Il y a 61 ans était assassiné Kacem ZEDDOUR-MOHAMED-BRAHIM.(1ère partie)..

Must Read

 

        Itinéraire d’un génie.

                                               

Si Kacem en 1952/1953

    Par Mohamed Senni

 Si Kacem à Paris                                                   A El-Gaada (avril 1954)

                                     

« L’homme de génie meurt pour vivre alors que tout autre que lui vit pour mourir. Il vit dans le cœur des générations car il donne à leurs douleurs muettes des langues de feu et à leurs espoirs impotents des ailes de lumière » 1  Mikhaïl Nouaïmeh.

Raconter l’itinéraire de Si Kacem n’est pas chose aisée et relève, à mon avis du défi. J’en suis pleinement conscient. La cause en est que, plus de soixante années après sa mort (il a été assassiné le 6 novembre 1954), très peu de témoignages ont été rapportés sur lui, surtout par ceux qui l’ont suffisamment côtoyé à l’époque même où son combat prenait corps et s’affermissait définitivement.

Une autre raison tient au fait qu’il était très discret et, par modestie, évitait de parler de lui-même. Nous donnerons plus loin, à ce sujet, quelques exemples édifiants. Avant d’aller plus loin, rendons quand même hommage à Messieurs Hocine Aït-Ahmed, Mouloud Kacem Naït Belkacem et Abdelkader Maachou pour leurs propos et leurs écrits à son sujet et surtout pour leur intégrité intellectuelle. Qu’ils aient écrit peu ou prou importe peu ; l’essentiel est dans la délicatesse de l’intention qui traduit implicitement une reconnaissance de la vraie valeur de l’homme.

Rendons également hommage à Madame Germaine Tillion qui a claqué la porte du cabinet de Jacques Soustelle quand la presse française dévoila l’assassinat de Si Kacem. Son geste, plus éloquent que les paroles ou les écrits, enregistré par l’Histoire, est celui d’une digne fille de la France.

Un hommage réservé ira au grand orientaliste Louis Massignon qui fit un voyage en Algérie pour visiter le Waqf de Sidi Boumédiène de Tlemcen et participer à une réunion de l’Association Foucauld, à Béni Abbès, le 21 novembre 1955. Spécialement chargé par Guy Mollet, Louis Massignon rencontra Cheikh Tayeb El M’hadji, père de Si Kacem, au domicile de Maître Thiers, avocat à Oran. En touchant la main du Fqih il lui cite ce vers :

                                               لابد من شكوى إلى ذي مروءة     يواسيك أو يسليك أو يتوجع                             

« C’est à un esprit chevaleresque que la plainte doit être adressée, il te réconfortera, te soulagera ou en souffrira ». (Ce vers est de Bachar Bnou Bord  714/784)

Le passionné par la passion d’El Halladj était-il chargé de toucher la fibre -dite fataliste- qu’une approche volontariste et étriquée, savamment entretenue, prête aux Musulmans ? Force est d’admettre qu’il s’était trompé d’interlocuteur. Nous pouvons avancer avec une quasi certitude que Guy Mollet, qui l’avait chargé de cette tâche, savait déjà, que la D .S .T avait accompli sa sale besogne.

Enfin le vers cité au Fqih ne pouvait laisser planer le doute en lui. De plus, que savait-il exactement sur son interlocuteur pour refuser de le recevoir dans son domicile ? Il est pratiquement certain, compte tenu de ce qui précède, que  Louis Massignon savait la vérité sur l’assassinat de Si Kacem. Enfin, en admettant le contraire, c’eût été un jeu d’enfant pour lui que de l’apprendre pendant son séjour en Algérie. Le Fqih n’eut jamais de suite à cet entretien…et la vérité allait éclater au grand jour moins d’un mois après  cette rencontre. S’est-on servi de Massignon ? Lui a-t-on menti pour qu’il entreprenne  sa démarche ? Nul ne le saura…peut-être.

Nous ne déplorerons pas l’absence d’attention à l’endroit de Si Kacem, affichée par certains qui l’ont bien connu, qui ont eu à s’exprimer sur « leur » Révolution et auprès desquels son souvenir n’a trouvé ni place ni grâce. Volontairement et maladroitement éludé, l’homme devait sûrement déranger… par ses seules qualités intrinsèques.

Peut-être qu’en l’évoquant, redoutaient-ils, a priori, une exhalaison de relents nauséeux qui n’affectent pas les appendices nasaux mais le tréfonds des consciences, ce « pandémonium des sophismes » comme aurait écrit Victor Hugo, si tant est que cette conscience existât. Avec le temps, les questionnements deviennent légitimes  quoiqu’obsessionnels et oppressants. Mais la quête de vérité ne s’éteint jamais avec la disparition de ceux qui la connaissent, ceux qui la taisent ou ceux qui la masquent. Zoheïr Ibn Abi Salma, bien avant l’avènement de l’Islam, a exprimé, différemment certes, mais brillamment cette idée.

Des millions d’Algériens ont irrigué de leur sang leur Patrie et, c’est à juste titre, que leurs mémoires doivent être célébrées. Mais il semble qu’un baromètre mal étalonné, dans sa sélectivité, préside à ces célébrations, toujours vécues selon un rituel immuable et une mimétique articulée par archétypes dont la fadeur et les redondances ont fini, à la longue, par agacer non seulement les marionnettistes qui les orchestrent mais déranger également ceux-là mêmes qui sont sensés en être honorés.

Et quand on voit des plumitifs et des écrivailleurs, envahir les colonnes de certains journaux et les pages de « livres » édités à compte d’auteur – pour honorer régulièrement des personnes, toujours vivantes – et toujours les mêmes – dont le passé prend curieusement, d’article en article, une importance inversement proportionnelle au nombre des survivants, on se demande si la pudeur a toujours cours dans nos mœurs.

Disons-le tout de suite : si Si Kacem n’a pas eu « la part » qui lui revient, c’est qu’un ressort a été volontairement bloqué quelque part. Son but et ses espoirs étaient motivés par une foi héritée d’une ascendance illustre, une foi sincère, totale, sur laquelle les contingences n’avaient aucune prise, acquise à bonne école, exprimée à bon escient et qui fut le principal architecte qui a sculpté finement ses convictions et façonné irrémédiablement la justesse de son combat. Là, et surtout là, se tenait LA différence. Ne serait-ce pas elle qui a scellé son sort ? Beaucoup d’indices et de non-dits incitent à l’affirmative. Aucune vérité ne l’a encore corroborée.   Pour le moment du moins.

La similitude entre le nom du martyr et celui de l’auteur du présent article, prédisposera certainement le lecteur à s’attendre à un récit apologétique voire dithyrambique. Bien que moult raisons le commandent, à juste titre d’ailleurs, il n’en sera strictement rien.

Beaucoup de personnes ont aimé Si Kacem, beaucoup l’ont respecté, admiré et même adulé ; certaines en étaient sûrement dérangées. Enfin d’autres l’ont ravi à sa Mère : l’Algérie et… le monde arabo-musulman, c’est-à-dire le monde auquel il s’identifiait avec une force  intérieure intense et où le cœur prenait autant de place que l’esprit. Le cheminement derrière ses pensées en sera une des preuves.

En voyant son frère aîné pour la dernière fois, il lui laissa entendre qu’il allait sûrement à sa mort. Et dans les heures qui lui restaient à vivre, Si Kacem ignorait totalement une chose : c’est qu’il allait être exécuté… plus d’une fois. Nous connaissons déjà trois parmi ses nouveaux assassins : l’indifférence, le silence – bien entretenu – et son corollaire, l’oubli. Pourquoi?

Aussi un panégyrique de ma part, quels que soient le talent et l’inspiration qui puissent être conjugués pour l’exprimer, ne restituera, tout au plus, qu’une imparfaite image de l’homme et ce panégyrique serait une offense à sa mémoire que je ne me permettrai jamais de proférer.

Je m’interdirai alors dans ce qui suit, toute interprétation fallacieuse ou spécieuse sauf celle pour laquelle s’imposera une éventuelle justification, tout jugement que je ne suis pas qualifié de prendre ainsi que toutes tournures de style susceptibles de semer le trouble dans l’esprit des lecteurs. Ce que je dirai relèvera de deux sources principales : le témoignage de son frère aîné et la documentation – apparemment sélectionnée – qu’il a mise à ma disposition en caressant le rêve, avec autant d’entêtement que de naïveté, qu’un jour, dans un souci , des recherches plus poussées soient entreprises : consultations d’archives, surtout en Europe et documents personnels surtout en Egypte et en Iran.

Loyalement diligentées, nul doute qu’elles permettront de faire la lumière sur ce Martyr et nul doute que cette lumière sera éclatante et aveuglante, ces épithètes étant au demeurant, scrupuleusement pesées.

La paix à laquelle a droit Si Kacem et le soulagement tant espéré des siens sont à ce prix. Et ce prix constitue un minimum.

I. ORIGINES ET PREMIÈRE FORMATION.

 Si Kacem appartient à deux des dix fractions des Chorfa dits M’haja, une du côté de sa mère, les Ouled Sidi Blaha – qui seraient les enfants de Sidi Saïd – et l’autre du côté de son père, celle des Ouled Sidi El Freïh, issue d’El Gada, à 50 Km au Sud-est d’Oran. Son ascendance remonte à Idriss II (fondateur de la  dynastie Idrisside 788-985 à la fin du 8 ème siècle) par son fils Mohammed et le fils de ce dernier Ahmed. Rappelons de suite  que c’est en 1883 que décéda l’Emir Abdelkader et où naquirent le père de Si Kacem, Cheikh Tayeb M’hadji, à El Gada, et le légendaire Mohamed Ben Abdelkrim El Khattabi héros de la guerre du Rif que Si Kacem connaîtra très bien au Caire.

Il était né à 10 heures du matin, le 02 février 1923, à Oran au n° 5 de la rue Cambronne dans le quartier de Saint Antoine où il vivra avec sa famille jusqu’en 1940. Il était le quatrième enfant après son frère aîné  Si Mohammed et deux sœurs. Il sera suivi d’une dernière sœur et d’un deuxième frère Si Ahmed-Chérif.

De 1940 à 1952, la famille s’installe rue de Wagram, sur les hauteurs du quartier « El Agba » surplombant Ras El Aïn sur son versant oriental dans une maison achetée à des commerçants marocains, originaires de Fès et installés à Oran. Dans son autobiographie, Cheikh Tayeb El M’hadji raconte qu’en 1342 H (1923), il avait rencontré, à plusieurs reprises, à Oran, le grand érudit du Maroc et de l’Islam, Cheikh Abou Choaïb Eddoukali et «il assista à certains de ses cours sur l’exégèse du Coran et du Hadith». C’est dans cette maison qu’il lui rendait visite.

Cheikh Tayeb El M’hadji enseigna à Oran de 1912 à 1969, année de sa mort. Auparavant, il a dû quitter son douar natal suite aux décès en 1323 H/ 1905 de son père Mouloud d’une part et de son cousin et Maître Hadj Mohamed fils de Benabdellah, d’autre part.

Dès sa jeune enfance, Si Kacem prit le chemin de l’école de son père. A neuf ans, il finit d’apprendre le Coran. Le 6 août 1937, il obtient, à quatorze ans, son Certificat d’Etudes Primaires après avoir poursuivi sa scolarité à l’école Pasteur, située à M’dina Jdida, sur une perpendiculaire au Boulevard de Mascara. Cette scolarité- il est impératif de le souligner – a duré…trois années (au lieu de six). Il poursuivra, à plein temps, ses études chez son père jusqu’à l’âge de… 22 ans.

 Ainsi, il a dû passer 15 à 17 ans auprès de lui. Arrêtons-nous un instant sur cet espace de temps et essayons de percevoir l’étendue du savoir acquis par un enfant précocement doué, studieux, équilibré, épanoui, mis entre les mains de la plus grande sommité religieuse d’Oran de son temps – et elle le reste jusqu’à nos jours – et qui, de surcroît, était son père.

Il ne serait pas inutile de rappeler que celui-ci a formé, en presque soixante années d’enseignement continu, des générations entières de ‘Oulama. J’en ai connu un certain nombre. Parmi eux trois m’étaient très proches et je leur dois l’essentiel de ce que je suis devenu. Les trois, dont deux étaient frères, ont étudié chez Cheikh Tayeb durant quatre ans, le troisième, un de leurs cousins et futur beau frère – durant trois ans.

L’aîné des trois ahurit, en 1964, sur des questions de Fiqh, l’assistance qui entourait le Roi Fayçal d’Arabie Saoudite (1905-1975), lors de la réception que le Monarque accordait aux personnalités du monde musulman à l’occasion du pèlerinage et où les plus grands Oulama de l’Islam étaient conviés. Il connaîtra, dans d’autres domaines, une consécration internationale. Dans les mois qui viennent, nous espérons terminer un livre que nous lui consacrons.

Son propre frère fut imam à la vieille mosquée du Pacha à Oran et l’exercice de son ministère est toujours vivant dans le cœur des Oranais qui l’ont connu. Il épousera une des sœurs de Si Kacem.

Le troisième, enfin, fut imam à Sidi Bel Abbès où il a laissé un souvenir impérissable.

Tous les trois me dirent et me redirent que Si Kacem était un vrai génie…

Si leurs formations respectives ont fait leur célébrité en leur conférant une autorité morale incontestable, comment pouvons-nous évaluer ce que Si Kacem a pu acquérir, auprès du même Maître qu’ils ont eu, en quelque quinze années? Laissons Cheikh Tayeb el M’hadji la «quantifier» indirectement.

Il écrit, dans son autobiographie, sur le destin tragique de son fils, avec autant de dignité que de douleur et surtout beaucoup de foi (p.106 1ère édition) : « Il (Si Kacem) était le fruit de mon œuvre, le summum de mon espoir, ma richesse tangible, spirituelle, temporelle et éternelle (…). Quand il acquit tout ce que je savais… » etc.

L’œuvre gigantesque du Cheikh, ses connaissances aussi variées que monumentales ont donné un fruit et, à ce fruit, le Maître dit avoir transmis tout son savoir. La première lecture de ce texte, il y a plus de trente ans, m’a laissé une impression que renforceront les multiples lectures successives faites depuis lors et cette impression est que le Maître avait dû tout faire pour être dépassé par « son » élève. Nul ne pourra dire si celui-ci y est parvenu mais j’ai l’intime conviction qu’il n’en était pas loin et ce, pour la fierté et la joie légitimes du père, hélas ! toutes deux de courte durée. Que de fois l’orgueil du père n’a-t-il pas été chatouillé au cours d’innombrables discussions serrées, sur des thèmes pointus, au cours desquelles le fils tenait la dragée haute à son maître.

Un de mes oncles paternels, Si Ahmed, me raconta dans les années 70, cette anecdote : «Je passais une nuit chez mon oncle Si Tayeb. Après le souper, il engagea une discussion avec Si Kacem sur des questions de religion. Ne comprenant pas assez ce qu’ils se disaient, je finis pas m’assoupir et m’endormis. Je fus réveillé par l’appel à la prière du fedjr. Mon oncle et mon cousin étaient toujours en discussion…»

2 LES PREMIÈRES ACTIVITÉS NATIONALISTES.

Une fois terminées ses études auprès de son père, celui-ci lui ouvre un commerce de couvertures traditionnelles, rue Kara Mohamed à M’dina Jdida. Le magasin de couvertures allait lui servir de couverture à ses activités secrètes pour le compte du PPA (Parti du Peuple Algérien) activant dans la clandestinité – et où Si Kacem avait adhéré très jeune.

C’est dans ce magasin que venaient régulièrement Hamou Boutlélis portant une ronéo avec Si Abdelkader Maâchou pour le tirage de tracts. Nous sommes en 1945. Le monde est en pleine mutation.

La décolonisation est en marche. La déroute française devant les Allemands était un indicateur que les nationalistes algériens n’ont pas manqué de relever. La nation qui tenait la leur et beaucoup d’autres avec une main de fer fut culbutée à l’issue d’une promenade. Son peuple se divisa : des résistants, dont certains de stature unique, se battent sur le sol français, d’autres, avec un certain François Mitterrand – quoique pour un temps – ainsi que les gros potentats de la colonisation, soutiennent le régime de Vichy ; d’autres enfin se réfugient en Angleterre et dans les colonies.

La libération à laquelle prirent part les résistants sur le sol français n’a pu être menée à son terme  que grâce à l’intervention des Alliés, et surtout grâce  à la chair à canon désignée par euphémisme « armée coloniale ».La France est libérée et, dans un élan de « générosité », récompensera ceux qui se sont battus pour elle.

Beaucoup d’Algériens furent médaillés et 45.000 allaient être massacrés au moment même où une folle liesse s’emparait des Champs-Élysées. Pour la petite histoire, nos aînés ont retenu que le général qui supervisait les massacres de Sétif, Kherrata et Guelma était… communiste ! Les nationalistes algériens décryptèrent le message : la puissance coloniale n’était plus cet épouvantail qui les avait écrasés par la terreur. Le temps de la réaction était venu et des Algériens, pour la plupart des jeunes, se sentirent prêts. Dien Bien Phu, quelques années plus tard, ne permettra plus de doute.

Au cours de cette année 1945, des archives du PPA furent découvertes par les services secrets français chez un militant de Saïda. La prise était importante. Une vague d’arrestations fut déclenchée à travers toute l’Oranie. Si Kacem, « qui avait organisé les manifestations du 08 mai », fut arrêté à son magasin.

Vingt autres militants subirent le même sort. Ils furent interrogés et incarcérés à la prison civile d’Oran puis transférés à la prison militaire de la même ville. Ils furent « inculpés de trahison et atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat », d’avoir «sciemment participé à une entreprise de démoralisation de l’Armée et de la Nation, ayant pour objet de nuire à la défense nationale en adhérant au parti nationaliste dit PPA».

Pour les motifs cités ci-dessus, le substitut du juge d’instruction militaire, Layrisse, les envoie pour être jugés conformément aux lois. L’acte d’accusation fut signé le 29 janvier 1946 suite à l’ordonnance de renvoi devant le tribunal datée du 14 janvier 1946.

Signalons un détail qui mérite amplement sa place ici. Au cours des interrogatoires, Souiyah El Houari, un des principaux inculpés, déclare que onze parmi les 21 arrêtés – dont l’un était en fuite – étaient de simples membres de cellules alors qu’ils en étaient chefs.

Dans sa livraison n°3167 du 30 janvier 1946, « Oran Républicain » reprend le procès où sept avocats se sont succédé. Sur les 21 membres, dix furent condamnés, les onze autres acquittés grâce à la présence d’esprit de Souiyah El Houari notée ci-dessus. Si Kacem, incarcéré sous le numéro d’écrou 1554 fut libéré le 30 janvier 1946 après neuf mois de détention préventive. Quant aux condamnés, ils encoururent des peines diverses :

Filali Embarek, Alias Mansour, en fuite, fut condamné à mort par contumace et à la confiscation de  ses biens. Nous apprendrons bien plus tard que le militant Filali « en fuite» était présent dans le tribunal habillé d’une soutane et passait pour un homme d’église!

Abad Ahmed et Benamar Mohamed (dit Abdallah) : trois années de prison ferme, confiscation de leurs biens et cinq ans d’interdiction de séjour ;

Dellal Boumédiène et Souiyah El Houari : 30 mois de prison et confiscation des biens ;

Zebaïri Braham Ould Mohamed : un an de prison ferme ;

Sahraoui- Brahim Mohamed (cousin de Si Kacem) : 9 mois de prison ferme. Initialement acquitté, il s’en prit au juge en lui lançant des vérités de l’heure. C’est pour cet «outrage» qu’il écopa de neuf mois !

Chemloul Benaïssa, Layachi Abdelmoumène et Djarid Difallah : 8 mois de prison ferme.

Layachi  Abdelmoumène, libraire, décédé il y a quelques années Oran, raconta au frère de Si Kacem que, durant leur séjour en prison, Souiyah El Houari se présenta un jour devant ses compagnons en short. Si Kacem lui dit à peu près ceci : « Nous ne sommes pas en colonie de vacances. Les raisons qui nous ont menés là où nous sommes exigent de nous des comportements irréprochables les uns envers les autres ». A ces mots, Souiyah changea de tenue. Si Kacem dirigeait, au cours de sa détention, la prière et devait sûrement s’acquitter de devoirs d’information et de formation.

                  3. La deuxième époque de formation.

A sa sortie de prison et en concertation avec son père, il décida de poursuivre ses études à l’université de la Zitouna à Tunis. L’admission était subordonnée à un test préliminaire. Les résultats de Si Kacem furent tels que les responsables de l’université l’inscrivirent directement en troisième année. Deux ans après il obtient la  Ahliya, diplôme sanctionnant les études de cette institution, signé le 21 juin 1948 par Cheikh Mohamed Tahar Ben Achour.

Ce Cheikh, Idrisside, est le descendant direct de Sidi Youssef Ben Aïssa (aïeul de nos amis Adda-Boudjelal) qui fut Cadi à Ghriss (Mascara) sous les Zianides. Son ascendance émigra de Figuig vers Boussemghoun (dans le Sud-ouest Algérien, non loin Aïn Sefra) et la Tunisie. Auteur d’une exégèse du Coran, il publia plusieurs articles – de même que Si Kacem – dans le journal indépendant algérien « El Manar » sous la signature de Mohamed Tahar Essemghouni. Il fut à l’origine de l’introduction des cours de physique, de chimie et d’algèbre à l’université de la Zitouna. Une première!

Sur le pont Alexandre à Paris.

Pour essayer de cerner, un tant soit peu, l’activité de Si Kacem durant ses deux années tunisiennes, nous nous sommes rapproché de l’un de ses cousins Hadj Abdelkader Reguig  des M’haja Ouled Sidi Abderrazak. Après des études à Sidi Bel Abbès, il fut envoyé par l’Association des Oulama à la Zitouna, avec d’autres compagnons venus de toute l’Algérie. Selon lui, tous les nouveaux étudiants étaient pris en charge par un comité chargé de les orienter, de les installer, de les suivre et de leur payer chaque mois le pécule que l’Association des Oulama mettait à leur disposition, soit 1.000 Francs (de l’époque) pour leurs frais de restauration.

Ce comité était présidé par Si Kacem. Trois  restaurateurs algériens installés à Tunis, de même qu’un Tunisien venaient en aide aux étudiants en leur assurant des repas convenables à tarifs réduits. Hadj Abdelkader Reguig me parla de Si Kacem.

« Il était, dit-il, d’un niveau exceptionnel, ordonné, méthodique, écouté et faisait l’unanimité autour de lui. J’avais remarqué, sans qu’il ait eu à me le dire, qu’il faisait de fréquents déplacements en Europe et dans certains pays du Moyen-Orient.

«Un jour, en accord avec les étudiants algériens, il organise notre participation à une manifestation antifrançaise aux côtés de nos frères Tunisiens. Les Algériens sont en tête de la marche, brandissant des drapeaux et entonnant « Min jibalina ». J’étais au premier rang à côté de Si Kacem qui m’avait confié le plus grand des emblèmes.

«A la fin de la manifestation je le remerciai pour m’avoir placé en avant de la marche en me chargeant de porter le plus imposant des drapeaux. Il me dit : « Je ne te l’ai pas remis parce que tu étais mon cousin. Je l’ai fait pour une autre raison : tu as des  frères Bachagha, Agha et Caïds. Les Français vont peut-être comprendre et méditer le message » ».

 Prémonition ? Toujours est-il que, quelques temps après, son frère aîné, l’Agha Ahmed Reguig, fut convoqué par l’Administrateur indigène de Sidi Bel Abbès qui lui exhiba une photo montrant son frère et Si Kacem côte à côte, à l’avant de la marche. L’Agha Ahmed, qui rendait de fréquentes visites au Cheikh Tayeb El M’Hadji et qui connaissait parfaitement son fils, fit mine de ne reconnaître ni l’un ni l’autre. En 1957, son frère Hadj Abdelmalek, fut informé, in extremis, par le FLN que les services secrets français étaient sur le point de l’arrêter. Quand leurs agents se présentèrent à son domicile, il était déjà dans un avion en partance pour l’Etranger.  Si Kacem avait vu juste.                                                                                                                     
En  Suisse

Il présidait l’association des étudiants qui comptait, entre autres militants, Mouloud Kassem- qui deviendra plus tard Ministre des affaires religieuses- et Rozeïk Kassem.

Si Kacem aurait, selon le commentaire de l’Echo d’Alger du 19 janvier 1955 sur sa condamnation par défaut, « reconnu avoir fait partie du MTLD » (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques) et «avoir fait paraître un bulletin secret « Eddalil » (Le Guide) en 1947, c’est-à-dire au cours de sa première année en Tunisie. Ceci est vrai. A cette époque, ses écrits étaient signés « Zeïdoun ». Là un bref   rappel historique s’impose. Nous avons dit,

plus haut, que Si Kacem descendait, du côté paternel, des M’haja Ouled Sidi El Freïh. Celui-ci, enterré à la demande de ses élèves à M’cid (Sfisef), eut un fils unique, Mostefa qui eut, lui, six garçons : Adda, Kaddour, Mohammed-Senni, Freïh, Sahraoui et Tayeb.

      Tunis 1948/1949 Si Kacem 1er à droite avec six étudiants à la Zitouna, tous membres du PPA. Mouloud Kacem Naït Belkacem est le 2 ème à partir de la gauche.

Sidi Mohamed Senni, autorité religieuse de son temps (autant que le plus jeune de ses frères, Tayeb), fut désigné à  la tête de la grande mosquée d’Oran par  le Bey Mohamed Ben Othmane qui gouverna de 1192 à 1213 H (1778-1799). C’est ce Bey qui mena les batailles dont l’issue permit de reprendre définitivement Oran aux Espagnols en septembre 1791.

Enterré au cimetière qui porte le nom de l’un de ses maîtres, Sidi El Bachir, à quelque huit kilomètres à l’Est d’Oran, il était le grand-père du grand-père de Si Kacem. Lorsque l’Administration coloniale imposa l’usage du nom patronymique, les descendants des six frères ci-dessus cités se mirent d’accord pour opter, chacun, pour un nom de famille composé du prénom de son grand-père direct suivi de Brahim, ce dernier étant soit le grand-père direct de Sidi El Freïh soit son ascendant de la huitième génération, enterré prés de Aïn-Fekan (Mascara) et auquel se rattachent, sans exception et exclusivement les dix fractions des M’haja.

Les six frères donnèrent à leur descendance les noms de famille suivants : Adda-Brahim, Sahraoui-Brahim, Kaddour-Brahim, Freïh-Brahim, Taïeb-Brahim et Mohammed-Brahim, ce dernier nom étant celui de la descendance de Sidi Mohammed Senni, mort peu après 1790. Deux membres de cette descendance eurent la surprise de se voir inscrire, l’un sous le nom de Meknous-Mohammed-Brahim et l’autre sous celui de Zeddour-Mohammed-Brahim au lieu de Mohammed-Brahim pour les deux.

Pour ne pas être dissociés de leurs frères et cousins, les concernés protestèrent mais l’administration fit la sourde oreille d’autant plus qu’elle connaissait parfaitement le rôle joué par cette famille dans la résistance aux côtés de l’Émir Abdelkader à travers notamment deux grandes figures : Hadj Ben Abdellah Ben Tayeb qui ne se séparera de son illustre chef que le 23 décembre 1847 et son cousin germain Ben Freïha Ben Sahraoui qui fut déporté en Corse, laissant derrière lui trois garçons et deux filles dont la plus jeune sera la grand-mère paternelle de Si Kacem.

Cette évocation nous montre que Cheikh Tayeb El M’Haji a été directement touché par la colonisation depuis son début – avec la déportation de son grand-père Ben Freïha – et jusqu’à son issue, par le destin tragique de son fils et la mort au maquis de plusieurs de ses meilleurs élèves. Mais le Cheikh était resté debout. Il savait que Dieu avait créé l’homme pour l’éprouver par les dons qu’Il lui a prodigués. La Foi, la noblesse de la tâche à laquelle il s’est bénévolement et totalement dévoué durant toute sa vie en formant des centaines et des centaines de jeunes et les fins en Martyrs de son grand-père maternel d’abord et de son fils ensuite – qui relevaient pour lui de la bénédiction divine – ont fait qu’au-delà de la douleur et du déchirement, il a pu tenir.

Si Si Kacem signait ses écrits « Zeïdoun », ce n’est pas par hasard. Comme beaucoup de ses cousins, « l’erreur » de l’Administration a été mal acceptée et le reste jusqu’à nos jours. Le nom de Zeïdoun, en excluant la terminaison grammaticale, était celui de Zeïd, porté notamment par de nombreux Compagnons à l’aube de l’Islam : Zeïd Bnou Haritha, Zeïd Bnou Thabit, Zeïd Bnou Amrou, Zeïd El Khaïl que l’Envoyé de Dieu changea en Zeïd El Kheïr etc.

Or Si Kacem l’écrivait exactement comme l’orthographiait le grand poète andalou Ibn Zeïdoun né à Cordoue en 394 H/1003 et mort à Séville en 463 H/1070. Poète moderniste, il fut chargé de mission auprès des « Emirats » andalous pour le maintien de la cohésion entre les Musulmans. Il fut surnommé El Bouhtouri, une espèce de Lamartine arabe pour son lyrisme et la sensibilité de son style. Mais cette cohésion se disloqua du vivant du poète.

Comme Ibn Zeïdoun, Si Kacem était poète, tout comme le fut son père ; comme lui il a fait de la prison, comme lui il châtiait une langue où il fut reconnu surtout  à travers elle. Ibn Zeïdoun tenait à une cohésion entre ses frères en Andalousie. Si Kacem, sur cette question, voyait plus large car le champ était devenu démesurément plus vaste. Ibn Zeïdoun verra les limites de la cohésion, Si Kacem ne vivra pas pour voir pire que ce qu’a vu le poète andalou.

Au Caire, il signera ses écrits « Kacem l’Algérien » ou « Abderrazak l’Algérien » du prénom de son premier neveu, fils aîné de son frère Hadj Mohammed.

A l’automne 1949, il se retrouve au Caire, s’inscrit à l’université Fouad 1er, à Dar El Ouloum pour préparer une licence en lettes. Il passe sans problème le concours d’entrée. Deux langues supplémentaires sont enseignées : il choisit l’anglais et le persan qu’il va maîtriser parfaitement avec le français, l’espagnol, l’allemand, l’hébreu et bien sûr l’arabe.

                                          Avec Mohamed Khider au Caire

Au Caire, Si Kacem va intensifier ses activités politiques. Il prend contact avec le Bureau du Maghreb. Il fait de nombreuses missions à l’étranger et fut la courroie de transmission entre la tendance dure du PPA et Messali Hadj.

Au cours de l’une d’elles, c’est Abderrahmane Azzam, Secrétaire Général de la Ligue Arabe qui l’envoie… en Algérie. Ce sera la seule et unique fois qu’il en fait part à son frère aîné.

Quant au but de la mission, il n’en saura jamais rien. Très vite il sera connu et apprécié par toute l’intelligentsia cairote. Il reçoit des invitations de personnalités religieuses, universitaires et politiques.

Ainsi, il connaîtra Hassan El Hodheïbi, successeur de Hassan El Banna à la tête des Frères Musulmans et Sayyed Kotb auquel il fut très lié. Au Bureau du Maghreb, il rencontrera des leaders et des militants maghrébins. Hocine Aït-Ahmed écrira plus tard : « Il nous fera bénéficier de sa bonne connaissance des milieux politiques [égyptiens] ». Son frère garde toujours une très belle photo de Aït Ahmed dédicacée en arabe en 1952 : « A mon cher frère Kacem, un souvenir fraternel et patriotique ». Il rencontrera également Habib Bourguiba, Allal El Fassi, Salah Benyoucef et surtout Mohamed Ben Abdelkrim El Khattabi, héros de la guerre du Rif qui était LA référence pour ces assoiffés de liberté.

A Constantine avec Stambouli Mostefa (à droite) futur authentique et mythique Chef de l’ALN pour la région de Mascara

Fiché depuis 1945,la DST ne le lâchera plus. A partir de fin 49, les pèlerins d’Oran devaient obligatoirement se présenter, dès leur retour, aux services de police qui essayaient de savoir s’ils avaient rencontré Zeddour Kacem à leurs escales en Egypte.

                                                            A Venise                                           

                       4.  SES IDÉES ET L’ÉTENDUE DE SON COMBAT.

   Si Kacem écrivait abondamment dans la presse égyptienne en particulier (Revue Da’awat El Haqq), Al-Ahram et la presse arabe en général. Nous avons dit qu’il rencontrait l’élite du pays, qui le consultait sur nombre de sujets. Sa formation le prédisposait à exceller dans l’écriture sur des questions de Fiqh, d’exégèse, de rhétorique, de littérature, d’histoire, de philologie, mais ces matières pouvaient attendre.

Seuls les causes qu’il avait embrassées et les hommes en qui il croyait l’intéressaient surtout pour le besoin de communication aux masses arabes et notamment à ses compatriotes. Aussi, ses sujets de prédilection furent l’arabité, l’Islam au double sens religieux et géographique et tous les problèmes liés à la colonisation, quel que soit le pays qui en était touché. Du 08 décembre 1951 au 08 mai 1953 il fit paraître sur le journal indépendant « El Manar » dont le siège était situé au 28 rue de Mulhouse à Alger huit articles. Examinons trois d’entre eux pour sonder sa pensée.

Le premier, paru le 8 décembre 1951, avait pour titre : « Les étudiants algériens en Egypte célèbrent la journée des Martyrs ».

Le 14 novembre précédant la parution de l’article, l’Egypte avait commémoré l’anniversaire de ses Martyrs. Les étudiants algériens réunis, se prononcèrent à l’unanimité pour leur participation à la marche silencieuse qui était en cours de préparation. Al Ahram signala leur décision dans son édition du 13 novembre. Le jour venu, ils défilèrent à la place qui leur a été réservée avec, en tête du carré, côte à côte les emblèmes nationaux algérien et égyptien et deux banderoles de six mètres de long chacune.

Sur l’une était écrit « l’Algérie, solidaire avec l’Egypte dans son  combat » et, sur l’autre, « les peuples arabes et musulmans veulent leur liberté et leur indépendance ». Partie de la place du Khédive Ismaïl, la marche prit fin à la place du Palais Abidine. L’impact fut immense. Le jour même, « Ez-Zaman » (le Temps), un quotidien du soir, relatait l’événement et surtout la participation algérienne avec deux slogans d’actualité et aux significations nobles. A la place du Palais Abidine, un speaker remercia l’Algérie pour sa participation.

Le deuxième parut le 1er février 1952 sous le titre de « Les trois Mohamed » (Mouhammadoun Thalatha). Il s’agit d’un hommage à trois musulmans modernes, qui ont redonné la considération à leur religion après une longue période de léthargie. Ce sont :

       – Mohammed Ali Jinnah, né en 1876 à Karachi et père fondateur du Pakistan. Pour Si Kacem, Mohammed Ali Jinnah « a fondé une grande nation musulmane qui a pour principe et finalité l’Islam. Cette nation est celle d’un jeune peuple vigoureux. Elle a pour dirigeants de nobles Moudjahidine dont la Constitution est le dévouement et le guide la Foi ». Il ajoute que l’émergence du Pakistan a été salutaire pour le monde musulman qui a senti « qu’une âme

nouvelle envahissait son corps amorphe et qu’une force vivifiante alimentait ses membres engourdis où des signes de vigueur et d’énergie prennent forme ». Il rappelle que Mohammed Ali Jinnah avait publié dans une célèbre lettre que : « L’Islam n’était pas un ensemble liturgique, de traditions et d’enseignements spirituels mais qu’il était une Constitution pour la vie de chaque musulman, où celui-ci avait ses repères pour le cours de son existence, pour les attitudes à prendre dans les domaines sociaux, politiques et économiques. C’est une Constitution conçue sur les plus hauts principes de dignité, d’intégrité et de justice ». Sa veuve, malgré un projet démocratique, sera battue aux élections de janvier 1965 par Ayyûb Khan.

 – Mohammed Hidayat Mossadegh (1882-1967) d’Iran. Après des études supérieures à Paris, il proteste contre l’influence anglaise, occupe plusieurs postes de ministre, se dresse contre le Shah Riza Khan en 1925. Il est député en 1944, crée un parti en 1949 : le Front National. Il est porté au pouvoir en

1951. Il nationalise la « Anglo Iranian Oil Company » en 1951 et expulse tous les techniciens britanniques.

Il fut renversé par le général Zahedi le 19 août1953 et incarcéré pendant trois ans. Il était considéré comme « l’homme de l’époque » pour, écrit Si Kacem, « ses aspirations à la liberté et son combat contre le colonialisme. Son nom devient synonyme d’héroïsme.. ». Il ajoute : « Les peuples d’Orient ont brisé leurs chaînes et ils voient d’un mauvais œil tous ceux dont les faces frémissent de rêves colonialistes ».

– Mohammed Salah Eddine, exceptionnel ministre des Affaires Etrangères d’Egypte dont le slogan était « l’Egypte à l’arabité et à l’Islam ». Il fut conseiller à la Ligue Arabe et un fervent avant-gardiste de sa politique. Il défendit les thèses de son pays avec courage et clairvoyance. C’était le personnage politique le plus estimé d’Egypte.

Si Kacem considérait ces trois Mohammed comme étant « l’écho de la nation musulmane dans son éveil, qui ont tracé la voie et illuminé le sentier au bout duquel se rencontrent la dignité des peuples musulmans et la gloire de l’Islam ».

Ajoutons que Si Kacem connaissait personnellement Mohammed Salah Eddine ainsi que le Général Néguib, héros de la guerre de Palestine en 1948 et 1949. Pour son intégrité, il fut choisi par les hommes du coup d’Etat de 1952.

Le 25 juillet, il  obligea le Roi Farouk à abdiquer et proclama la République le 18 juin 1953. Le 27 novembre 1954, soit environ 16 jours après l’assassinat de Si Kacem, il fut remplacé par Nasser. Des lettres adressées par le Général Néguib à Si Kacem – qui témoignent d’une haute considération mutuelle – font partie des documents qui ont échappé aux fouilles et aux vicissitudes du temps.

Le 14 mars 1952, il publia un article, qui reste toujours d’actualité, sur la visite de Dhafrallah Khan en Egypte venant d’Ankara, Damas et Beyrouth. Le ministre des Affaires Etrangères pakistanais militait pour la création d’un ensemble militaire au Moyen Orient englobant, outre les pays arabes, le Pakistan, l’Afghanistan, l’Iran et la Turquie.

Or, celle-ci, explique Si Kacem, refusa « de faire de la politique sur une base confessionnelle même à un faible niveau. Il faut ajouter à cela que la Turquie s’est trop engagée dans l’aventure occidentale puisqu’elle est devenue membre de l’OTAN… », etc. Dans cet article Si Kacem ne dira jamais une chose : c’était lui qui servit d’interprète aux deux parties grâce à sa connaissance du persan. Sayyed Kotb lui emboîte le pas et fait une clairvoyante mise au point sur la position ottomane et de l’excuse avancée pour le refus. (Voir son livre « Etudes Islamiques »).

Il est quasiment certain que ses compagnons algériens étaient, ce qui est normal, au courant de ses activités pour son pays. Quant à celles menées pour le compte d’autres pays, nous ne pouvons nous prononcer.

Et là, nous pensons opportun d’ouvrir une grande parenthèse : parmi les nombreux documents que nous avons eus sous les yeux figurent un important lot de lettres, émanant d’une certaine Edwige et toutes envoyées de Grèce. Cette Edwige était la secrétaire du Directeur de la compagnie Esso pour le Moyen- Orient. C’est elle qui transmettait des informations à Si Kacem qui les envoyait à Mossadegh, participant ainsi de fait à la nationalisation du pétrole iranien. Des documents existent à « la Fondation Mossadegh » en Suisse.

Voilà l’homme, ses idées et son combat. Il menait son action en symbiose avec les valeurs sur lesquelles il a été élevé. Et puis vint un jour où une directrice d’une école d’Oran portant son nom posa cette question : « Qui fut cet homme? » Personne ne put lui répondre.

Un sentiment d’inachevé plane de manière pesante s’agissant d’un homme qui a achevé son œuvre en donnant ce qu’il avait de plus cher : sa vie à presque 32 ans.

N’oublions pas une précision déroutante : avoir un père de la stature spirituelle du sien, très connu dans le monde musulman, avec toutes les facilités auxquelles il aurait pu prétendre, fréquentant toutes les sphères et les élites de la société égyptienne et notamment politique, religieuse et culturelle peuvent laisser penser que l’homme menait un train de vie fastueux.

Il n’en fut rien, tout au contraire. Il survivait grâce aux coupons réponses internationaux que lui envoyait son frère aîné et, dans une situation délicate, une aide lui avait été apportée par un de ses cousins aisé qui fut élève de son père et à qui Si Kacem adressa une épître de 20 vers, le 25 septembre 1949, composée sur le mètre dit « El bassit »:

يــاساكن القلب نار السكن في ضرم    تذكو كنار القـرى في حلـكة الظــلم                                

نــار تهيج أشــواقـي وتؤلــــمــــني    و قد سرى الوجد من أجيجها  بدمـــي                               

فــفـي الفــؤاد كشيش لو أذنت لـــه     فــلا  تـكن عن شكــاتي دائــم الصمم                                

لولا الدموع التي أسقي بها جسدي       لــــكاد يذهــب كلـي أ كــلة الجـــحم                                

لي موئل في ذرى الأحلام من حزني    ما أضـــيق العيش لــولا فرجة الحلم                                

ذكـرى الخيـام تواسيــني حــلاوتــها    رغم الشطــاط أنــاجي ساكـــن الخيم                                

لــقد ذكرت مــــناغيا عـــلى كـــثب       ديار »سيك » ذوات الجـــود والكــرم                                

ديـــار آصـــرة يـــزيـــن بــيــتهـــم      « مختار هم » طيب الأخلاق والشيــم                                

هـــــــو الكريم الذي ترنو الكرام له        مــا بــين محـــتفل بــه ومــعتصـــم                                

« مخـــتار » مــزنة جــود عـــم صيبها      ثم انجـــلت عن سحاب هــاتن الديم                                

لم تـــلف ذا كــرم لــه مكــــارمــــه      ولا مثــــيل لــه في وصــــلة الرحــم                                

 رعى الرحـــيم رحــيما في أقـــاربـه     فـــــخـــصه بيــنـــهم بالإحـتفا بهــــم                               

سهــــل الخليــقة سمــح واسع سلس    طـــوع الجــنــاب لــطــيف لين الكلـــم                               

سربــــا له الــبر والإحســان حــــلته    وحســــنه خــــلقـــه ورفـــعة الهمــــم                               

حــججـــته فهــــو قــبلـة مكــرمــة      يؤمـــها النــــاس مــن بعـــد ومن أمم                               

لــــما تيقــــنت أنـــه ســيســـعدني     سبقت بـالمـدح شــاكـرا بمـــلء فـــمي                               

إنـــي أهـــبت بفـــضل أستعـــين به     عــــلى قضــــاء حــــويــــجتي فلم ينم                               

طــــبع الــريم كفــاه عن تــــكرمه     الجــــود شــــيمته فـــي الجــود والعدم                               

أبــيات مــدح له عن حســـن صنعته    لـــه الــــثناء جـــــزيلا غـــــير منفصم                               

 أ نشـأتها حـــامدا لـــــــه معــــونته    لــــكنني أســــف لونــــية القــــــلــــــــم                                

                                      1949   في 25 سبتمبر                                                                            

إلى السيد المختار مع طوفان من الشكر

                             القاسم

Deux mois auparavant, son père à qui il avait fait part de sa situation à travers un poème, lui recommanda, en 12 vers, d’être patient et de garder foi en Dieu comme le fit le Prophète Yacoub (Jacob).

Avant de terminer ces quatre années passées en Egypte, nous jugeons utile de raconter ce qui suit. A la fin de l’année universitaire 1951 (ou 1952), il s’apprêtait à rentrer à Oran pour ses vacances d’été. Mais il n’y avait pas de bateau à destination de l’Algérie.

Des amis égyptiens lui trouvèrent une place sur un navire américain venu effectuer une croisière sur le Nil. Le responsable de la croisière l’accepta à bord. Si Kacem, comme beaucoup d’Algériens, n’ignorait pas que les Etats-Unis pouvaient jouer un rôle dans la décolonisation des pays du Maghreb. Il s’intégra au groupe dont il fut le guide donnant des détails historiques, sociologiques et politiques sur les pays que le navire longeait.

En 1932, sur un bateau, parti de Casablanca avec, à son bord, 1400 pèlerins des trois pays du Maghreb, son père organisait tous les jours des causeries religieuses sur le rituel du pèlerinage notamment et dirigeait les prières.

 Si Kacem à Rome

Lors d’une escale dans un port algérien, les Américains remarquèrent l’expression de son visage quand il aperçut le drapeau français flottant sur les bâtiments. Il leur dit : « Dans peu de temps, flottera à la place de ce drapeau, un drapeau algérien ». Le bateau fit escale à Oran.  Si Kacem eut le temps d’aller faire préparer des gâteaux traditionnels oranais qu’il offrit à ses compagnons de voyage. De son époque égyptienne et de ce voyage, il reçut beaucoup de lettres-qui existent toujours- de Hollande, d’Allemagne, d’Italie, d’Inde, du Liban, de Suisse, de Grèce et des Etats-Unis émanant de professeurs et de chercheurs notamment. A celles qui arrivèrent après son assassinat, son père se chargea lui-même d’annoncer à tous leurs expéditeurs sa tragédie.

L’été 1953, à cause de ses activités politiques et occupé à dispenser des cours de guérilla urbaine à certains de ses compagnons, il ne passa pas son examen final et fut retenu pour le repasser à la rentrée universitaire suivante. Il prit ses vacances à Oran. Il se rendait tous les jours chez son ami Mohamed Ben Ahmed, le futur commandant Moussa, récemment disparu, qui tenait un hôtel restaurant au centre-ville.

Au cours de son séjour, une escadre de la Royal Navy avec en tête le porte-avions « The Eagle » (l’Aigle) mouille à Mers El-Kébir. Le Commandant et ses officiers supérieurs, tentés sûrement par la cuisine traditionnelle locale, se retrouvent au restaurant de Ben Ahmed. Si Kacem servit d’interprète. Les Anglais ne s’attendaient pas à trouver des interlocuteurs d’un tel niveau. Ils les invitèrent à visiter le porte-avions. Le lendemain, ils y furent reçus avec les honneurs militaires. Nous sommes absolument certain qu’ils ont été les premiers algériens de l’Histoire à faire une telle visite.

5, LE RETOUR DÉFINITIF EN ALGÉRIE.

A l’issue de ses vacances, Si Kacem repart en Egypte. Il repasse ses examens et obtient sa licence en septembre 1953. Il reste au Caire où il continue ses activités pendant un peu plus de six mois. Les autorités égyptiennes lui proposent leur nationalité pour qu’il reste enseigner chez eux. Il refuse.

Les Koweïtiens veulent l’engager dans le même but avec des conditions attrayantes. Il consulte son père qui lui conseille de rentrer en Algérie où il y avait beaucoup plus à faire. Ainsi décide-t-il de rentrer au bercail. Le Bureau du Caire lui remit des messages à distribuer à des militants à travers tout le pays. Il les cache dans un poste radio dont la facture d’achat fait partie de ses archives familiales. Il fait le voyage avec un anglo-saxon (?) qui participe à un rallye d’endurance avec une Renault 4 CV. En mars 1954, il est à Oran. La famille ne le reverra que très rarement. Il sillonne le pays.

Sur les bords du Nil

Au cours de ce printemps 54 deux évènements importants interviennent : d’abord en avril, la création du « Comité Révolutionnaire d’Unité et d’Action » (CRUA). Sa coordination est confiée à Mohammed Boudiaf et Mostefa Ben Boulaïd. Il éditera 7 numéros d’un bulletin secret « le Patriote » dont le dernier numéro date du 5 juillet 1954. Le 8 mai, un « petit » général, nommé Vô N’Guyen Giap, écrase les stratèges militaires français à Dien Bien Phu après une bataille de 63 jours. La France est humiliée… Si Kacem est partout en Algérie et nulle part. C’est au cours de cette absence et, probablement au cours du mois d’octobre- comme certains historiens le confirment-, qu’il rédigea,   dans les deux langues (arabe et français) l’appel du premier novembre 1954.

Un militant d’Oran, Mouloud Hassaïne, tailleur de profession, le reçoit dans son domicile à Sig pour déjeuner chez lui, fin octobre 1954. Un autre convive était là : Larbi Ben M’Hidi. Trois hommes, trois statures, une même passion : l’Algérie ; une seule arme : la foi ; un seul atout : la justesse de la cause. Là, une question se pose ; pourquoi  l’homme, sportif né, pratiquant notamment la plongée sous marine, les sports équestres, le maniement des armes, militant farouchement convaincu, prodigieusement cultivé, n’a pas été sollicité pour le combat armé ? Tout simplement parce que d’autres tâches l’attendaient et, en voulant quitter le domicile familial, ce fut sa mère qui insista pour qu’il reste encore auprès d’elle…..

Quant à la rédaction de l’appel de Novembre, Monsieur Ali Mahsas, répondant à une question d’une chaîne arabe sur l’auteur de cette rédaction, répondra en substance : «  Je ne l’ai pas connu mais je sais qu’il s’agit d’un intellectuel, grand militant du M.T.L.D, originaire d’Oran et se prénommant Belkacem. » Yves Courrière écrira dans sa « guerre d’Algérie » que le rédacteur de l’appel se nommait Kaddour.

Si Kacem qui n’informait personne sur ses activités  n’était pas allé chercher très loin un nom d’emprunt pour son séjour dans la capitale : de Zeddour à Kaddour il n’y avait qu’une lettre à changer. Quant à Ben Bella, il dira que c’est sur les orientations du groupe du Caire que Si Kacem rédigea l’appel en question ce qui est un pur mensonge alors que tous les éléments de ce groupe se trouvaient dans la capitale égyptienne et il est prouvé que l’appel a été rédigé en octobre (le 10 ?) dans la maison d’un militant à la Pointe  Pescade non loin de l’actuel stade Bologhine.

A suivre….

     

- Advertisement -spot_img
- Advertisement -spot_img

Latest News

MADJIDA ROUMI : L’esprit, le cœur et le talent.

Novembre 1998 Dans quelques jours, Oran, Constantine et Alger accueilleront la grande chanteuse arabe Majida Roumi. Pour les puristes, amateurs...
- Advertisement -spot_img

More Articles Like This

- Advertisement -spot_img
error: Content is protected !!