samedi, avril 20, 2024

Hommage a Abdelhak Brerhi

Abdelhak Bererhi tire sa révérence : Compétence et amour du pays

Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique Alger

Abdelhak Rafik Bererhi est mort! Que Dieu lui fasse Miséricorde! Qui est ce scientifique hors pair qui ne laisse personne indifférent, que nous l’apprécions ou pas? Il est vrai que Abdelhak Bererhi avait tout pour susciter l’admiration ou…la jalousie. Il avait le tort d’être brillant avec une carrière exemplaire et de vouloir se battre in situ et non pas comme partisan du «armons-nous et partez» ou du «Y a qu’à faire…»

Né en 1940 à Aïn El Beida. Il eut un parcours multidimensionnel remarquable Que de chemins parcourus depuis les enseignements à la médersa, depuis les débuts de l’université de Aïn El Bey où le premier recteur, Abdelhak Bererhi, occupait les classes au fur et à mesure de leur livraison par l’entreprise. Nommé par le ministre Benyahia il fut l’un des fondateurs de la vraie réforme de 1971 dans un ministère naissant, détaché du ministère de l’Education nationale. Imaginons-nous dans ces années 70 où tout était à faire, tout était à créer, le peu d’élites dont disposait le pays était sur tous les fronts; Celui du développement suite notamment aux nationalisations des hydrocarbures, extraordinaires pour l’époque; un petit pays riche de son aura planétaire «la Révolution de Novembre», relevait la tête et revendiquait avec succès l’indépendance économique après l’indépendance politique.

Les mémoires de Abdelhak Bererhi

Abdelhak Bererhi, jeune professeur agrégé d’histologie- l’une des disciplines les plus complexes- se mettait aussi à la disposition pour la création d’une nouvelle université qui sortait des sentiers battus et du suivisme colonial. Il accepta d’aller «créer l’université de Constantine» avec à ses côtés un architecte de talent planétaire et non des moindres, Oscar Niemeyer. La nouvelle université avec la forme d’un ouvrage ouvert et d’un stylo était tout un symbole Rien ne le destinait, comme il l’affirme, à faire de la politique: «Je n’ai jamais cherché à faire de la politique. Jamais! Moi, j’étais un chercheur. J’avais la passion de la recherche. Je travaillais dans des domaines très pointus. On m’avait même sollicité au Canada. Mais j’ai refusé. C’était en 1970, lors d’un congrès mondial… Quand j’ai passé mon agrégation, j’avais 29 ans…J’étais le plus jeune. Et les étudiants me l’ont bien rendu. Ils étaient tous venus à l’amphithéâtre, pour la leçon magistrale. Et ils m’ont offert une longue standing ovation. C’était incroyable. Le grand maître, Herlant, du jury international, m’avait alors dit cela: «Votre jury, ce n’était pas nous, mais vos étudiants. Quand on a vu l’accueil qu’ils vous ont réservé.» (1)

Le professeur Abdelhak Bererhi fut de fait un chef de chantier, un enseignant- et un recteur qui laissa son empreinte. Mais aussi un chercheur soucieux d’être en phase avec le développement par la création du Centre de recherche Curer multidisciplinaire et ceci bien avant que l’on parle de la nécessaire symbiose université-industrie. Bref, c’est quelqu’un qui connaît le «système de l’intérieur». Faisant feu de tout bois il arriva à créer des ponts avec les universités étrangères grâce notamment à ses relations comme l’écrit Daum dans cette contribution: «(…) Georges Morin partit en France et devint chef de cabinet de l’université de Strasbourg, fut sollicité par son ancien condisciple en Algérie, le professeur Abdelhak Bererhi – plus jeune professeur agrégé d’histologie de l’Algérie indépendante- pour l’aider à mettre en place un pont aérien pour l’enseignement des sciences médicales dans la jeune université de Constantine naissante. C’est un exemple de réussite rendu possible par deux Algériens, deux coeurs. Il se trouve même que le recteur de Grenoble, Jean-Louis Quermonne, qui avait commencé sa carrière en 1956 comme jeune agrégé de droit à Alger fut l’ancien professeur de Mohamed Seddik Benyahia, le ministre de l’Enseignement supérieur de l’époque. La délégation grenobloise s’est rendue à Alger, et fut reçue comme des princes par le ministre Benyahia. Une «superbe machine» de coopération interuniversitaire se met en place… Sans valise ni cercueil» (2),

La création du Curer a permis une immersion dans le réel: «On avait lancé la première maison chauffée à l’énergie scolaire. Oui, on parlait déjà de transition énergétique. Et d’alternative. C’était en 1974. Oui, la première maison et le premier chevreau solaires. Et j’avais été à la station thermale de Hammam Meskhoutine avec des ingénieurs, pour voir si l’on pouvait chauffer la ville avec la géothermie. A l’époque, on nous prenait pour des «cinglés». Il n’y avait que quelques-uns qui trouvaient que nous étions des visionnaires. On avait lancé l’apiculture. Vingt et une unités apicoles. On produisait jusqu’à quatre tonnes de miel expérimental, toutes variétés confondues… Les premiers barrages collinaires, c’est nous. A Djbel El Ouahch, à Constantine -avec un projet d’élevage de 10.000 vaches laitières- et à Sétif. Donc, la recherche liée à la formation et intégrée au développement. C’était notre credo. Et là, il fallait algérianiser. Alors on a lancé une coopération exemplaire avec des accords interuniversitaires français(Grenoble), roumains, les Soviétiques, les Polonais…» (1)

«Avec le président Boumediene. Je me souviens à la fin de la visite du président français, Valéry Giscard d’Estaing. Lequel m’avait dit: «Vos étudiants doivent manger à la carte, ici.» Ma réponse fut: «Non, Monsieur le Président. Cette université construite, fait déjà partie du premier jalon de la future carte universitaire.» J’y pensais déjà avant d’être ministre. Au ministère que j’ai lancé, la carte universitaire aux horizons 2000. Alors, Boumediene a allumé son cigare avec beaucoup de plaisir (fierté) en me regardant avec un sourire. Quand il a raccompagné le président Valéry Giscard d’Estaing, il est descendu de la voiture présidentielle, la DS 21, il est revenu vers moi pour me dire: «Continuez à travailler, Bererhi, je sais qu’il y a des obstacles. On se reverra.». Et on ne s’est plus revus».(1)
Nommé ministre dans le gouvernement Chadli, il mit en place la carte universitaire et la création de villes nouvelles universitaires. Toute son énergie il l’a mise à prendre le tournant technologique du pays mais aussi la démographie universitaire naissante par la nécessité de création de villes universitaires nouvelles.

Sa philosophie était de ne pas pratiquer la politique de la chaise vide. Il fallait se battre à l’intérieur du système. Il ne manquait pas de courage en 1987 et en 1988 durant ces années chaudes, il eut le courage d’aller parler aux étudiants qui ne l’attendaient pas à Tizi Ouzou. Son apparition en plein amphi fut saluée. Il sera ensuite nommé ministre de la Jeunesse puis ambassadeur. En 1998, il fonde avec le commandant Azzedine et le colonel Salah Boubnider le Comité des citoyens pour la défense de la République (Ccdr) dont l’objectif annoncé était «de faire barrage» aux «velléités autoritaires» et pour «concrétiser l’alternative démocratique et citoyenne».

Linda Graba en fait une lecture généreuse: «Ecrit avec un style qui s’apparente par rapport à d’autres récits autobiographiques, à des «Mémoires», l’ouvrage qui vient tout juste de paraître aux éditions «Necib», se présente sous la forme de deux volumineux tomes. Une carrière pleine de rebondissements et de militantisme chevronné au service du peuple. Dans sa préface à l’ouvrage, l’éditeur, qui n’est autre que Youssef Necib, dresse le portrait de celui qui est un ami et évoque ensuite dans un autre paragraphe les différents itinéraires qu’aura empruntés l’auteur tout au long d’une vie «dans la sérénité et la volonté inébranlable même face à la menace du naufrage». C’est pour cette raison qu’écrire la préface est à la fois, se plaît-il à l’écrire, une épreuve mais également un plaisir au regard de la personnalité de l’homme qu’il connaît bien et apprécie pour ses idées, son humilité et son humanité. (…) Dans ce premier tome que nous avons parcouru et qui porte le titre «De l’université à la politique» l’ex-ministre qui met en exergue à son préambule une belle citation de l’écrivaine Marguerite Duras, que nous recommandons à chacun de lire pour en mesurer la profondeur du sens, rappelle ses luttes pour l’édification d’une Algérie de progrès, de liberté, de justice sociale, pour un Etat de droit, une Algérie dont la seule richesse est sa ressource humaine riche et qualifiée, une Algérie républicaine ouverte à l’universalisme, prônant l’égalité homme/femme, la jeunesse pour fer de lance.» (3)

Ma part de vérité

Le professeur Bererhi m’honorait de son amitié. Des rapports de confiance extraordinaires nous liaient. La première fois que je l’ai vu c’était en décembre 1980, il m’avait proposé de diriger le centre universitaire de Sétif. Je venais à peine de recevoir une lettre d’acceptation pour un poste de professeur d’une université étrangère. Il me fit la remarque suivante dont je me souviens comme si elle datait d’hier. «Il y a des moments dans la vie d’un homme où on doit rendre au pays ce qu’il a fait pour vous.» Bien plus tard, j’ai appris que le président Kennedy avait eu les mêmes mots. Bref. Après Sétif, je fus nommé à sa demande directeur de l’Ecole Polytechnique et ensuite secrétaire général.

J’assume tout ce que nous avons fait sous sa direction, car nous étions peu nombreux à porter un projet aussi important. Introduire la technologie dans le pays, créer 12 villes universitaires. Naturellement nous avons fait des fautes, notamment en n’étant pas vigilants sur la nécessité du brassage par la spécialisation des universités. Nous avons essayé de faire en sorte que l’enseignement des anciennes villes universitaires ayant un certain degré de maturité puisse profiter aussi aux nouvelles villes universitaires. Ce sera la philosophie des Comités pédagogiques nationaux (45). Une même manière était suivie d’une façon vigilante par le CPN (constitués de professeurs) qui jouait le rôle de pompier, de gardien vigilant de la pertinence de l’acte pédagogique….Je témoigne enfin qu’il m’a toujours soutenu dans les actions que j’entreprenais.

Il serait mal venu de juger l’homme sur la base d’un acte. Je peux dire que Abdelhak Bererhi a été un digne serviteur d’une Algérie de nos rêves à des années lumière de l’errance actuelle qui consiste à retarder des échéances rendues obligatoires par le mouvement du monde. C’est à cette époque 1986-1989 que nous avions pour la première fois fait une réflexion sur le Diplôme de fin d’étude secondaire au lieu du baccalauréat. Chose reprise actuellement en France. C’est à cette période que nous avions mis en chantier l’agrégation dans l’Education nationale pour former des enseignants de qualité et ce sont les même officines qui ont bloqué l’agrégation arguant du fait qu’il fallait qu’elle concerne des douf’aâ (promotion) alors que les candidats à l’agrégation se comptent à l’unité dans les pays qui se respectent; Naturellement, nous avons mis un coup d’arrêt à cette gabegie.

Il y a à peine deux mois, le professeur Bererhi, du fond de son combat et avec lucidité, prenait d’une certaine façon congé de nous. «Je m’adresse à vous, pour vous informer des raisons de mon silence. Cloué au lit depuis le mois de novembre, du fait de l’apparition de deux métastases au cerveau, actuellement traitées par radiothérapie, je vis dans des conditions très éprouvantes. Je résiste malgré tout, pense à vous et vous exprime toute mon affection.»

Les mêmes mots nous les retrouvons mutatis mutandis chez Steve Jobs l’inventeur de l’Iphone: «J’ai atteint le sommet du succès dans les affaires. Aux yeux des autres, ma vie a été le symbole du succès. Toutefois, en dehors du travail, j’ai eu peu de joie. C’est seulement maintenant que je comprends, une fois qu’on a accumulé assez d’argent pour le reste de sa vie, que nous devons poursuivre d’autres objectifs qui ne sont pas liés à la richesse. Dieu nous a formés d’une manière que nous pouvons sentir l’amour dans le coeur de chacun de nous, et pas les illusions construites par la célébrité ou l’argent que j’ai gagné, je ne peux pas les emmener avec moi. Quelle que soit l’étape de la vie dans laquelle nous sommes en ce moment, au final, nous allons devoir affronter le jour où le rideau tombera. Faites un trésor de l’amour pour votre famille, de l’amour pour votre mari ou femme, de l’amour pour vos amis… Que chacun agisse avec amour et occupez-vous de votre prochain.»

«On prête aussi à Alexandre le Grand, le grand conquérant mort à l’âge de 37 ans, cette tirade concernant l’inanité de l’acharnement thérapeutique, de la position sociale, plus ou moins aisée devant l’inéluctabilité du sablier. «Alexandre le Grand conquit le monde, fut terrassé par une bactérie. Alexandre demanda «que [son] cercueil soit transporté à bras d’homme par les meilleurs médecins de l’époque, que les trésors [qu’il a] acquis (argent, or, pierres précieuses…) soient dispersés tout le long du chemin jusqu’à [sa] tombe, et que [ses] mains restent à l’air libre se balançant en dehors du cercueil à la vue de tous», afin que «les médecins comprennent que face à la mort, ils n’ont pas le pouvoir de guérir, que tous puissent voir que les biens matériels ici acquis, restent ici-bas, et que les gens puissent voir que les mains vides nous arrivons dans ce monde et les mains vides nous en repartons quand s’épuise pour nous le trésor le plus précieux de tous: le temps.»

Abdelkak Bererhi était un grand homme d´Etat qui allie la compétence à l’élégance et au savoir-être. Il a toujours servi son pays avec beaucoup d´abnégation, de dévouement, d´humilité et de modestie. Je salue en lui l´universitaire qu´il était et en même temps l´homme au grand coeur, le démocrate qui a toujours défendu des idées du progrès. L´Algérie perd assurément en lui un grand homme. Que Dieu lui fasse Miséricorde. Amen.

 

1. http://lesavoire.over-blog.com/2017/07/abdelhak-bererhi.ancien-ministre-et-auteur-l-ouvrage-itineraires-un-devoir-de-memoire.html

2. http://www.monde-diplomatique.fr/2008/05/DAUM/15870 mai 2008

3. http://www.elmoudjahid.com/fr/actualites/108113?utm_source=Viber&utm_medium =Chat&utm_campaign=Private 23-04-2017

 

Article de référence http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_ du_professeur_chitour/287433-competence-et-amour-du-pays.html

Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique Alger


Abdelhak Bérerhi

Ancien ministre, docteur en médecine, professeur en histologie-embryologie, ancien recteur de l’université de Constantine et ambassadeur, entre deux séances de chimiothérapie, il a trouvé le temps d’écrire les tomes I et II de son livre Itinéraires, de l’université à la politique. Une belle leçon de courage que Bérerhi nous dispense. Et cela force le respect.

– Comment a germé l’idée du projet d’écriture de l’ouvrage Itinéraires ?

Le projet d’écriture s’est concrétisé quand je suis tombé malade, après l’avoir reporté à maintes reprises. Mais quand j’ai su que j’avais un adénocarcinome du pancréas (une tumeur maligne), je me suis dit : «Est-ce que j’aurai le temps de laisser une trace ?» C’était une course contre la montre.
Je me réveillais à 3h ou 4h du matin. D’ailleurs, j’appelais cet instant. La remontée de la mémoire. Je n’avais jamais pris de notes. Je n’avais jamais pris de journal. Encore moins de verbatim. J’écrivais. J’ai toujours foncé (dans la vie). Et là, j’ai éprouvé le besoin de traduire ces itinéraires, ces parcours.
C’est un devoir de mémoire que je dois à la société. Et à tous ceux qui ont travaillé avec moi. Ce n’était pas mon itinéraire à moi, mais celui des gens que je décrivais et qui m’ont accompagné dans mon parcours. Donc, leurs itinéraires aussi. Souvent, certains m’appellent pour me dire qu’ils se reconnaissent à travers ces itinéraires. C’est pour cela que j’ai préféré titrer : Itinéraires. Par rapport à «mémoires» qui est un titre figé…

– Malgré la maladie, vous avez continué à écrire. Une leçon de courage…

J’ai travaillé pendant dix-huit mois. J’étais sous chimiothérapie. Je le suis toujours. J’ai refusé de bénéficier d’un traitement de faveur, une chambre personnelle pour recevoir les soins de chimiothérapie. J’ai voulu être parmi le peuple. Là, je suis ce traitement dans salle collective avec des femmes. Et il faut voir ce que je reçois comme appels ! Nous nous soutenons…Donc, pendant dix-huit mois, j’ai pratiquement travaillé jour et nuit.

– Comment écrivez-vous ? A l’aide d’un laptop… ?

Non ! A la main. J’écris tout à la main. Quand je me réveille à 3h du matin, je prends des notes rapidement sur un carnet. Et puis mon fils ou un neuveu ou une nièce faisaient la saisie de mes notes. Au fur et à mesure, à chaque tirage, je corrigeais. J’ai écrit avec passion tout cela. Et en même temps, avec beaucoup d’humilité. En me rendant compte, c’était un devoir de le faire.

– Quelle est la période ou la phase de votre vie dont vous êtes le plus fier ?

Moi, je me dis d’abord c’est le fait d’avoir très tôt eu des référents très importants. C’est cela qui a forgé ma personnalité. Qui a fait que je sois «Abdelhak». C’était mon père qui était l’élément-clé. C’est lui qui m’a appris la notion, la valeur de la tolérance, de la modernité… C’était un imam. On l’appelait «l’imam des jeunes». Donc, c’est lui qui m’a inculqué toutes ces valeurs.
Il m’a appris même la séparation du «temporel» et du «spirituel» dans le respect mutuel. C’est lui cela. Il m’a dit que la politique n’avait rien à voir avec la religion. Et la religion n’a pas à se polluer dans la politique, carrément. Et quand je l’ai qualifié de «laïque», il a éclaté de rire en guise de réponse.

– Il incarnait le vrai islam avec des valeurs universelles…

Oui. Le véritable islam. Et puis, il y a eu mon professeur de philosophie, qui a été déterminant dans mon schéma de pensée. Même au niveau de mon orientation au sens médical. Il y eut aussi mon maître d’histologie, Slimane Taleb, qui m’a initié à la formation et à la recherche. Et bien entendu, Mohamed Seddik Benyahia, qui était devenu un ami. J’étais parmi ceux qui ont activé la réforme de l’enseignement supérieur qu’il avait engagée alors. Puis après, il y eut Yahiaoui, avec qui j’ai fait mon introduction, malgré moi, en politique.

– Vous n’aviez pas cette ambition…

Je n’ai jamais cherché à faire de la politique. Jamais ! Moi, j’étais un chercheur. J’avais la passion de la recherche. Je travaillais dans des domaines très pointus. On m’avait même sollicité au Canada. Mais j’ai refusé. C’était en 1970, lors d’un congrès mondial…Quand j’ai passé mon agrégation, j’avais 29 ans…J’étais le plus jeune. Et les étudiants me l’ont bien rendu. Ils étaient tous venus à l’amphithéâtre, pour la leçon magistrale. Et ils m’ont offert une longue standing ovation.
C’était incroyable. Le grand maître, Herlant, du jury international, m’avait alors dit cela : «Votre jury, ce n’était pas nous mais vos étudiants. Quand on a vu l’accueil qu’ils vous ont réservé.» Donc, comme cela, je suis arrivé en politique. Avec Benyahia, nous avions lancé la réforme de l’enseignement supérieur, j’ai été recteur, ensuite directeur de l’Institut de biologie…On avait initié à l’époque le Curer (Centre universitaire de recherche, d’études et de réalisation). Un centre de recherche remarquable. Parce qu’on parlait de transition énergétique.

– Déjà en avance sur votre temps. Nous sommes dans les années 1970…

On avait lancé la première maison chauffée à l’énergie scolaire. Oui, on parlait déjà de transition énergétique. Et d’alternative. C’était en 1974. Oui, la première maison et le premier chevreau solaires. Et j’avais été à la station thermale de Hammam Meskhoutine avec des ingénieurs, pour voir si l’on pouvait chauffer la ville avec la géothermie. A l’époque, on nous prenait pour des «cinglés». Il n’y avait que quelques uns qui trouvaient que nous étions des visionnaires. On avait lancé l’apiculture. Vingt et une unités apicoles. On produisait jusqu’à quatre tonnes de miel expérimental, toutes variétés confondues…

Les premiers barrages collinaires, c’est nous. A Djbel El Ouahch, à Constantine -avec un projet d’élevage de 10 000 vaches laitières- et à Sétif. Donc, la recherche liée à la formation et intégrée au développement. C’était notre credo. Et là, il fallait algérianiser. Alors on a lancé une coopération exemplaire avec des accords inter-universitaires français(Grenoble), roumains, les Soviétiques, les Polonais…

A Constantine on avait une activité extraordinaire. Les directeurs, les cadres, étaient tous des réservistes du service national. Quand le regretté président de la République, Houari Boumédiène, était venu avec le président français de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing, un visite exceptionnelle, j’avais dit : «Yahia(vive) Boumédiène !». Tout ce que j’ai fait, c’était grâce à la communauté universitaire et à son engagement.

Les étudiants, les enseignants, les cadres, les travailleurs… Sans eux, je n’aurais rien fait. Les étudiants étaient engagés pour la gratuité des soins, la Charte nationale…Ils avaient passé trois jours et trois nuits à débattre de l’avant-projet. Ils avaient pris le train de nuit et ils avaient eux-mêmes remis le document à Smaïl Hamdani, à la Présidence. Donc, ils y croyaient. C’est grâce à cela que j’ai pu travailler et avoir un soutien extraordinaire.

– Si c’était à refaire…

Beaucoup d’amis m’ont reproché cela. Je leur ai répondu que si c’était à refaire je le referai.

– Ne pas faire de la «politique politicienne»…

J’ai été toujours branché avec l’université. Parce que je suis devenu ministre de l’Enseignement supérieur. Je le répète. Aucune ambition. Jamais. D’ailleurs, je l’ai fait savoir à qui de droit. J’ai failli démissionner à trois reprises. Parce qu’il y avait des blocages à un certain niveau. Et il a fallu l’intervention du regretté Beloucif pour me faire rétracter. «Tu es fou de démissionner, le pays a besoin de toi. Tu ne peux pas le faire». Donc, moi, j’étais un homme libre. Je n’ai jamais travaillé pour un système. Ni pour un pouvoir ni pour un responsable.

– Avec quel président avez-vous eu des atomes crochus ?

Avec le président Boumediène. Je me souviens à la fin de la visite du président français, Valéry Giscard d’Estaing. Lequel m’avait dit : «Vos étudiants doivent manger à la carte, ici.» Ma réponse fut : «Non, Monsieur le Président. Cette université construite, fait déjà partie du premier jalon de la future carte universitaire.» J’y pensais déjà avant d’être ministre.

C’est au ministère que j’ai lancé la carte universitaire aux horizons 2000. Alors, Boumediène a allumé son cigare avec beaucoup de plaisir (fierté) en me regardant avec un sourire. Quand il a raccompagné le président Valéry Giscard d’Estaing, il est descendu de la voiture présidentielle, la DS 21, il est revenu vers moi pour me dire : «Continuez à travailler, Bérerhi, je sais qu’il y a des obstacles.

On se reverra.». Et on ne s’est plus revus. Donc, je n’ai jamais cherché à devenir un homme politique. La preuve, quand j’ai quitté l’enseignement supérieur, j’ai été à la jeunesse et aux sports, une année. Et quand il y eut Octobre 1988, dont les prémices étaient à Constantine, je l’avais fait savoir (en 1987) au président Chadli, qui était un homme très respectable. Je lui ai dit que ce qui s’est passé à Constantine, n’est pas le fait de «voyous», mais de citoyens qui sont contre le pouvoir et le système.

– Pourquoi ?

On ne m’a rien proposé. Hormis deux possibilités que j’ai refusées poliment. Cela ne m’intéressait pas. Et quand Si Lamine Zeroual est arrivé, il m’a appelé au téléphone et m’a invité à le rencontrer. On a discuté près de 45 mn. Il voulait lancer le Conseil de la nation. Et à la fin, il m’a dit : «Si Abdelhak, c’est pour défendre tes idées, pas les miennes.»

Là, j’adhère. Je n’y vais pas pour uniquement lever la main. Mais quand j’ai vu arriver les quatre premiers morts du Printemps berbère des Arouch qu’on a toujours défendus, les quatre, avant les 127 morts, j’ai démissionné. En 2001, j’avais demandé une commission d’enquête. Je me suis engagé dans le combat démocratique au sein d’une association de la société civile, le CCDR.

K. Smail ( Source El-watan)

 

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