Auteure : Nassira Belloula.
Titre : Terre des femmes.
Genre : Roman.
Chihab éditions. 185p.
« Terre des femmes », le complément d’appartenance « des femmes » exprime l’exclusivité de la propriété. Si femmes eut été précédé de la préposition « de » et non du déterminant indéfini « des » nous eûmes eu à faire à un complément de caractérisation.
« Terre des femmes » « leur terre ».
Le substantif « terre », dans ce cas, exprime un territoire et non l’euphémisation de planète. Ceci est dit afin de le distinguer de « Terre des hommes » d’Antoine de Saint-Exupéry auquel l’auteure fait d’évidentes allusions et parfois des convocations textuelles.
Le territoire est donc à circonscrire allusivement selon le titre et il est circonscrit tout au long du récit par des coordonnées géographiques, des reliefs, des cours d’eau, des données historiques et un dateur généalogique de la lignée : 400 ans avant le début de l’histoire en question.
A l’origine une femme, Aicha Tabahloult de la tribu des Touba. Tribu déchirée par des guerres intestines dues aux besoins en eau et en pâturage.
Par le truchement des données historiques, l’auteure remonte jusqu’en 539 ap/ JC lorsque Salomon le byzantin chasse Ibdas le roi berbère des Aurés.
La trajectoire historique remonte encore plus avant afin de préciser que le territoire ne fut jamais vierge d’autochtones et qu’au-delà, il fut sans cesse la proie de multiples tentations envieuses et belligérantes : Gétules, romains, maxies, vandales et turcs à compter du XVI siècle. Ces derniers furent les cantonniers traceurs de chemins que les colonnes françaises suivirent.
Sur fond d’histoire documentée de la région ; histoire des envahisseurs et celle de la naissance des tribus berbères après l’éclatement de la matrice originelle, vient s’emboîter le récit d’une lignée de femmes, inscrite à un temps grand T de l’Histoire de la région ; celui de la colonisation française.
En 1847 Zwina, premier prénom de femme sur lequel s’ouvre le livre à 12 ans lorsqu’elle est confiée à sa tante Zana, une femme libre, une azria.
Un fond historique narré coextensivement à la trame du récit appuyé par des fragments testimoniaux extraits de correspondances et de journaux intimes d’officiers français.
Une datation pointilleuse accompagnant une neutralité toute historienne afin que le colonialisme s’inculpe de ce qu’il souhaite se disculper au nom de la civilisation. « Verba vola scripta manent », la consignation par l’écrit de la reconnaissance des crimes est un aveu flagrant.
Toponymes, hydronymes, patronymes, datation, insurrections, redditions, brigands d’honneur, opérations, assaut, occupation, tous les ingrédients du récit historique servent à l’emboîtement du parcours de chacune des six femmes de la terre Chaouie dans l’histoire de la région. Parcours s’élevant au niveau de la vraisemblance historique tant il est balisé par les critères de l’écriture de l’histoire.
Une suite de simultanéités entre un fait d’histoire et un événement fictionnel hissent le vraisemblable fictionnel vers l’authenticité historique.
L’auteure lie chaque situation fictionnelle à un fait historique authentique. Le factuel et le fictionnel rentrent en écho.
Roman de l’amour, de la jalousie, de la rancune, de la trahison et de la guerre, « Terre des femmes » narre l’histoire d’une lignée de femmes depuis 1835 naissance de Zwina, jusqu’au-delà de 1955 et depuis le village de Nara en pays des chaouis jusqu’à Nara, prénom éponyme de femme, à Batna en quartier nègre.
Chaque parcours de femme connaît le début du conte merveilleux, celui du coup de foudre. Or l’amorce heureuse est rompue par la foudre de la jalousie, de la revanche ou de l’honneur offensé.
L’idéal masculin est toujours présenté en P3 pour signifier le parfait inconnu. Ce parfait inconnu est l’homme qui tombe à pic, le héros inattendu.
Le premier chapitre présente néanmoins un incipit par anticipation, dramatique. L’odieux Meddough poursuit Zwina et la viole. La revanche ne se fait pas attendre. Son frère Ali, égorge Meddough sous les yeux de sa jeune sœur. Deux sangs la souillent, celui de sa défloration et celui de son violeur.
Chacune des femmes subit les tribulations de son époque et participe à leur apaisement ou va vaillamment au combat.
A un niveau symbolique, l’exubérance de la nature représente les femmes tandis que les accidents de relief ; les hommes ou l’armée coloniale.
Mené comme un journal, chaque chapitre, en plus du titre citant le personnage principal, présente une accroche en italique fournissant deux informations : le lieu et la date.
Le souci de l’auteure de présenter la lignée féminine lui fait oublier qu’à 35 ans Zwina donne naissance à un garçon nommé Chriff -par son père Kada- en souvenir du grand père. Alors qu’elle suppose la chaîne rompue seulement avec Nara qui enfante un mâle du lieutenant Paul.
Nara, nom éponyme, est mise sous la responsabilité du lieutenant Paul qui la viola en état d’ébriété et regretta son geste selon son aveu fait à Armande Fernandez qui l’hébergeait et la protégeait. Il reconnaît ainsi son erreur et la répare comme dans un mea culpa d’avoir en symbole de l’armée française détruit Nara village.
Fateh Bourboune.