D’un point de vue génétique, les classifications des populations les plus récentes établissent des distances qui cataloguent le plus proche au plus éloigné. Le même groupement génétique englobe l’Afrique du Nord (les Berbères), le Sud Ouest asiatique, les Iraniens et les Européens qui ont pour filiation linguistique l’afro-asiatique et l’indo-européen. L. Sforza (1)
D’un autre point de vue qui est celui de l’histoire, cette donne est corroborée par l’inexistence d’une mutation anthropologique lorsque les ‘’tribus arabes’’ envahirent le Maghreb. On rappelle que ce point particulier de l’histoire nord-africaine est largement débattu par les historiens et dont quelques uns doutent de sa réalité. Certains d’entre eux pensent que c’est le retour des Berbères arabisés après la conquête par les Fatimides de l’Egypte qui ont servi ces derniers contre les Zirides.
Donc, on ne peut pas parler ni de génocide ni d’ethnocide, ni à plus forte raison d’une extinction partielle berbère, sauf celle des Guanches des iles canaries après l’occupation espagnole (conquises par J .Bethencourt1402-1405 et devenues provinces espagnoles en1495). La geste des Banu Hilal est une consécration épique plus qu’une transformation ethnique. Elle traduit l’impact de l’arabisation comme fait de culture qui est surdimensionné par rapport à la réalité anthropologique du Maghreb.
D’un point de vue purement statistique, il est quasiment impossible que quelques milliers de personnes puissent bouleverser l’ethnicité ‘’raciale’’ de millions d’habitants et à plus forte raison la démographie de l’Afrique du Nord. C’est la fameuse morphologie repérée par J. Berque qui donne autorité à l’idée d’être venu d’ailleurs pour faire valoir une identité (nouvelle) à partir de la fabrication généalogique fictive dont se sont abusivement servi les chefs de tribus pour consolider leur pouvoir ou de l’acquérir.(2)
On constate aujourd’hui que le phénomène de l’arabisation n’est pas ethnique mais il est de fait culturel. La transformation onomastique a certainement joué un rôle important dans la fabrication des généalogies à laquelle les chefs des tribus berbères ont activement participé dès le début de l’islamisation.
La politique berbère menée par la France coloniale a beaucoup contribué à instaurer un régime de séparation ethnique (et de préjugés raciaux) alors qu’il est purement linguistique. La cartographie linguistique de l’Algérie est étonnamment contraire à la politique berbère parce qu’elle montre un recul net des parlers berbères (1) entre 1883 et 1913.
Indépendamment de la catastrophique arabisation, il est fortement utile de voir en quoi le parler algérien est influencé par le berbère. D’où la question n’est-il pas une métathèse des influences multiples qui nous renvoie à une sorte de lingua franca. Une sorte de parodie linguistique qui met en scène plusieurs locuteurs dans une cacophonie indescriptible, sutures de langue dont aucune n’est du paradis.
.Le séparatisme qui guette l’Algérie n’est ni ethnique ni religieux, il est la conséquence du désastre provoqué par le régime politique. A l’exemple de la gestion du problème du Mzab, l’incompétence des autorités a rendu possible la résurgence des guerres ancestrales entre les tribus chambaa (nomades) et les Mozabites (sédentaires) qui remontent à des temps immémoriaux.
La coloration religieuse et le cas échéant ‘’ethnique’’ sont des cadres de légitimité qui donnent à une communauté villageoise ou tribale une existence pour affirmer sa propre existence.
Si les Mozabites se revendiquent du kharedjisme c’est qu’il ya lieu de discuter de la place des différents courants religieux et non pas faire porter sur les animateurs mozabites la responsabilité d’un séparatisme en voulant restaurer l’Etat kharedjite de Tahert. D’un point de vue global, quelque soit le problème aussi bien religieux que linguistique, il s’agit de déterminer la relation entre le majoritaire et le minoritaire.
L’Etat doit garder une impartialité de fait à partir des principes généraux qui animent la vie politique de toutes les composantes de la société algérienne. L’incohérence du système se répercute sur la vie sociale et tend à imposer une centralité inconséquente parce qu’elle ne prend pas en compte la réalité plurale aussi bien linguistique, religieuse et spatiale.
L’Algérie est à la croisée des chemins par l’effet rétroactif des questions restées sans réponse.
R.B
Nota Bene
1° L. Sforza, Reconstruction of human evolution… Proc. Natl. Aca. Sci. USA. 1988.
2° Nous croyons que c’est un des problèmes majeurs de l’anthropologie historique du Maghreb. Malheureusement cet aspect est largement ignoré par les chercheurs .Néanmoins quelques aspects du problème ont été abordés par J. Berque, M. Kilani et Y. Moderan.
Dans le récit des origines qui est en chantier, nous constatons une nette distinction de la définition de l’ethnique dans les deux principales sources historiques, celles des traditions gréco-latine et arabo-musulmane.
Notons que les travaux récents en génétique des populations et en préhistoire (G. Lucotte – Brief Communication Y Chromosome haplotypes in Egypt, American Journal of Physical Anthropology, 03/11/ 2006 – G. Aumassip
– Préhistoire du Sahara et des abords, Maisonneuve et Larose, Paris, 2004 et l’Algérie des premiers hommes, Maison des sciences de l’homme, Paris, 2001) accréditent l’idée d’une même lignée préhistorique (le néolithique) des Berbères et des Egyptiens qui est maladroitement exagérement extrapolée par B. Lugan (Quand l’Egypte était amazighe) dont la question de l’origine est discutable en termes de définition de l’ethnicité.
Cette idée actualisée par la génétique des populations est ancienne. Elle remonte aux travaux de Pruner-Bey’’ Recherches sur l’origine de l’ancienne race égyptienne’’, Mémoires de la société d’anthropologie de Paris, 1863.
3°G. Camps, Fig. 2,p , Espaces berbères, ROMM, 1989.
A titre d’exemple, même ‘’l’enseignement du berbère en Kabylie souffre de manque de moyens et les parents rechignent à envoyer leurs enfants pour l’apprendre.’’ me disait un enseignant de la région qui m’a accompagné lors d’un court séjour en Kabylie à la recherche des traces de L. Frobénius, l’ethnologue allemand.