Au départ il s’était agi de quelques infos sur Abou Khalil Qabbani, l’arrière oncle de Nizar qui a été l’objet d’un post de notre amie. Or, j’ai trouvé plus judicieux de vous entretenir de la « naissance » du théâtre dans l’aire arabe.
Ce fut en l’an Mil Huit Cent Quarante-Sept. Ce fut au Liban Ce fut l’œuvre de Maroun Neqqash. Un commerçant libanais, lettré qui répondait à la définition de l’honnête homme en France du dix-septième siècle. De par son activité commerciale, il effectuait des tournées en terre européenne, notamment en Italie. Et c’est là qu’il « découvre » le théâtre sur scène.
<il en est subjugué à telle enseigne qu’une fois de retour au Liban, il créa une troupe de théâtre, il adapta « L’avare » de Molière, invita les notables, et en donna une représentation, chez lui. Pour la première fois dans notre aire géographique.
Je voudrais, ici, aborder la question de la ريادة quant à la naissance du théâtre dans l’aire arabe, et qui a fait l’objet d’un duel entre Makhlouf Boukrouh (1) et Sayyid Ali IsmaÏl, un chercheur égyptien, lors du festival qu’organise الهيأة العربية للمسرح dans son édition « algérienne » mais qui s’est tenue à Oran – janvier 2017 .
Notre collègue a ramené la copie d’un texte théâtral, inscrit à l’Inalco, comme ayant été écrit par Abraham Danilos en 1835 à Alger. Le chercheur égyptien attribue cet « honneur » à Maroun Neqqash.
Permettez-moi de faire une deuxième digression car si mes confrères ont jouté autour du pionnier, d’autres nous ont trouvé diverses raisons quant à l’absence du théâtre, dans notre civilisation. Idées que je suis fait un plaisir à discuter, dans les années 80, dans mon magistère sur le théâtre amateur à Oran.
Ils partent de la définition du théâtre qui part du modèle grec. En effet les Grecs ont connu la poésie dramatique au cinquième siècle avant notre ère. Leurs arguments ne me semblaient pas convaincants : selon Mohammed Aziza – homme de théâtre tunisien qui a écrit « théâtre et Islam » édité par la Sned en 1967 – Ahmed Amine (2) pense que l’Islam a interdit la figuration donc la représentation التمثيل Pour Louis Massignon, les Musulmans, victimes de leur foi en une fatalité implacable, un fatum qui aurait pesé sur leurs épaules n’ont pu connaître le drame.
Louis Gardet qui a co-écrit avec Cheikh Bouamrane Panorama de la pensée islamique, Paris, Sindbad, 1984, pense que l’art dramatique est résté étranger en Islam parce que le conflit psychologique des passions, la base de toute tragédie ou drame ou l’analyse des caractères, la base de la comédie, étaient étrangers aux sociétés musulmanes.
Mohammed Aziza, le chercheur tunisien, pour rester en symbiose avec ces avis nous pose la question : « d’abord comment naît le théâtre dans une civilisation donnée ? » Et partant de la civilisation grecque, rappelez—vous : les Grecs ont vu la poésie évoluer de la poésie lyrique avec la grande Sapho de Lesbos, à la poésie épique avec les fameux poèmes l’Odyssée et l’Iliade, puis la poésie dramatique avec Eschyle, Sophocle et Euripide. Le problème que je soulève ici est que l’Europe a « nationalisé » la civilisation grecque et s’est crée un mythe fondateur. Or l’Europe en tant qu’idée et apparue, à mon sens en l’an 800, année du couronnement de Charlemagne par le Pape Léon III qui espérait fort la constitution de l’Empire de l’Occident Chrétien pour affronter « l’Empire de l’Orient Musulman « que dirigeait Haroun Er-Rachid. Finalement l’Europe ne se fera qu’au Vingtième Siècle.
Mohammed Aziza nous cite les quatre types de conflits qui sous-tendent le « théâtre » grec –que je mets entre parenthèses car Aristote dans sa Poetica n’a parlé que de « poésie dramatique » – ; le conflit dynamique où l’on reste ebaubi devant le Destin (Les Perses d’Eschyle) le conflit interne où le héros s’empêtre dans ses conflits intérieurs (Œdipe de Sophocle) le conflit vertical où la volonté humaine défie la volonté des Divinités (Prométhée enchaîné d’Eschyle) et pour finir le conflit horizontal où le héros affronte les lois de la société (Antigone de Sophocle) et il nous pose la question de savoir si les Musulmans pouvaient vivre un de ces conflits. Il est question de la période des débuts de l’Islam.
Zaki Touleymaat – le fondateur de l’Académie des Arts, au Caire en 1944 et comédien acteur et formateur,- croyait que les nomades arabes ne pouvaient guère apprécier l’art théâtral complexe, se contentant des images vulgaires répandues pendant l’ère abbasside.
Le théâtre dans l’aire arabe, troisième
D’autres arguments sont avancés pour expliquer que les Arabes ont tourné le dos au théâtre, dont le plus important leur refus de traduire le « théâtre » grec, eux qui ont traduit la pensée grecque. Et qui ont permis à l’Occident d’y avoir accès.
Question importante mais la réponse est simple. Il faut se rappeler la place du poète dans la tribu. Et se rappeler le grand satirique El Houtay’a الحطيئة Le poète moukhadram (il connu la Jahilya et la période de l’Islam). Sa langue était tellement acérée qu’il a médit sur lui-même : أبت شفتاي اليوم إلا » تكلّما ***بشرّ لا أدري لمن أنا قائله
أرى ليَ وجها شوّه الله خلقه *** فقبِّح مِن وجه وقبِّح حامله
Le calife Omar l’a même mis en prison à cause de sa langue, et par sa langue, il l’a libéré (il a décrit dans un court poème la détresse de ses enfants alors qu’il croupit en prison.)
Donc ce poète a été sollicité par la tribu Banou Anf Ennaaqa بنو أنف الناقةqui étaient tellement moqués à cause de ce patronyme, qu’ils le niaient. Ils demandèrent à notre poète un poème laudatif. Parmi les vers de ce poème je vous en cite un que je trouve, avec beaucoup d’autres gens, très fort. قومٌ هم الأنف والأذناب غيرهم*** ومن يساوي بأنف الناقة الذنبا Comment comparer le nez à l’appendice caudale ? Et ces gens se sont mis à crier haut et fort, leur appartenance et leur patronyme. On peut aussi citer un vers de Jarir le fameux satirique de la période omeyyade qui formait un triptyque détonnant avec El Akhtal ET L’Farazdaq. Or Jarir et Farazdaq de la même tribu (Tamym) deux poètes qui se chamaillaient par vers interposés et voilà qu’un « étranger » se constitue juge –sans que personne ne le sollicite – et déclare Frazdaq plus poète que son cousin. Ce cousin voit rouge et lui lance des piques qui ont déshonoré la tribu des Noumayr. Un poème de 97 vers dont l’un des plus importants : غُضّ الطرف إ،ّك من نُمَير*** فلا كعبا بلفت ولا كلابا Le regard se baisse tu es de Noumayr, tu ne mérites qu’on te regarde, tu n’atteins ni le talon ni des chiens. Cependantكعب وكلاب sont deux tribus proches de Tamym. Depuis lors, lesNoumayr se disaient Banou ‘Aamir.
Pour dire que des gens qui ont une telle poésie et de tels poètes N’ONT PAS besoin de traduire de la poèsien sachant que le « théâtre » grec était de la poésie. Bien entendu les Arabes ont traduit la Pensée grecque. Ahmed Amine nous informe dans ضحى الإسلام que les Motazilites ont traduit la Pensée grecque pour contrecarrer les savants chrétiens et israélites qui l’utilisaient dans leur argumentation. Ils ont été fondamentalistes.
Demain quelques manifestations ressortissant au théâtre et nous bifurqueront vers le théâtre au Liban.
(1) Universitaire algérien proche du théâtre, il a accompagné Mustapha Kateb dans l’aventure du théâtre à l’université, dans les années 70, et a été directeur du TNA. Toujours Prof à Alger.
(2) Il a écrit فجر الإسلام l’Aube de l’Islam, ضحى الإسلام la Matinée de l’Islam et ظهر الإسلام le midi de l’Islam. Les traductions sont de moi, vous l’aurez compris.