HISTOIRE, HISTORICITÉ ET HISTORIETTES.

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Par : Mohamed-Senni El-M’haji.

Suite à la parution de l’article « l’Emir Abdelkader vaincu par les trahisons » de Monsieur Driss Reffas, sur les deux journaux électroniques de la ville de Sidi-Bel-Abbès ainsi que sur la « Voix de l’Oranie » des 11, 12 et 13 octobre 2011, nous avons apporté quelques remarques concernant certains aspects précis.

Dès l’entame du texte, le signataire de l’article situe le problème qu’il veut aborder tout en faisant référence aux trois conférences données, les 11, 18 et 25 août 2011 au siège de la section locale de la Fondation Émir Abd-El-Kader  et dont le thème était : «  La vie, l’œuvre et la composante de la personnalité de l’Emir », thème , comme on le voit, parfaitement circonscrit et qui excluait de fait une intervention abordant le même sujet que celui qu’il nous a présenté pour la simple raison qu’il n’était pas prévu par les conférenciers de la Fondation. Il dit ensuite : « C’est avec la traduction de son autobiographie, et quelques ouvrages bien choisis, que je tente de repositionner un débat qui m’a paru manquer de clarté au cours des différentes conférences… ». On ne saisit pas comment un débat-et d’abord quel débat ?- peut manquer de clarté pour un sujet qui a n’a pas été abordé par les  trois intervenants  mais toutefois effleuré par quelques assistants.

Se baser sur l’autobiographie est une excellente chose mais le faire sur une traduction discutable et des « ouvrages bien choisis » du seul point de vue de l’auteur, appelle immanquablement des remarques. Nous avons relevé quatorze points qui méritent, différemment certes, d’être retenus. Appelant  des réponses circonstanciées certaines d’entre elles (douze) figureront dans un  document sur lequel nous sommes actuellement penché et où ces réponses s’insèreront de fait. Aussi  ne limiterons-nous qu’au relevé de deux points essentiels : les « historiens » retenus et  la traduction de l’autobiographie. D’autres aspects sont relevés mais leur poids dans le texte n’étant pas déterminant, nous nous sommes abstenu de les commenter.

  1. Ouvrages choisis.                                                                                                                                      Quatre sources en Histoire qu’on qualifierait d’originales sont citées.  Le traducteur de  l’autobiographie de l’Emir, Monsieur Hacène Benmansour, ne pouvant avoir qu’un impact indirect sur le contenu de l’article puisqu’il « parle » à la place de l’Emir, en est exclu. Seules la qualité et la fiabilité de sa traduction peuvent être discutées.

Quant à Marie d’Aire, née Boissonnet, signalons qu’elle  est apparentée à la famille Chevalier dont le futur maire d’Alger, découvrant par hasard dans sa cave le manuscrit de l’autobiographie de l’Emir, en fit don, dans les années 1960, au Ministère des Anciens Moudjahidine. Sa « contribution » se retrouve éparpillée en divers endroits de la très discutable encyclopédie Wikipedia où il nous a été donné de constater que les thèmes ayant trait à la colonisation et particulièrement à l’Algérie sont confiés à des Pieds-noirs aux relents nostalgiques nauséabonds.

Nous avons été deux algériens à avoir affaire, solidairement, à cette « encyclopédie » et sommes parvenus ensemble à dénicher l’auteur du rejet par cette encyclopédie de tous les textes vrais qui entravaient « sa » vérité. l’auteur cite l’oncle de  Marie d’Aire, Boissonnet Estève de la Touche. Voila ce qu’en écrit Wikipedia : « Il est promu directeur du Cabinet Arabe du Duc d’Aumale, Gouverneur de l’Algérie jusqu’à ce que la Révolution de 48 mette un terme à cette collaboration et qu’il rentre à Paris avec le Prince. Celui-ci avait promis la liberté de l’Emir Abd-El-Kader mais la République ne se sent pas lié (sic) par ses promesses et le fait prisonnier. Le capitaine Boissonnet est chargé de le surveiller à Pau puis à Amboise avec le titre de Commandant Supérieur du Château. Il se liera d’amitié avec l’illustre prisonnier et, mieux, en fera un ami de la France. Il obtiendra sa libération du Prince-Président, fera avec lui un voyage triomphal puis le raccompagnera en Algérie. ».

Le cliché qui constituera l’épine dorsale de la propagande du colonialisme est lâché. De plus, le capitaine Boissonnet n’est pour rien dans la libération de l’Emir qui, elle, a ses véritables origines en Angleterre sans l’ombre d’un doute. Mais ceci est un problème sur lequel nous reviendrons au cours d’une autre occasion.

Un autre auteur algérien cité a  parlé de l’Emir et même » bien » mais ce dernier ne semble apparaître que comme alibi pour permettre une insertion d’un pan d’histoire de nature à crédibiliser cet auteur en dépit de la maladroite esquive observée dans la dernière partie de son livre. Comme ses citations n’apparaissent à aucun moment convaincantes eu égard au corps de l’article, il n’y a pas lieu de s’y attarder si ce n’est pour noter que la date d’embarquement pour Toulon n’est pas celle du 25/12/1847 à partir de Ghazaouet que l’Emir quitta le vendredi 24 à bord du « Solon » pour Oran d’où il fut transbordé le 25 sur la frégate « l’Asmodée » en direction de Toulon en compagnie de 97 compagnons.

Enfin, Martine le Coz  qui vit à Amboise a été retenue  comme historienne  alors qu’elle est romancière et « Le Jardin d’Orient » (publié aux Editions Michalon en 2008) où elle parle de l’Emir (à l’occasion du bicentenaire de sa naissance) est son treizième roman à côté de deux essais,  de textes poétiques et elle a même publié un document sur « l’hypnose et la graphologie ».  Selon elle, le livre sur l’Emir lui a été inspiré par la lecture d’ouvrages diversifiés où sur les huit qu’elle cite, un seul a été écrit par un historien, toujours  très tendancieux quand il s’agit de l’Emir et de l’Islam. Il s’agit de Bruno Etienne ; les autres concernent le soufisme, la sociologie et l’islamologie.

Le roman de Martine le Coz, agréable à lire, relève plutôt de ces romans qu’on qualifie de « romans-vrais », c’est-à-dire d’œuvres qui, partant de faits réels, sont romancées pour accrocher le lecteur. Il en est ainsi de « La Sarbacane » de Roger Mauge (Editions Grasset 1979) où, à partir de l’itinéraire du « terroriste Carlos », le roman est écrit ; de Da Vinci Code de Dan Brown qui, à partir de l’histoire première du Christianisme élabore un roman-fiction sur le Saint Graal, le romancier américain  se définissant lui-même « comme critique d’art ».  Mais  citer celui de Martine le Coz comme source, pour  rédiger un article d’Histoire, a de quoi laisser perplexe.

L’ensemble de ces « historiens » si tant est qu’ils le fussent réellement, n’ont pas abordé la période qui constitue l’âme de l’article, c’est-à-dire les derniers jours de l’Emir en Algérie sur laquelle l’auteur a porté toute son attention. Pourtant une légion de titres connus et reconnus existe pour s’en faire une idée. A moins d’avoir fait une mauvaise lecture de l’article, on se questionne sur leur présence comme références. Un élément reste à piocher : l’analyse susceptible d’être faite par un spécialiste sur l’état d’esprit qui pourrait avoir été celui de l’Emir après un combat ininterrompu de quelque treize jours, dans des conditions climatiques exécrables, face à 50 000 Marocains soutenus par l’artillerie du Général Lamoricière qui a fait la différence.

  1. La traduction de l’autobiographie de l’Emir par Monsieur Hacène Benmansour.  

Je voudrais, au préalable,  rappeler le contenu du commentaire  que j’avais adressé  le 25/09/2011 à 13 h 16 mn, à l’auteur dudit article : « Comme vous avez eu à le vérifier, tous les jours qui ont précédé la parution de votre article sur BAI et dont j’ai été honoré d’être mis à contribution par des échanges qui m’ont paru revêtus de la sérénité nécessaire » … « J’aurais souhaité vous voir promptement réagir à mon article Les points manquants aux (i) de l’Histoire qui vous concernait  et pour lesquels d’autres éléments sont en attente comme d’ailleurs annoncés dans l’article. »

Lors des visites qu’il a commencé à me rendre dès le lendemain de la parution de ce commentaire , il  a été question surtout de la lettre envoyée par l’Emir à Lamoricière que je lui ai traduite, à main levée en français, et réécrite en arabe (écriture moderne) en lui lisant le texte introductif, déterminant pour la compréhension de celui de l’autobiographie,  rédigé par le Professeur Abdelmadjid Meziane qui a bien expliqué certains mots usités à l’époque de l’Emir  et notamment « sersour » qui voulait dire « chasseurs ».

Pour des motifs qu’il ne m’appartient pas d’apprécier, il a jugé opportun de ne pas en tenir compte et devait avoir sûrement ses raisons pour ne pas l’avoir fait. Il serait malvenu de ma part de contester cela mais j’en prends acte au passage. Je sais qu’il ne niera pas ces fréquentes rencontres pour la simple raison que s’il avait eu une quelconque contestation à exprimer, il  n’aurait pas hésité à le faire dès la parution de mon commentaire précédemment cité . Or mon commentaire avait paru  plus d’un mois suite à mon article « La bataille de Sidi Brahim » sur laquelle il n’a pas manqué de s’exprimer à l’instar de beaucoup d’autres.

Il a tenu compte-et c’est son droit le plus absolu-de la très contestable traduction de Monsieur Benmansour, alors que  nous sommes tous concernés par la traque de la vérité mais, en dépit de tout cela,  « sersour » apparaît dans le texte comme le nom d’un lieu au point où l’on se questionne légitimement  il se situe par rapport à Sidi Brahim. Il cite le traducteur : « Quand nous sommes arrivés à Sidi Brahim, nous fûmes accueillis par certains chefs français à Sersour ».

Que penser d’un traducteur qui ferait que l’Emir jouissait d’un don d’ubiquité c’est-à-dire celui de  se retrouver en plusieurs endroits en même temps ? C’est pourquoi il est absolument faux que  Sersour soit un lieu.  Le sens de l’historicité semble échapper complètement au traducteur. Ceci  entraîne de fait un dérapage par rapport à l’objectif premier qui doit prévaloir dans toute narration historique : la conformité du récit à la réalité pour peu que cette dernière soit corroborée ; si elle ne peut l’être, la certitude cède alors la place aux hypothèses qui, lorsqu’elles sont bien étalées, peuvent faire germer une forte motivation chez d’autres chercheurs et les mettre sur la voie. C’est notre plus cher souhait. Pour soutenir ce que nous avançons  nous  demandons à nos aimables lecteurs de lire attentivement ce qui suit :

Pour rappel, nous signalons que le corps des chasseurs « a été créé par ordonnance du 28 septembre 1840, sous la dénomination de « chasseurs à pied ».

Une autre ordonnance, du 19 juillet 1842, leur a conféré leur dénomination de chasseurs d’Orléans ». « Le 17 novembre 1831 deux régiments de cavalerie légère furent créés sous la dénomination de chasseurs d’Afrique (L’Algérie ancienne et moderne. Par Léon Galibert. Editions  Furne et Cie, libraires éditeurs. Paris, 1844. Pages 611 et 625.

Mais revoilà l’Emir qui nous éclaire : en  ne  reprenant qu’une partie du  contenu de la seule page 98 de son autobiographie (version du fac-similé)  dans laquelle il décrit les batailles livrées à Sidi Youcef aux Français (en novembre 1843) et celles livrées aux Hsasnas et Ouled Slimane (cette dernière étant citée en page 101) entre autres, nous remarquons que le mot  « sersour » y est cité quatre (4) fois en six lignes successives. Voyons le texte en détail:

        …حتى صاح بهم قوم المذكورين فأسرجوا وشرعوا في قتلهم وردهم من حيث جاءوا بموت كثيرة وإذا السرسوروالجيش وراءهم فانهزم الجيش…ثم عادوا غزوة أخرى فأتــوا بالسرسوروجيشنا بسيدي يوسف نذروا بهم فاصطفوا  وجعلوا فرجة بين الصفوف وحمل السر سور حملة واحدة حتى تكاملوا وسط الصفوف فرجة المكيدة أطلقت التو ارق دفعة. فانقلبت السر سور لعسكرهم . وأما الحسا سنة فما دروا أين ينقلبون                            

Nous en donnons la traduction suivante qui gagnerait, nous en sommes pleinement conscient, à être plus fignolée :

« …les gens précités donnèrent l’alerte, sellèrent leurs montures et commencèrent à les combattre en  les repoussant d’où ils étaient venus  faisant de nombreuses victimes, quand apparurent, derrière eux les chasseurs et l’armée qui fut, elle, battue. Puis ils revinrent à la charge une nouvelle fois avec les chasseurs alors que nos troupes étaient à Sidi Youcef, les menaçant. Elles se sont alignées laissant une brèche où se lancèrent les chasseurs en une seule charge jusqu’à ce qu’ils s’infiltrèrent entre les rangs où cette brèche fut conçue par ruse ; c’est alors qu’ils furent mitraillés et les chasseurs durent s’en retourner vers leur camp. Quant aux Hsasnas, ils ne surent où aller.»

Nous nous devons de signaler qu’un passage de Monsieur Benmansour qui se retrouve dans le texte est très discutable puisqu’à quelques éléments près il n’existe pas dans l’original de l’autobiographie de l’Emir. Nous sommes à quelques années – lumière de « l’exigence de la traduction » préconisée par Jahiz (163/780-255/869) et que nous livrerons de bon gré aux lecteurs.

Que nous aurait réservé la lecture intégrale de l’autobiographie de l’Emir qui a été écrite en 1848 et non en 1849 n’en déplaise à Monsieur Benmansour  qui semble avoir pris la liberté d’arranger le texte à son gré?

Remarque : Les trois vignettes figurant au texte ont été toutes dessinées avant 1844 par Raffet et Rouargue frères.

 

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