sable affreusement agacé, le thawb oublié et le pantalon sans ceinture prêt à glisser. Hélas ! La sagesse a déserté le cœur du mâle manipulé par le mal, le poussant dans une spirale satanique. Il s’est laissé stupidement piégé, sombrant dans le tréfonds du chaos et du sang, dans le vagin de l’horreur.
Ya Habibi !
Si tu étais encore en vie, tu serais outré, bouleversé et terriblement déçu de moi, moi la Nation. Hélas ! J’ai failli à mon devoir, je n’ai pas su m’y appliquer suffisamment. Les intrus tout comme les méchants ont conspiré contre moi, fabriquant des groupes terroristes, des personnes désœuvrées, frustrées, perverses, assoiffées de sang et avides de reconnaissance « qaïdistes, daechistes, qamicistes, … » et que sais-je encore ? Le marbre a remplacé le cœur de ces enragés qui ne discernent que l’obscur de couleur. Ils sèment la discorde, le désastre, et la terreur au sein de la fratrie, perpètrent froidement des carnages afin de m’anéantir, et détruire mon socle accroché aux bras du ciel. Sans raison aucune, ils massacrent les innocents et mes enfants avec.
Ils détruisent, bombardent, brûlent, mènent contre moi une hostilité injuste. Des attaques féroces dites démocratiquement civilisées ; justifiées par des mensonges, dissimulées sous l’anti-terrorisme, et la flotte noire qui a engendré notre malheur. Ils dérobent, et s’emparent de mes terres, mes richesses, éventrent mon giron, se livrent à des agressions, brusquent aussi mes enfants à s’enfouir vers le large afin d’échapper aux atrocités. Ils raillent, et brisent mon roseau, déchirent mon Qoran, mes livres, mes savoirs, mes sciences, mes cultures, mes richesses, défigurent ton image, parodient tes hadiths, brûlent mes bibliothèques, et mes écoles. Ils m’expulsent de chez moi, vandalisent, confisquent mes biens puis ma maison, séquestrent, torturent, humilient, violentent, violent et revendent mes enfants sur les places publiques.
Habibi !
Au vingt-et-unième siècle, la traite humaine se poursuit encore sous le regard inerte ainsi que le silence de toutes les puissances et les organisations mondiales qui ressassent sans cesse être le modèle absolu des démocraties et des civilisations ! Ils éventrent, balancent mes fœtus aux hyènes enragées. Mes enfants ont subi le même sort, décapités et jetés par-dessus les flancs des montagnes que même les serres refusent de dévorer leurs dépouilles gisant dans les flaques écarlates coagulées.
Ya Habibi !
L’autre ignare, le fanatique et ennemi de la Nation, poursuit sa décadence sur la corde de la chute, achève l’inachevé, obéit sans contester, aux ordres de ses bourreaux au su et au vu des gouverneurs médiocrement, ridiculement sales et corrompus. Les fatawis (pluriel de fatwa) absurdement erronées et les exécutions arbitraires se jouent comme un horrible jeu d’enfant avec la complicité de mon silence. Le fanatique se proclame bêtement ton héritier légitime. En ton nom, il m’a interdit l’école, le savoir, le droit d’exister ou de vivre. Il m’a humiliée, séquestrée, emprisonnée, livrant mon corps aux marchands de la traite humaine et /ou au bûcher. Il a légitimé le vol de mon honneur, la confiscation de mon identité, et de ma dignité avec une arrogance effroyablement déconcertante.
Habibi !
Pourquoi mes enfants explosent-ils dans chaque coin de rue ? Pourquoi s’expatrient-ils ailleurs où tout leur est étranger ? Pourquoi meurent-ils d’exil, de soif, de noyade, de faim, de souffrance, et d’épuisement que même les crocs de la mer s’indignent, refusent tristement de dévorer leurs corps gisant dans les abysses de la Méditerranée. La Palestine, un volcan phénoménal qui s’embrase sans fin ; les entrailles de Saba gisent sous la torpeur du soleil, son corps éraflé, ses reins broyés, le voile arraché, infligeant à la terre un gigantesque désastre, et à la Nation l’émoi et l’effroi. Ils ont oublié nos racines, nos préceptes, et nos fondements.
Pardon Habibi !
Je sais que ton cœur serait ébranlé par les supplices, et les horribles douleurs, comme ton âme serait consternée par l’ampleur du désastre, serait prise dans le tourbillon de l’indignation, et la désolation. Je sais que moi, la Nation, j’ai honte, je n’ai pas honoré ni mon serment ni ma loyauté envers toi. Pardon, je t’en prie ! Pourrais-tu être indulgent à mon égard ? ! Pourrais-tu laisser tes larmes gorgées de tristesse glisser doucement sur l’innocence lacérée afin de purifier, et panser les affres des humiliations, les plaies, les déchirures ainsi que les brûlures ?
Tu serais terriblement peiné de voir l’esprit s’engourdir, s’obscurcir sans fin, de voir la balance de la justice chavirée dans le néant de l’injustice, la sagesse s’affoler, la raison déraisonnée, le monde s’enlise dans la gueule du volcan enragé ; les montagnes accablées se désagrègent sans fin ; la mer ébranlée, bouillonne de sang, se retire sans pardon. De voir la terre dévastée, blessée dans son giron, se déchire au risque de s’écrouler, le ciel effrayé pleure, hurle de colère, gronde, frappe la tour, balance des pluies de cafards volants sur mon pilier ; les astres se fendent comme des coulées de laves, et le hijab de la Kaaba déchiré par les rafales de vent giflant au passage les méchants. Dans l’opacité des nuages, les flots du soleil enflammé s’écrasent sur la terre éreintée, les étoiles éplorées quittent le regard de mes enfants et se cachent sous les ailes de la lune désorientée.
Ya Habib Allah !
Tu m’as enseigné les valeurs de l’existence rimant avec quintessence, les piliers de la raison des lumières. Tu m’as légué la noblesse, la quiétude de l’esprit, les préceptes de la foi et de la culture, l’héritage de la rhétorique, l’art des règles, l’élégance du verbe visant les sciences, et les savoirs dans les profondeurs de l’infini jusqu’au summum de l’horizon. L’art de cultiver les principes, les fondements de la sagesse apaisant la conscience d’aisance comme de munificence. Saisir et abuser des vertus de l’humilité sans retenue, s’éloigner du mal hideux qui parasite mon sang, de la méchanceté irrationnelle, de l’orgueil dédaigneux qui enraidit l’esprit ; mépriser l’avarice qui vit aux dépens de la lâcheté, et la domination de l’Homme, œuvrer contre les vices insolents, contre le poids de la paresse, de l’artificiellement vilain ; proscrire de ma vie l’injustice, l’exclusion, le racisme, le mépris, la violence, l’indifférence, l’intolérance, l’ignorance, et au diable la tyrannie. Contempler la rigueur du travail, la résistance, et la patience des fourmis et des abeilles ainsi que leurs complexes chefs-d’œuvre achevés. Humer les fragrances, l’énergie de l’aube qui se prosterne à l’horizon sur le fil soyeux embrasé par l’aurore.
Laisser mes pieds sentir la chaleur de la terre salvatrice ; savoir regarder là où l’autre regard se dérobe, fuyant la splendeur divine ; écouter le silence de la nuit qui médite les mystères insaisissables ; murmurer des prières à l’oreille des anges enchantés, accrochés au flanc de l’obscurité. Admirer le ciel suspendu dignement dans l’air qui s’amuse avec les bouquets des étoiles fixés à ses ailes se laissant bercer par la douceur de la lune, et s’amuse encore sur la crinière du soleil flottant sur l’univers. Savoir aussi s’émerveiller de l’éclat de rire des enfants qui éclabousse nos cœurs, devant l’élégance des oiseaux fascinés par le vide. Tu m’as légué l’égalité, la justice, la liberté, le respect de soi, et de l’autre, l’amour pilier fondamental de l’Homme. La grâce d’aimer autrui, c’est l’essence même de l’Humanité. À l’évocation de ton nom, mon cœur submergé d’émotion, se pare des couleurs arc-en-ciel et se fond de honte en un océan de lumière.
(Que la paix et le salut d’Allah soient sur toi) صلى الله عليه وسلم
Marseille janvier 2019
Nacéra Tolba