Massinissa, fondateur du premier état Numide

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MASSINISSA FONDATEUR DU PREMIER ÉTAT NUMIDE ((202 av. J.-C. – 46 av. J.-C.)…….. avec pour CAPITALE CIRTA

À sa fondation, Carthage « Qart Hadast » (ville nouvelle), n’était qu’une modeste escale, une colonie de Tyr(2). Elle fut fondée par les Phéniciens(3), peuple de la mer qui dominait l’activité commerciale en Méditerranée, au début du premier plus précisément en 814 avant notre ère. Carthage prit de l’ampleur et devint une puissante métropole méditerranéenne vers le IVe siècle a v. J-C. Pendant trois siècles et demi, elle dut payer un tribut annuel aux autochtones, les amazighs qui leur concédèrent le territoire sur lequel la colonies’était implantée. Elle s’en émancipa par la suite.

D’abord influencés par la culture égyptienne pharaonique, les Phéniciens inconnus jusque-là s’imprégnèrent de la culture grecque dès que celle-ci rayonna sur le monde méditerranéen. Mais on n’oubliera pas que ce sont les Phéniciens qui ont offert les rudiments d’un alphabet qui n’était que commercial dont les Grecs vont faire, en y introduisant les voyelles, le support d’une littérature exceptionnelle.

Mais n’anticipons pas, cette langue phénicienne Thafniqth (ou le Tifinagh ?) s’implanta dans tous les territoires conquis sur les côtes méditerranéenne depuis près de mille ans avant notre ère. Hérodote rapporte que « … des relations commerciales se développèrent très tôt entre Phéniciens et Numides, favorisant ainsi la pénétration de la langue et de la culture puniques assez profondément dans le pays… ».

Voici ce qu’écrit Justin sur la fondation de Carthage : « … Ainsi, Élissa, transportée dans le golfe de l’Afrique, sollicite l’amitié des habitants de cet endroit, qui se réjouissaient de l’arrivée d’étrangers et du commerce de biens d’échange ; ensuite, ayant acheté l’emplacement qui pourrait être couvert par une peau de boeuf, sur lequel elle pourrait refaire les forces de ses compagnons, épuisés par une longue navigation, jusqu’à ce qu’elle s’en aille, elle ordonne de découper la peau en très fines lanières et, ainsi, elle s’empare d’un espace plus grand que celui qu’elle avait demandé ; de là vient que, par la suite, on donna à ce lieu le nom de Byrsa…

Ensuite, les voisins de ces lieux, qui par espoir de gain apportaient beaucoup de marchandises aux hôtes, accourant en foule et s’installant là, il se fit par l’affluence des hommes comme une espèce de cité. Les ambassadeurs des gens d’Utique (ville ancienne de nos jours El 3atique), pour leur part, apportèrent des présents, comme à des parents, et les engagèrent à fonder une ville là où le sort avait fixé leur résidence. « … Mais les Africains se prirent d’un vif désir de retenir aussi les arrivants… ». (Traduction de Marie-Pierre Arnaud-Lindet).

C’est pourquoi, avec le consentement de tous, Carthage est fondée, après fixation d’un tribut annuel en contrepartie du sol de la ville. Dans les premières fondations, on trouva une tête de bœuf, ce qui était le présage d’une ville prospère, certes, mais laborieuse et pour toujours esclave. Pour cette raison, la ville fut transférée sur un autre emplacement, où une tête de cheval découverte signifiant que le peuple serait guerrier et puissant, donna à la ville une implantation de bon augure.

Alors, les peuples affluant selon la réputation de la nouvelle ville, en peu de temps il y eut des citoyens et une grande cité… ».Justin poursuit : « … Cette ville fut fondée soixante-douze ans avant Rome et, de même que sa valeur s’illustra à la guerre, de même son gouvernement fut agité à l’intérieur par les atteintes variées des dissensions. Alors qu’entre autres maux, ils étaient même travaillés par la peste, ils usèrent en guise de remède de cérémonies religieuses sanglantes et de crimes, puisqu’ils immolaient des hommes comme victimes et amenaient aux autels des enfants impubères, d’un âge qui provoque la pitié, même des ennemis, demandant la paix des dieux en versant le sang de ceux pour la vie desquels les dieux sont d’habitude le plus suppliés… ».Ce dernier passage est à prendre avec des pincettes.En effet Rome avait besoin de dénigrer ses adversaires pour donner prétexte à son agression qui avait en fait pour raison l’expansion politique et économique de son territoire.

Bien avant la fondation de Carthage, les Phéniciens, en pionniers de Tyr et de Sidon(1), établirent des escales sur le littoral méditerranéen pour les besoins de mouillage de leur flotte marchande à partir de 1250 avant notre ère. À compter
du IXe et de façon plus certaine au VIIIe siècle av. J.-C. l’hôte devient le maître, c’est le début de la colonisation. Carthage en sera témoin puis maîtresse
des lieux.

Ce sont ces escales appelées comptoirs qui deviendront plus tard des villes. L’objectif de cette expansion est certes d’acquitter un tribut à Tyr (ou à Sidon,devenu de nos jours Saida au Liban),) sans que celles-ci n’exercent vraiment un contrôle véritable sur eux. La raison non avouée était cependant de conserver un monopole sur les ressources naturelles des régions méditerranéennes, la recherche de matières premières, en particulier de minerai, en filigrane, d’empêcher les Grecs d’exercer une totale emprise sur la Méditerranée qui signifierait la ruine de leur commerce.

Les comptoirs furent fondés avec l’accord des populations amazighes, les relations commerciales étant depuis fort longtemps établies avec ce peuple de la mer. Ces localités essaimèrent sur la côte méditerranéenne depuis les villes de Tyr et de Sidon, capitales originelles des Phéniciens. La distance qui les séparait de trente à quarante kilomètres de la côte algérienne, équivalait à une journée de navigation par la mer en fonction du relief et des caractéristiques de chaque région.

C’est ainsi que les comptoirs phéniciens devenus aujourd’hui de grandes agglomérations Annaba, Skikda, Collo, Jijel, Béjaïa, Dellys, Alger, Tipaza, Cherchell, Ténès, Béthioua, Ghazaouat sont établis. Sarim Batim (Cirta), Tiddis à une vingtaine de kilomètres plus loin seront à leur tour sollicités.

Les Numides constitueront peu à peu l’essentiel des populations de ces villes, Tyr restant le centre économique et politique du monde jusqu’à sa destruction par Alexandre le Grand en 333 avant notre ère.

Les échanges entre ce peuple de la mer venu du lointain « Proche-Orient» et cette portion du continent africain habitée par des populations amazighes appelées numides par les Grecs, ont évolué par la force des choses. Les échanges furent culturels et linguistiques, mais ils affectèrent aussi les us et coutumes, les arts culinaires, les tenues vestimentaires.

Les mariages rapprochèrent les gens au fil du temps, des amitiés se nouèrent, des alliances motivées par l’intérêt se conclurent. Le sang se mêla, les parlers s’entrecroisèrent. Il se créa une communauté ethnique, culturelle et linguistique.

Naquit alors une nouvelle civilisation à laquelle nos ancêtres ont largement contribué, la civilisation punique ou encore carthaginoise dont nous devons revendiquer fièrement et en toute légitimité, le patrimoine.

Revenons-en maintenant aux guerres de la Méditerranée qui au IIIe siècle avant notre ère, ont opposé Rome à Carthage. La Numidie y fut à la fois acteur et arbitre. Il est intéressant de relire les écrits de l’époque avec la prudence nécessaire.

Comme ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire, on se gardera d’imputer tous les maux aux vaincus et de ceindre le front des vainqueurs de tous les lauriers.

Le Grec Polybe et le Romain Tite-live ont consigné pour l’histoire les événements qui se sont déroulés. Ils nous ont livré leurs analyses et leurs réflexions sur les enjeux politiques, les forces et les faiblesses de l’organisation militaire des États en conflit à travers ce qui est communément appelé les guerres puniques (264-241), (218-202),et(148-146). Ils n’ont pas omis de mentionner les différents alliés et adversaires.

Grâce à eux, l’histoire de la Numidie est révélée pour la première fois dans l’histoire de l’humanité. Il en va de la Numidie comme de la Gaule (La France actuelle, la Belgique, le Luxembourg, l’Italie du nord, et une partie des Pays-Bas et de l’Allemagne) Leur histoire n’apparaît, leur passé n’est dévoilé, leur existence même ne se révèle qu’au moment où elles comptent aux yeux de Rome.

Contenons notre frustration et une colère rétrospective et, sagement, contentons-nous de cette conjoncture ou de ce concours de circonstances qui a pu épargner de l’oubli les royaumes de cette partie du monde qu’est la Numidie, de ses peuples les
Massyles et les Massaesyles, de ses dirigeants, Aguelids et rois Syphax, Gaia, Massinissa, etc…

On ne sait pas grand-chose sur le passé humain de notre espace géographique avant cette émergence historique de nos ancêtres. On peut tout de même et d’après des écrits de cette époque affirmer que la Numidie est déjà largement intégrée économiquement, culturellement et politiquement au monde méditerranéen vers la deuxième moitié du IIIe siècle av. J.-C.

Des monuments l’attestent, datés du IIIe siècle avant notre ère : le Medracen (Medghasen ou Imedghassen, de Madghis ? le roi Madghis ?) près de Batna, le Mausolée royal de Maurétanie, dit improprement Tombeau de la Chrétienne, le tombeau de Massinissa à Constantine (El Khroub), le monument de Sig dans la ville antique à Siga, capitale du roi numide Syphax, etc…

De plus un peuple qui a ouvert son commerce aux autres peuples de la Méditerranée devait avoir à cette époque-là une civilisation assez évoluée.

Les Romains vont déclencher la première explication avec le peuple punique, orgueilleux mais pacifique. Il suffira d’un prétexte vite trouvé : le contrôle de la Sicile.Ce sera la première guerre punique (264-241 av. J.-C.) dite « guerre de Sicile ».

Carthage perd ses possessions siciliennes, sardes et corses. Rome y laisse un peu de son prestige. Le jeu des Romains était subtil. Scipion en était le stratège. D’un côté, il reconnaît à Carthage la possession des territoires situés à l’est des « Fossa Reggia » de l’autre, il autorisait Massinissa à revendiquer,à l’intérieur de ces limites, les terres qui avaient appartenu à ses ancêtres. C’est la véritable origine de la troisième guerre punique.

Carthage succomba devant la cavalerie numide et les légionnaires de Scipion Emilien ; « … elle fut incendié, rasée, le sel de la malédiction semé sur ses ruines… »). Syphax connaîtra les dures lois de la captivité, puis une mort atroce.

L’armée de Massinissa a été un facteur déterminant dans la chute de Carthage et de son allié Syphax. Sans Massinissa, Rome n’aurait pas pu vaincre Carthage. Par cette victoire, Rome devient seule maîtresse de la Méditerranée occidentale,

Massinissa peut enfin réunifier le royaume de ses ancêtres en accaparant tous les territoires de Syphax, y compris la capitale Cirta. « … Après la défaite de Carthage et la capture de Syphax, qui, possédait en Afrique un vaste et puissant royaume,
le peuple romain fit don au Roi Massinissa de toutes les villes et de tous les territoires que son bras avait conquis… », écrit Salluste.

Mais pourquoi donc Massinissa provoqua-t-il cette guerre dont on pouvait se douter qu’elle accommodait le désir de Rome d’en finir avec cet ennemi qui demeurait une menace pour son hégémonie en Méditerranée ?

Mais revenons quelques années auparavant.

Au cours de la seconde guerre punique, (218-202), Carthage, ne se sentant plus en position de force face à Rome, fait appel aux deux royaumes numides : les Massaesyles conduits par Syphax puis par son fils héritier Vermina et les Massyles par Gaia (jusqu’à sa mort en 206) puis par son fils Massinissa. Les deux royaumes sont en fait deux grands ensembles de tribus. L’ambition de les unifier n’est absente ni chez les uns ni chez les autres, mais elle est parasitée tantôt par Carthage, tantôt par Rome. Ces deux puissances ne cessent d’exacerber leur rivalité. Carthage n’a pas intérêt à avoir un voisin puissant et Rome à perdre ses réserves dans les forces militaires numides.

Le choix des alliances croisées lors de la seconde guerre punique divise davantage les rangs des Amazighs.

Décidément la lutte pour la suprématie en Afrique du Nord rappelle, toute proportion gardée, celle qui a opposé Rome à Carthage dans un espace beaucoup plus grand, le bassin méditerranéen, autour d’enjeux beaucoup plus consistants : la domination commerciale et politique.

Ici, il s’agit d’une lutte de pouvoir dans un espace beaucoup plus modeste. L’union entre les deux ensembles africains aurait pu être le noyau d’une grande nation, prélude à une grande civilisation qui construirait son devenir sans la menace de l’un ou de l’autre des belligérants. L’Histoire en décidé autrement, puisque la division a mené à la ruine : Massinissa disparu, la Numidie disparaîtra, pour suivre un autre cours, pour suivre une autre voie vers un autre destin.

Carthage aussi bien que Rome a exploité à son profit la rivalité entre les clans numides. Les Carthaginois mêleront même une femme à leur diplomatie
pour s’arracher les faveurs de Syphax qui disposait d’une armée puissante, la princesse Sophonisbe, en phénicien : Çafonba’al, « Celle que Baal protège ».

Humiliée puis battue, Carthage disparaît de l’histoire.

Massinissa hérite du royaume des Massyles et maintenant de celui des Massaesyles. Couronné à 36 ans, en 203 av. J-C, il règnera pendant cinquante-quatre ans, jusqu’à sa mort en 148 av. J.-C. Il nourrissait l’ambition de fonder un grand État, celui des Numides rassemblés autour de son étendard. Il avait hérité également d’une culture que ses ancêtres avaient adoptée en l’enrichissant, culture des Phéniciens. Tout était prêt pour que se développe une civilisation forgée dans un métissage culturel qui avait résisté à l’épreuve d’un millénaire d’échanges culturels, linguistiques, vestimentaires, alimentaires et autres. Le peuple amazigh, autrement dit les Numides, était prêt et la civilisation punique tenait son aire de dispersion.

Massinissa, Syphax en son temps ou leurs successeurs prirent comme modèles les rois grecs ou les Consuls romains dans tout ce qui a trait aux « attributs » de l’autorité : trône, sceptre et tout autre signe extérieur distinctif.

En matière de langue, le Punique fut d’usage quotidien dans la capitale où on parlait également, en plus du Berbère , les langues grecque et latine sans sectarisme.

Massinissa hérita également d’une identité propre, celle des amazighs, ces hommes libres qui avaient su préserver leur identité tout en s’ouvrant sur les civilisations de l’époque : mésopotamienne, égyptienne, hellénique, égéenne, phénicienne et maintenant latine.

Évaluée avec le recul de l’Histoire, la vision de Massinissa fut de ne pas égarer l’héritage scientifique et culturel de Carthage, dont la matrice est mésopotamienne, de sauvegarder l’une des premières civilisations humaines les plus évoluées, d’y ajouter la richesse des civilisations grecque et romaine, de développer son pays, de construire un État moderne pour l’époque, de proscrire toute forme de sectarisme.

Ainsi, à la langue numide se juxtaposaient le Punique, le Grec et le Latin. De tout cela Massinissa a su tirer une vision et une stratégie pour atteindre ses objectifs : bâtir un pays unifié et puissant, capable de faire face aux prédateurs de l’Histoire.

Dans le domaine des échanges, Massinissa développa d’importantes relations commerciales, en particulier avec les Grecs. Aux IIe et Ier siècles av. J.-C., la Numidie est devenue un partenaire actif de la réalité méditerranéenne. Il faut rappeler ici que la civilisation grecque était appréciée et son influence en Méditerranée toujours une réalité, tant elle était considérée comme une civilisation dominant toutes les autres.

Pour asseoir les bases d’un véritable État, Massinissa imposa un pouvoir central qui n’avait rien à envier aux grandes puissances de l’époque, Rome, Carthage, Athènes, Égypte, aux plans social, économique et politique ; intelligemment, il mena une politique de sédentarisation pour fixer les populations et développer les villes.

Il fit battre monnaie à son effigie (à la manière des rois grecs), signifiant ainsi que la juxtaposition des cultures, l’alliance entre les peuples pour garantir des intérêts communs n’est pas synonyme d’assimilation ni d’intégration. Il institua le prélèvement des impôts pour financer le fonctionnement de l’État et entretenir une armée régulière terrestre et navale qu’il pouvait opposer rapidement en n’importe quelle circonstance à l’ennemi.

Il mit en place une administration semblable à celle des pays dont l’influence en Méditerranée était prépondérante, développa l’industrie et l’agriculture, mena une politique d’urbanisation qui s’inspirait des villes carthaginoises elles-mêmes influencées par la civilisation hellénique. Il réussit à sécuriser les routes commerciales terrestres et maritimes, ce qui permit une expansion des échanges jamais égalée auparavant.

Au sommet de sa puissance et à l’adresse des Romains et des Carthaginois en perpétuelles guerres de positionnement géopolitique, sentant la menace que les appétits des belligérants faisaient peser sur son pays, la Numidie, il s’exclama :

« L’Afrique aux Africains ! ».

Karim Younes.

De la Numidie à l’Algérie,Grandeurs et Ruptures,Casbah Editions

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