Haroun Bouazzi – Coprésident de l’Association des musulmans et des Arabes pour la laïcité au Québec (AMAL-Québec) | Québec
Dans sa lettre ouverte du 14 septembre, Fatima Houda-Pepin affirme — et elle a raison — que l’islamisme radical existe au Québec. Elle se lance donc dans un plaidoyer contre cette réalité. Mais elle se base, et c’est regrettable, sur une série d’affirmations erronées. Elle commence par une série de chiffres, donnant l’impression d’une invasion du Québec par des immigrants musulmans, qui seraient d’après elle un demi-million alors qu’ils sont actuellement 300 000, soit 3 % de la population.
Elle poursuit en affirmant par exemple que « des imams payés par l’Arabie saoudite sont envoyés en mission pour soumettre les musulmans à l’arbitraire de la charia wahhabite ». La charia wahhabite. Celle-là même par laquelle on coupe des mains et on lapide les adultères. Et elle ajoute que les imams agissent déjà « comme juges appliquant la charia ». A-t-elle des exemples de ces « sanctions islamiques » qui iraient à l’encontre des lois québécoises et canadiennes ? Si oui, qu’elle les porte au plus vite au SPVM ! Demeurant vague sur le nombre de ces mosquées salafistes, elle généralise implicitement si bien qu’elle se dit « sidérée » d’apprendre que notre gouvernement« veuille faire appel à des imams pour aider à la déradicalisation des jeunes », ces imams qu’elle met tous dans le même sac en les qualifiant tous de « pyromanes ». Occultant le fait que les mosquées sont une véritable mosaïque ethnique et idéologique et que les mouvances salafistes takfiristes y sont très minoritaires, elle focalise sur le fantasme d’un terrifiant noyautage de notre gouvernement par les « intégristes ». Mais, Mme Houda-Pepin, n’avez-vous pas dit vous-même qu’il fallait éviter les amalgames ?
L’appui de l’ex-députée aux thèses alarmistes ne s’arrête pas là. Elle soutient aussi que grâce à nos chartes, le Québec serait devenu « un paradis » pour les intégristes, il y aurait une instrumentalisation planifiée et méthodique de nos chartes pour « nous imposer la charia ». La charia, encore et toujours. Mais où sont ces nombreuses décisions de justice qui imposeraient la charia aux dépens de nos droits fondamentaux ? Pourtant, ces chartes sont justement ce qui manque cruellement aux théocraties dictatoriales que Mme Houda-Pepin voudrait combattre ! Ces chartes qui, faut-il le rappeler, assurent l’égalité des droits pour les femmes, les homosexuels et les minorités ethniques ou religieuses.
Que doit-on faire contre les discours haineux et incitant à la violence ? Mme Houda-Pepin répond encore par un prêche contre un complot musulman. Elle ira même jusqu’à dire sur les ondes de Radio-Canada que seuls les intégristes musulmans seront protégés par le projet de loi 59. Oubliés, les homosexuels, les juifs, les Noirs, les autochtones, les femmes, les personnes présentant un handicap…
Au questionnement légitime « le projet de loi est-il une menace contre la liberté d’expression ? », elle répond : c’est une évidence et un précédent qu’il faudra contester devant les tribunaux. Elle semble ignorer que le Québec ne fait que s’aligner sur d’autres provinces qui se sont déjà dotées de législations similaires et qu’aucune n’a connu les débordements qu’elle redoute. Que la Cour suprême a déjà statué, dans l’affaire Whatcott, qu’une loi qui interdit les propos incitant à la haine était une limite« raisonnable » à la liberté d’expression dans le but de garantir un autre droit fondamental, le droit à l’égalité. La Cour a d’ailleurs statué que les propos« répugnants », « offensants » ou « diffamatoires » n’équivalent pas à la « haine » et au « mépris ». Sans oublier que le jugement en question a condamné un intégriste pour ses propos contre les homosexuels !
Mme Houda-Pepin, au-delà des paroles, ne propose pas de mesures concrètes. La seule qu’elle formule est la création d’un observatoire sur l’intégrisme religieux. Elle ne semble pas être au courant que le Québec multiplie les initiatives allant dans ce sens depuis un an : la Commission des droits de la personne doit commencer en janvier à« documenter et analyser les actes haineux et xénophobes » ; le Centre contre la radicalisation du maire de Montréal commence à prendre forme ; l’Observatoire sur la radicalisation et l’extrémisme violent a vu le jour au mois de février. Notons que dans les trois cas, le mandat de lutte ou de documentation concerne tous les types d’extrémismes, qu’ils soient religieux ou d’extrême droite.
En somme, en commission parlementaire cette semaine, l’ancienne députée libérale devait expliquer comment contrer les groupes qui propagent la haine des autres au Québec. Au lieu de répondre à cette question, elle s’est non seulement montrée insensible aux difficultés vécues par des Québécoises et Québécois appartenant aux minorités vulnérables, mais elle s’est contentée de lancer une série d’affirmations largement exagérées ou carrément erronées qui ne favorisent pas une saine délibération.