Titre : Juste derrière l’horizon.
Casbah éditions. 2005.175p.
« On ne confond pas impunément l’amour et l’amour-propre » Le Vent du Nord. p 98 »
J’ai initié mon texte par la citation ci-dessus, extraite du « Le Vent du Nord » car, outre son rôle dans le premier roman cité, elle constitue la clé de voûte du second.
Confondre son amour pour le pays et son amour-propre a pour conséquence de faire subir au pays les conséquences de l’aveuglement par l’amour-propre justifiant toutes les erreurs.
Peut-on lire « Juste derrière l’horizon » lorsque l’on a lu « Le Vent du Nord » sans remarquer d’une part, les identités de thèmes au traitement différent et d’autre part, la présentation de l’enfance de Malek sous le prénom de Mansour ou d’un certain Mansour au parcours plus ou moins identique à celui de Malek, hormis la profession. Point n’est faiblesse ce fait dont l’objectif est clair.
Malek dans « le Vent du Nord » est biologiste, il vit beaucoup plus les passions du corps en compagnie de Solenya et repère les dysfonctionnements du corps social et du système soviétique. Il opère à une sorte de diagnostic. Mansour dans « Juste derrière l’horizon » est socio politologue. S’il vit une brève passion en compagnie de Gabriela, il décrit et analyse une société et un système contaminés par les pratiques d’un autre système. Il plonge dans le corps d’un système. De plus dans « le Vent du Nord » le texte est mené à la première personne, une autofiction, une mythomanie du « je ». Intra diégétique le narrateur est noyé dans l’atmosphère du récit et de ses péripéties. Tandis que dans « Juste derrière l’horizon » extra diégétique, le narrateur à recours à la P3. Son omniscience lui accorde une sorte de regard scrutateur presque testimonial. La pertinence du choix de l’un ou de l’autre se comprend dans les fins ciblées.
Remarquable aussi, comme « Le Vent du Nord » débute dans un avion en vue d’un départ et « juste derrière l’horizon » s’achève dans une aérogare pour un retour définitif vers le pays et la terre natale.
Ainsi, l’incipit du premier roman se choisit le même lieu que l’exipit du second constitué par le chapitre 20 et dernier. Tandis que le premier mène vers l’incertitude, l’inconnu et un amour ancien, le second ramène d’Orly vers le pays et le terroir, lieu où Mansour, enfant, exprima à son grand-père le souhait : « Tu sais grand-père, quand je serai grand, je m’en irai de ce village. » « Je n’irai pas très loin. Juste derrière l’horizon. Pas le nôtre, non, il est trop proche.
Celui que l’on voit de l’une des fenêtres de la classe, à l’autre bout de la plaine. »p69
« … d’aller s’installer derrière l’horizon ». P88
Si le titre « Juste derrière l’horizon » semble prometteur, en exprimant la proximité et l’immédiateté, si son ton est légèrement euphorique car accrut par la citation « Juste derrière l’horizon. Pas le nôtre, celui que l’on voit de l’une des fenêtres de la classe… »p69. La classe étant un lieu de savoir ouvrant grands les horizons, il est en fait dysphorique puisque tout en s’élargissant et s’éloignant il réduit les attentes et les ambitions de Mansour au point de le ramener à son point de départ, à cet horizon qu’il voit alors qu’il est en compagnie de son grand-père.
Le « Vent du Nord » est le roman de l’amour déçu dans un pays décevant, érodant tout, contagieux par sa désespérance. « Juste derrière l’horizon » referme, après déception, l’horizon, dans un espace de conscience de l’impuissance et de retour à des origines plus raisonnables, plus saines et en seconde lecture vers une sereine conscience de soi que l’ici désespère et que la muse de l’ailleurs déçoit.
D’ailleurs Mansour le dit à Gabriela : « -Vois-tu Gabriela, le drame de l’intellectuel du monde sous-développé, c’est qu’il ne tient pas en place. Il croit toujours pouvoir trouver mieux sous d’autres cieux. Il est peut-être temps pour lui d’inverser le mouvement, d’ouvrir les yeux sur ce qui l’entoure avant de céder à l’appel des sirènes.»p22.
Mansour, utilise le mot «appel » et non le mot « chant ».
Si la Solenya soviétique du « Le Vent du Nord » ne connaît pas les mêmes difficultés que la Gabriela de « juste derrière l’horizon » native d’un pays nommé métaphoriquement l’Epsilonie; l’une et l’autre ont un parcours de femme peu commun, un parcours accidenté à l’instar de leur pays respectif. Sans craindre l’abus je dis que les femmes sont iconiques de leur pays, prototypiques ou archétypiques.
Le narrateur fait dire à Mansour : « Le principal détail que j’aie retenu de cette contrée est qu’il s’y trouve, à ce qu’on raconte, les plus belles créatures de la terre, des femmes splendides dont le seul défaut est qu’elles sont, dit-on encore, portées, à l’égard des partenaires qu’elles se choisissent, au même comportement que la mante religieuse en vol nuptial. » P44.
L’analyse de la ponctuation, hoquetant, seule suffit à comprendre l’allusion ou à révéler la métaphore. Beaucoup d’hésitations mais ce qui doit être dit est dit. L’URSS n’a-t-elle pas dévoré son partenaire?
A la lecture des deux romans, la phrase suivante jaillit d’elle-même à l’esprit : « Pays de belles femmes et de systèmes infâmes. »
A noté aussi que l’expression de Gabriela : « Je devrais être une faible femme… » p25 se retrouve aussi à trois reprises dans «Le Vent du Nord».
Malek du « Vent du nord » est Mansour de « Derrière l’horizon » sont en mission officielle en pays de l’est, en pays socialiste. Dans le premier cas l’occasion est double; assister à une fête nationale et présenter des travaux scientifiques. Dans le second roman, il s’agit, pour le socio politologue Mansour, d’écrire un ouvrage flatteur sur le pays visité afin de justifier les choix politiques de son pays. Le modèle parfait devant servir de paradigme irréprochable.
Et Mansour de répondre à son ami d’enfance Yazid directeur du centre d’études prospectives de l’université qui lui demande de remanier un chapitre pour plaire au pouvoir en place : « C’est une attitude de petit bourgeois qui tremble pour son avenir. Je tremble, quant à moi, pour notre avenir.»P124
Cette phrase est comme un rappel pour mieux confirmer la citation mise au début de cette lecture de « Juste derrière l’horizon » : « On ne confond pas impunément l’amour et l’amour-propre » Le Vent du Nord. p 98.
La citation de la p124 de « Juste derrière l’horizon » est une parfaite reformulation de celle de la p 98 de « Le vent du Nord ».
« … ou un sociopolitologue chevronné dont tu attendais une contribution critique à la connaissance d’une nation censée servir d’exemple aux pays du tiers-monde dont nous sommes, exposés à tous les mimétismes et à toutes les dérives ? »p128
« …Et ma conclusion devrait logiquement nous conduire à donner un sérieux coup de frein si nous voulons encore éviter le gouffre. »p130.
« Quant à l’autre chapitre, je le livre à la conscience de ceux qui nous gouvernent car les glissements dont nous sommes menacés sont, à notre échelle, porteurs des mêmes périls que ceux de là-bas…» p130.
Les deux romans dialoguent, entrent en écho, se complètent dans une intra textualité parfois manifeste et d’autres par des aspects allusifs et démonstratifs. Deux romans dont le premier décrit une visite officielle et le second une enquête officielle. Le premier se complaît dans une légère diplomatie, le second présente la sévérité de l’enquête rigoureuse.
Enfant, dans son village natale, Mansour affronte les hivers rudes, les crues de l’oued et les canicules pour aller à l’école. C’est un élève brillant puis un étudiant d’envergure. Adulte, enseignant dans une université, Il est envoyé pour la durée de trois mois étudier la situation d’un certain pays ami afin de rédiger un livre élogieux devant servir de plaidoyer au choix algérien.
Sur le quai d’un métro, Mansour remarque et contemple une jolie femme qui l’aborde par l’expression anglaise : « Are you foreigner ? »P32 Elle pose la question car selon elle : « les hommes d’ici n’ont pas le regard aussi…comment dire ?…persévérant. » P32. La relation naît.
Gabriela, persécutée en « Epsilonie » sous le régime du tyran Dhorkass a clandestinement fui sa patrie pour un pays voisin dans l’espoir d’aller en France où s’est constitué un groupe d’opposants sous la direction d’un certain Arpad. Le premier voyage de Mansour pour la France n’avait que ce seul motif, attirer l’attention d’Arpad afin d’évacuer Gabriela. Après bien des tribulations, Mansour rencontre Arpad pour qui le problème de Gabriela est secondaire.
Le narrateur saisit l’occasion du passage de Mansour en France pour introduire un autre octobre celui du 17 octobre 1961 et plonger dans la mémoire de l’époque coloniale. Souvenons-nous que « Le Vent du Nord » traite de la révolution d’octobre bolchévique et de l’octobre 88 algérien.
Les d’indices semés dans l’écriture volontairement brouillée, alternant la narration entre réminiscence, nostalgie du pays et faits, ne permettent pas au lecteur de repérer le pays voisin de « l’Epsilonie ». « L’Epsilonie » étant en soi un substitut toponymique et un quolibet loin d’être neutre.
Parmi les indices :
Le métro : « comme on le lui avait appris, l’un des plus beau du monde. »P31. C’est bien entendu le métro de Moscou.
« Dans ce pays perclus de malheurs, fille unique d’une famille qui n’avait jamais admis la partition, Gabriela … à tenir le pari lourd de péril d’être citoyenne d’une nation souveraine en demeurant fortement attachée à une province qui n’était comparable à aucune autre. »p46
« Gabriela a dû forcément vous donner une idée de la politique de ce fou furieux qui s’est mis dans la tête de fabriquer un autre pays en lui imposant une nouvelle langue et une nouvelle religion laquelle n’est autre que le culte de lui-même. » p118.
« Il ne peut exister d’Epsilonie séparée du reste du pays ! protesta énergiquement Arpad, et le pays n’en serai plus un sans l’Epsilonie. » p122.
Pourtant ce que le narrateur s’empêche en qualité d’invité en URSS, il se l’autorise en qualité d’enquêteur socio politologue. Ce qu’il cite en qualité d’invité en URSS, il s’en empêche en qualité d’enquêteur socio politologue. Autrement dit, le narrateur cite le nom du pays et de ses états dans Le Vent du Nord, tout en restant diplomate au plan idéologique, social, économique et politique alors que dans « Juste derrière l’horizon » s’il ne cite pas le pays, il s’autorise le pamphlet nécessaire face à la réalité qu’il perçoit.
Jouant sur deux statuts particuliers, il met en exergue le problème de la censure.
« D’un autre côté, il avait toujours soutenu que le devoir d’auto censure imposée aux intellectuels était la meilleure façon de les réduire au silence. »p76
Propos de Gabriela : « Imagine Mansour, imagine un pays magnifique où la parole est persécutée, le mot interdit de cité! Imagine un pays libre où le pas de danse est passible de prison, la phrase maternelle qualifiée d’atteinte à l’unité nationale! Sais-tu le tourment quotidien de devoir se contraindre à l’oubli de ce qu’on a toujours été, de répéter, la nuit, porte close pour ne pas les perdre et ne pas être entendu, des comptine de son enfance ? » P46
Sur une fiche de Mansour, un propos de Gabriela relatif à son pays d’exil : « Je n’ai pas encore rencontré un seul citoyen heureux de vivre, libre de ses propos, de ses faits et gestes. Jusque dans les lieux de loisirs, j’ai perçu un repli sur soi, surpris des expressions éteintes de gens qui se bornent à demeurer en vie et à ne faire que ce qu’on leur permet de faire…Chacun semble continuellement sur ses gardes. Serait-ce seulement un phénomène propre à toute grande ville ? Serait-ce seulement un trait de caractère des habitants de pays froids ? »p77.
Le travail réalisé par Mansour est refusé par l’université d’où Il est chassé. Il propose son manuscrit à un éditeur français, courageux par le passé mais, piégé par les nouvelles contingences et les exigences géopolitiques et géostratégiques. L’éditeur Claudier, que l’on suspecte être Maspero, invite Mansour à aller en France pour un entretien. La déception qui attend le socio politologue n’a pas d’égale. Des orientations identiques à celles qui lui sont imposées par les autorités algériennes lui sont prodiguées par l’éditeur français. Désappointé, dépité, Mansour ne mâche pas ses mots. Il rentre au pays vaincu par les inexplicables complicités ponctuelles et opportunistes tissées entre les états.
L’Algérie, la Kabylie sont au cœur du texte. De subtiles comparaisons sont faites afin de révéler les identités de comportements dans les tyrannies par choix et par mimétisme.
Fateh Bourboune.