Fida Dakroub
Généralités
Dans les huit ou dix derniers mois, les médias de l’Empire employèrent de plus en plus fréquemment l’expression » Printemps arabe » ; et cela dans le but de caractériser les protestations qui tremblaient plusieurs pays arabes. Avant toute chose, nous devons avouer que nous apprécions favorablement le succès du peuple tunisien à renverser son président absolu, Bin Ali, et la réussite des Égyptiens à détrôner leur pharaon, Moubarak fils de Ramsès II. Ici, il faut noter à ce propos que le règne du premier dura vingt-quatre ans, tandis que la dynastie du second dépassa les quatre décennies et quelques, sans que les médias de l’Empire fissent la moindre allusion à l’atrocité de leur imperium. Ironiquement, ces deux événements marquèrent, au regard des médias de l’Empire, le commencement d’une nouvelle saison, celle du « Printemps aux pays des Arabes », où la chaleur touchait, normalement, des degrés insupportables. Toutefois, ce printemps qui eut commencé Ode à la joie en Tunisie et en Égypte, devint un automne funèbre en Syrie et au Yémen, et un hiver mortuaire en Libye.
En premier lieu, nous attirons l’attention du lecteur sur le fait suivant : pour cacher son rôle monstrueux dans les bouleversements qui frappaient des régions se trouvant au-delà des frontières géographiques de l’Empire et de ses provinciis Europaeis, c’est-à-dire dans des régions où habitaient des « Barbares », les médias de l’Empire se servait d’un « bouquet » d’expressions romantiques, accueillies des jardins parfumés [1] et des oasis paradisiaques à la Baudelaire.
Remarques en-passant
D’abord, une première remarque s’imposa, ici, sur l’usage de l’expression Printemps arabe. N’était-il par vrai que cette expression fut bricolée par les médias de l’Empire et ceux des émirats et sultanats arabiques, tels que les chaînes al-jazeera et al-arabiya ? Rappelons ici que la première fut une propriété de l’émir de Qatar, et la deuxième celle de la famille royale saoudite ! Pater de caelis, Deus, Miserere nobis ! [2]
Ensuite, la deuxième remarque que se précipita devant nos yeux, ce fut que l’expression du Printemps arabe, qui constitua une nouvelle innovation dans le « parler politique », ne manqua pas de couleurs orientalistes. Ici, on parlait d’un Printemps, mais qui ne ressemblait pas vraiment à celui que nous vîmes en Europe de l’Est, à la période soviétique ; car ce printemps fut arabe, donc exotique. D’un côté ce printemps éveilla en nous des moments « Madeleine de Proust », surtout pour ceux qui eurent la chance de lire « Les Voyages de Sindbad le marin » et « Aladin et la lampe merveilleuse » ; de l’autre côté, la chaleur étouffante de ce Printemps nous fit remonter loin dans la mémoire, pour arriver à des époques plus froides de l’Histoire du XXe siècle, celles de la Guerre froide.
Bien plus, une troisième remarque se manifesta devant nous, une fois qu’un parallèle se fut établi avec d’autres bouleversements politiques, là où les empreints digitaux de l’Empire furent identifiés. Il n’est que de constater, ici, le calepin de l’Empire qui ne manqua pas de belles expressions telles que : Printemps de Prague (1968) ; Printemps de Pékin (1989) ; Révolution des Roses (Géorgie, 2003), Révolution orange (Ukraine, 2004) ; Révolution de Jasmin (Tunisie, 2010 – 2011).
Du reste, la quatrième remarque toucha aux événements historiques. Nous ne doutions pas que les grands événements et personnages historiques se répètaient pour ainsi dire deux fois : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce, comme l’exprima bien Karl Marx dans son célèbre Brumaire [3]. Il va de soi que la version syrienne du Printemps arabe se présenta en tant que farce, dans le fait que ces présumés « soldats de liberté », créés par l’imagination artistique des médias de l’Empire, ne croayent ni à la liberté, ni à la démocratie ni même aux droits de l’Homme.
Enfin, avec la cinquième remarque, nous fûmes persuadés que la Syrie était en pleine guerre contre des groupes armés, soutenus de l’extérieur par les puissances impérialistes. Les attentats des groupes armés contre les institutions de l’État, les assassinats systématiques qui frappaient les cadres académiques et scientifiques du pays, ainsi que les actes de violences contre les groupes minoritaires en firent preuves.
Interrogations en-passant
Parallèlement à ces remarques mentionnées ci-dessus, plusieurs points d’interrogation s’imposèrent, ici, sur le vrai rôle que jouaient les puissances impérialistes dans l’accroissement des violences en Syrie, et sur la nature de leur discours « philanthrope » contradictoire. Nous limitons ces questions à trois rubriques : 1) le despotisme obscurantistes dans les émirats et sultanats arabiques dociles aux Américains ; 2) la question kurde ; 3) les droits du peuple palestinien. Les questions suivantes en font l’illustration :
premièrement, comment pourrions-nous « avaler » que les émirs et sultans arabiques, donc des figures absolutum dominium, appelaient à la fin de la « dictature » en Syrie et à l’établissement de la démocratie, tandis qu’ils refusaient de libérer leurs propres serfs ? Tel fut le cas au Yémen, au Bahreïn et en Arabie saoudite, où la tyrannie fut bénie par l’Empire.
deuxièmement, comment expliquer le fait que le vent khamsin souffla du Sahara vers Damas, sans passer par le Quart vide ? Autrement dit, Comment expliquer le fait que les émirats et sultanats arabiques dociles à l’Empire américain survécurent, par hasard, la chaleur étouffante de ce Printemps. Ainsi qu’en témoigna le cas du Bahreïn, où le Roi-Soleil, Hamad II, fit appel à l’armée saoudite pour écraser les protestations pacifiques, qui remplissaient les rues du royaume. Ce qui résulta à l’emprisonnement des milliers de manifestants pacifiques, la mort des centaines, l’exécution des dizaines, et la persécution continuait. Quant aux événements du Yémen, voyons le Montesquieu de Sanaa et défenseur de l’Esprit des lois, Ali Abdullah Saleh, s’enorgueillissait dans son Palais présidentiel, malgré la guerre civile, les bains de sang et les tueries tribales qui frappaient sa République platonicienne depuis l’épanouissement des fleurs d’Acacia et de Gardénia, aux premières lueurs du Printemps arabe.
troisièmement, comment expliquer le fait que le nouveau calife ottoman, Erdogan Pacha, chevaucha « au secours de l’humanité » en Syrie, tandis que ses janissaires rejetaient à pied ferme la question kurde.
quatrièmement, comment expliquer le fait que l’Empire et ses provinces européennes exigèrent le droit du peuple syrien à la « liberté », la « dignité » et la « démocratie », tandis qu’ils nièrent ce même droit au peuple palestinien ? un droit que l’Empire l’approche aliis si licet, tibi non licet [4].
cinquièmement, comment expliquer le fait que l’Empire se précipitait au Conseil de sécurité pour condamner la Syrie pour des « crimes contre l’Humanité », tandis qu’il opposait son veto à tout projet de résolution condamnant les crimes, l’injustice et l’oppression imposés sur le peuple palestinien, depuis presque presqu’un siècle ?
Au Royaume-Soleil
Ironiquement, les médias de l’Empire ne firent la moindre remarque sur la tyrannie ni le despotisme établis dans les émirats et sultanats arabiques ; comme si ces derniers constituaient une étape suprême d’utopies saint-simoniennes, et comme si l’égalité parfaite et l’association entre les Hommes y régnaient depuis des siècles. Ici, les convergences se firent jour entre ce qui fut dit ci-dessus et le rapport d’Amnesty International décrivant la violation des droits de l’Homme en Arabie saoudite :
« L’ampleur et la gravité des violations des droits humains en Arabie saoudite sont inacceptables tant sur le plan moral que légal. Le gouvernement n’est toutefois pas le seul responsable de la situation des droits humains dans le royaume. Une part de responsabilité incombe aussi à la communauté internationale, qui s’abstient de demander des comptes à l’Arabie saoudite [5] ».
En effet, le rapport mit neuf recommandations sur la violation des droits de l’Homme dans le Royaume saoudite, dont cinq furent adressées au gouvernement saoudien et quatre à la communauté internationale. Les recommandations relevées au gouvernement saoudien furent : 1) Abroger les lois et les pratiques discriminatoires ; 2) Mettre un terme à l’arrestation et à la détention arbitraires ; 3) Mettre un terme à la torture ; 4) Mettre un terme aux exécutions ; 5) Ratifier les traités internationaux relatifs aux droits humains ; tandis que celles à la communauté internationale sont : 6) Condamner les violations des droits humains perpétrées en Arabie saoudite ; 7) Exhorter le gouvernement saoudien à mettre en œuvre les recommandations émises dans le présent rapport ; 8) Appeler les autorités saoudiennes à autoriser les ONG internationales de défense des droits humains à se rendre dans le pays ; 9) Demander aux autorités saoudiennes de coopérer avec les mécanismes thématiques de la Commission des droits de l’homme des Nations unies, notamment le rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats, et de les inviter à visiter le royaume[6].
Pourtant, les médias de l’Empire mirent en relief l’octroi aux femmes du droit de vote, annoncé par sa Majesté, le roi Abdallah de l’Arabie [7], comme s’il s’agit d’un fait miraculeux ! Ironiquement Grâce à cet octroi, les Saoudiennes, qui vivaient, pour ainsi dire, noblement au Royaume-Soleil, pussent d’ores et déjà se présenter aux conseils municipaux, et voter dans le cadre des principes de l’islam. Gaudeamus igitur ! [8]
Tristement, les médias de l’Empire ne révélèrent pas que les autorités au Royaume-Soleil saoudien eurent les mains rouges et le cœur asséché par les actes de violences exercés sur le territoire du royaume, à l’égard de femmes, qui firent l’objet d’une discrimination instituée et systématique.
Le loup déguisé en mouton
En guise de conclusion, la guerre impérialiste contre la Syrie présente un besoin urgent de démasquer ces loups qui se prennent et qu’on prend pour des moutons ; de montrer que leurs bêlements ne font que répéter, dans un langage de « démocratie » et de « droits de l’Homme », le discours hégémonique des puissances impérialistes ; et que les fanfaronnades des hâbleurs du prétendu « Printemps arabe » ne font que refléter des actes dérisoires des échecs continus de la guerre impérialiste contre la Syrie.
Fida Dakroub, Ph. D
Notes
[1] La Prairie parfumée où s’ébattent les plaisirs (الروض العاطر في نزهة الخاطر), est un ouvrage de littérature érotique arabe écrit par Cheikh Nefzaoui et traitant de la sexualité dans ses multiples facettes. Il a pour le monde arabe une signification similaire à celle du Kâmasûtra pour la culture indienne.
[2] En latin dans le texte, Seigneur, ayez pitié de nous en français. « Les litanies de Lorette » sont une longue série d’invocations à la Vierge Marie. Elles énumèrent toutes les qualités religieuses de la Vierge Marie. Les litanies ont par définition une nature répétitive, et dans ces prières les formules «Priez pour nous» et «Ayez pitié de nous» sont fréquemment redites.
[3] http://www.marxists.org/francais/marx/works/1851/12/brum3.htm
[4] En latin dans le texte : « Que d’autres aient un droit ne veut pas dire que tu l’aies ».
[5] http://amnesty-alpes.pagesperso-orange.fr/campagne/arabie/arabie5.htm
[6] http://amnesty-alpes.pagesperso-orange.fr/campagne/arabie/arabie5.htm
[7] http://www.droitpublic.net/spip.php?article3613
[8] En latin dans le texte : « Réjouissons-nous ». Il s’agit d’une chanson estudiantine datant du XVIIIe.