Pseudonyme d’auteure : Fatiha Nesrine.
Titre : La prière de Shéhérazade.
Genre : nouvelles.
Casbah éditions. 2015. 169p.
Le recueil intitulé « La prière de Shéhérazade » comporte neuf nouvelles présentées en deux unités thématiques. La première unité- soit les cinq premières nouvelles- est mise sous le sceau de la rencontre entre des personnes humaines. Les trois dernières nouvelles relatent un mythe et l’histoire de civilisations, autrement dit, la découverte de l’univers par la théorie du big bang et la rencontre avec des civilisations, produit de l’homme par excellence.
Les péripéties des cinq premières nouvelles se situent en Algérie, tandis que celles des trois autres, hormis, « La prière de Shéhérazade » nous ramènent depuis l’espace extraterrestre de « La terre et les cinq dormants » vers le Pérou des Incas : « L’émeraude » au « Au royaume de Juba II et Cléopâtre Céléné ».
« L’émeraude » symbolique est au centre de toutes les nouvelles. Emeraude espérée, acquise ou perdue, émeraude réalisée ; construite et perdue sous l’effet de la hargne des conquérants venus d’ailleurs.
Les évènements narrés dans la dernière nouvelle « Au royaume de Juba II et Cléopâtre Céléné » ont pour lieu une Ceasarea Maurétanienne reluisante et ambitieuse malgré la présence romaine et ses exactions. Une Ceasarea si lointaine dans le passé qu’elle semble appartenir à un autre espace géographique. Une émeraude, fruit de deux émeraudes Juba II et Céléné.
A préciser, que la nouvelle intitulée « La prière de Shéhérazade » au thème particulier, est insérée parmi celles traitant de la seconde thématique. En ayant recours au prénom de Shéhérazade, l’auteure fait une révérence et référence à la narratrice des contes enchâssés des mille est une nuit. Fatiha Nesrine ouvre la porte de civilisations fastueuses, élégantes, humaines par le prénom de celle qui sut sauvegarder sa vie par les contes. Or, le temple du soleil du Machu Picchu et l’ambition de Juba II, n’ont-ils pas relevé et ne relèvent –ils pas de nos jours du fabuleux ?
Shéhérazade nous introduit dans le monde du vraisemblable fabuleux juste après le réveil et le retour des cinq dormants déçus par l’état de la terre, l’émeraude profanée.
Rencontre réussie, rencontre inattendue de clandestins sur un bateau en partance quelque part, rencontre ratée par la faute d’un malencontreux incident considéré comme un accident honteux, rencontre espérée d’un héros inespéré.
Rencontre avec la terre après des milliers d’années, rencontre avec la civilisation Incas, rencontre avec Juba II, le roi savant et son épouse Céléné.
1/Inès.
La première nouvelle Intitulée « Inés » narre la rencontre de deux amis Facebook : Inès et Hillal B. Inès est artiste peintre. Elle le fait savoir à Hillal alors que lui conserve le secret sur ses activités. Vient le jour où Hillal invite Inès à une rencontre dans une exposition de peinture. La jeune fille se rend compte alors que son correspondant virtuel est peintre aussi et qu’il s’agit de l’exposition de ses œuvres.
La première nouvelle nous prépare au point de vue de l’écriture à des descriptions vertigineuses, à un ballet chromatique fantastique dans les nouvelles qui suivent. Toutes les nouvelles sont des palettes de couleurs et contiennent des énumérations, de sentiments, d’impressions, s’alliant ou soutenues par les couleurs citées.
Inés et Hillal vouent une identique vénération à l’émeraude peinture.
2/ « Les enfants du vent. »
Assis sur un banc du boulevard Zighout Youcef, Zoheir archéologue de formation, résident à Dergana, contemple la mer. Elle le captive, elle le fascine. Plus tard, il s’introduit clandestinement dans un bateau. Entendant du bruit, il se suppose surpris alors qu’il s’agit d’un autre très jeune clandestin habitué à se faire renvoyer vers son pays d’origine et de récidiver ses partances. La rencontre donne lieu à un échange de propos sévères malgré leur banalité. Alors, jaillit une enfant dont le rêve est devenir danseuse de ballet. La petite fille est aussi une habituée des tentatives de voyages clandestins. Sa première tentative fut dans un groupe de trois autres filles de son âge.
Chacun des personnages va à la quête de son émeraude.
3/ « L’autobus Rouiba-Alger ».
Aziz doit rencontrer Kenza durant le voyage Rouiba- Alger. La fille n’a pour le reconnaître que son aspect vestimentaire : une chemise blanche et un pantalon noir. Le voyage malgré sa brièveté connaît des incidents, des démêles, des propos acerbes et les échanges de désespoir si coutumiers.
Le voyage est considérablement mouvementé comparativement à la distance. Il ressemble en péripéties, au voyage des cinq dormants venus eux, du fin fond de l’espace.
Kenza est dans le bus. Ni l’un ni l’autre ne s’en aperçoivent. Alors que les passagers descendent, le vent pousse le rideau de la fenêtre ouverte. Aziz à la vue bouchée. Souhaitant se défaire de la toile qui recouvre son visage, il touche involontairement la chevelure de Kenza qui le morigène verbalement et vertement outre mesure et quitte le bus. Le rendez-vous amoureux est raté.
Aziz perd son émeraude.
4/Hyzia.
Un certain vendredi, alors que Dounia et son amie Fouzia sont à la forêt de Bouchaoui, elles assistent à un fabuleux spectacle. Un cavalier vêtu dans la légendaire tradition du cavalier algérien fait une apparition fugace et disparaît. Il attire l’attention de tous les présents. Le vendredi suivant, la population des promeneuses décuple dans l’espoir d’accrocher le regard ou le cœur du brave intrépide qui ne réapparaîtra pas.
Toute l’animation de la forêt de Bouchaoui est décrite : vendeur de thé, groupe de jeunes animant le lieu de leurs chansons, bokalas.
L’histoire de Hyzia est au centre de la nouvelle traitant du fantasme et de la fascination.
L’émeraude ne réapparaît pas ou peut-être passe-t-elle inaperçue de changer d’aspect.
5/ Le verger a levé l’ancre.
Ahmed, personne originale, cultivateur de son état, rêve d’une rencontre qu’il ratera au sortir du sommeil.
L’émeraude d’Ahmed est onirique.
6/La terre et les cinq dormants.
Les sept dormants de la grotte du mythe religieux sont réduits au nombre des continents de la planète terre: cinq. Ils viennent d’un espace interstellaire et redécouvrent à travers les souvenirs de chacun, soit les planètes soit les régions de la terre.
L’auteure y développe la théorie du big bang et de l’évolution de l’espèce pour introduire un plaidoyer écologiste d’une ampleur extraordinaire.
L’émeraude des cinq dormants a perdu ses qualités de pierre précieuse.
7/ La prière de Shéhérazade.
Relate le quotidien d’une mère de famille méticuleuse au point d’être compulsive. Or, le compte rendu des activités du père et des enfants en fin de journée, escamotent, annihilent, minorisent tous les efforts qu’elle déploie et consent pour maintenir la demeure dans l’état de propreté et de confort qu’elle souhaite pour sa famille.
A l’émeraude on accorde pas sa juste valeur.
Un jour, une de ses filles contrevient aux conventions morales de la société et de la ville. En compagnie de ses amies elles cousent des maillots de bains dans de vieux vêtements et vont à la mer.
Elles y rencontrent deux camarades de classe jouant de la guitare et chantant en chœur. Elles craignent les ragots mais rien ne vient sanctionner leur escapade.
La rencontre n’a pas de conséquences fâcheuses.
Lors d’un moment de repos, après une longue rêverie à propos de son enfance, Shéhérazade se saisit d’un journal. Un fait divers la trouble profondément. Des frères enferment leur sœur dans une cage à lapins chaque fois qu’ils quittent le logis.
La fille est sauvée par un voisin qui en informe la gendarmerie après que la claustration eut détruit physiquement et mentalement l’enfant.
Sœur unique, l’émeraude est sauvagement maltraitée.
« Shéhérazade » prie d’une manière ou d’une autre pour que l’imminence de la mort, ou le sursis, avant la condamnation comme pour celle de la Shéhérazade des contes, celle des grandes civilisations ou celle de la petite fille encagée, ne récidive plus.
L’émeraude représente aussi toutes les vertus cardinales et les valeurs humaines disparues.
« Shéhérazade » prie pour que les grandes civilisations disparues dont il ne reste que vestige servent de leçon à l’humanité. L’Eldorado de l’or des incas n’est-il point l’Eldorado du pétrole ?
8/ L’émeraude.
Luis, en aval de la rivière, tente comme ses compatriotes de trouver des émeraudes ayant échappé aux mineurs. Un jour, la chance lui sourit. Mais son jeune frère, Pédro, prend l’émeraude posée sur la table de chevet et s’en va la vendre pour acquérir des petits biens matériels modernes.
Luis souhaite récupérer son émeraude et s’en va d’acquéreur en acquéreur, puisque la pierre précieuse a changé de main, sans pouvoir la récupérer. Sa pérégrination le mène vers le temple du soleil, Icone de la civilisation Inca.
L’auteure traverse l’histoire de la région, ses mythes, ses croyances et nous refais visiter le Pérou dans un délicieux voyage riche en savoirs encyclopédiques.
9/ Au royaume de Juba II et Cléopâtre Céléné.
Un autre pan d’histoire est traité avec une virtuosité exemplaire. Juba II, le roi savant et son sens de la justice sont présentés d’une délicieuse manière.
Rencontres entre humains ou rencontre d’une civilisation, chaque nouvelle du recueil dialogue avec les autres, chaque nouvelle rappelle une autre aux fins d’identité ou de comparaison.
L’apothéose est atteinte dans la dernière nouvelle qui semble dire : « Ô Algériens, les grands de la terre sont minés par des guerres intestines, faites ce que fit Juba II de son temps, pour construire une grande nation. »
Dans chaque nouvelle du premier thème, un des personnages va à la recherche de son émeraude sans pouvoir l’atteindre mis à part Inès et Hillal B, dont l’espace est celui des valeurs culturelles. Même Shéhérazade mère qui entretient sa demeure comme on entretiendrait une pierre précieuse ne réussit pas à arracher la gratitude des siens. Zoheir et les deux enfants en voyage clandestin sont à la recherche de l’émeraude qu’on leur a subtilisée en Algérie, le droit de réaliser leurs ambitions. Hizya, l’émeraude, par sa mort échappe à son amoureux Sayed.
Les seules authentiques et éternelles émeraudes sont les civilisations représentées en l’occurrence par celle des Incas et les grandes réalisations de Juba II et les valeurs humaines.
Les cinq dormants font le constat le plus accablant qui soit tant l’homme moderne à substituer aux valeurs essentielles les petits biens matériels.
De lecture agréable, d’écriture élégante, « La prière de Shéhérazade » échappe à tout souci pédagogique malgré le traitement de sujets d’actualité cuisante.
La prière de Shéhérazade s’adresse à une humanité confondant « le quatrième caillou précieux » à la véritable pierre précieuse qu’est l’humain et sa noble mission terrestre.
Fateh Bourboune.