Jamouli Ouzidane
« Pour assimiler la culture de l’oppresseur et s’y aventurer, le colonisé a dû faire siennes les formes de pensée de la bourgeoisie coloniale. », Frantz Fanon
Yasmina Président de la république algérienne ?
Des vois s’élèvent contre la candidature de Khadra à la présidentielle Algérienne, car diriger un pays ça demande des hommes versés depuis des décennies dans la politique, l’économie, la gestion, la vocation historique, la vision futuriste, les relations internationales, la géostratégie et les études politiques à l’ère des conflits globaux et des sociétés de savoir.
Monsieur Khadra, dans son parcours de romancier, n’a aucune de ces compétences que celles de la notoriété. Dans ce cas, autant faire appel à Zizou ! Une plume qui confectionne des mots romanciers ou un pied qui joue au ballon est loin d’être un ESPRIT qui pense le monde de la complexité et du Chaos !
L »homme bénéficie de l’appui du pouvoir algérien qui joue à la diversion et de la communauté internationale qui verrait d’un bon œil cette candidature. En tant qu’Algériens, normalement, nous devrions en être fières de cet ambassadeur et même le célébrer, mais quelque chose nous gêne chez cet écrivain: l’homme qui ne cadre nullement avec l’œuvre. On peut admirer l’œuvre romanesque, mais on est déconcerté par sa communication. On y perçoit un homme à la limite de l’arrogance quand il parle aux journalistes algériens de la hauteur de sa popularité avec un mépris méprisable. Sa candidature est fondée sur une seule chose: sa popularité.
Les dessous de la popularité
C’est cette disjonction ou dichotomie entre l’homme et son œuvre qui nous interpelle. Plusieurs questionnements restent soulevés sur cet écrivain comme une énigme dont nous allons en voir les dessus des cartes:
1- Un itinéraire de militaire qui n’a rien avoir avec les prestigieuses universitaires nationales ou internationales pour faire valoir son savoir-faire. Il a fait 36 ans de sa vie dans l’armée et ensuite il a été un romancier versé dans le romanesque sans expérience de la réalité politique sur le terrain. Il n’a eu aucune éducation politique, expérience politique, gestion économique ou tout ce qui fait un président. La politique n’est pas un roman de savoir-dire mais une expérience de toute une vie comme.
2- Pourquoi le monde des institutions littéraires, des médias et des maisons d’édition donne-t-il une promotion internationale à ce romancier parmi des milliers d’auteurs francophones et même magrébins tout aussi bons ?
Les lecteurs avertis savent que son écriture est bonne, mais sans aucune relation avec le génie littéraire qu’on lui prête ; un génie qui est une insulte aux Montesquieu, Voltaire ou Shakespeare, mais aussi à notre propre terroir ; les Mouloud Mammeri, Mouloud Feraoun ou Kateb Yacine …
Il faut chercher la réponse de sa popularité à mon avis du côté de son thème principal et de la manière traitée. Le thème rentre dans le cadre de son essai « le dialogue de sourds qui oppose l’Orient et l’Occident » et la manière floue dont il traite ce sujet majeur dans un monde où le conflit et non le dialogue est de rigueur, dans un monde où le bourreau se dit victime ! Le flou est de ne pas prendre de coté, mais d’insinuer que c’est le monde musulman qui a tord ! On peut voir cette ambigüité dans ses films portés à l’écran qui le dévoile clairement.
Œuvre romancière et message idéologique
– L’Attentat par Zied Douéri: rappelons juste une chose pour tout comprendre. Douéri est un cinématographe libanais qui a exprimé son opposition au boycotte d’Israël et l’un des rares Arabes à filmer en Israël avec des acteurs israéliens.
Dans ce film, qui parle du conflit Palestine- Israël, ce sont les Arabes qui sont des terroristes et il va même essayer de nous expliquer pourquoi !
Dr. Amin Jaafari est un chirurgien palestinien bien intégré à la société israélienne, un modèle d’assimilé à la civilisation du Bien ; celle qui oublie la Palestine ! Après un attentat, on découvre sa femme, Siham, avec les cadavres et elle est la suspecte. Amin va essayer de comprendre comment sa femme a gardé cette deuxième vie secrète, cette horreur de Dr Jeckyll and Mr. Hide. Il se pose la question : comment elle est devenue une terroriste ? Il ne se pose pas la question: comment elle est devenue résistante pour sa nation et son peuple palestinien? Il ne comprend pas ! Est-ce un point de vue du bourreau qui ne comprend pourquoi sa victime se révolte !
– Ce que le jour doit à la nuit, par Alexandre Arcady ; ici l’algérien est rebaptisé Jonas par Madeleine. Jonas est donc bien intégré (ou désintégré) dans la communauté française et devient ami avec Jean-Christophe, Fabrice, et Simon.
L’ambigüité est que dans le film, on ne montre jamais les génocides de la colonisation de 132 ans, mais on montre plutôt une histoire d’amour avec la France ; un paradis perdu dans cette superbe histoire d’amour avec Émilie (qui peut représenter ici la Douce France), une histoire perturbée par un conflit militaire et non pas une colonisation barbare dont on ne voit jamais la barbarie ; une barbarie enfouie par une histoire d’amour ! Le diable se cache dans le divin !
Le réalisateur Alexandre Acadie, lui même pied noir d’origine juive, avait une autre expérience de l’Algérie ; un paradis perdu et c’est pour cela que cette histoire l’intéresse. Une histoire d’une mémoire sélective pour les masses. On a ici une amnésie collective quand les Français parlent avec impudeur du génocide des Arméniens et voient dans leur colonisation une œuvre civilisatrice… Que dis-je une œuvre d’amour avec l’indigène !
– Les Hirondelles de Kaboul, par Zabou Breitman; ici Yasmina va aller au plus hideux des visages de l’islamisme, L’Afghanistan, pour le faire assimiler à l’islam dans toute son ambigüité ; « Les hommes sont devenus fous ; ils ont tourné le dos au jour pour faire face à la nuit« . On ne verra pas le côté barbare des drones. Le malheur de ces êtres est d’être des musulmans avec un pays riche soumis à des siècles de prédation des Anglais, Russes, Américains ; que dis-je de toute la communauté occidentale ! Donc une autre lecture biaisée et sélective de l’histoire !
– Morituri par Okacha Touita ; Morituri veut dire en latin « ceux qui vont mourir ». Il est utilisé dans la phrase : « Ave Cæsar, morituri te salutant ! » C’était déjà le titre d’un film allemand en 1948 avec le célèbre acteur Klaus Kinski et aussi un autre film américain en 1965 avec Marlon Brando et Yul Brynner. Ici la scène est la guerre civile en Algérie. Brahim Llob, commissaire de police, traque les islamistes et se trouve dans leur cible. Le flou est qu’il gêne le pouvoir en place, car il veut publier un livre dénonciateur. Monsieur Khadra qui a déjà fait sa guerre contre les islamistes a déjà choisi son camp et ne peut être dans celui du penseur historique tiers qui analyse avec les sciences humaines le conflit algérien !
Khadra parle du MAL dans notre monde musulman, mais ne parlera jamais de ce qui a fait la source de ce MAL ; la colonisation, les guerres au Moyen-Orient, les dictatures militaires et même ce hideux islamisme supporté par l’occident.
Khadra est ici comme un ventriloque qui parle par la voie de l’occident, ce même occident qui le récompense par des prix d’obédience et non pas de mérite littéraire.
Toute l’œuvre de Khadra est fondée sur ce thème de diabolisation de l’autre. Il fallait à l’Occident une plume autochtone pour une auto flagellation en public. Khadra a choisi comme Sansal et bien d’autres plumes francophiles primaires leurs camps naïvement: la voix de son maitre et donc ces bénéfices de Notoriété. C’est le prix à payer pour la notoriété. Une plume sert toujours à une cause ou à une récupération par ces maitres de l’édition qui font tourner le manège.
Kissinger disait qu’il faut récompenser les alliés et punir les rebelles. Déjà, Pavlov donnait du sucre à ses rats quand ils vont dans la bonne direction et leur donnait un courant électrique s’ils allaient dans la direction interdite. C’est cela le behaviourisme et les foules sont ici juste pour admirer les néons qui divertissent du vrai malheur du monde: la prédation humaine au nom de la vérité et de la vertu commercialisées par le pouvoir de la séduction et de la notoriété recyclable à volonté.
Voilà la recette de l’ambigüité de Khadra ; faire l’équilibre entre deux camps, mais incriminer un camp avec suggestions, finesse et pédagogie. On dirait ces expériences de Pavlov où il emmène son rat avec des sucres dans un camp bien précis !
Ensuite le roman ne peut se substituer à la réalité sociologique seule traitée par les sciences sociales académiques. Un roman n’est pas une réalité ! Il ne vous qualifie pas pour le test de la réalité politique !
La critique de Khadra et la critique de tous les intellectuels médiatiques: ils sont devenus les nouveaux prêtres guerriers du pouvoir.
Légitimité de la critique
– La critique est légitime quand on est un homme public: Khadra pense qu’il est mal aimé uniquement en Algérie par des journalistes jaloux et peut être stupides, mais ne réalise pas que c’est peut-être un déficit de communication de sa part. Quand on est un homme public, on affronte les médias et on s’explique avec pédagogie et sans mépris. On ne peut critiquer Mr Khadra comme toute critique littéraire ou journalistique sans se faire traité de jaloux, d’imbécile ou de haineux.
– La critique est non pas contre une œuvre littéraire, mais le sens et l’embouchure de cette œuvre ; la négation de la victime, le colonisé algérien à qui on veut occulter une mémoire de génocide pour une mémoire de paradis d’amour perdu pour une belle Française contre le Palestinien résistant qui devient un terroriste dont on veut comprendre la nature suicidaire, et contre l’afghan obscurantiste qui combat la terre entière avec leur arsenal militaire civilisé. Nous critiquons une vision unilatérale qui plait aux éditeurs occidentaux qui la récupèrent dans leur guerre des images et des valeurs universelles de double morale !
– La critique n’est pas contre la personne de Mr. Khadra et ses intentions, que nous ignorons, qui lui a tous les droits à la pensée, à l’expression littéraire et à la candidature de la présidence de la république algérienne comme tout autre citoyen dans un pays libre !
Comme Mr Khadra utilise ce droit de pensée, nous utilisons aussi ce droit sans nous faire traiter d’imbécile, de jaloux, de haineux ou de traitre ! Nous devons apprendre la différence de pensées et Monsieur Khadra doit aussi accepter la critique respectueuse s’il veut devenir un homme public redevable aux citoyens. Ce n’est pas encore un dieu ou le critiquer devient un blasphème !
Au-delà de la polémique stérile qui nous dispense de réfléchir sereinement, voici les questions qui tuent ;
La vraie question qui se pose à Mr Yasmina Khadra ; a-t-il les qualifications d’un Churchill, d’un Gandhi ou d’un Mandela pour sortir l’Algérie de sa crise profonde, de la propulser dans les nations modernes du futur ? À lui de nous convaincre de cela, car les Algériens méritent un président à leur juste valeur. Un président choisi et non plus imposé !
Mr. Yasmina devrait aussi nous dire s’il est vraiment sérieux et qu’il veut qu’on le prenne au sérieux :
1- où est son programme politique ?
2- où est son équipe dirigeante ?
Peut-on s’improviser président d’un pays sans programme politique, sans équipe dirigeante, sans expérience politique selon les normes du bon sens ?