François Hollande chez Ahmed Ben Bella à Alger en décembre 2010
Hollande l’Algérien
Il connaît bien le pays, son peuple et la nomenklatura du FLN au pouvoir. Son voyage et ses discours ont été préparés très soigneusement. François Hollande voudrait être le président de la réconciliation entre la France et l’Algérie. Réussira-t-il là où tant d’autres ont échoué ?
C’était il y a deux ans, sur le perron d’une belle villa, à Alger. Ahmed Ben Bella, premier président de la République algérienne, raccompagne son hôte, François Hollande, avec lequel il a devisé pendant plus d’une heure. Autour d’une tasse de thé et de pâtisseries au miel, le vieil homme de 94 ans lui a raconté ses années de prison en France et en Algérie, ses amours avec son infirmière et ses exploits de demi-défensif dans l’équipe professionnelle de l’OM avant la révolution. Son visiteur a adoré.
En ce mois de décembre 2010, Ben Bella sait que Hollande n’est encore qu’un outsider dans la campagne de la primaire socialiste, loin derrière DSK et Martine Aubry. Il sait aussi qu’il est venu le voir, lui, la figure historique, l’ami du Che et de Nelson Mandela, pour faire un coup médiatique : attirer les journalistes qui s’intéressent encore peu à sa candidature et séduire l’électorat franco -algérien, qui peut, un jour, faire la différence. Alors, avant de prendre congé, le chef révolutionnaire, malicieux, glisse au candidat : «Rassurez-vous, monsieur Hollande, je porte toujours bonheur à ceux qui viennent me rendre visite. » Il dit vrai : dès son retour à Paris, l’outsider dépasse pour la première fois Martine Aubry dans les intentions de vote des sympathisants socialistes.
Deux ans plus tard, Ahmed Ben Bella a disparu (il est mort dix jours avant le premier tour de l’élection présidentielle) et François Hollande revient à Alger les 19 et 20 décembre, pour une visite d’Etat très attendue. Ce déplacement, qu’il prépare avec beaucoup de soin, va-t-il une nouvelle fois, lui porter chance ?
Depuis 1975, tous ses prédécesseurs ont cherché, dès le début de leur mandat, à apaiser la relation entre la France et son ancienne colonie devenue le plus vaste Etat d’Afrique et du monde arabe, l’un des plus riches aussi. Mais tous, Mitterrand, Chirac et Sarkozy, ont terminé leur présidence en froid avec le pouvoir algérien. François Hollande, que certains surnomment « l’Algérien » du fait de ses voyages précédents dans la Ville blanche et de la présence de plusieurs Franco-Algériens dans son entourage, peut-il conjurer cette malédiction ?
Avec l’Algérie, il entretient un lien particulier. «Il n’a pas là-bas d’attaches personnelles, pas d’amis, pas de famille», dit l’un de ses proches. Mais c’est à Alger que François Hollande a commencé sa vie professionnelle. En 1978, le futur président vient d’entrer à l’ENA et il a choisi de faire son stage de première année, de février à septembre, à l’ambassade de France à Alger. Pourquoi ce choix ? Ses proches évoquent la figure d’un père, candidat malheureux à l’élection municipale à Rouen, qui revendiquait haut et fort des sympathies pour l’OAS. «François s’est toujours demandé pourquoi son père était Algérie française, dit l’un de ses amis. Il voulait se faire une idée lui-même, surplace. »
A-t-il trouvé des réponses ? En tout cas, à l’ambassade de France, où il va habiter sur les hauteurs d’Alger pendant huit mois, il est chargé, heureux hasard, d’aller à la rencontre des coopérants français. Il seconde un jeune diplomate de carrière, Hubert Colin de Verdière, qu’il recroisera bien plus tard. Les deux hommes sillonnent le pays jusque dans les lieux les plus reculés. «Il en garde un excellent souvenir», dit Kader Arif, ce fls de harki, né à Alger, que François Hollande nommera ministre délégué aux Anciens Combattants. Pendant son stage, le futur président découvre aussi à quel point les Algériens suivent avec passion la vie politique française, qu’ils aimeraient bien influencer. Un mois après son arrivée ont lieu les élections législatives de mars 1978. Le pouvoir algérien, qui déteste Giscard, prend fait et cause pour la gauche. Quel est l’impact en France de ces prises de position ? On ne sait. Mais François Hollande comprend à ce moment-là qu’une carrière politique nationale se joue, en partie, de l’autre côté de la Méditerranée.
Il s’en souvient vingt-huit ans plus tard, en juillet 2006. Il est premier secrétaire du PS et envisage de se présenter à la primaire socialiste. «Afin de rehausser son image, François, qui se déplaçait peu, voulait faire un voyage à l’étranger, raconte son directeur de cabinet de l’époque, Stéphane Le Foll, aujourd’hui ministre de l’Agriculture. Je lui ai proposé de retourner à Alger. Il a dit oui tout de suite. » Avec d’autant plus de plaisir que l’ambassadeur de France là-bas n’est autre que son copain de stage, Hubert Colin de Verdière.
Ce voyage de 2006 marquera tous les participants. Outre Kader Arif, François Hollande est accompagné de trois amis franco-algériens – un juif, un musulman et un chrétien – qui viennent tous de Constantine : Benjamin Stora, le grand historien de la guerre d’Algérie avec lequel il a sympathisé, quelques années auparavant, dans le club Mémoire et Politique ; l’ingénieur Faouzi Lamdaoui, délégué à l’égalité au sein du PS, qui deviendra son chef de cabinet pendant la dernière campagne, puis conseiller à l’Elysée ; et l’incontournable Georges Morin, Monsieur Algérie au PS de 1986 à 1993, qui continue d’entretenir un précieux réseau au sein du pouvoir algérien et dont François Hollande, devenu président, sollicitera toujours les conseils.
Avec son «gang de Constantinois», comme dit le truculent Morin, François Hollande est reçu, le 8 juillet 2006, au palais El Mouradia par le président Bouteflika et l’entretien dure trois heures. Pourquoi un tel accueil ? C’est un pied de nez à Jacques Chirac, dont la lune de miel avec l’Algérie a tourné à la guerre froide après que la droite a fait voter, en février 2005, un article de loi évoquant un prétendu «caractère positif de la colonisation». Et puis, François Hollande, premier patron du PS en visite à Alger depuis seize ans, a accepté de signer un accord de partenariat avec le FLN Une grande faveur pour ce parti tant décrié et dont le secrétaire général, Abdelaziz Belkhadem, est une «barbe FLN», comme on dit, un islamiste. A la fin de la visite, François Hollande fait deux déclarations majeures. «Je dénonce le système colonial», déclare-t-il solennellement. Et il se dit prêt à « travailler à un traité d’amitié» entre les deux pays, s’il est «élu en 2007 ». Un clin d ‘ oeil aux «3 millions de citoyens français [qui] puisent une part de leurs racines en Algérie», comme il le déclare au quotidien « El Watan ».
Quatre ans plus tard, en décembre 2010, François Hollande est de retour à Alger pour la même raison : la campagne présidentielle. «Il venait de dépasser Ségolène dans les sondages. C’était le moment d’installer une stature présidentielle donc internationale, raconte Stéphane Le Foll. Comme son chef de cabinet, Faouzi Lamdaoui, connaissait la fille de Ben Bella, on a organisé un nouveau voyage là-bas. » Une nouvelle fois, François Hollande est invité par le FLN. « Nous voulions faire un geste, dit Si Afif, responsable international du bureau politique du Front de Libération. Mais beaucoup n’entendaient pas déplaire à Sarkozy …» Si bien que, cette fois-là, François Hollande n’est pas reçu par Bouteflika ni même par le Premier ministre. «Heureusement qu’on avait décroché une rencontre avec Ben Bella !», dit un proche. Autre bon souvenir de cette visite de 2010 : c’est sur le parvis de Notre-Dame d’Afrique, à Alger, que François Hollande parle, pour la première fois, de présidence «normale».
Malgré ce semi-échec, le candidat socialiste persiste. Il repense à l’Algérie dès le soir de sa victoire à la primaire, le 16 octobre 2011. Le lendemain matin, il se rend sur le pont de Clichy où une cérémonie est organisée à la mémoire des dizaines d’Algériens jetés dans la Seine cinquante ans plus tôt, le 17 octobre 1961. «François ne voulait pas rater l’occasion, raconte son ami l’historien Benjamin Stora, qui était présent. C’était un geste politique fort, notamment pour un certain électorat, celui de la diversité. » Plus tard, durant son affrontement avec Nicolas Sarkozy, le candidat de la gauche songe à aller plus loin. «Il souhaitait entreprendre quelque chose de marquant pour le 50e anniversaire de l’indépendance algérienne, raconte Dominique Villemot, un ami de la promotion Voltaire. Mais son équipe de campagne l’en a dissuadé. » François Hollande se contente de rendre hommage à Ben Bella après le décès de celui-ci, le 11 avril 2012. A la fin du communiqué, le candidat socialiste «forme le voeu que les peuples algérien et français puissent s’engager dans une nouvelle ère de coopération ». En écho, le patron du FLN, la « barbe » Belkhadem, affirme, à la veille du second tour, que la victoire de François Hollande «changera les relations» entre les deux pays. Un soutien clair et net.
La victoire de François Hollande, le 6 mai, est un soulagement en Algérie où, du fait de sa campagne droitière, à la limite de l’islamophobie, Nicolas Sarkozy était détesté. « Ce soir-là, à 20 heures, il y a eu une clameur de joie dans tout le pays, comme si l’équipe nationale avait marqué un but», se souvient la vice-présidente socialiste du Sénat, Bariza Khiari qui est franco-algérienne. L’Algérie se prend à rêver qu’avec ce nouveau locataire de l’Elysée apparemment si bien disposé la relation entre les deux pays va être radicalement transformée.
Très vite, le président élu reçoit un coup de fil de son homologue algérien qui l’avait snobé dix-huit mois auparavant. Pas rancunier, François Hollande propose à Abdelaziz Bouteflika d’envoyer une délégation française de haut niveau aux cérémonies du 50e anniversaire de l’indépendance, le 5 juillet. Le président algérien refuse. Mais il l’invite en visite d’Etat, dès que possible. François Hollande décide de se rendre en Algérie avant d’aller au Maroc, pourtant l’allié principal de la France au Maghreb – une première. Il demande à son équipe de préparer le déplacement avec le plus grand soin.
Laurent Fabius est envoyé en éclaireur le 16 juillet. Avec son collègue des Affaires étrangères, il dresse une liste complète des sujets de contentieux. Elle est longue. «Nous avons découvert que, depuis des années, presque tous les dossiers étaient gelés», confie un responsable français. Si bien que, des questions consulaires aux grands contrats, «on se met d’accord pour tout mettre à plat». Il y a urgence : si rien n’est entrepris, la France perdra bientôt son statut de premier partenaire économique de l’Algérie, pays qui dispose de près de 200 milliards de dollars de réserves.
Une noria de ministres défile à Alger. Les « Algériens » du gouvernement d’abord : Yamina Benguigui, en charge de la Francophonie, dont le père fut l’un des responsables du Mouvement national, et Arnaud Montebourg, dont la mère s’appelle Leïla Ould Cadi et qui se définit comme «un enfant de la France-Algérie» ; mais aussi Manuel Valls et la ministre du Commerce extérieur, Nicole Bricq. François Hollande dépêche également Jean-Pierre Rafarin, dont il a renouvelé la mission économique auprès du gouvernement algérien que lui avait confié Nicolas Sarkozy.
Début octobre, le président rencontre lui-même le Premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, à Malte, en marge d’une réunion sur la Méditerranée. Les deux hommes parlent du nouveau sujet qui divise les deux pays : le Mali. L’Algérie est opposée à l’intervention militaire qu’a demandée la France à l’ONU. Les points de vue se rapprochent, mais Paris soupçonne l’armée algérienne de ne pas jouer franc-jeu sur ce dossier majeur. «On vous attend à Alger, le couscous est prêt », lance Abdelmalek Sellal à François Hollande à la fin de leur rencontre. «Il faut que je me dépêche, sinon il va refroidir», lui répond le président français. Pourtant la visite, initialement prévue le 5 décembre, est repoussée.
L’euphorie du début passée, la méfiance et les malentendus se dissipent lentement. Beaucoup de problèmes demeurent. Du déplacement tant attendu ne sortira pas grand chose de concret, pas tout de suite en tout cas. Jean-Pierre Rafarin peine à décoincer certains grands contrats en souffrance depuis des années. Seul l’accord sur la création d’une usine Renault près d’Oran pourrait être signé lors de la visite. Les nombreux autres dossiers en suspens (visas, biens des Français en Algérie, enfants de couples mixtes… ) seront traités par des commissions mixtes, plus tard. Et le « Document Cadre de Partenariat » que les deux présidents vont parapher en grande pompe le 20 décembre n’est, en réalité, que le renouvellement de celui signé par Nicolas Sarkozy en 2007. Seules véritables nouveautés : quelques accords entre universités françaises et algériennes et une convention agricole. On signera aussi une déclaration politique commune à défaut du traité d’amitié envisagé au début. Pas de bouleversement, donc. «Malgré ce que certains ont pu croire, dit-on à l’Elysée, le président n’a jamais eu l’intention de renverser la politique de la France vis-à-vis de l’Algérie. » A Rabat, on souffle.
François Hollande le 17 octobre 2011
Pour François Hollande, l’enjeu principal de la visite n’est pas géostratégique ni même économique. Il est mémoriel, donc politique. Il doit réussir son grand discours devant les deux Chambres du Parlement algérien. Il tentera l’impossible : dénoncer le colonialisme sans heurter aucune communauté. Pour préparer cette allocution majeure, il a organisé un déjeuner à l’Elysée, le 30 novembre, avec plusieurs intellectuels spécialistes de l’Algérie. «Le plus dur, leur a-t-il dit, sera de m’adresser avec des mots justes à tous les publics en même temps » : les combattants algériens mais aussi les appelés du contingent, les harkis et les pieds-noirs. Une occasion rare de s’affirmer comme le président de tous les Français, lui qui a été le premier chef d’Etat à reconnaître «la sanglante répression » du 17 octobre 1961.
Dans son adresse, il devrait aussi évoquer sa famille politique si divisée pendant la guerre d’Algérie – les deux gauches, «celle des pouvoirs spéciaux et celle des «porteurs de valises» qui devraient peut-être, un jour, se réconcilier», dit Benjamin Stora. Après le discours, le second président socialiste de la Ve République ira se recueillir devant une plaque à la mémoire de Maurice Audin, ce militant anticolonialiste assassiné par les services français en 1957, quand François Mitterrand était ministre de la Justice. Une première historique.