Le roman comme expression d’un désir refoulé
Le roman nous transporte dans l’univers de l’imaginaire et du rêve qui a fait les grandes œuvres des classiques féminins anglo-saxons : des Bronté et de Jane Austin.
Dès le premier paragraphe, on rentre dans l’univers intimiste de Djamila qui refuse « ce monde des femmes, des hommes, des peuples » … un existentialisme de Dostoïevski, mais sans les goulags.
Lisons l’auteur en espérant que vous serez alors possédé par cet univers pour le partager avant tout, car quand on aime, on partage :
« Misère des hommes, misère des femmes, misère d’un peuple, misère tout court, c’est à cela que je pensais, blottie sous ma couverture, comme un ours dans sa grotte pendant l’hibernation. Loin de toute agression, agressions de toutes sortes, qu’elles soient naturelles ou humaines. Je m’étais recroquevillée semblable à un fœtus dans le ventre de sa mère. Sous cet abri cotonneux, où je m’étais rencognée, tout s’arrête un moment. Je me laisse emporter par mes rêves, ceux d’une jeune fille de dix-sept ans.
« Lina ! Lina ! Tu ne te lèves toujours pas !» s’écria ma mère.
« L’heure de la sieste est terminée. Il va bientôt être dix-sept heures. Lève-toi ! Des corvées t‘attendent ! »
« Corvée ? Toujours, les mêmes mots qui revenaient dans la bouche de ma mère. Je m’étais retirée péniblement de mon abri. Dans mon lit, je ne dormais pas véritablement. C’était tout comme ! Dans un état de léthargie, je me laissais volontairement entraîner par mon esprit pour rêver. Je me construisais un monde, une histoire, une vie à ma juste mesure. Je fuyais la réalité, mais, …. » » » »
L’écriture comme cure psychanalytique
Le roman sera alors un petit bout de ce rêve magique des mots : voyage au bout du rêve ! Un rêve qui ne vaut que par son partage sinon il se retrouve dépeuplé dans sa caverne ! Il attend ce regard qui va illuminer son mur d’ombres et d’arc en ciel pour défier notre passage ici bas, des ombres qui se retrouvent perdues dans ces immenses trous noirs d’où rien ne se perd …
L’auteur nous raconte une histoire avec sa naïveté instantanée, mais il nous faudrait une lecture psychanalytique profonde pour percevoir dans son roman les désirs et les peurs profondes de l’auteur. L’écriture devient une cure psychanalytique où l’auteur se parle toute seule avec des mots muets dans un divan dans le noir de la solitude sous le regard attentif du lecteur qui va aussi exposer une interaction émotionnelle de son propre vécu. Le critique va lui voir ce qui se voile sous le multi, le trans et l’intertextualité du texte.
Un auteur se dévoile plus parce qu’il écrit que parce qu’il dit, car dans la solitude de l’écriture, on se parle à soi plus qu’à l’autre, et on met moins de censure que dans la parole. Barthes dans « Le Plaisir du texte » parle de la relation entre une œuvre et son auteur:
« Comme institution, l’auteur est mort : sa personne civile, passionnelle, biographique, a disparu ; dépossédée, elle n’exerce plus sur son œuvre la formidable paternité dont l’histoire littéraire, l’enseignement, l’opinion avaient à charge d’établir et de renouveler le récit. »
Déracinement de l’espace et du temps
Lors du retour des parents de Lina de la France vers l’Algérie, Lina est déracinée de son milieu naturel d’enfance (la France), vers un milieu adulte (l’Algérie), qui lui est étranger par le sol, la culture, la langue, la foi, les valeurs, et surtout le rêve ! Le déracinement est profond ici plus que celui de ses parents qui ne font que revenir à leurs sources.
Lina a non seulement un problème existentiel entre son être et l’Autre, mais surtout entre son Être et son propre Autre qu’elle essaye de construire pour survivre son nouvel environnement et s’adapter ainsi aux autres. Son être se retrouve ainsi dans un double déchirement externe et interne de celui qui veut résister au-delà de sa capacité. Ce déchirement est vécu continuellement comme une angoisse obsessionnelle qui ne la quitte jamais même dans ses rêves.
Lina a un conflit avec cet espace qui n’est pas sa place, mais aussi ce temps qui n’est pas le sien. Le présent est un lieu de conflit entre son passé, ce paradigme perdu de l’enfance innocente et joyeuse, et son futur qu’elle ne peut tout à fait assumer qu’au prix d’un déchirement douloureux. Le temps de l’habitude va faire son œuvre pour faire sortir Lina des ses désirs vers la réalité de la survie sociale.
Le paradis perdu de l’enfance n’est en réalité qu’un paradis perdu d’un temps entropique dont la flèche s’envole vers le trou noir ; l’endommagement, la vieillesse, la mort …
L’autre sexe : Attraction – Répulsion
L’auteur, loin d’être une féministe nihiliste, combat aussi cet Autre, de sexe opposé, qui la menace le plus dans sa liberté et ses rêves.
Elle refusait l’injustice du statut de la femme :
» A cette époque, c’était tellement facile de répudier une femme. L’homme n’avait guère besoin d’une bonne raison. Seul son caprice de mâle suffisait pour se défaire des liens du mariage. »
« Maintes fois, je pensais, « est-il honteux ou une faute d’être une femme ? Pourtant, Dieu nous a pourvus de cet avantage sublime qui est de pouvoir porter la vie en nous et de la donner. «
Une relation ambigüe de la femme avec l’homme ; une relation attraction-répulsion :
« L’attirance que je suscitais chez ce jeune homme attisait la jalousie de Safia. Je m’en rendis bien compte. Ma cousine boudait. Je déclinai poliment l’invitation de ce galant monsieur. Il n’était pas question pour moi, de me jeter dans les bras d’un homme. Mon père me faisait confiance. En conséquence, mes débordements devaient avoir des limites. »
Ce refoulement sexuel freudien est lié à une attraction morale du père, et de la communauté, qu’elle refuse de trahir. Une ambigüité qui démontre ce déchirement interne.
Bien sûre, le texte est plus riche que cette simple critique littéraire trop courte pour donner l’étendu de tout cette œuvre. L’objet est de nous inciter à lire ce roman et pénétrer ainsi un univers de désirs troublants mais passionnants que partagent beaucoup de femmes algériennes car Lina parle au nom des femmes algériennes plus que tout.
Un grand auteur vient de naitre avec Djamila Abdelli Labiod, à suivre de prés donc pour ses prochaines publications.
Jamouli
note : rappelons qu’un Mémoire en vue de l’obtention du diplôme de MASTER a été réalisé par Belkacem-Djeffel Lamia dans l’Université Mentouri Constantine sous le titre :
Déchirement culturel et littérature de l’entre-deux dans
La Réglisse de mon enfance
De Djamila Abdelli-Labiod