MADJIDA ROUMI : L’esprit, le cœur et le talent.

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Novembre 1998

Dans quelques jours, Oran, Constantine et Alger accueilleront la grande chanteuse arabe Majida Roumi. Pour les puristes, amateurs de beaux textes et de belle musique, l’événement est de taille. Enfin un spectacle digne de ce nom.

Dans les lignes qui suivent, nous allons tenter, bien que la tâche ne soit pas aisée, vu l’absence totale de revues spécialisées et de documentation fiable traitant du sujet et du personnage, de présenter ce phénomène de la chanson arabe qui vient se placer, à pas sûrs, dans le sillage des plus grands.

Quand on sait le nombre de chanteurs actuellement en vogue au Liban et quand on opère une analyse quantitative et qualitative de leurs productions respectives, on demeure interdit par le niveau atteint par cette mue artistique, au top de la création arabe actuelle.

Un rapide envol du répertoire de la grande artiste que nous avons l’honneur de recevoir nous suffit pour apprécier les formidables potentialités dont dispose le Liban.

En effet, si l’on exclut de l’ensemble de l’œuvre de Majida Roumi son album « La mouch ana » (لا مش أنا)(ce n’est pas moi) – reprise du succès de Mohamed Abdelwahab – que nous n’avons pas eu l’occasion d’écouter, sur le reste de sa production (huit albums à notre connaissance), soit au total 61 chansons (dont une de Abdelhalim de laquelle nous ne tiendrons pas compte), pas moins de 25 auteurs et 13 compositeurs se partagent l’ensemble de l’œuvre ! Nous nous limiterons à citer, pour les auteurs :

Henri Zaghib avec 12 titres, suivi de Maroun Karam (8), Ily Chouiri (4), les frères Rahabani (3), Ilya Abou Chedid (3) et l’incontournable Nezzar Kabbani (Libanais d’adoption) avec trois titres et non des moindres : « Kalimate », « Beyrouth sitt dounia » et « Maa jarida », les deux premières ayant définitivement convaincu les sceptiques et ouvert les portes de la célébrité à Majida Roumi.

La chanson sur Beyrouth constitue, elle, un véritable bréviaire d’humanisme, d’humilité, de sincérité et une leçon de haute sagesse. La rencontre de l’auteur (Nezzar Kabbani) avec un grand compositeur (Jamal Salama) conjuguée avec l’importance du thème traité ne pouvait que donner une œuvre aussi parfaite, le duo ayant bien à l’esprit que pour les libanais, leur capitale…

« Qu’elle soit adorée ou qu’elle soit maudite

Qu’elle soit sanguinaire, ou qu’elle soit d’eau bénite

Qu’elle soit innocente, ou qu’elle soit meurtrière

Qu’elle soit phénicienne, arabe ou roturière,

En étant levantine aux multiples vestiges,

Comme ces fleurs étranges fragiles sur leurs tiges,

Beyrouth est en Orient le dernier sanctuaire,

Où l’homme peut toujours s’habiller de lumière ».1

Dans les poèmes des auteurs cités comme dans ceux de Georges Jardak, Anouar Selmane, Habib Younès, Souad Sabbah, la poésie, surtout celle écrite en arabe classique –et quelle langue ! – atteint un niveau d’expression pour satisfaire les plus exigeants. Avec un dosage strict, elle prend son sens le plus juste et on se demande même, si sous de telles plumes, elle n’est pas en passe de devenir une véritable science…

Pour mettre de tels poèmes en musique, il fallait des compositeurs d’exception : la palme revient à Ihsan EL Mounzer (avec 13 titres) – qui compose également pour Julia Butros – Jamal Salama (9), Halim Roumi (9) – qui n’est pas parolier contrairement à ce qui a été écrit dans deux quotidiens nationaux – Ily Chouiri (8), ce dernier ayant la particularité d’être auteur et compositeur tout comme Ilias Rahabani et Zaki Nassif.

Et tout cet aréopage autour de la seule Majida Roumi ! !

En extrapolant cette arithmétique artistique, on est naturellement amené à poser cette question : combien d’auteurs et combien de compositeurs gravitent autour de Julia Boutros (une à suivre de près), Dyana Haddad, Najwa Karam, Nawal Zoughbi, Walid Tawfik, Raghab Allama, Assi Hilani, Ouaïl Kafouri ? On remarque dans cette énumération que les géants que sont Faïrouz, Ouadie Safi, Nasri Chemseddine… n’ont pas été cités.

Nous n’avons volontairement tenu compte que de ceux qui, pour la plupart, on fait le conservatoire, leurs débuts dans la chanson et même leur renommée au milieu des ravages de la guerre : une telle entreprise, qu’elle soit individuelle ou collective, relève du miracle et force respect et admiration.

LE STYLE MAJIDA

Quand on investit le domaine de la chanson en pleine guerre, quand de surcroît cette guerre est celle des autres et qu’elle a pour théâtre votre propre pays, rien de plus normal que ce dernier tienne une place de choix dans votre répertoire. Et Majida Roumi n’a pas failli à cette règle : les titres de ses chansons patriotiques ne se comptent plus (en moyenne deux par album talonnant de près Abdelhalim). Le sommet, nous l’avons dit, est atteint avec « Beyrouth sitt Dounia » où le rapport étroit entre les paroles, la musique et une interprétation remarquable en font un authentique chef-d’œuvre.

S’ils traduisent les douleurs et l’injustice, les textes ne véhiculent pas moins les espoirs et ne traduisent pas moins la détermination farouche d’un peuple décidé à sauvegarder son intégrité territoriale et son unité, et la dernière chanson « Kana » est là pour rappeler la résistance héroïque du Sud-Liban continuellement agressé à ce jour et faisant face, seul, à un ennemi pourtant jugé « commun » par l’ensemble des « frères » de la région ou d’ailleurs, qui observent avec d’autres, un mutisme complice, une démission coupable, traduisant tous deux une pleutrerie qui a fini par devenir à la longue un trait dominant de leur personnalité…

« Sud,

À qui je voudrais promettre une patrie,

Et jardins opulents autour du Litani,

Écrire des mots d’amour sur ton corps torturé,

Offrir à tes enfants un soleil libanais » (1).

 Viennent ensuite les sujets classiques de la chanson arabe : mélodies d’amour et – fait très rare – tout un album de huit titres pour enfants dont cinq mis en musique par Ihsan El Mounzer, une chanson pour les mères et quelques thèmes religieux notamment « Nabâa El Mahiba » (source d’amour), hymne jaculatoire dont l’interprétation traduit une grande foi. Il a toujours été dit et écrit que l’Orient était le pays des prières et le Liban, pays de foi au sens religieux du terme, n’échappe pas à ce constat et pour preuve : plus de quinze communautés y cohabitent. Mais n’est-ce pas dans ce pays et plus exactement à la fin de 1832 que Lamartine, trouvant le Liban « paradisiaque » et frappé par la ferveur des gens écrivait : « Nous restâmes muets et enchantés… nous comprimes ce que serait la poésie à la fin des temps, quand tous les sentiments du cœur éteints et absorbés dans un seul, la poésie ne serait plus ici-bas qu’une adoration et un hymne ».

« Toute musique est religieuse par la pureté, l’attention, la soumission, le recueillement, la sérénité, qu’elle veut et qu’elle apporte » notait le philosophe Alain.

Et l’on retrouve sans effort, qu’on soit initié ou profane, tous ces éléments jalonnant l’œuvre de Majida Roumi. Il suffit pour cela d’écouter « Ana am bahlem » (moi je rêve), « lan aoud » (je ne retourne pas), « Nostalgia » (nostalgie), « Koum ithadda » (lève-toi et relève le défi), « Aïnaka » (tes yeux), « Nabâa el mahiba » (source d’amour) et tant d’autres. Plus de place à l’improvisation… c’est peut-être là une forme de passion professionnelle, une expression du respect dû à ceux pour qui ces chansons sont écrites, le tout coulant de source, de manière naturelle, sans artifices autres que ceux que seul l’Art autorise avec une simple conjugaison de talents. Mais tout le problème est justement d’en avoir…

Seulement voilà : dans ce pays dit « petit » – 230 fois moins grand que l’Algérie – créateur de l’alphabet, de la navigation par les étoiles et semble-t-il de la barque, n’ayant aucune trace de pétrole ni gaz dans son sous-sol (quelle chance !), ayant ouvert ses portes aux écoles étrangères dès la première moitié du 16ème siècle, dont les premiers écrivains publiaient en français et en France même à partir de 1845 (Nicolas Mourad) alors que ses dramaturges investissaient avec succès les planches des théâtres de l’Odéon et de l’Ambigu dès les tout débuts de ce siècle, pays où les prix littéraires ne se comptent plus depuis 1934 (avec Charles Corm) jusqu’à 1993 (avec Amine Maâlouf), éditant, bon an mal an, deux fois plus de titres –et dans au moins quatre langues- que  le reste du monde arabe réuni, où l’on met en musique, pour le public le plus large, les délirants poèmes mystiques d’El Hallaj, où les festivals de renommée mondiale sont organisés chaque été, presque au quotidien, drainant des spectateurs avisés des quatre coins du monde ; alors dans un tel pays, le problème de présence de talents n’a pas l’air de trop se poser.  Tant mieux pour lui et pour nous.

Tous les férus de musique, qu’ils cherchent l’évasion, le rêve ou la décompression seront servis. Nous avions tous besoin d’une embellie culturelle. Et maintenant que celle-ci est là, nul doute que le public saura accueillir, avec son hospitalité coutumière, la grande vedette qui n’a jamais manqué de marquer sa préoccupation et sa sollicitude envers notre pays face aux événements qu’il traverse. Nous apprenons, à la dernière minute, que parmi toutes les vedettes invitées à se produite en Algérie, Majida Roumi a été la première à accepter spontanément de venir, sans au préalable signer de contrat et pour un cachet qui serait bien inférieur au chiffre annoncé avec acharnement, mesquinerie et volonté délibérée de semer le doute dans les esprits par certains journalistes allant jusqu’à utiliser la « une » de leur quotidien pour distiller leur désinformation gratuite à travers de longs articles qui dissimulaient très très mal leur caractère de « commande ». Nous apprenons également que le Trésor n’aura rien à débourser puisque les sponsors, parmi lesquels beaucoup de privés, ont été cités… Venir en Algérie, sans signer de contrat au préalable c’est, de la part de Majida Roumi, une marque de respect envers le pays que ces mêmes journalistes ont préféré montrer, à travers leurs articles, au bord de l’indigence… Certes l’indigence existe, mais elle est mentale, et nous savons maintenant les esprits qu’elle habite, ces mêmes esprits qui osent aujourd’hui, avec des arguments mensongers nous donner des leçons de nationalisme alors qu’ils ont délibérément, faute d’avoir le courage de leurs idées, mis leur pays au ban de la communauté internationale pendant plus de deux jours. A ce titre et pour bien d’autres, on peut aisément deviner la symbiose qui va régner là où Majida Roumi va se produire. Le public qui aura la chance d’y trouver place est sûr de passer une soirée comme rarement il en a connue. Le dépaysement est garanti, la réhabilitation avec l’Art – le vrai – aussi. L’ambassadrice du pays qui va régner pendant encore longtemps, sans partage, sur le devenir de la chanson arabe nous le prouvera.

Au fait, qu’attendent nos vedettes internationales pour apporter un peu d’évasion à ceux, très nombreux, qui les adorent ici et qui en ont bien besoin ? La réponse, si jamais il y en a une, ne m’intéresse pas.

  • Poèmes de Nadia Tuéni. (1935-1983)

 

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