L’Algérie et ses harragas
En 2014, 7 824 traversées illégales des frontières ont été détectées dans la région ouest de la Méditerranée, qui est composée de plusieurs zones de la côte sud espagnole et des frontières terrestres de Ceuta et Melilla. En termes de nationalités, la plupart des migrants viennent d’Afrique de l’Ouest, en particulier du Cameroun et du Mali. Les Algériens et Marocains ont également été signalés dans le top dix des nationalités, mais surtout à la frontière maritime.
Selon l’analyse de risque annuelle de Frontex pour 2015, l’Algérie arrivait troisième après la Syrie et l’Afghanistan en terme d’entrées clandestines détectées aux points de passage des frontières en 2014. L’Algérie était également classée huitième en termes de résidents illégaux.
Les harragas algériens empruntent des routes maritimes différentes à partir de l’Algérie pour atteindre l’Europe : l’une d’entre elle part des côtes d’Oran (ouest de l’Algérie) vers l’Espagne continentale, une autre (moins développée) relie les côtes de Dellys (à 100km d’Alger) vers l’île de Palma de Majorque ; et la dernière part des côtes orientales (Annaba et Skikda) vers l’île italienne de Sardaigne.
Cependant ils utilisent également des routes traversant la Tunisie, la Libye et aussi la Turquie. De fait, entre novembre 2010 et mars 2011, 11 % des 11 808 migrants irréguliers interceptés en Grèce par Frontex ont été identifiés comme étant Algériens, juste derrière les Pakistanais (16 %) et les Afghans (23 %). Ces statistiques alarmantes ont été très surprenantes étant donné que le nombre d’Algériens est deux fois plus élevé que le nombre de Marocains et six fois plus élevé que le nombre de Tunisiens, malgré l’instabilité dans ces deux pays avec le début des soulèvements arabes.
Harga le résultat de la pauvreté et du Hogra
Toutes les classes sociales sont touchées par ce phénomène : la classe ouvrière, les chômeurs, les diplômés universitaires, et même les médecins et les ingénieurs. On peut se demander : pourquoi ce fléau social est-il si répandu, allant bien au-delà des catégories pauvres de la société ? Cette question mérite d’être examinée sérieusement et y répondre correctement représentera un grand défi – mais je vais m’efforcer de proposer quelques réponses possibles.
Harga représente d’une certaine façon la poursuite d’un futur qui se retrouve dans l’impasse dans le pays d’origine. C’est un moyen de dépasser les restrictions liées à la liberté de mouvement, la précarité de l’emploi et la marginalisation par les réseaux clientélistes – en résumé, tout ce qui rend la vie insoutenable, pour pouvoir mettre en place un projet de vie que l’on pense impossible à réaliser en Algérie étant donné les conditions actuelles. Un habitant d’un village marginalisé, Sidi Salem à Annaba, dans l’est de l’Algérie, a déclaré à son frère harrag : « J’ai perdu les clés de mon futur dans un cimetière en Algérie qui s’appelle Sidi Salem ».
L’immigration clandestine à partir de l’Algérie est également la conséquence logique de plus de trois décennies de libéralisation de l’économie qui marqua la condamnation à mort d’une économie productive et créatrice d’emplois, conduisant à un chômage de masse et à la perpétuation d’une mentalité de recherche de rentes, dépendant du pétrole et du gaz, et important tout le reste.
Le terme harga ne peut être entièrement compris sans examiner un autre fléau que nous appelons hogra en Algérie. Hogra signifie le mépris, le dédain, l’exclusion et décrit également une attitude qui admet et propage la violence contre la majorité, les laissés pour compte (les masses oubliées et marginalisées).
« Nous préférons mourir mangés par les poissons que par les vers »
Etant donné les restrictions à la liberté d’expression et d’association et également à cause du manque d’espace accordé au divertissement, à l’art et à la créativité, les jeunes se sentent suffoqués, humiliés, sans dignité – des étrangers dans leur propre pays avec pour seul horizon envisageable, celui au-delà de la mer. Si bien que c’est un acte de dénonciation de l’autoritarisme et dans un sens c’est une culture de contestation qui provient d’un groupe social se sentant marginalisé et négligé. La jeunesse a déclaré, dans un puissant message adressé aux classes dirigeantes en Algérie : « Roma Wella Antouma », ce qui signifie « Rome plutôt que vous ». Ils ont également déclaré : « nous préférons mourir mangés par les poissons que par les vers ».
Les jeunes Algériens risquent leur vie pour atteindre les côtes nord de la Méditerranée pour pouvoir échapper au désespoir d’être marginalisés et relégués au rang de hittistes – au sens littéral, ceux qui ont le dos au mur, un terme utilisé en référence aux chômeurs qui ont cessé d’être des parties prenantes de l’Algérie post-coloniale. Mais au lieu de réindustrialiser le pays et d’investir dans son peuple, les autorités algériennes ont offert un appui financier au FMI, un outil néo-colonial pour piller ce qui avait paralysé l’économie en premier lieu. Une corruption endémique, ce qui est devenu la norme en Algérie, n’a fait qu’empirer les choses.
Harga n’est que le reflet de ce que l’Algérie ainsi que d’autres pays africains sont devenus, cinquante ans après l’indépendance, avec des élites qui ne se contentent que de satisfaire le capital étranger en endurant les diktats de leurs maîtres occidentaux. C’est également la quintessence de la suprématie blanche, l’exploitation capitaliste et la domination impérialiste qui vont de pair avec ces régimes répressifs et corrompus en Afrique et ailleurs.
La tragédie de l’immigration que l’on constate en mer Méditerranée continuera tant que les structures autoritaires de pouvoir et d’oppression seront toujours en place, tant que le pillage des ressources naturelles africaines sera toujours en cours, et tant que le système profondément injuste dans lequel nous vivons continuera sa domination et son exclusion de toute la misère de la terre et des damnés des mers. Il est nécessaire et urgent de rentrer dans la lutte pour une justice globale contre un système qui place les profits avant les hommes
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