Auteur : Mouloud Achour
Titre : Le vent du Nord
Casbah éditions 2003. 207 pages.
Le premier chapitre s’ouvre sur une citation de Louis Aragon : « Le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard. » Le vers est extrait du poème intitulé les Yeux d’Elsa appartenant au recueil du même titre.
L’épigraphe sous son aspect anodin est un référent lourdement chargé d’histoire : histoire d’une idylle célèbre ; Elsa Triolet et Louis Aragon, d’un amour célébré à travers la poésie, mais aussi, celle du communisme et d’un communiste ayant quitté le parti. Outre cela, nous savons que la poésie de Louis Aragon, afin d’échapper à la censure nazie, est toute d’allusions, de référents mythologiques, légendaires et autres. Une poésie parfois légère pulsant de gravité ou une poésie fort grave s’allégeant dans la beauté de la métaphore et la puissance du rythme et de la rime.
Telle une ombre perceptible, derrière la narration, tissulée dans la narration menée dans un registre soutenu, se tient dans LE VENT DU NORD, la métaphore filée.
Le registre soutenu révèle la gravité du discours sans empêcher le conte merveilleux de fleurir, d’y fleurir, de le fleurir. Il maintient la force du drame par une subtile dédramatisation absorbée par la nature en apparence insouciante de Solénya, car Malek, amoureux transi, est un homme grave et brave.
L’idylle est non seulement celle de deux personnes mais aussi celle de deux pays dont la chute des principes de l’un entraîne la chute de l’autre alors que les perversions du système de l’un ont préalablement, par mimétisme aveugle, contaminé le système de l’autre.
C’est ainsi que « LE VENT DU NORD » souffle sur le sud et que le titre révèle son sens et ses significations.
L’idylle entre Solénya et Malek subit le contrecoup des changements internes de l’un et l’autre pays. Solénya épouse le peintre -dont elle partageait le logis- devenu trafiquant d’œuvres d’art. Malek ne reconnaît plus ni son amour ni le pays de son amour.
Malek, le narrateur, visite une première fois l’URSS à l’âge de vingt ans alors qu’il appartient au corps des scouts.
Il y revient en qualité de biologiste, écrivain et biographe en projet de traiter de la vie du poète turc Nazim Hikmet. Il tombe amoureux de Solénya fille de Alexandre Mikhailovitch Fiodinov, géant de la recherche soviétique sur les applications du magnétisme, déchu sous le règne Staline/Jdanov et de Svetlana son épouse scientifique de renom. La passion entre l’algérien et la jeune soviétique est partagée.
La famille Fiodinov après avoir connu l’ascension vit la sévère et vertigineuse chute que connaissent tous les dissidents ou suspects de dissidence.
Les voyages de Malek vers l’URSS se font de plus en plus espacés. Dix ans s’écoulent depuis sa dernière rencontre avec Solénya lorsqu’il se décide de retourner au Pays de Lénine dans la ferme intention d’un exil.
C’est l’octobre algérien qui motive le dernier voyage de Malek.
Si le mois d’octobre est le dénominateur commun à deux révolutions : celle de 1917 et celle du 5/10/88, il est aussi le mois au cours duquel à lieu la fêlure et la séparation entre Malek et Solénya. Pourtant Solénya rêve d’accompagner Malek dans sa kabylie natale et Malek souhaite ardemment rester auprès de Solénya.
« Si bien que nous étions à la veille du cinquième anniversaire de notre première rencontre lorsque survint la fêlure d’octobre, annonciatrice de turbulences insoupçonnées. Les mois qui suivirent furent une longue descente aux enfers. »P177
Alors qu’octobre 1917 a pour but d’installer le système communiste en URSS, octobre 1988 en Algérie dénonce les perversions d’un système inspiré de l’ami soviétique.
« … Du second où s’allonge chaque jour le macabre tableau de chasse des meurtriers de la pensée, où l’intelligence bat en retraite devant l’avancée inexorable de forces surgies du plus profond de nos terreurs. »P201
Malek découvre un pays ayant bien changé, subissant les effets de la reconstruction nommée Prestroïka « перестройка » menée entre avril 1985 et décembre 1994 par Mikhaïl Gorbatchev. L’auteur ne cite nommément ni la reconstruction ni son initiateur, il se suffit de décrire les désordres sociaux, les nouveaux comportements et l’échec de soixante-dix ans d’inutiles sacrifices, d’illusions. Mouloud Achour veille à ce que sa fiction ne sombre ni dans le récit historique ni dans le pamphlet politique. Grâce à cette circonspection il rehausse les comportements des intellectuels sous l’effet de la censure, autrement dit l’autocensure.
« Ici, nous sommes plus de ce monde, nous sommes des millions de morts dans un immense cimetière. Le fait que nous ne soyons pas sous terre ne signifie rien ! Ceux d’en bas ont eu le meilleur sort ! » P127
« Qu’était-il advenu du prodigieux univers projeté à la face de l’humanité à l’aube du siècle, patiemment nourri par le sang et la sueur, charpenté par l’espoir de milliers de malheureux résolus à ne plus l’être ? Une illusion monstrueuse administrant la preuve souveraine de l’extrême précarité de la condition humaine. Désormais, les reliques d’un empire édifié pour être un modèle prestigieux et éternel gisaient dans la tragique vanité de leurs symboles. » P197
L’amour fou entre Solénya et Malek nous mène à travers la Russie pour en décrire les états, les villes, les mœurs, les habitudes et surtout les nouveaux comportements d’une jeunesse s’autorisant tous les trafics pour s’assurer un meilleur quotidien. Marx et Engels font partie de la galerie des portraits des personnalités célèbres à côté de Lénine et de la pléiade de musiciens et d’auteurs de l’union soviétique.
Au centre du récit, la valeureuse bibliothèque de Alexandre Mikhailovitch Fiodinov, constituée à travers les générations et les quêtes épuisantes du scientifique dissident. Tel un Temple dont la prêtresse préposée au feu sacré, est en l’occurrence Solénya, les livres qui la constituent sont protégés, entretenus, défendus contre tous les prétendants et même pour subvenir aux plus profonds moments d’indigence. Pourtant, la mémoire sacrée finit par être éparpillée, dissipée abandonnée à la débâcle qui suit la chute du communisme.
La symbolique de la bibliothèque est un des thèmes forts du texte.
« LE VENT DU NORD » contient tant d’informations exactes nous signifiant que l’auteur connaît bien l’URSS que le souci de l’écrit fictionnel par sa vraisemblance nous pousse à supposer que le texte, loin d’être une simple mythologie du « je » par narrateur interposé, contient une importante part autobiographique.
Fateh Bourboune.