AMIN ZAOUI : « Festin de mensonges »

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Titre : Festin de mensonges
Genre : Roman.
Ed, Barzakh, mars 2007.

Présentation du texte.

Ecrit sous le sceau de l’hédonisme au féminin.

Festin sans convives, orgiaque, orgastique initiant une mystique du plaisir dans laquelle Dieu et son verbe sont invoqués pour exprimer l’ascension vers l’apothéose.
Texte de la jouissance sans réjouissances dont le héro est la victime de la libido à fleur de peau de femmes mâtures ne pouvant réprimer les exhortations de dame nature en présence d’un puceau. L’odyssée du puceau au prénom historiquement prestigieux et litigieux, hélé par des sirènes, d’île plaisir en île de plaisir, le mène vers le continent de la luxure et de la licence où il est transformé en pourceau. D’aventure en aventure Kousseila échoue en un lieu où toutes ses aventures de la chair sont réunies sous le même toit : le bordel. En ce lieu de la débauche organisée, il se met une nouvelle fois au service des désirs des femmes non pour satisfaire leur plaisir mais pour accomplir de petites corvées rémunérées.

Réunies dans un lieu unique, tentateur, les femmes se transforment en fille de joie et le lieu en capitale de la débauche. Ainsi est notre planète.

Le bestiaire du texte est réduit aux félinidés et aux canidés. Entre chiens et chats les inimitiés ataviques sont connues. Les deux catégories animales vivent une apparente harmonie dans la mythomanie du personnage. S’ils sont physiquement absents leur présence et épisodiquement anthropomorphique.

« Festin de mensonges » est le roman de l’hérésie transgressive et innovante à la mesure de la fabulation de soi. Y sont introduit La sixième prière et « le huitième ciel » titre d’un roman du même auteur. La sixième prière n’y est pas prévue logiquement et chronologiquement après la cinquième mais après le second office du rite musulman. L’ordre graduel arithmétique est brouillé, la prière surnuméraire n’est ni vigilaire ni surérogatoire, elle est incantatoire, on peut la nommer la prière de l’absent. Elle est celle du retour du père et de sa perte. Le retour du père se fait à l’heure de la sieste. [p47]

Ébauche pour une approche mythocritique de « Festin de mensonges. »

Deux citations :

Daniel Chauvin et Philippe Walter disent dans Questions de mythocritique « la mythocritique est de tenir pour essentiellement signifiant tout élément mythique patent ou latent. »

« Le mythe raconte une histoire sacrée, il relate un évènement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des commencements. » Mircea Eliade. Aspects du mythe. [P16]

« Festin de mensonges » est une fabulation de soi, l’affabulation d’un « je » à travers lequel l’auteur investit sa mythomanie pour « un festin de mensonges».
Tout au long du texte, La véridicité des énoncés est contestée soit par le désaveu immédiat soit par l’interrogation à propos de l’authenticité de l’évènement narré comme vrai. De L’inanité du récit émerge – non dit – le mot parjure.

En effet, Le narrateur se parjure tout au long de son texte. De profane, le parjure s’inscrit dans le registre sacré. L’ensemble des personnages, quelque soit leur confession, agissent à l’encontre des préceptes de leur religion et des bases morales.
Entre le vraisemblable, le vrai et le véridique l’espace du doute est absent. Leur mitoyenneté est sans fracture, sans frontière. Aussi, dans le non lieu de la remise en cause, l’aveu contredit prend l’apparence du non-lieu au sens juridique or, le doute est permis, la graine est plantée, l’esprit est hanté par le dit nié mais redit avec la vigueur de la conviction en d’autres temps proches, en d’autres lieux voisins. La récidive des actions et leur remise en cause par des formules dubitatives ou des négations péremptoires installe une ambiance de parjure rappelant la philosophie du « peut-être » de Jacques Derrida.

Des faits historiques nationaux et internationaux dont l’authenticité est avérée servent d’indicateurs de l’époque. Ils constituent de façon ambivalente le plaidoyer pour la vraisemblance et le réquisitoire de l’accusation. De surcroît, des indices autobiographiques percent çà et là pour égarer le lecteur et le piéger une nouvelle fois entre le fictif et le factuel, entre la dualité et le duel. Le chronotope défie l’invraisemblance.

Enfin, la mythomanie du narrateur et les mythes s’entrecroisent dans un jeu de miroir où le « je » hypertrophié, ramené à modestie par une série de qualifiants dépréciatifs, se reflète et réfléchit le regard du mythe dans le miroir de la mythomanie et vice versa. La mythomanie de l’auteur relevant elle-même du mythe révèle un mythe.

L’Incipit et le mythe des sept dormants.

La référence au mythe des sept dormants [p11] est une amorce rompue par une digression sur les préférences des partenaires sexuels du narrateur. Le narrateur dans sa logorrhée décousue de mythomane en pleine crise mystico-hédonistique, annonce le chiffre sept représentant le nombre des dormeurs dans la grotte et la durée de la guerre de libération. Il passe sans transition du sacré au profane laissant le chiffre fétiche sept piégé entre les deux univers. Le sacré est à lire à deux niveaux : Sacralité du mythe des sept dormants et sacralité de la guerre. La grotte étant le refuge des maquisards.

Le mythe des origines de l’humanité.

Á l’origine fut le meurtre, le fratricide.

Le meurtre originel, le premier fratricide commis par Abel jaloux contre son frère Caïn est cité clairement à l’instar d’autres références religieuses. Il est réitéré tel un leitmotiv, une obsession présidant à l’écriture.

Aussi, La récidive du fratricide originel, atavisme ou résurgence cyclique, réapparaît aux origines de la terre Algérie, paradis retrouvé d’où le démon est chassé. Pourtant, Boumediene destitue Ben Bella à la suite d’un coup d’état le 19 juin 1965 pour prendre sa place à la tête du pays. Le meurtre est politique, la mort d’homme est symbolique, le rival disparaît de la scène. A cette époque le compagnon de combat, le citoyen était nommé frère.

Abel tuait Caïn.
Le sang du frère était versé sur la terre indépendante. [p79]

Le sang est symbolique, les frères sont du même sang.

L’oncle de Kousseïla le narrateur, prénommé Houssinine, ou Hô chi min ébruite et confirme la mort de son frère aux trois prénoms : Safir, Gharib, Salouk, pour lui ravir son épouse Hadile. Louloua est l’instigatrice de la cabale, elle désire jeter sa sœur dans les bras du beau frère. Le mariage a lieu. Symbolique, le meurtre est accompli. Récidive du fratricide originel. L’époux de Hadile, père du narrateur, voyageur invétéré, contrairement à Ulysse à son retour, perd sa Pénélope. Nul chien pour le reconnaître – ses enfants, sa portée, ne prêtent nulle attention à son retrour – il se transforme lui-même en chien vivant au seuil d’un lieu de culte abandonné et y dormant. Les ragots relatifs à sa conversion au christianisme – il réside dans une église désaffectée – achèvent son bannissement. La régression des charges sémantiques onomastiques vient conforter le changement de statut du personnage. Ambassadeur (Safir), représentant officiel d’un état, d’une institution ou d’une cause, il devient étranger (Gharib) pour parvenir enfin à l’état de brigand (Salouk). Le meurtre effectif raté et socialement accompli et réussi.

Á l’origine fut l’inceste.

Roman de l’inceste sans les freins de la hantise de la transgression donc roman de la régression vers les sources originelles de l’humanité afin que Eve puisse soulever le voile de chasteté usurpé qui la pare pour libérer dans la quiétude l’inquiétude de ses instincts naturels.

En effet, Eve ne fut-elle pas synonyme de péché originel ? Toutes les femmes ne sont-elles pas des Ève ? Ève est l’image archétypale de la femme.
Le jeune Kousseila est l’amant privilégié de sa tante Louloua. Erreur ou substitution volontaire louloua eut dû être l’épouse de Safir, Gharib, Salouk. Elle se venge de sa sœur par l’enfant interposé et de l’époux qui aurait dû être le sien.
L’Inceste réel, ou considéré comme tel au vu de l’écart d’âge entre l’enfant et la femme adulte est consommé. Le narrateur passe de douze à quatorze à l’époque du récit, c’est un préadolescent. Ces rapports avec les femmes ne sont ni de son fait ni de sa volonté. Il est le joué de circonstances en des lieux et des moments idoines aux ébats amoureux.

La tentation d’Adam.

Kousseila, le diable au paradis n’est pas malin, il n’est pas le mâlin il est naïf. Il ne tente pas on le dévoie. Il est innocent mais il consent à consommer ce qu’on lui propose. Il répond aux appels de ce dont sa nature de mâle l’a doté. Il ose dès lors que Ève a osé. Ève est de toutes les confessions, musulmane, chrétienne ou juive. Eve est femme, sa nature n’est pas dictée par sa religion. Les religions furent révélées bien après la création et la constitution de la nature humaine. L’enfant connaît autant de concubines qu’en eut Salomon. Elles étaient de toutes confessions et même païennes. Le roi Salomon est au cœur même de la mythomanie de Kousseila.

La damnation.

De « La posture » au sens de Gilbert Durand.

La damnation de Kousseila, sa diabolisation, est le résultat de sa nature. Son entourage décrypte cette dernière aux codes rigoureux de la superstition et le la tradition prophétique. Gaucher, son naturel décide de sa malédiction.
Le texte coranique cite expressément la gauche comme étant la main qui tient le livre et le lieu où se tiennent ceux qui subissent le courroux divin. Or, dans la langue augurale, gaucher est synonyme de chanceux.
Ainsi, houspillé, persécuté, honni par les siens pour un naturel dont il est nullement responsable, Kousseila à de la chance auprès des femmes. Elles se damnent pour le mieux damner.

Le mythe de La fin du monde.

Le mythe de la création ne peut être cité sans celui de sa disparition.
Chaque civilisation à son mythe de la fin du monde. Chaque civilisation a attendu la date fatidique mais aucune ne fut le terme de l’évènement fatal. Selon les musulmans le quatorzième siècle représentait la fin. Or la fin du monde n’a pas eu lieu.
Démythification de l’école.

Roman de l’école où l’ivresse n’est pas celle du savoir, où l’école buissonnière est le lieu clos de l’infirmerie, lieu de restauration des santés éprouvées et du repos convalescent. Roman de l’école niaise où l’apprenant se déniaise au seuil de l’orgie entre les bras de celle qui a pour mission d’assurer le nettoyage. Pertinemment, seul le chapitre 9 ne comporte pas l’expression relative au mensonge. Dans le sanctuaire du savoir on ne ment pas, on dément. On ne sermonne pas on déprave sans entraves.

L’école mise entre les mains des frères musulmans égyptiens est par réaction un lieu de transgression des codes religieux et moraux. Une école du refus, du dés-apprentissage Une école de la rébellion contre le mythe d’un peuple défait par le mythe d’un autre peuple défait ayant à sa tête une femme : Golda Meier. La guerre des 6 jours, la défaite de Nasser servent de réquisitoire contre les égyptiens, une sorte de légitime défense.

Conclusion

« Ne pouvant se réduire à un argument « vrai » ou « faux », l’image, au nom de la raison, est dévalorisée comme incertaine et ambiguë. » Gilbert Durant.

Les faits énoncés sont tout au long du texte mis en échec par le recours à l’expression « les paroles les plus exquises sont celles du mensonge. » ou d’autres expressions semant le doute. Ni vrai ni faux, la vérité falote flotte dans les limbes de l’incertitude Le procédé contrarie non seulement le rationnel mais aussi l’irrationnel. De plus, il légitime le parjure et autorise la contravention pour ne pas dire la transgression.
C’est l’archétype de la pureté originelle qui est mis en doute et en échec. La pureté du paradis adamique fut profanée bien avant la robinsonnade de l’ancêtre de l’humanité puis après avoir été chassé de l’Eden initial. La terre fut le lieu du fratricide et de l’inceste originels. Notre univers profane est enfin de compte à l’image des déconvenues survenues dans l’univers initial dont la pureté mythique est loin d’être en coïncidence avec sa représentation mystique.

Boureboune Fateh

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