Première partie : Avant-propos.
Le jugement n’est pas le thème central d’une critique littéraire constructive à partir du moment où la poésie a divorcé avec la forme orale et opté pour l’écrit. Le travail du poète moderne passe par deux étapes essentielles : l’écriture et la publication. Et c’est grâce à cette deuxième étape que le texte acquiert son droit de cité parmi les œuvres littéraires. C’est un genre d’affranchissement qui allège la mission du critique, étant donné que le texte acquiert sa littéralité avec sa publication. Ceci sans oublier que le consentement du critique à étudier un texte est en soi une certification de sa valeur littéraire. Que reste-t-il au critique si son rôle devait s’éloigner des jugements ?
Tout d’abord, le critique intervient pour proposer une lecture de l’écrit ; et (lecture) signifie compréhension, analyse et interprétation. A signaler que l’interprétation en littérature n’est pas synonyme de l’herméneutique pratiquée dans le savoir religieux. Interpréter en littérature signifie un effort sur deux champs :
1- Débusquer les non dits dans le but d’esquisser une image approximative de l’intentionnalité générale de l’artiste.
2- Tirer au clair la stratégie discursive (s’il s’agit d’un texte moderne), ou sur la philosophie esthétique (s’il s’agit d’un texte classique) adoptées par le poète.
Le critique s’attèle ensuite à décrire les outils que l’auteur a utilisés dans son texte pour lui donner sa part de littéralité. Ce travail n’atteint pas son but sauf si le critique présente, en fin de parcours – avec preuves à l’appui – les perspectives que le texte propose et ouvre dans l’esprit du lecteur.
Le recueil de poèmes (Tempêtes méditerranéennes) de Rachid Grine, avec ce qu’il apporte de nouveautés sur le plan du contenu et sur celui des outils littéraires, est un travail qui offre à la critique littéraire l’opportunité de présenter plusieurs lectures du texte. C’est un recueil qui ((force l’admiration et suscite en nous une sorte de recueillement)) comme dirait Francine Ohayon qui a embelli ce travail avec sa remarquable préface.
Je me propose dans les quatre publications à venir, de donner sur ce travail quelques avis à la lumière des règles établies par la critique littéraire moderne.
Deuxième partie : Non-dits, message poétique.
Le titre de ce recueil (Tempêtes méditerranéennes) à lui seul représente un schéma général de l’intentionnalité commune des textes. La tempête est un mot chargé de sens au point de permettre de l’appréhender comme un symbole, car c’est un phénomène qui a, depuis toujours, mis à l’épreuve toutes les vertus humaines : Le courage, l’intelligence, le sacrifice, l’efficacité…etc. Et c’est à l’occasion de tempêtes terrestres ou maritimes que se sont distingués les grands hommes. Rachid Grine, en optant pour ce titre voulait certainement nous chuchoter quelque chose du genre : Ma poésie est une révolution.
Et quand le poète précise que ces tempêtes sont (méditerranéennes) il nous émet un message à deux significations : 1) L’attachement au milieu, au lieu géographique qui l’ont vu naitre et grandir. 2) Le rejet du chauvinisme quelle que soit sa forme : religieuse, raciale, nationaliste, ou autres. En finale, le mot (méditerranéennes) est le bannissement de ces chauvinismes, et c’est un appel à garder les pieds sur la terre ferme.
Les thèmes abordés dans ce recueil de poèmes peuvent s’inscrire dans un registre moderne. Ces thèmes sont : 1- Spleen et déconvenue (sept poèmes). 2- Guerre, paix, liberté (vingt-trois poèmes). 3- Pollution, environnement (quatorze poèmes). 4- La femme et l’amour (trente-cinq poèmes). Le premier constat à relever est que le thème central est celui de la femme et l’amour, classé en dernier dans le recueil.
Je m’appuie sur ce constat pour tenter de formuler un autre non-dit dans ce recueil : Nous est-il permis de dire que les thèmes précédents celui de la femme n’étaient qu’un prélude à l’idée que l’amour (sous toutes ses formes) est le véritable domaine de toute œuvre artistique chez Rachid Grine ?
En lisant un poème (La dune) de la première partie (spleen et déconvenue), nous constatons la redondance du verbe (aimer) au début de toutes les strophes, mais cela n’a pas été suffisant à donner de l’ardeur au sens de l’amour :
J’adore la dune quand elle est tendre
J’aime les touffes qui l’habitent
J’aime le souffle qui la déplace
J’aime ces grandes étendues
Disons que c’est une manière trop directe d’exprimer l’amour, le frisson qui en ressort est loin d’être comparable aux frissons qui font bouger, voire tancer, les mots dans les poèmes dédiés à la femme dans la dernière partie de ce recueil. Lisons, à titre d’exemple, les premiers vers des quatre premières strophes du poème (A la femme) :
Tu es nature sans souillure
Tu es musique charnelle
Tu es le dessin sur la toile
Tu es sculpture sur le dur
Cet effacement du moi devant l’icône est tout à fait comparable à l’effacement du sujet soufi devant l’idée de son dieu. C’est l’éblouissement qui efface de l’esprit du poète toutes les sensations pour laisser tout l’espace au bien aimé. Le mot (j’aime) n’a pas suffis comme c’était le cas dans l’exemple précédent. C’est la femme, en finale, qui est l’icône de l’amour… mais Rachid Grine termine son poème en exprimant son regret de constater que la femme n’est pas seulement chaleur et beauté :
Ah si tu n’étais pas sentence
Ce désir de vengeance
Le revers de la médaille
Que tu craches de tes entrailles
Et c’est une conclusion qui nous amène à nous rendre compte que l’icône de l’amour n’est pas l’amour lui-même, car elle a cette tare qui est le (revers de la médaille).
Troisième partie : Un contrat discursif.
Entre la poète et le lecteur potentiel nait un contrat discursif qui se manifeste à travers certains éléments linguistiques dans le texte. Et c’est ce qui fait que le lecteur est attiré (ou non) dès les premières lignes d’une lecture, voire dès la lecture du titre. Il n’est pas de l’objectif de cette approche d’expliquer ce phénomène, mais de rechercher les éléments linguistiques à travers lesquels le lecteur ressent ce contrat discursif.
Qu’il le veuille ou pas, le poète émet au lecteur des signes de bienséance dans le but de donner à son texte son droit d’être lu et admiré.
Quelle signification donner à la présence du pronom personnel (nous) sinon celle de tenter l’immixtion du lecteur dans sa description de la (Sérénité) ?
En nous tu es innée….
Tu demeures en nous dans notre adolescence
C’est la meilleure manière que le poète ait trouvée d’exprimer son humilité au lecteur, de lui dire dans ce premier poème du recueil qu’il ne se place pas au dessus de son public, et que son art n’est qu’une part des échanges entre les hommes. De ceci nait le premier postulat de ce contrat discursif : La poésie n’est qu’un discours qui ne vit que grâce à la présence du récepteur.
Dans son deuxième poème (Mère) le poète, après avoir évoqué la vie et la mort de sa mère, la douleur qui s’ensuivit, et puisque la bravoure de cette brave mère était liée à la guerre d’Algérie, le poète s’est retrouvé sur une croisée de chemins qui risque de lui causer une hémorragie en matière de lectorat de (l’autre côté). C’est ainsi qu’il s’est résigné à tenter une conciliation avec cet autre côté :
Et je ne sais dire le nom de cette guerre
Par respect aux gens de l’autre côté de la barrière
Qui ont su se démarquer devant cet autre
Rideau de fer.
Et c’est ainsi qu’un deuxième postulat peut être formulé comme suit : L’idéologie doit être bannie et expulsée du discours poétique.