C’est au coeur de la « guerre de libération » que le cinéma algérien a fait ses débuts. Malgré de faibles échos dans les programmations occidentales, il recèle des oeuvres de qualité. Le septième art algérien s’est développé avec les festivals et les autres activités culturelles. L’Algérie, dans les années soixante, a également participé à des coproductions de grande valeur. Néanmoins comme tous les cinémas dans le monde il doit faire face aux invasions des séries télévisées et au piratage internet. Comme les autres cinémas, les possibilités techniques du Home Cinéma ne favorisent pas le développement des structures de projection (Salles de cinéma, cinémathèques) et conduisent donc à une coupure avec les populations les moins favorisées.
Cinéma colonial en Algérie
Le cinéma est apparu en Algérie alors qu’elle était département colonial français. Le cinéma était alors principalement utilisé à des fins de propagande auprès de la population algérienne. Le développement du cinéma algérien était freiné au profit de la production de la métropole et faisait obstacle à l’édification d’une industrie nationale de production de films. Bien qu’une quinzaine de films fussent tournées par année, toute la postproduction était faite en France.
Ces films dressaient généralement un portrait caricatural des Algériens et des Arabes. Les personnages arabes étaient sans profondeur, interchangeables et intemporels, et toujours joués par des acteurs français.
De 1896 à 1937 le cinéma français tourne trente-trois fictions ont l’Algérie pour décor et trois seulement la ville d’Alger. Dans « Pépé le moko », la Casbah d’Alger est reconstituée aux studios Pathé de Joinville comme la ville de Sfax (Tunisie) pour « La Maison du Maltais » de Pierre Chenal.
Seuls quelques extérieurs sont filmés à Alger. Julien Duvivier avait tourné presque entièrement au Maroc « Cinq gentlemen maudits » (1931). Le film « Le Désir » (1928) d’Albert Durec, qui aborde le sujet de la polygamie, est un exemple de l’approche du cinéma colonial. Les décors étaient tout aussi caricaturaux : palmiers, chameaux, femmes lascives….
Naissance du cinéma algérien : période de la guerre dindépendance
En 1957, alors que la guerre d’indépendance en était à ses débuts, dans la Wilaya I, quatre ou cinq combattants de l’A.L.N. ayant appris quelques rudiments du métier, se constituent en équipe de tournage cinématographique. Cette équipe réalisa pour la télévision quatre émissions dont l’audience internationale s’élargira par le relais des télévisions des pays socialistes. L’une de ces émissions présente « la cellule cinématographique de l’A.L.N », les autres documents concernent le rôle des infirmières de l’A.L.N., une attaque des moudjahidine (maquisards) contre les mines de l’Ouenza, symbole de la colonisation..
En 1956-1957 Cécile Decugis réalise un court métrage tourné en Tunisie : « Les Réfugiés » Sa participation au Réseau Jeanson lui vaudra deux années de détention dans les prisons françaises.
En 1957 ; des Courts métrages sont tournés par les élèves de l’école de formation du cinéma. Il s’agit de « L’école de Formation de Cinéma » ; « Les Infirmières de l’A.L.N ». « L’Attaque des mines de l’Ouenza »
En 1957-1958 c’est René Vautier qui réalise et produit avec l’aide de la D.E.F.A (RDA)« L’Algérie en flammes », court métrage 16 mm couleurs –
En 1958 Pierre Clément réalise et produit deux courts-métrages « Sakiet Sidi Youssef »et « Les Réfugiés ».
En 1960-1961, le cinéma algérien s’organise par la constitution d’un comité de cinéma (lié au GPRA) puis par la création d’un Service du cinéma du G.P.R.A., enfin par la mise sur pied d’un Service du cinéma de l’A.L.N. Les négatifs des films tournés dans les maquis, sont mis en sécurité en Yougoslavie pays solidaire de la cause de l’indépendance algérienne. Ainsi se créent les premières archives du Cinéma Algérien. Cette période voit la réalisation du premier long métrage avec « Djazairouna », basé sur des images de « Une nation, l’Algérie » réalisé par René Vautier en 1955 et des images de Djamel Chanderli prises au maquis. La réalisation : en est assuré par le Docteur Chaulet, Djamel Chanderli, Mohammed Lakhdar-Hamina. Au cours de ces années, la production s’affirme. Ce fut d’abord « J’ai huit ans », court métrage qui est réalisé par Yann et Olga Le Masson et René Vautier. La préparation du film fut assurée par Jacques Charby et Frantz Fanon et la production au Comité Maurice Audin. Puis ce furent les réalisations de Djamel Chanderli et Mohammed Lakhdar-Hamina avec le court – métrage « Yasmina », « La Voix du peuple » et « Les Fusils de la liberté ». La Production en était assuré par le Service cinéma G.P.R.A.« Cinq hommes et un peuple »,est réalisé par René Vautier.
Le Cinéma algérien après l’indépendance
Les dix premières années de l’Indépendance
Dès 1962, l’Algérie compte ainsi 424 salles de cinéma pour 15 millions d’habitants. Après l’indépendance, le cinéma algérien témoigne d’abord d’une volonté d’existence de l’Etat -nation. Les nouvelles images correspondent au désir d’affirmation d’une identité nouvelle. Elles se déploient d’abord dans le registre de la propagande, puis, progressivement, dévoilent des « sujets » de société. Les premières fictions nationales revisitent son histoire récente en prenant pour thèmes privilégiés le colonialisme et le mouvement de libération nationale. Une tendance aux films historiques qui se confirmera par la suite. A l’origine du cinéma algérien, il y a cette question des films « vrais », « authentiques », celle de l’équilibre fragile entre la nécessité de raconter la vraie vie du colonisé et le besoin de s’échapper du ghetto identitaire construit par l’histoire coloniale. Entre sentimentalisme exacerbé et discours politiques, les premières histoires ont le mérite de rendre compte que les gens ne sont pas seulement en guerre contre un ordre ou soumis à lui, mais aussi se parlent et même se racontent des histoires personnelles.
Dans « L’Aube des damnés » (1965), Ahmed Rachedi retrace la colonisation en Afrique et les luttes pour l’indépendance à travers un montage d’images d’archives.
Puis il décrit les souffrances des habitants d’un village de montagne en Kabylie où s’affrontent maquisards et occupants dans « L’Opium et le Bâton » (1969).
Le film « La Bataille d’Alger » de Gillo Pontecorvo (1966) reconstitue lui de manière réaliste et objective l’affrontement sanglant entre les parachutistes français du colonel Mathieu et les militants du Front de libération nationale (FLN) pour le contrôle du quartier de la Casbah à Alger en 1957. Censurée en France, l’oeuvre reçut le Lion d’or à la Mostra de Venise de 1966, ce qui provoqua la colère de la délégation française.
Mohammed Lakhdar-Hamina choisit aussi le contexte de la guerre d’Algérie pour son premier film, « Le Vent des Aurès » (1966), qui montre l’obstination d’une mère qui recherche désespérément dans les casernes, les bureaux, les camps d’internement, son fils qui ravitaillait des maquisards, a été arrêté et incarcéré par l’armée française.
Il récidive en 1968 sur le registre de la comédie avec « Hassan Terro », dans lequel un petit-bourgeois froussard se retrouve entraîné malgré lui dans le feu de l’action révolutionnaire.
En 1972, il réalise « Décembre », long métrage qui montre la capture de Si Ahmed « interrogé » par les parachutistes français. En 1975, il remporte la palme d’or au festival de Cannes avec « Chronique des années de braise » qui cette fois ne traite pas directement de la guerre d’indépendance, son récit s’arrêtant à novembre 1954, mais qui alternent les scènes de genre (la misère de la vie paysanne) et recherche d’émotion portées par des personnages fragilisés (une famille emportée dans la tourmente de la vie coloniale).
Les années 70
A partir des années 1970, la guerre ne constitue plus un sujet exclusif pour les cinéastes, qui commencent à s’intéresser également au contexte social et aux conditions de vie de leurs concitoyens.
La mise en oeuvre de la réforme agraire en 1972 entraîne la réalisation cette année-là de plusieurs films sur le monde rural. Parmi eux, « Le Charbonnier » de Mohamed Bouamari dépeint la situation difficile de la paysannerie face à la nouvelle politique du pays, tandis que « Noua » d’Abdelaziz Tolbi revient sur la révolte des paysans algériens contre l’autorité du gouvernement français à l’époque de la colonisation. Merzak Allouacheamorce ensuite un tournant en évoquant pour la première fois la vie ordinaire dans « Omar Gatlato » (1976). Cette oeuvre phare du cinéma national dévoile de manière réaliste et originale les illusions de la jeunesse algérienne urbaine, passionnée par la musique chaâbi (populaire) et les films hindous, désoeuvrée, machiste et vivant dans un climat d’insécurité sociale.
D’autres films traitent du statut de la femme en Algérie. « Leila et les autres » de Sid Ali Mazif (1977) s’interroge sur les préjugés encore tenaces qui freinent leur émancipation en suivant le quotidien d’une lycéenne promise à un homme qu’elle ne connaît pas et d’une ouvrière méprisée par son contremaître.
La même année, La « Nouba des femmes du mont Chenoua » d’Assia Djebar nous fait partager les souvenirs de six femmes à propos de la guerre d’indépendance et d’autres épisodes marquants de leur existence. L’émigration et le déracinement sont aussi abordés, notamment à travers « Ali au pays des mirages » d’Ahmed Rachedi (1979) qui dénonce le racisme et les brimades subis par les immigrés en France.
Les cinéastes s’intéressent plus au rapport que les autorités algériennes veulent entretenir avec le « peuple en marche ». Ce sont la « Patrouille à l’Est » d’Amar Laskri, (1972),
« Zone interdite » d’Ahmed Lallem, (1972)
ou « L’Opium et le bâton », d’Ahmed Rachedi, sont autant de titres programme qui fouille dans le passé proche, mais sans image première de référence. Tout est à reconstruire à partir de rien. Quelque chose relève ici de l’insolence des pionniers, ceux pour qui tout n’est que (re)commencement. Cette image sans passé (il n’y a rien sur les figures anciennes du nationalisme algérien, de Messali Hadj à Ferhat Abbas, ou de Abane Ramdane à Amirouche) cache peut être aussi la hantise de se voir dévoré par des ancêtres jugés archaïques.
Les années 1970 apparaissent donc comme les années fastes du cinéma algérien avec la sortie de cinq films nationaux par an et une importante fréquentation des salles obscures par la population.
Les années 80
Moins prolifiques que les années 70, le label 80 présente toutefois quelques films de qualité sur des thèmes tout aussi variés. Brahim Tsaki s’attarde sur l’enfance dans le documentaire « Les Enfants du vent » (1981),
puis sur la complicité qui se nouent entre un garçon et une fille sourds-muets dans« Histoire d’une rencontre » (1983). « Vent de sable » de Mohamed Lakhdar-Hamina (1982) témoigne de la violence que la nature fait à l’homme et qu’il retourne ensuite contre la femme.
Avec « Les Folles Années du twist » (1983), Mahmoud Zemmouri démystifie lui avec humour les récits traditionnels sur l’engagement héroïque pendant la guerre.
Le cinéma algérien pendant les années noires
Années noires de l’Algérie avec l’apparition du terrorisme, elles vont mettre un terme à l’essor du cinéma algérien. La plupart des cinéastes fuient le pays après une vague d’assassinats parmi les intellectuels en 1993, tandis que la production cinématographique nationale est privatisée et disparaît presque complètement. Les films de cette période reflètent évidemment la violence qui règne en Algérie. Tourné dans l’insécurité permanente,« Bab el-Oued City » de Merzak Allouache (1994) relate la montée de l’intégrisme religieux, le développement des petits trafics et les rêves d’exil de la jeunesse algérienne.
A travers la métaphore inversée de l’arche de Noé, Mohamed Chouikh représente la folie des hommes qui s’entredéchirent pour un même territoire dans « L’Arche du désert » (1997)
Par ailleurs, c’est pendant cette époque incertaine que sont tournés trois films en langue berbère, une culture longtemps opprimée. « Machaho » de Belkacem Hadjadj (1995) s’attaque à l’aveuglement qui conduit au fanatisme destructeur et rend hommage aux femmes algériennes,
tout comme « La Montagne de Baya » d’Azzedine Meddour (1997).
« La Colline oubliée » d’Abderrahmane Bouguermouh (1996) livre de son côté une chronique de la jeunesse kabyle au cours de la Seconde Guerre mondiale
Les années post 2000.
L’importante enveloppe budgétaire allouée au cinéma à l’occasion du Millénaire d’Alger et de « l’Année de l’Algérie en France » au début des années 2000 vont permettre de relancer la production nationale. Des cinéastes algériens installés en France reviennent sur leur terre natale, à l’image de Merzak Allouache qui y tourne « L’Autre monde » en 2001 après sept ans d’absence.
Certains revisitent la « décennie noire » qui vient de s’écouler, comme Yamina Bachir-Chouikh avec « Rachida » (2003), où une jeune institutrice essaie de fuir la violence des terroristes en allant se terrer dans un petit village à la campagne.
Néanmoins, ce sont surtout les conséquences désastreuses de tous ces bouleversements historiques qui influencent les réalisateurs aujourd’hui. Cette guerre civile évoque les dissensions au sein des combattants de la guerre d’indépendance. Déjà en 1983, Okacha Touita dans « Les Sacrifiés » révèlait une face moins connue de la guerre d’Algérie à travers les règlements de compte sanglants entre les militants du FLN et ceux du Mouvement national algérien (MNA) plus politique.
Ce nouveau regard sur cette période a fait aussi l’objet de nombreux documentaires comme« Un Rêve algérien » de Jean-Pierre Lledo (2003)
ou « Mémoires du 8 mai 1945 » de Mariem Hamidat (2007).
Mariem Hamidat – Mémoires du 8 Mai 1945 par amienstv
« Aliénations » de Malek Bensmaïl (2004) tente ainsi de comprendre les souffrances des Algériens en filmant la parole des malades à l’hôpital psychiatrique de Constantine.
Les dernières productions nationales mettent elles davantage l’accent sur le désarroi des jeunes, poussés à l’exil par la misère et le poids des traditions, comme « Bled number one » de Rabah Ameur-Zaimeche (2006)
ou « Harragas » de Merzak Allouache (24 février 2010). L’évolution de la société algérienne n’a donc pas fini d’inspirer les générations de cinéastes à venir.
Pourtant, il faut se pencher sur le manque de visibilité dont souffre le cinéma algérien. Ainsi, il n’existe pas de presse spécialisée dans le domaine du cinéma ou de chaîne publique chargée de promouvoir les productions artistiques locales. Bien souvent, les réalisateurs peinent à trouver des relais médiatiques, des accords de sponsoring ou des soutiens financiers pour assurer la promotion de leurs oeuvres. La diffusion se fait donc difficilement, d’autant plus que le pays manque cruellement d’infrastructures culturelles (théâtres, cinémas). « La difficulté en Algérie est moins de tourner des films que de les montrer, quand je montre un film en Algérie, on me demande quand va sortir le DVD, sachant qu’ils sont tous piratés ». ». dénonce Merzak Allouache.
La responsabilité de cette situation revient en partie à l’état. Contrôlant l »allocation des aides, il privilégie les films relatant des évènements survenus durant la guerre de décolonisation, éludant ainsi les défis que pose le bilan des années noires à la société algérienne. L »absence d »une politique culturelle dynamique a fait de l’Algérie une périphérie dans le domaine de la production artistique. Les spectateurs suivent avec entrain les feuilletons syriens, égyptiens ou turcs et délaissent la production nationale dont l’audience se limite à quelques cinéphiles passionnés.
Autre défi, la représentation des violences sociales, des vices et des dérives de la société algérienne pose problème dans un pays encore largement traditionnel. Le rapport à l’image est mal assumé par les comédiens, qui par gêne vis-à-vis de leurs proches, refusent parfois de jouer des scènes évoquant des sujets tabous (la sexualité, l’alcool, certains thèmes politiques , ce qui complique encore plus la tâche des cinéastes désireux de traiter de sujets sensibles.
Toutefois, suivant le modèle iranien, une jeune génération indépendante tente de développer une production novatrice C’est le cas par exemple de Lamine Ammar-Khodja qui décrit dans « Alger moins zéro » la détresse et l’envie d’ailleurs de la jeunesse citadine, ou encore de Sofia Djama qui aborde le sujet très sensible du viol dans « Mollement, un samedi matin ».
Si ces cinéastes sont encore trop peu nombreux (ou trop peu visibles) pour engendrer un mouvement artistique structuré capable de révolutionner les structures de produtions algériennes, ils ont le mérite de maintenir en vie le cinéma algérien par ailleurs moribond.
Références : Ref : Benjamin Stora (Historien) – Marion Thuillier – Olivier Barlet – Koceyla Khedim.
En conclusion l’ Algérie par le cinéma