Auteur : Ryad Girod
Titre : Ravissements
Editions José Corti. 2008 . [Barzakh] 2010. 133p
Si Ryad Girod commet un troisième roman sur fond de phénomène géologique ou climatique il aura ressuscité une sorte de théorie des climats ou aura introduit la théorie du phénomène géologique et climatique. Climat social et géologie des masses.
Dans « la fin qui nous attend », son second roman, les événements narrés ont lieu lors d’un séisme.
Dans « Ravissements », il s’agit d’un vent de sable venant du nord pour allusivement faire perdre le nord au lecteur. Le narrateur avoue par son récit que lui-même l’a perdu.
L’absence de toponymes n’empêche pas, grâce à un indice réitéré avec insistance et certaines expressions, de se savoir en Algérie où les vents de sable viennent du sud.
Le narrateur est sous-directeur du département National de linguistique. A l’époque du récit il y dispense une série de conférences afin d’initier les stagiaires à l’écriture du discours politique idéal, à l’approche des élections. Or, lors d’une de ses prises de paroles, il perd l’essentiel de son activité : les mots, lui qui a pour mission de rédiger un traité du discours politique idéal commandé par les hautes instances du pays, nommées : « Qui vous savez. » Le dossier sur lequel il travaille est intitulé : « Quelles stratégies de simplification du discours politique ? »
Ne pas oublier que pour rédiger son récit, l’auteur a avec brio employé les mots et qu’il dit : « : « Ce qui s’exprime par le langage nous ne pouvons l’exprimer par le langage… » P77 et qu’il continue en page 78 un discours linguistique sur le discours politique.
Le narrateur dont l’épouse est architecte, a deux filles : Fifi et Mimi. Fifi et Mimi sont aussi les noms de deux poupées enfermées dans un vieux coffre, propriété de l’épouse cyclothymique et sujette à des dépressions la menant souvent en cure dans une maison de repos tenue par des sœurs blanches. Le narrateur semble aussi y aller, s’y trouver et y rencontrer du ravissement.
Au sortir du travail, la voiture du narrateur refuse de démarrer. Il emprunte à pieds un chemin pour se rendre à son domicile. Chemin faisant, une étrange végétation débordant des palissades des villas attire son attention, alors qu’une main l’attire vers l’intérieur d’un jardin où au pied de chaque arbre se tient une pierre tombale.
Le narrateur retournera plusieurs fois en ce lieu magique, jardin-cimetière-temple où chaque arbre a poussé du fait des graines déposées sous la langue de l’inhumé.
Entre son lieu de travail, la piscine : délicieusement baptisée le jardin bleu, l’étrange temple/jardin/cimetière et le souvenir de l’explosion d’une bombe sous une voiture lors d’un voyage pour assister aux obsèques de son grand père, le narrateur nous mène de la réalité vers l’irréalité donnant à certains personnages et à certains objets un double, une présence de substitution déréalisant le récit alors qu’en un lieu, un couple d’amoureux, dans une garçonnière aux issues murées, toute tapissée de rouge, se liquéfie. L’eau magique produite par le couple suicidaire dévale l’escalier et coule dans la rue. Les gens s’empressent de remplir des récipients. L’auteur remplit un verre pour rendre service à une dame debout sur le cercueil de son fils réceptionniste dans l’administration du narrateur. Les référents religieux sont d’une clarté prodigieuse.
Le narrateur retrouve toutefois la parole lorsqu’il dit : « La parole retrouvée, je m’installais devant notre figuier et me laissais entraîner par des pensées circulaires au sujet de tel ou tel autre événement de la journée. »[p121]
La circularité des idées est omniprésente dans tout le récit et relève de l’obsessionnel. L’absence de ponctuation, les reprises, les hypothèses en série s’annulant l’une l’autre et se complétant à la fois, nous ramènent à la pensée mathématique, formation de l’auteur et bien entendu à leur définition : « Les mathématiques sont une succession infinie d’opérations logiques. »
Spécialiste des abstractions, l’auteur fait abstraction de toute logique afin d’imposer par son discours des évidences d’une logique quasi mathématique. Fonctionnant en A et Ā sans exclure le tiers, Ryad Girod procède à une lecture d’une réalité fonctionnant en A et Ā qui n’a cure du tiers exclu.
Je me suffis de cette présentation succincte, superficielle du roman car, ce que je refusais, arguments à l’appui, depuis fort longtemps, se révèle et vient me conforter dans ma certitude à travers la plume de Ryad Girod, celle de Kaouther Adimi, de Samir Toumi, de Abdelkader Djemai, Ali Malek, Amara Lakhous et bien d’autres.
En effet, une relecture de Rachid Boudjedra est indispensable, loin des prisons théoriques controuvées du Grotesque et du carnavalesque imposées par Charles Bonn et devenues code sacré de la lecture des textes de l’auteur de L’escargot entêté.
Une école purement algérienne est née, s’impose avec son Maître et ses épigones géniaux et ingénieux. Des épigones esquissant eux-mêmes une école nouvelle.
Post-colonial, périphérie, carnavalesque, grotesque, toutes ses peaux superposées sur le dos de littérature algérienne afin de la faire dépendre d’un centre, n’existent pas, n’existent plus. Afin d’en faire une imitation grotesque d’un ailleurs paradigmatique est une supercherie d’envergue.
La littéraire algérienne n’est plus et ne le fut jamais, cet être hybride dépossédé de son autonomie et de son génie. Je présenterai ma/mes conclusions personnelles dans un article ou dans un café littéraire.
Fateh Bourboune.