Fateh Boureboune
En attendant la parution du nouveau roman de Sarah Haider, je poste ma lecture de “virgules en trombe.”
Une petite tranche saignante pour les non végétariens ou végétaliens puisque les deux concepts existent aujourd’hui, de “Virgule en trombe” de Sarah Haider. J’ai dit une tranche et croyez-moi que le gâteau est pantagruélique.
Auteure : Sarah Haider
Titre : Virgules en trombe.
Editions APIC 2013
D’emblée, sans craindre la contradiction par la preuve, Il est péremptoire de reconnaître, à « Virgules en trombe » sa haute valeur littéraire, son esthétique magnifique. De plus, le texte nous impose des haltes sentencieuses d’une philosophie subtile, des joyaux scintillants dans l’univers quasi gothique des bouges et des caves, des ombres et des pénombres, des rongeurs et des acridiens.
Dans « Virgules en trombe » l’ivresse est un état d’esprit, un état d’âme, un état second pour accéder à la délivrance des sens premiers de la conscience reléguée à l’état second. Or, l’état second est aussi atteint sans ivresse, ou par une autre forme d’ivresse obtenue par le truchement d’un flacon nommé délire quotidien.
Entre la pensée promise et la pensée soumise pour les besoins de la soumission libératrice, la liberté est ravie, et se ravit d’être ravie pour se soumettre et s’autoriser à l’exprimer.
Le cercle vicieux dans lequel tourne l’écrivain astucieux, à la fois soleil et terre relève de la pleine conscience. L’un éclaire l’autre. Pendant que la seconde fait sa révolution le premier déclare sa force où la seconde puise. La seconde ne s’épuise jamais pour que reluise la vérité chaque fois prisonnière de la nuit. Cycle nycthéméral de la conscience s’éblouissant de soleil et éblouissant la nuit.
« Pour un coup d’essai – c’est l’opportunité de le dire, la citation s’impose- ce fut un coup de maître. » Premier texte en français d’une auteure habituée de donner de l’amplitude à sa phrase de la droite vers la gauche. Elle change la rotation de la terre pour écrire et lire le monde à l’envers dans son authentique réalité.
La réalité? Les réalités dans lesquelles s’amenuisent les existences sujettes aux lubies de volontés discrètes et secrètes agissant ouvertement alors que l’univers ne s’aperçoit que par une petite ouverture du toit ou par l’ouverture d’un moi à l’écriture et à un mode d’écriture ignorant la mode.
La plume de Sarah Haider atteste que l’écriture est un art, que la littérature n’est autre que l’art de mener les possibilités de la langue à leur paroxysme, de ne jamais sombrer dans la facilité et le simplisme. Car l’univers n’est pas complexe, il est désorganisé il tente de s’organiser dans le discours. Sarah Haider désorganise la narration pour que le discours tienne son discours sur un monde désorganisé.
Comment procède-t-elle ? Ah oui, faut bien une preuve par neuf puisque la preuve par l’œuf reste toujours hypothétique.
Sarah Haider nous le dit à sa façon et fait ce qu’elle dit à sa façon, elle façonne en maçon se refusant à toute loge. Je formule ce qu’elle dit ainsi: La poétique transfigure, assagit l’horreur comme le mysticisme mystifie et transforme la réalité. En d’autres termes : la poétique est à l’écriture ce que le mysticisme est à la vie.
Le style singulier des situations initiales des fables de J. de La fontaine verrouille le texte en son dernier chapitre, premier en réalité. Le défi est relevé, le forfait est déjà accompli. Le gant est jeté non pour l’offense mais pour signifier que la mission est accomplie.
Le chapitre 23, épistolaire en son genre, convoque Boris Vian, qui dit : « Si vous cherchez un message dans mes livres, il n’y en a pas. » Or, le dernier chapitre de « Virgules en trombe » nous délivre le message apocryphe suivant : « Le premier est le dernier. »
La formule : Le premier est le dernier, si elle se prête à la lecture explicite de l’évidence : le chapitre 23 eut dû porter le chiffre 1 elle autorise une seconde lecture allusive révélatrice des évidences du texte.
En effet, Démiurge/démiurge, et thaumaturge, l’écrivaine Dieu met en échec sa propre création et finit telle une simple créature au jugement dernier, reniée par à un dieu de pacotille jugeant toute création : l’éditeur.
Je répète que tout au long du texte, la poétique transfigure l’horreur à l’instar du mysticisme transformant et mystifiant la réalité.
Les histoires à dormir debout, tenant debout, traversant le texte de bout en bout ne sont que l’expression du désordre d’un monde éludé par les discours reconstructeurs d’une factice cohérence.
Comminatoire, le dernier chapitre a déjà accompli le forfait annoncé et dénoncé la forfaiture. Les points de suspension qui le laisse ouvert ont déjà clos l’univers sur sa réalité.
Sarah Haider nous dit et nous dicte que l’ordre parfait du monde n’est que désordre singulier que nos entendements appréhendent différemment grâce au pouvoir du discours mystique et poétique.
Le premier est le dernier n’a d’existence qu’a cette fin.
Soyez indulgents, ne m’en veuillez pas, ma folie est douce, celle du livre de Sarah ne l’est pas. J’ai procédé à une lecture de l’intérieur de l’écriture, dans la pénombre de l’imprévoyance des sens que le monolithe typographié contient sans nous en prévenir.
Fateh Boureboune